Carmel
Correspondance de Thérèse LT 176 – A soeur Thérèse-Dosithée (Léonie) – 28 Avril 1895

DE  
MARTIN Thérèse, Soeur Thérèse de l'Enfant Jésus
À 
MARTIN Léonie, Soeur Françoise-Thérèse

28/04/1895

Jésus

Dimanche 28 avril 1895

                Ma chère petite Soeur,

                J'aurais voulu te remercier plus tôt de ta lettre qui m'a fait bien plaisir, mais Notre Mère t'ayant répondu aussitôt, je n'ai pu t'écrire en même temps qu'elle.
                Chère petite Soeur, je suis intimement persuadée que tu es dans ta vocation, non seulement comme Visitandine, mais encore comme Visitandine de Caen, le Bon Dieu nous en a donné tant de preuves qu'il n'est pas permis d'en douter... Je regarde cette pensée (d'aller au Mans) comme une tentation et je prie Jésus de t'en délivrer. Oh ! comme je comprends que le retard de ta profession doit être une épreuve pour toi, mais c'est une si grande grâce que, plus on a de temps pour s'y préparer, plus aussi il faut se réjouir. Je me rappelle avec plaisir ce qui s'est passé dans mon âme quelques mois avant ma profession. Je voyais mon année de noviciat écoulée et personne ne s'occupait de moi (à cause de Notre Père Supérieur qui me trouvait trop jeune), je t'assure que j'avais bien de la peine, mais un jour le bon Dieu m'a fait comprendre qu'il y avait dans ce désir de prononcer mes Saints Voeux une grande recherche de moi-même ; alors je me suis dit : Pour la prise d'habit on m'a revêtue d'une belle robe blanche garnie de dentelles et de fleurs, qui donc a songé à m'en donner une pour mes noces ?... Cette robe c'est moi qui dois la préparer toute seule. Jésus veut que personne ne m'aide excepté Lui, donc avec son secours je vais me mettre à l'ouvrage, travailler avec ardeur... Les créatures ne verront pas mes efforts qui seront cachés dans mon coeur. Tâchant de me faire oublier, je ne voudrai d'autre regard que celui de Jésus... Qu'importe si je parais pauvre et dénuée d'esprit et de talents... Je veux mettre en pratique ce conseil de l'Imitation : «Que celui-ci se glorifie d'une chose, celui-là d'une autre, pour vous ne mettez votre joie que dans le mépris de vous-même, dans ma volonté et ma gloire» ; ou bien : «Voulez-vous apprendre quelque chose qui vous serve: Aimez à être ignoré et compté pour rien!...» En pensant tout cela j'ai senti une grande paix en mon âme, j'ai senti que c'était la vérité et la paix ! Je ne me suis plus inquiétée de la date de ma profession, pensant que dès le jour où ma robe de noces serait achevée Jésus viendrait chercher sa pauvre petite épouse...
                Chère petite Soeur, je ne me suis pas trompée et même Jésus s'est contenté de mes désirs, de mon abandon total, Il a daigné m'unir à Lui bien plus tôt que je n'osais l'espérer... Maintenant le Bon Dieu continue de me diriger par la même voie, je n'ai qu'un désir, celui de faire sa volonté. Tu te souviens peut-être qu'autrefois j'aimais à me dire «le petit jouet de Jésus», maintenant encore, je suis heureuse de l'être, seulement j'ai pensé que le Divin Enfant avait bien d'autres âmes remplies de vertus sublimes qui se disaient «ses jouets», j'ai donc pensé qu'elles étaient ses beaux jouets et que ma pauvre âme n'était qu'un petit jouet sans valeur... pour me consoler, je me suis dit que souvent les enfants ont plus de plaisir avec des petits jouets qu'ils peuvent laisser ou prendre, briser ou baiser à leur fantaisie qu'avec d'autres d'une valeur plus grande qu'ils n'osent presque pas toucher... Alors je me suis réjouie d'être pauvre, j'ai désiré le devenir chaque jour davantage afin que chaque jour Jésus prenne plus de plaisir à se jouer de moi.
                Chère petite Soeur, maintenant que je t'ai fait ma direction, prie bien pour moi afin que je mette en pratique les lumières que Jésus me donne.
                (Offre je te prie, mon respectueux souvenir à tes bonnes Mères).

Ta toute petite Soeur qui te chérit Thérèse de l'Enfant Jésus rel.c.ind.

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