Carmel
Correspondance de Thérèse LT 165 – A Céline – 7 Juillet 1894

DE  
MARTIN Thérèse, Soeur Thérèse de l'Enfant Jésus
À 
MARTIN Céline, Soeur Geneviève de la Sainte Face

07/07/1894

J.M.J.T.

Jésus

Le 7 Juillet 1894.

                Ma Céline chérie,

                La lettre de Léonie nous inquiète beaucoup...
                Ah ! qu'elle sera malheureuse si elle revient dans le monde ! Mais je t'avoue que j'espère que ce n'est qu'une tentation, il faut beaucoup prier pour elle. Le bon Dieu peut bien lui donner ce qui lui manque...
                Notre Mère est en grande retraite, c'est pour cela qu'elle ne va pas t'écrire, elle pense bien à toi et à Marie, elle va beaucoup prier pour ses deux petites filles.
                Je ne sais pas si tu es encore dans la même disposition d'esprit que l'autre jour mais je vais quand même te dire un passage du Cant. des Cant. qui exprime parfaitement ce qu'est une âme plongée dans la sécheresse et que rien ne peut réjouir ni consoler : «Je suis descendue dans le jardin des noyers, pour voir les fruits de la vallée, pour considérer si la vigne avait fleuri; et si les pommes de grenades avaient poussé... Je n'ai plus su où j'étais... mon âme a été toute troublée à cause des chariots d'Aminadab » (chap. vi, versets x et xi...).
                Voilà bien l'image de nos âmes ; souvent nous descendons dans les vallées fertiles où notre coeur aime à se nourrir, le vaste champ des écritures qui tant de fois s'est ouvert devant nous pour répandre en notre faveur ses riches trésors, ce vaste champ nous semble être un désert aride et sans eau... Nous ne savons même plus où nous sommes, au lieu de la paix, de la lumière nous ne trouvons que le trouble ou du moins les ténèbres... Mais comme l'épouse nous savons la cause de notre épreuve. Notre âme est troublée par les chariots c'Aminadab... Nous ne sommes pas encore dans notre Patrie et l'épreuve doit nous purifier comme l'or dans le creuset, nous nous croyons parfois abandonnées, hélas ! les chariots, les vains bruits qui nous affligent sont-ils en nous ou en dehors de nous ? nous ne savons... mais Jésus le sait bien, Il voit notre tristesse et soudain sa douce voix se fait entendre, voix plus douce que le souffle du printemps : «Reviens, Reviens, ma Sulamite, reviens, reviens afin que nous te considérions!... (Cant. chap. vi, v.xii). Quel appel que celui de notre Epoux!... Eh quoi! nous n'osions plus même nous regarder tant nous pensions être sans éclat et sans parure et Jésus nous appelle, Il veut nous considérer à loisir, mais Il n'est pas seul, avec Lui les deux autres personnes de la Sainte Trinité viennent prendre possession de notre âme... Jésus l'avait promis autrefois quand il était près de remonter vers son Père et notre Père ; Il disait avec une ineffable tendresse : «Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole et mon Père l'aimera et nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre demeure.» Garder la parole de Jésus, voilà l'unique condition de notre bonheur, la preuve de notre amour pour Lui. Mais qu'est-ce que cette parole ?... Il me semble que la parole de Jésus, c'est Lui-même... Lui Jésus, le Verbe, la Parole de Dieu !... Il nous le dit plus loin dans le même évangile de St Jean, priant son Père pour ses disciples. Il s'exprime ainsi : «Sanctifiez-les par votre parole, votre parole est la vérité» ; en un autre endroit Jésus nous apprend qu'Il est la voie, la vérité, la vie. Nous savons donc quelle est la Parole que nous devons garder ; comme Pilate nous ne demanderons pas à Jésus : «Qu'est-ce que la Vérité?» Nous la possédons, la Vérité. Nous gardons Jésus dans nos coeurs !... Souvent, comme l'Epouse nous pouvons dire que «Notre bien-Aimé est un bouquet de myrrhe», qu'Il est pour nous un époux de sang... Mais comme il nous sera doux d'entendre un jour cette parole si douce sortir de la bouche de notre Jésus : «C'est vous qui êtes demeurés constamment avec moi dans toutes les épreuves que j'ai eues, aussi je vous ai préparé mon royaume comme mon Père me l'a préparé (évangile).» Les épreuves de Jésus, quel mystère ! Il a donc des épreuves, Lui aussi ? Oui, Il en a et souvent Il est seul à fouler le vin dans le pressoir, Il cherche des consolateurs et ne peut pas en trouver... Beaucoup servent Jésus quand Il les console, mais peu consentent à tenir compagnie à Jésus dormant sur les flots ou souffrant au jardin de l'agonie !... Qui donc voudra servir Jésus pour Lui-même ?... Ah ! ce sera nous... Céline et Thérèse s'uniront toujours de plus en plus, en elles s'accomplira cette prière de Jésus : «Mon Père, qu'ils soient un comme nous sommes un.» Oui, Jésus nous prépare déjà son royaume, comme son Père le lui a préparé. Il nous le prépare en nous laissant dans l'épreuve, Il veut que notre visage soit vu des créatures, mais qu'ils soit comme caché afin que personne ne nous reconnaisse que Lui seul !... Mais aussi quel bonheur de penser que le Bon Dieu, la Trinité tout entière nous regarde, qu'elle est en nous et se plaît à nous considérer. Mais que veut-Elle voir dans notre coeur ? sinon «des choeurs de musique dans un camp d'armée?» (cant. ch. vii, v. 1) «Comment donc pourrons-nous chanter les cantiques du Seigneur sur une terre étrangère?... depuis longtemps nos harpes sont suspendues aux saules du rivage» nous ne saurions nous en servir !... Notre Dieu, l'hôte de notre âme le sait bien, aussi vient-Il en nous dans l'intention de trouver une demeure, une tente vide au milieu du champ de bataille de la terre. Il ne demande que cela et Lui-même est le Musicien Divin qui se charge du concert... Ah ! si nous entendions cette ineffable harmonie, si une seule vibration parvenait à nos oreilles !...
                «Nous ne savons rien demander comme il faut mais c'est l'Esprit qui demande en nous avec des gémissements qui ne se peuvent exprimer» (St Paul). Nous n'avons donc qu'à livrer notre âme, à l'abandonner à notre grand Dieu. Qu'importe alors qu'elle soit sans dons qui brillent à l'extérieur puisqu'au dedans brille le Roi des Rois avec toute sa gloire ! Qu'il faut qu'une âme soit grande pour contenir un Dieu !... et pourtant l'âme d'un enfant d'un jour lui est un Paradis de délices, que sera-ce donc des nôtres qui ont lutté, souffert pour ravir le coeur de leur Bien-Aimé ?... 

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                Ma Céline chérie, je t'assure que je ne sais pas ce que je te dis, cela ne doit pas avoir de suite, mais il me semble que tu vas comprendre quand même !... Je voudrais te dire tant de choses !...
                Ne me réponds pas une longue lettre pour me parler d ton âme, un seul petit mot suffira, j'aime mieux que tu écrives une lettre bien amusante pour tout le monde. Le bon Dieu veut que je m'oublie, pour faire plaisir.
                J'embrasse mon bon Oncle, ma Tante chérie, et ma petite Soeur. Pour mon Papa chéri, je lui souris et le garde par son ange visible auquel je suis si intimement unie que nous ne faisons qu'un !...

Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face rel.carm.ind.

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