Carmel

Dernière année de la vie de Thérèse - suite

fusain-Appel LT 1897

Janvier 1897

Le samedi 2 janvier notre héroïne a 24 ans ; elle est consciente de la brièveté de sa vie. Elle dira bientôt à Mère Agnès : "Hélas! comme j'ai peu vécu!"  (Carnet jaune au 11 juillet, 5).  Coïncidant malheureusement avec son anniversaire, le Dr de Cornière en visite prescrit un vésicatoire camphré de 12 cm. On voit ici son ordonnance, et on imagine la longue journée à attendre 12 heures en cellule qu'il fasse son effet.

vesicatoire-du-2-janvier

Le 9 janvier, Thérèse reçoit un très beau secours du Ciel. C'est le jour où Sœur Thérèse de St Augustin lui parle du rêve qu'elle vient de faire et qui sera si aidant pour la malade. Écoutons sœur Thérèse de St-Augustin, âgée alors de 40 ans mais qui sait bien rejoindre sa jeune consœur :

[Le 9 janvier], aussitôt que je pus lui parler je lui dis :
—       J'ai une bonne nouvelle à vous apprendre, pour vous, car pour nous elle n'est pas gaie. Oui, je crois que vous mourrez cette année.
—       Est-ce possible que j'aie un si grand bonheur ! Mais comment le savez-vous, est-ce bien sûr ?
Je lui racontai un résumé. Le 8 janvier 1897, je me trouvais seule dans le dortoir, vers 11 heures et demie du matin, lorsque j'entendis au-dessus de ma tête comme le craquement de poutres qui se démolissaient. Je compris aussitôt que le bruit était surnaturel et que la mort viendrait nous visiter dans l'année. Superstition !
Mais quelle serait sa victime ? C'est le secret qui me restait caché et que je ne désirais pas pénétrer. Le reste de la journée je n'y pensai plus et le soir je m'endormis sans en avoir le plus léger souvenir. Mais je rêvai à Sr Thérèse et le lendemain à mon réveil je compris tout. C'était l'explication du bruit que j'avais entendu la veille. Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus devait mourir dans l'année. Ce fut un coup terrible pour mon coeur.
Je dis à Thérèse : la preuve que vous allez mourir cette année, c'est que dans mon rêve vous avez été nommée.
—       Quel bonheur ! dit-elle, mon nom a été prononcé.
Je ne puis rendre l'expression de joie qui brillait dans ses yeux ; elle désirait ardemment tout savoir [de mon rêve] et moi pour lui être agréable je désirais le lui dire, mais afin de nous mortifier l'une et l'autre nous résolûmes d'attendre un jour de licence et trois semaines se passèrent sans en dire un seul mot.
Je ne puis rendre l'expression de joie qui brillait dans ses yeux ; elle désirait ardemment tout savoir [de mon rêve] et moi pour lui être agréable je désirais le lui dire, mais afin de nous mortifier l'une et l'autre nous résolûmes d'attendre un jour de licence et trois semaines se passèrent sans en dire un seul mot.

Souvenirs d'une sainte amitié

C'est-à-dire jusqu'au 2 février.

Ce 9 janvier Thérèse apprend donc qu'elle va mourir dans l'année, car pour elle, ce songe prémonitoire d'une sœur avec laquelle elle a tant investi pour créer des liens, constitue une réalité. Elle réagit en commençant à envisager concrètement sa mort, en l'élaborant dans une lettre à Agnès de Jésus écrite le jour même LT 216. C'est la première allusion écrite à sa mort :

« J'espère aller bientôt là-haut, puisque s'il y a un ciel il est pour moi. »

LT 216

Si on observe l'original de LT 216, on voit que la deuxième partie de la phrase puisque s'il y a un ciel il est pour moi a été grattée ; cela fait partie du mystère familial des retouches ! Cette phrase a heureusement été grattée sur la lettre après la Copie des écrits faite pour le Procès des écrits en 1910. Sans doute parce que la destinataire trouvait incorrect d'exprimer par écrit un doute sur l'existence du ciel. Mais Thérèse continue librement sur le même thème le 21 janvier pour la fête de Mère Agnès, en rédigeant la poésie PN 45 Ma joie, qu'elle conclut ainsi  « Que me font la mort ou la vie ! », avec un élan graphique enthousiaste sur le brouillon.

PN-45 detail

Le 27 janvier Thérèse écrit au Frère Siméon. Le bon vieux Frère est malade et on craint pour sa vie. Thérèse continue à exploiter sa certitude de sa mort prochaine avec LT 218 : elle écrit: "Je crois que ma course ici-bas ne sera pas longue."

Le 30 janvier le ciel tremble un peu à Lisieux, car c'est au tour du journal Le Normand de publier ses interrogations sur Diana Vaughan, alias Léo Taxil. Tout Lisieux est donc informé qu'une commission romaine a été créée en décembre, dirigée par Mgr Lazzareschi, qui a conclu en s'interrogeant sur la réalité de Diana. M. Guérin est-il venu au parloir en discuter avec Mère Agnès ?

Février 1897

Le 2 février est un jour spécial, apportant à la fois une grande peine et une grande joie. La peine est liée à l'anniversaire de l'exécution de Théophane Vénard. Thérèse a demandé au Bon Dieu une grosse peine à lui offrir car elle aime beaucoup ce jeune saint; elle vient même de composer une poésie pour lui PN 47 "A Théophane VENARD".

053-refectoire

La demande d'une grosse peine est accordée : elle casse malencontreusement une des vitres du guichet de service au réfectoire, ce qui désole cette carmélite si respectueuse de la pauvreté. Le guichet se trouvait à droite de l'escalier qu'on voit sur la photo ci-contre.

Cela nous informe que Thérèse est probablement encore serveuse au réfectoire - la tâche implique de soulever un large plateau (voir ci-contre) contenant de 6 à 8 plats avec les portions des sœurs et de les servir aux tables, tout autour du réfectoire. On recommence jusqu'à trois tours, car la serveuse opère toute seule.

Que Thérèse soit peut-être serveuse en février, malgré son délabrement physique, témoignerait de l'aveuglement de la communauté sur sa santé, malgré le résultat de la neuvaine de novembre faite pour savoir si on pouvait l'envoyer à Saïgon.

Mais le 2 février est aussi et surtout un jour de grande joie, car c'est jour de licence avec la fête de la Présentation de Jésus au Temple. Les sœurs peuvent parler entre elles en toute simplicité, sans demander de permission. Thérèse s'entretient donc avec Thérèse de St Augustin, comme le raconte cette dernière dans ses Souvenirs d'une sainte amitié

"Enfin le jour tant désiré arriva, et je commençai mon récit.
« Le [soir de ce] 8 janvier 1897... pendant la nuit je me trouvai en songe dans un appartement très grand et sombre. J'étais seule. J'entendis distinctement ces paroles : « Monsieur Martin demande sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus. » Je ne sais qui parlait, je ne voyais personne. A ce moment j'eus comme une impression que dans un endroit plus sombre que celui où j'étais, on préparait la petite Reine à rejoindre son Père chéri. Que lui faisait-on ? Je l'ignore, mais j'entendis une voix qui disait : « Il faut qu'elle soit très belle pour aller avec Monsieur Martin. » Pendant ce temps, je vis devant moi une porte ouverte et malgré qu'elle fût ouverte, elle était extrêmement noire, pas le plus petit rayon de lumière. Dans ce noir était Monsieur Martin que je ne distinguai pas, je vis seulement de la gaze rouge et de l'or depuis les épaules jusqu'à la ceinture. Je me trouvai ensuite de l'autre côté de cette porte si noire, mais là tout était lumineux. C'était un soleil éclatant. Je passai sans l'apercevoir devant Monsieur Martin qui était assis, ayant auprès de lui sa petite Reine que je ne vis pas, je distinguai très bien un pan de sa robe blanche... »
Pendant que Thérèse m'écoutait, je remarquais sur sa physionomie un bonheur extraordinaire ; quand j'eus fini, elle me dit :
—       Que c'est beau ! Ce n'est pas un rêve, c'est un songe et c'est pour moi que vous l'avez eu, ce n'est pas pour vous. J'aime mieux que vous l'ayez eu préférablement à moi, j'y crois davantage.
—       Mais pourquoi, lui dis-je, avez-vous l'air si heureux ?
—       Si vous saviez le bien que vous me faites ; est-ce que je ne vous ai pas parlé de l'état de mon âme ?
—       Non, je ne sais rien.
—       Comment se fait-il que je ne vous aie rien dit ? Mais j'y vois une permission du bon Dieu et je préfère maintenant que vous ne l'ayez pas su, ce que vous me dites me fait plus de bien. Puisque le bon Dieu vous l'a fait connaître, je vais aussi vous en parler. Je ne crois pas à la vie éternelle, il me semble qu'après cette vie mortelle il n'y a plus rien. Je ne puis vous exprimer les ténèbres dans lesquelles je suis plongée. Ce que vous venez de me raconter est exactement l'état de mon âme. La préparation qu'on me fait et surtout la porte noire est si bien l'image de ce qui se passe en moi. Vous n'avez vu que du rouge dans cette porte si sombre, c'est-à-dire que tout a disparu pour moi et qu'il ne me reste plus que l'amour."

Souvenirs d'une sainte amitié

C'est la psychanalyste Claude Bourreille qui analyse dans son livre sur Thérèse cette « nuit du ciel » pourrait-on dire (in: De Thérèse Martin à Thérèse de Lisieux, devenir soi). L'imaginaire de Thérèse ayant été nourri depuis l'enfance par une abondance de représentations du ciel, c'est justement sur cet imaginaire céleste très chargé depuis des années que portent les tentations. Chargé avec les images qu'elle a longuement contemplées, d'après son propre aveu. Le lieu de Dieu, pourrait-on dire, n'est pas objet de représentation.

On voit ci-dessous quelques-unes des images de Thérèse qui représentent le ciel. Voir ici sa collection gardée depuis l'enfance.

le ciel

Le 8 février, c'est le Jubilé d'or de Sœur St Stanislas. Thérèse et elle s'aiment bien : Thérèse a été son assistante à la sacristie pendant deux ans (du 10 février 1891 au 20 février 1893). Sœur Saint Stanislas l'appelle "ma petite fille". Thérèse l'a vue travailler à l'infirmerie avec des sœurs malades : « Elle panse les plaies avec tant de douceur! Je la vois choisir les linges les plus fins, et elle les applique avec une main de velours. » Alors avec affection, Thérèse compose pour elle une pièce de théâtre à l'occasion de son jubilé sur le saint honoré par son nom de religieuse: "Stanislas KOSTKA". Ce sera la dernière pièce de Thérèse, RP 8, et forte des évènements de ce mois, elle y décrit pour la 1ère fois son avenir tel qu'elle l'envisage, à travers le personnage de St Stanislas : revenir sur la terre pour faire du bien aux âmes après ma mort.

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À 7 mois de son décès, la communauté a-t-elle décodé que dans cette pièce, Thérèse pressentait son propre avenir ?...

Le 24 février, elle écrit longuement à l'abbé Bellière en élaborant sur le même thème, en LT 220, où elle lui partage sa certitude de la mort depuis la révélation du songe de Thérèse de St Augustin : "J'en ai l'espoir mon exil sera court !" écrit-elle. Ensuite, grâce au travail d'élaboration fait sur la mort dans sa pièce de théâtre sur St Stanislas RP 8, elle peut formuler à l'abbé quelque chose d'inédit, son désir de revenir sur terre pour y sauver des âmes :

« ...si Jésus réalise mes pressentiments... notre union loin d'être brisée deviendra plus intime, alors il n'y aura plus de clôture, plus de grilles et mon âme pourra voler avec vous dans les lointaines missions ! »

Thérèse à l'abbé Bellière, LT 220

Mars 1897

Thérèse garde bien en tête cette idée de revenir sur terre, elle doit y repenser souvent car du 4 au 12 mars elle fait la neuvaine de la grâce : c'est une neuvaine réputée infaillible à St François Xavier.

La jeune carmélite ne se doute pas qu'elle lui sera un jour associée comme Patronne des missions !  Le feuillet de la neuvaine raconte au verso son histoire miraculeuse qui a dû enchanter Thérèse. Elle l'a faite, dit-elle à Marie du Sacré-Cœur, pour obtenir la grâce de "passer son ciel à faire du bien sur la terre". Le 19 mars 1897, elle confie à Marie :

« Je viens demander à St Joseph qu'il m'obtienne du bon Dieu la grâce de passer mon Ciel à faire du bien sur la terre."
Je lui ai répondu : "Vous n'avez pas besoin de demander cela à St Joseph !"
Mais elle m'a dit : "Oh ! mais si ! j'ai besoin qu'il appuie ma demande". Elle venait de le demander aussi à St Fran­çois Xavier par la neuvaine de la grâce. »

Voilà qui développe encore plus profondément chez Thérèse l'intuition de son avenir. Elle continue dans la lettre au Père Roulland écrite ce même jour du 19 mars : LT 221.  Elle lui écrit son acceptation du réel en ce qui concerne Saigon : "Il faudrait que le fourreau soit aussi solide que l'épée..." indiquant son abandon de tout départ pour l'Indochine. Abandon qu'elle équilibre tout de suite avec son idée de travailler après sa mort :  « Je voudrais sauver des âmes et m'oublier pour elles ; je voudrais en sauver même après ma mort ! ».

Le Carême continue ; il a commencé le 3 mars et Mère Marie de Gonzague lui fait prendre du chocolat tous les jours. Mais Thérèse trouve que « c'est trop bon pour une Carmélite », et elle l'accompagne de gentiane - la racine de la gentiane au goût amer est employée pour ses vertus digestives. La discrète mortification de Thérèse est décou­verte par cette fine mouche de Sœur Marie de la Trinité.

Marie-guerin-profession

Le 25 mars en la fête de l'Annonciation, c'est la Profession de Sœur Marie de l'Eucharistie. La profession a lieu en privé au chapitre (photo où on voit le sol décoré pour une profession), et la prise de voile noir un peu plus tard en public, dans la chapelle du carmel.

Pour Marie Guérin, femme un peu timide et douce, Thérèse a composé le surprenant poème Mes armes  PN 48. Elle utilise un extraordinaire vocabulaire de combat, qu'elle dessine en partie : 

mes armes

Une armée rangée en bataille, un camp d'armée, l'arène, le fer et le feu, l'armure, le glaive, la cuirasse et le bouclier. J'ai des armes puissantes, je lutte vaillamment. Je veux aussi chanter en combattant. C'est par la violence que l'on ravit le royaume des Cieux : en chantant je mourrai, sur le champ de bataille, les Armes à la main !

Thérèse destine cette poésie à Marie Guérin, qui la chantera au chauffoir en soirée, et en profitera sûrement au cours des 8 années qu'il lui reste à vivre. Mais Thérèse sort ces mots du fond de son âme ; c'est son attitude profonde qu'elle décrit, la violence essentielle à la poursuite son combat personnel contre un corps délabré et la nuit toujours présente.

Avril 1897

Malgré le chocolat tout au long du carême, Thérèse est de plus en plus malade. Dès la fin de mars, elle est considérée par les sœurs comme gravement malade : toux, anorexie, indigestions, fièvre quotidienne. On se demande si les remèdes ne sont pas pires que le mal :

  • Frictions au gant de crin
  • Vésicatoires qui mettent l'épiderme à vif
  • Sirop de limace. Ce sirop est fait à base de bave de limaces - nombreuses au jardin - qu'on fait dégorger dans un sac de toile avec du gros sel. Disons que lien est facile à faire avec les indigestions !

L'état physique de Thérèse devient si grave qu'en ce mois d'avril elle est dispensée des tâches ordinaires des carmélites. Elle n'est plus serveuse au réfectoire à son tour, elle ne participe plus à la lessive communautaire, ni à l'office au chœur. Plus de travail à la lingerie non plus, sauf un peu de couture pour Sœur Marie de St Joseph.

Le 6 avril, Mère Agnès juge la situation inquiétante car elle commence ce qui deviendra le Carnet Jaune. Est-ce pour garder des "miettes de sagesse" de sa petite sœur ?  Avec ce qu'on appelle les Derniers entretiens, constitué des notes prises principalement par Mère Agnès mais aussi par d'autres sœurs, on se retrouve à partir d'avril devant une multitude d'anecdotes et d'évènements – qui ont tous un poids égal: ils constituent chacun une simple entrée dans ces notes biographiques sur les derniers mois de Thérèse. Près de 900 entrées, soit 150 par mois, avec une moyenne de 5 par jour. 

En relisant ces notes, on éprouve encore l'émotion créée par les peintres pointillistes contemporains de Thérèse. La juxtaposition de toutes petites touches de peinture, point par point, ne livre pas le sujet entier mais nous fait deviner sa vie. Par exemple, il n'y a pas d'entrée pour le 9 avril, anniversaire de l'entrée de Thérèse au Carmel il y a 9 ans. Qu'a-t-elle pensé, sachant sa mort prochaine ?

grande salle dela-societe de geographie

Le 18 avril est le jour de Pâques, et le lendemain, soit le lundi de Pâques 19 avril 1897, Léo Taxil donne enfin sa conférence de presse très attendue, dans la Grande Salle de la Société de Géographie, fondée en 1821 boulevard Saint-Germain à Paris. Il a promis de présenter enfin Diana Vaughan en personne.

Depuis quelques semaines, Thérèse suspecte quelque chose de louche car dans les récents numéros des Mémoires de Diana (n° du 10 janvier au 31 mars 1897) , qui sortent régulièrement et auxquels le Carmel a accès, la jeune femme a critiqué les évêques de la commission romaine qui mettent en doute son identité. Une telle critique conduit Thérèse à penser que "cela ne vient pas du Bon Dieu."

En ce lundi de Pâques, Taxil informe tous les journalistes présents  que Diana est une personne fictive. Aujourd'hui, le texte entier de sa conférence est sur internet, mais à l'époque, Le Normand la mentionne dans un entrefilet du 21 avril et c'est dans l'édition du 24 avril 1897 que la conférence est résumée pour les lecteurs et lectrices de Lisieux. Thérèse découvre qu'il y a des personnes qui ne font le mal que pour s'amuser.

sainte-Therese-de-Lisieux 14

Et, oh honte, elle y est associée. Léo Taxil avait annoncé que sa conférence serait accompagnée d'une séance de projection. On peut voir sur le dessin de la salle de conférence réalisé en 1885 (ci-dessus) la disposition de la salle et de l'écran pour les projections. Le Normand raconte que malgré les promesses de nombreuses projections, il n'y a eu qu'une seule photo sur le mur : l'apparition de Sainte Catherine à Jeanne d'Arc dans sa prison, provenant d'un couvent de carmélites ! Il s'agit de la photo n° 14 de Thérèse, que Mère Agnès lui avait suggéré d'envoyer à Diana au cours de l'été 1896, après l'avoir elle-même retouchée. Et Diana avait même répondu à Thérèse...

Le lendemain 25 avril, c'est Céline qui écrit cette fois au Frère Siméon quelques lignes reflétant sans doute la récréation de la veille au chauffoir : "La terre est si triste, on y voit tant de bassesses, tant de défections dans le monde que le dégoût s'empare de l'âme." (Lire ici la lettre intégrale). Thérèse fait-elle allusion à Taxil lorsqu'elle écrira un peu plus tard, dans cette phrase du Manuscrit C, folio 5v: "Il y a véritablement des âmes qui n'ont pas la foi." Mais ce même jour, elle écrit à l'abbé Bellière LT 224 en l'appelant pour la première fois mon cher petit frère. Comme pour lui dire : vous, vous êtes vrai, vous êtes authentique, avec toutes vos faiblesses – contrairement à Taxil.

Le 27 avril a lieu la pose d'un autre vésicatoire, juste avant l'anniversaire de Céline, qui aura 28 ans le 28 avril. C'est le début d'une nouvelle phase dans l'aggravation de la maladie de Thérèse. Madame Guérin le mentionne dans une lettre du même jour à sa fille Jeanne: "Thérèse est toujours très souffrante. Elle a eu son vésicatoire hier. Le Dr de Cornière la voit malade. Elle crache le sang le matin. Nous craignons que cela ne devienne bien grave."

boule-merveilleuse

Le Dr de Cornière fait acheter un petit instrument pour développer la capacité respiratoire de Thérèse : une boule merveilleuse, mais Thérèse n'a plus la force de s'en servir beaucoup.

Mai 1897

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Le mois de mai, surtout vers la fin, sera marqué par de nouveaux abandons de la vie communautaire pour Thérèse : les récréations et le soin des novices. Deux domaines qui étaient bien stimulants pour elle, mais elle n'en peut plus. C'est l'époque où elle met une demi-heure à remonter dans sa cellule du dortoir St-Élie, dans l'escalier où elle s'assoit à chaque marche.

Mai 1897 est aussi le mois des dernières poésies, toutes composées sur demande. Des requêtes faites par des personnes qui ne réalisent pas que Thérèse est dans un immense état d'épuisement. La pire est certainement une ancienne prieure du premier carmel de Marie de la Trinité, rue de Messine à Paris (Mère Henriette). Thérèse compose pour elle Une Rose effeuillée (PN 51), cinq strophes terminées le 19 mai.

Mais la Mère Henriette n'est pas contente et demande une strophe supplémentaire où on expliquerait que cette rose effeuillée sera reformée au ciel – elle n'a pas le goût de s'effeuiller pour toujours ! Elle ne sait pas que ce ciel est justement le cœur du drame intérieur de Thérèse. Thérèse refuse d'ajouter une strophe en disant : « Que la bonne Mère fasse elle-même ce couplet... pour moi mon désir est d'être effeuillée à tout jamais pour réjouir le Bon Dieu." Conseils et souvenirs de Sœur Marie de la Trinité, n°53.

C'est l'époque de PN 53 : "Seigneur, tu m'as choisie dès ma plus tendre enfance Et je puis m'appeler l'œuvre de ton amour..." Un effort demandé encore par Marie de la Trinité, un peu inconsciente de ce qu'elle exige de Thérèse.

Même chose pour PN 54, à la demande de Sr Marie du Sacré-Cœur: "Pourquoi je t'aime O Marie", où Thérèse met par écrit tout ce qu'elle a toujours rêvé

pointe de feu

Le 23 mai, elle doit subir plusieurs séances de pointes de feu - c'est ce qu'on appelle l'ignipuncture. On utilise un cautère qui ressemble à l'objet tenu sur cette photo à droite. Il est chauffé sur un brasero, et on en utilise plusieurs en même temps, comme il est maintenu très peu de temps sur le corps du malade. C'est une technique de chaleur différente des vésicatoires.

Cette technique n'est pas propre au Dr de Cornière, car on soigne ainsi dans les autres carmels, comme nous le savons par les circulaires, ces courtes biographies rédigées à l'occasion du décès d'une sœur, et envoyées à tous les carmels. On les lisait au réfectoire, et Thérèse aimait bien les entendre. On apprend par les circulaires qu'une sœur du carmel de Dorat a eu des pointes de feu (décédée le 31 janvier 1889). Une autre de Libourne (12 mars 1897 bis.), etc. Sœur Marie du Sacré-Cœur elle-même en subira pour soigner ses hanches, et trouvera cela très efficace.

ordonnance-du 23mai 1897

Céline témoigne au folio 380v du Procès de l'Ordinaire: "Je la vois encore, après une séance du médecin où on venait de lui faire plus de 500 pointes de feu sur le côté (c'est moi que les [ai] comptées), monter dans sa cellule et prendre son repos sur sa dure paillasse." Ce jour-là, la séance est si terrible que le Dr de Cornière ordonne de la morphine (voir à gauche photo de la page du cahier d'ordonnances).

La morphine est souvent utilisée sous forme de sel afin de faciliter son absorption par l'organisme dans les formes non injectables. Il existe deux sels, sulfate et chlorhydrate de morphine. L'aspect est une poudre cristalline blanche soluble dans l'eau. Ici de Cornière ordonne du sulfate. L'ordonnance a été signée par le pharmacien comme remplie. Hélas, six jours plus tard le 29 mai Thérèse subira des pointes de feu pour la seconde fois.

Mais la veille, le soir du 28 mai survient un incident magnifiqueSœur St Jean Baptiste lui demande un peu d'aide pour une tâche urgente à l'emploi de peinture. Thérèse rouge d'émotion refuse énergiquement (méchamment, avoue-t-elle) et Mère Agnès, présente lors de l'entretien, proteste de l'état de santé de Thérèse. Ce qui nous vaut la belle lettre LT 230 où Thérèse raconte à Mère Agnès la suite de l'incident :

Et moi qui prêche si bien les autres !!! Je suis contente que vous ayez vu mon imperfection. Ah ! que cela me fait de bien d'avoir été méchante !... Vous n'avez pas grondé votre petite fille, cependant elle le méritait, mais à cela la petite fille est habituée, votre douceur lui en dit plus long que des paroles sévères, vous êtes pour elle l'image de la miséricorde du bon Dieu. Oui mais... Sr St J. Baptiste au contraire est ordinairement l'image de la sévérité du bon Dieu, eh bien ! je viens de la rencontrer, au lieu de passer froidement à côté de moi, elle m'a embrassée en me disant (absolument comme si j'avais été la plus mignonne petite fille du monde) : «Pauvre petite sœur, vous m'avez fait pitié, je ne veux pas vous fatiguer, j'ai eu tort, etc., etc.» Moi qui sentais en mon cœur la contrition parfaite, je n'en revenais pas qu'elle ne me fasse aucun reproche.
Je sais bien que dans le fond elle doit me trouver imparfaite, c'est parce qu'elle croit que je vais mourir qu'elle m'a ainsi parlé, mais n'importe, je n'ai entendu que des paroles douces et tendres sortir de sa bouche, alors je l'ai trouvée bien bonne et moi bien méchante... En rentrant dans notre cellule, je me demandais ce que Jésus pensait de moi, aussitôt je me suis rappelé ces paroles qu'il adressa un jour à la femme adultère : «Quelqu'un t'a-t-il condamnée?...» Et moi, les larmes aux yeux, je lui ai répondu : «Personne, Seigneur...»

Thérèse à Mère Agnès, LT 230

Dans ces circonstances, comme il lui sera facile d'écrire sa dernière poésie, le 31 mai 1897, pour sa chère Sr Thérèse de St Augustin : L'abandon est le fruit délicieux de l'amour - PN 52.

Lire ici de juin à septembre 1897