Carmel
Correspondance de Thérèse LT 065 – A Céline – 20 octobre 1888

DE  
MARTIN Thérèse, Soeur Thérèse de l'Enfant Jésus
À 
MARTIN Céline, Soeur Geneviève de la Sainte Face

20/10/1888

J.M.J.T.
Jésus        Carmel le 20 octobre 1888
C'est donc demain le jour de ta fête, oh ! que je voudrais être la première à te la souhaiter ! si cela n'est pas possible, du moins je puis le faire dans mon cœur. Pour ta fête, que veux-tu que je t'offre ? si je m'écoutais, je demanderais à Jésus de m'envoyer tous les chagrins, toutes les tristesses, les ennuis de la vie de ma Céline chérie, mais vois-tu, je ne m'écoute pas car j'aurais peur que Jésus me dise que je suis une égoïste : je voudrais qu'il me donne tout ce qu'il y a de meilleur sans en laisser un peu pour sa petite fiancée qu'il aime tant. C'est pour lui prouver son amour qu'il lui fait sentir la séparation, aussi je ne peux demander cela à Jésus. Et puis il est si riche, si riche, qu'il a bien de quoi nous enrichir toutes les deux...
Quand on pense que si le bon Dieu nous donnait l'univers tout entier, avec tous ses trésors cela ne serait pas comparable à la plus légère souffrance. Quelle grâce quand le matin nous ne nous sentons aucun courage, aucune force pour pratiquer la vertu, c'est alors le moment de mettre la cognée au pied de l'arbre ; au lieu de perdre son temps à ramasser quelques petites paillettes, on puise dans les diamants, quel profit à la fin du jour... il est vrai que quelquefois nous dédaignons pendant quelques instants d'amasser nos trésors, c'est alors le moment difficile, on est tenté de laisser tout là, mais dan su acte d'amour même pas senti, tout est réparé et au-delà, Jésus sourit, il nous aide sans en avoir l'air, et les larmes que lui font verser les méchants sont essuyées par notre pauvre et faible petit amour. L'amour peut tout faire, les choses les plus impossibles ne lui semblent pas difficiles, Jésus ne regarde pas autant à la grandeur des actions ni même à leur difficulté qu'à l'amour qui fait faire ces actes...
J'ai trouvé il y a quelque temps une parole que je trouve bien belle. La voici, je crois qu'elle va te faire plaisir : «La résignation est encore bien distincte de la volonté de Dieu, il y a la même différence qu'il existe entre l'union et l'unité. Dans l'union on est encore deux, dans l'unité on n'est plus qu'un.» Oh ! oui ne soyons qu'un avec Jésus méprisons tout ce qui passe, nos pensées doivent se porter au Ciel puisque c'est là la demeure de Jésus. J'ai pensé l'autre jour que nous ne devions pas nous attacher à ce qui nous entoure puisque nous pourrions être dans un autre lieu que celui où nous sommes, nos affections et nos désirs ne seraient pas les mêmes, je ne puis t'expliquer ma pensée, je suis trop sotte pour cela mais quand je te verrai, je te le dirai.
Pourquoi t'avoir dit toutes ces choses que tu sais bien mieux que moi ? Pardonne-moi, j'avais besoin d'avoir encore avec toi un entretien comme ceux d'autrefois. Mais ce temps n'est pas passé, nous sommes toujours bien la même âme, et nos pensées sont toujours les mêmes qu'elles étaient aux fenêtres du belvédère...
Je me réjouis du jour où nous fêterons dans la cité céleste.
ta petite Sœur Thérèse de l'Enfant Jésus
Oh ! oui, cela est bien triste de penser que le Père s'en va au Canada, mais Jésus nous reste !...

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