Carmel
Correspondance de Thérèse LT 169 – A Céline – 19 Août 1894

DE  
MARTIN Thérèse, Soeur Thérèse de l'Enfant Jésus
À 
MARTIN Céline, Soeur Geneviève de la Sainte Face

19/08/1894

J.M.J.T.

Jésus

Le 19 Août 1894

                Ma chère petite Soeur,

                C'est donc pour la dernière fois que je suis obligée de t'écrire dans le monde !... Je ne savais pas dire si vrai dans la lettre que je t'ai envoyée à la Musse en te promettant que tu serais bientôt au Carmel.
                Je ne suis pas étonnée de l'orage qui ronde à Caen, F. et J. ont choisi une route si différente de la nôtre qu'ils ne peuvent comprendre la sublimité de notre vocation !... Mais riront bien qui riront les derniers... Après cette vie d'un jour ils comprendront lesquels de nous ou d'eux auront été les plus privilégiés...
                Que ta pêche miraculeuse nous a doucement touchées... Comme ces petites délicatesses nous font sentir que notre Père chéri est près de nous ! après une mort de 5 ans quelle joie de le retrouver toujours le même, cherchant comme autrefois les moyens de nous faire plaisir. Oh ! comme il va rendre à sa Céline les soins qu'elle lui a prodigués !... C'est lui qui a fait en si peu de temps réussir ta vocation ; maintenant qu'il est un pur esprit ce lui est chose facile d'aller trouver les prêtres et les évêques, aussi n'a-t-il pas eu tant de mal pour sa Céline chérie que pour sa pauvre petite reine !...
                Je suis bien heureuse, ma Chère petite Soeur, que tu n'éprouves pas d'attrait sensible en venant au Carmel, c'est une délicatesse de Jésus qui veut recevoir de toi un présent. Il sait que c'est bien plus doux de donner que de recevoir. Nous n'avons que le court instant de la vie pour donner au bon Dieu... et Lui s'apprête déjà à dire : «Maintenant mon tour...» Quel bonheur de souffrir pour Celui qui nous aime à la folie et de passer pour folles aux yeux du monde. On juge les autres d'après soi-même, et comme le monde est insensé il pense naturellement que c'est nous qui sommes insensées !...
Mais après tout, nous ne sommes pas les premières, le seul crime qui fut reproché à Jésus par Hérode fut d'être fou et je pense comme lui !... oui c'était de la folie de chercher les pauvres petits coeurs des mortels pour en faire ses trônes, Lui le Roi de Gloire qui est assis sur les chérubins... Lui dont la présence ne peut remplir les Cieux... Il était fou notre Bien-Aimé de venir sur la terre chercher des pécheurs pour en faire ses amis, ses intimes, ses semblables, Lui qui était parfaitement heureux avec les deux adorables personnes de la Trinité !... Nous ne pourrons jamais faire pour Lui les folies qu'Il a faites pour nous et nos actions ne mériteront pas ce nom, car ce ne sont que des actes très raisonnables et bien au-dessous de ce que notre amour voudrait accomplir. C'est donc le monde qui est insensé puisqu'il ignore ce que Jésus a fait pour le sauver, c'est lui qui est un accapareur qui séduit les âmes et les mène à des fontaines sans eau...
                Nous ne sommes pas non plus des fainéantes, des prodigues. Jésus nous a défendues dans la personne de Madeleine. Il était à table, Marthe servait, Lazare mangeait avec Lui et les disciples. Pour Marie, elle ne pensait pas à prendre de nourriture mais à faire plaisir à Celui qu'elle aimait, aussi prit-elle un vase remplit d'un parfum de grand prix et le répandit sur la tête de Jésus en cassant le vase, alors toute la maison fut embaumée de la liqueur mais les apôtres murmurèrent contre Madeleine... C'est bien comme pour nous, les chrétiens les plus fervents, les prêtres trouvent que nous sommes exagérées, que nous devrions servir avec Marthe au lieu de consacrer à Jésus les vases de nos vies avec les parfums qui y sont renfermés... Et cependant, qu'importe que nos vases soient brisés puisque Jésus est consolé et que malgré lui le monde est obligé de sentir les parfums qui s'en exhalent et qui servent à purifier l'air empoisonné qu'il ne cesse de respirer. 

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                L'infirmière voudrait bien que tu trouves à Caen un demi-flacon d'eau antihémorrhagique de Tisserand, 2f50. S'il n'y a que des flacons entiers, n'en prends pas, il y en a ici à Lisieux.
                Sr M. du S.C. voudrait 7 ou 8 casse-noisettes.

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