Carmel
Correspondance de Thérèse LT 167 – A Céline – 18 Juillet 1894

DE  
MARTIN Thérèse, Soeur Thérèse de l'Enfant Jésus
À 
MARTIN Céline, Soeur Geneviève de la Sainte Face

18/07/1894

J.M.J.T.

Jésus

18 Juillet 1894

                Ma Céline chérie,

                Je ne suis pas surprise de tes épreuves, j'ai passé par là l'année dernière et je sais ce que c'est !... Le bon Dieu a voulu que je fasse mon sacrifice, je l'ai fait et puis comme toi j'ai senti le calme au milieu de la souffrance.
                Mais j'ai senti encore autre chose, c'est que souvent le bon Dieu ne veut que notre volonté, Il demande tout et si nous lui refusions la moindre chose il nous aime trop pour nous céder, mais dès que notre volonté se conforme à la sienne, qu'il voit que c'est lui seul que nous cherchons, alors il se conduit à notre égard comme il se conduisit autrefois pour Abraham... Voilà ce que Jésus me fait sentir dans l'intime et je pense que tu es dans l'épreuve, que c'est maintenant que s'opère le retranchement dont tu as besoin... (C'est maintenant que Jésus brise ta nature, qu'il te donne la croix et la tribulation.) Plus je vais plus j'ai la certitude intime qu'un jour tu viendras ici, Mère M. de Gonz. me recommande de te le dire, elle était tout à fait bonne en lisant ta lettre, si tu l'avais vue tu aurais été touchée !...
                Ne crains rien, ici tu trouveras plus que partout la croix et le martyre !... Nous souffrirons ensemble, comme autrefois les chrétiens qui s'unissaient afin de se donner plus de courage à l'heure de l'épreuve...
                Et pleurs Jésus viendra, Il prendra l'une d'entre nous et les autres resteront pour un peu de temps dans l'exil et les larmes... Céline, dis-moi, la souffrance serait-elle aussi grande si nos étions l'une à Lisieux et l'autre à Jérusalem ?... La Sainte Vierge aurait-elle autant souffert si elle n'avait pas été au pied de la Croix de son Jésus ?...
                Tu crois peut-être que je ne te comprends pas ? et moi je t'assure que je lis dans ton âme... je lis que tu es fidèle à Jésus, ne voulant que se volonté, ne recherchant que son amour, ne crains rien ; dans l'épreuve présente le bon Dieu épure ce qu'il pourrait y avoir de trop sensible dans notre affection mais le fond même de cette affection est trop pur pour qu'il la brise... Ecoute bien ce que je vais te dire. Jamais, jamais, Jésus ne nous séparera... si je meurs avant toi ne crois pas que je m'éloignerai de ton âme, jamais nous n'aurons été plus unies !... C'est peut-être cela que Jésus veut te faire sentir en te parlant de séparation mais surtout ne te fais pas de peine, je ne suis pas malade, au contraire, j'ai une santé de fer seulement le bon Dieu peut briser le fer comme l'argile... Tout cela c'est de l'enfantillage, ne pensons pas à l'avenir (c'est de moi que je parle car je ne regarde pas comme un enfantillage l'épreuve qui visite l'âme de ma Céline chérie).
                Les croix extérieures, qu'est-ce que cela ?... Nous pourrions nous éloigner l'une de l'autre sans souffrir si Jésus consolait nos âmes... Ce qui est une croix véritable c'est le martyre du coeur, la souffrance intime d l'âme, et celle-là que personne ne voit nous pourrons la porte sans jamais nous séparer.
                Je sais bien que tout ce que je te dis et puis rien, c'est absolument la même chose, ton épreuve intérieur ne cessera que le jour marqué par Jésus ; mais puisqu'il veut bien se servir de moi quelquefois pour faire du bien à ton âme, peut-être mes paroles sont-elles l'expression de sa volonté... C'est incroyable comme nous avons toujours les mêmes épreuves ! un peu plus tôt ou plus tard il faut que nous buvions à la même coupe.
                Quand l'orage est bien fort sur la terre tout le monde dit : «Il n'y a plus rien à craindre pour les vaisseaux car l'orage ne gronde plus maintenant sur la mer.» Eh bien ! moi je dis à Céline : L'orage a passé sur mon âme, il visite maintenant la tienne, mais je ne crains pas, bientôt le calme va renaître (une grande sérénité va succéder à la tempête).
                Tu veux savoir des nouvelles de ma fille, eh bien ! je crois qu'elle restera, elle n'a pas été élevée comme nous, c'est bien malheureux pour elle, son éducation est la cause de ses manières peu attrayantes mais dans le fond elle est bonne, maintenant elle m'aime bien, mais je tâche de ne la toucher qu'avec des gants de soie blanche... Cependant j'ai un titre qui me donne bien du mal, je suis un «petit chien de chasse», c'est moi qui cours après le gibier toute la journée. Tu sais, les chasseurs (les maîtresses des novices et Prieures) sont trop grandes pour se couler dans les buissons, mais un petit chien... ça a le nez fin et puis ça se coule partout !... aussi je veille ma fille de près et les chasseurs ne sont pas mécontents de leur petit chien... Je ne veux pas faire de mal à mon petit lapin mais je le lèche en lui disant avec compassion que son poil n'est pas assez lise, que son regard est trop celui d'un lapin de garenne, enfin je tâche de le rendre tel que mes chasseurs le désirent ‑ Un petit lapin bien simple qui ne s'occupe que de la petite herbette qu'il doit broute. Je m'amuse, mais dans le fond je pense que le lapin vaut mieux que le petit chien... à sa place il y longtemps que je me serais perdue pour toujours dans la vaste forêt du monde !!!...
                Je te remercie de tes 2 petites pho., elles sont charmantes.

Th. de l'Enfant Jésus.

                Je te prie de dire mille choses aimables de ma part à tous les chers voyageurs qui ont tant de plaisir là-bas. Je comprends ce que tu ressens pour les garçons... Mais ce n'est qu'un moment à passer, un jour tu n'en verras pas trop, console-toi !...
                Je t'envoie deux petits cantiques que j'ai composés, montre-les à ma chère petite Marie, dis-lui que je l'aime, que je prie pour elle.. Oh ! que la souffrance agrandit mon âme et l'approche du terme !...
                M. Marie de Gonz. ne lui écrit pas parce que la lettre est adressée à ma Tante, ce sera pour la prochaine fois !... Demande «mon chant d'aujourd'hui» à ma Tante, c'est à elle que Sr M. du S.C. a voulu l'adresser.

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