Carmel
Correspondance de Thérèse LT 134 – A Céline – 26 avril 1892

DE  
MARTIN Thérèse, Soeur Thérèse de l'Enfant Jésus
À 
MARTIN Céline, Soeur Geneviève de la Sainte Face

26/04/1892

J.M.J.T.

Jésus

26 Avril 1892

                Ma Céline chérie,

                La prairie du Carmel me fournit cette année un présent symbolique que je suis heureuse de t'offrir pour tes 23 ans... Un jour au milieu de l'herbette toute blanchie par les simples pâquerettes, il me sembla en voir une à la tige élancée qui les surpassait en beauté ; m'étant approchée je vis avec surprise qu'au lieu d'une pâquerette il y en avait bien deux distinctes. Deux tiges si étroitement unies me firent aussitôt penser aux mystères de nos âmes... J'ai compris que si dans l'ordre de la nature Jésus se plaît à semer sous nos pas des merveilles aussi ravissantes, ce n'est que pour nous aider à deviner des mystères plus cachés et d'un ordre supérieur qu'il opère parfois dans les âmes... Céline, je sens que déjà tu as compris ta Thérèse, déjà ton coeur a deviné ce qui se passe dans cet autre coeur auquel le tien est si étroitement uni que la sève qui les nourrit est la même !... Cependant je veux te parler de quelques uns des mystères cachés dans ma fleurette. Jésus a créé pour réjouir notre vue et instruire nos âmes une multitude de petites pâquerettes. Je vois avec étonnement que le matin leurs corolles rosées sont tournées du côté de l'aurore, elles attendent le lever du Soleil ; aussitôt que cet astre radieux a envoyé vers elles de ses chauds rayons les timides fleurettes entrouvrent leurs calices et leurs feuilles mignonnes forment comme une couronne qui, laissant découvert leurs petits coeurs jaunes, donnent aussitôt à ces fleurs une grande ressemblance avec celui qui les a frappées de sa lumière. Pendant toute la journée les pâquerettes ne cessent de fixer le Soleil et tournent comme lui jusqu'au soir, puis quand il a disparu, bien vite elles referment leurs corolles et de blanches elles redeviennent rosées... Jésus est le divin Soleil et les pâquerettes sont ses épouses, les vierges. Quand Jésus a regardé une âme, aussitôt il lui donne sa divine ressemblance, mais il faut que cette âme ne cesse de fixer sur Lui seul ses regards. Pour développer les mystères des pâquerettes il me faudrait écrire un volume, mais ma Céline comprend tout, aussi je veux maintenant lui parler des fantaisies de Jésus... Dans sa prairie Jésus a beaucoup de pâquerettes mais elles sont toutes séparées et reçoivent chacune à part les rayons du Soleil. Un jour l'époux des vierges s'est baissé vers la terre ; il a uni si étroitement deux petits boutons à peine éclos ; leurs tiges se sont fondues en une seule et un seul regard les a fait grandir ; ensemble ces fleurettes devenues une fleur unique se sont épanouies, et maintenant la double pâquerette fixant son regard vers son divin Soleil accomplit sa mission qui est unique... Céline, toi seule peut comprendre mon langage ; au regard des créatures notre vie semble bien différente, bien séparée, mais moi je sais que Jésus a uni nos cœurs d'une façon si merveilleuse que ce qui fait battre l'un fait aussi tressaillir l'autre... «Où est votre trésor là est votre cœur.» Notre trésor c'est Jésus, et nos cœurs ne font qu'un en Lui. Le même regard a ravi nos âmes, regard voilé de larmes, que la double pâquerette a résolu d'essuyer ; son humble et blanche corolle sera le calice où les diamants précieux seront recueillis pour être ensuite versés sur d'autres fleurs qui moins privilégiées n'auront pas fixé sur Jésus les premiers regards de leur cœurs... Peut-être au soir de sa vie la pâquerette présentera-t-elle à l'époux divin sa corolle devenue rosée...
                Adieu Céline chérie, la petite fleur que je t'envoie est une relique car elle a reposé entre les mains de notre Sainte Mère Geneviève, et elle a béni Céline et Thérèse...

Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face rel.carm.ind.

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