Carmel

Dernière année de la vie de Thérèse - suite et fin

Juin 1897

Le 2 juin, c'est la prise de voile de Sœur Marie de l'Eucharistie, en une cérémonie publique dans la chapelle, après sa profession en privé le 25 mars. C'est la dernière grande fête de famille Martin/Guérin : à toute la famille au Carmel se joignent M. et Mme Guérin et Léonie, qui vit avec eux. Le lendemain sera le 34e anniversaire de Léonie.

Mais reculons de trois jours dans le temps pour retourner au 30 mai, qui est un jour capital pour comprendre la genèse du Manuscrit C. Thérèse avait demandé à la prieure Marie de Gonzague la permission de confier sa première hémoptysie d'avril 1896 à Mère Agnès, elle le fait le 30 mai.

AJ

Mère Agnès (photo ci-contre) en l'écoutant conclut que la maladie est très avancée, beaucoup plus qu'elle ne pensait, et que Thérèse est mourante. La tuberculose n'a pas commencé il y a tout juste quelques mois, mais elle est déjà très ancienne, et Mère Agnès sait que c'est une maladie de la durée, en général pas plus de deux ans. Elle laisse passer la fête de famille du 30 mai autour de la prise de voile de sa cousine Marie.

Mais le 2 juin vers minuit, elle va demander à Marie de Gonzague d'ordonner à Thérèse de continuer à écrire sur sa vie religieuse.

Le 3 juin Marie de Gonzague convoque Thérèse et lui demande de continuer à écrire. Mère Agnès fournit le cahier noir et elle réagit dans cette lettre du 4 juin 1897 - qui accompagnait peut-être le cahier. Lisons quelques extraits car elle dépeint bien l'attitude de Mère Agnès jusqu'à la mort de Thérèse. La mise en gras est des archives.

« Mon pauvre petit ange, cela me fait grand pitié de vous avoir fait entreprendre ce que vous savez, pourtant si vous saviez comme cela me fait plaisir !... Vous savez bien que les Saints dans le Ciel peuvent encore recevoir de la gloire jusqu'à la fin du monde et qu'ils favorisent ceux qui les honorent... Eh bien je serai votre petit héraut, je proclamerai vos faits d'armes, je tâcherai de faire aimer et servir le bon Dieu par toutes les lumières qu'il vous a données et qui ne s'éteindront jamais. Alors vous me favoriserez de vos douces caresses, n'est-ce pas mon petit Ange ? vous viendrez semer autour de moi la petite poussière dorée de vos ailes d'or, il faudra que partout je vous sente.  Ce matin on a chanté les Sts Innocents [la poésie de Thérèse PN-44]. Sœur Thérèse de St Augustin est partie en pleurant quand on a chanté le couplet : « Comme eux je veux aussi baiser ta douce Face, ô mon Jésus. »  Moi, j'ai rougi, plutôt de fierté que de peine. A dire vrai je vous aime tant que je ne peux pleurer que d'un oeil. Savoir que mon petit ange va quitter cette triste prison pour entrer dans une gloire infinie, quel bonheur pour un cœur de Mère. Tenez, je crois bien que plus tard c'est moi qui consolerai les filles. Elles viennent tour à tour m'exprimer leur sympathie pour vous et me font entendre des lamentations variées qui vraiment me touchent. (...) Au fond je vois qu'on vous aime fameusement, oui mais pas tant que moi, car si l'on voyait ce qui se passe dans mon cœur on n'en reviendrait pas, tant le flux et reflux de tendresse que j'y sens pour mon ange chéri est fort et sans bornes comme l'océan. Encore une chose que je voulais vous dire. Vous savez bien ma petite fille que ce n'est pas ordinaire pour mon caractère d'avoir si bien pris l'épreuve de ces derniers temps, ce matin je m'en étonnais et le bon Dieu m'a dit : « Mais c'est ta petite fille qui a prié pour toi, voilà le secret de ta force.» Je viens donc vous remercier et vous presser sur mon petit cœur. Si vous êtes déjà si puissante sur la terre, qu'est- ce qu'on verra, qu'est-ce qu'on sentira quand vous serez là-haut... Mère S.P. (Marie des Anges) dit que vous n'irez pas une seconde en purgatoire, hélas qui peut donc douter de cela... Cependant mon petit ange, comptez sur bien des petits cadeaux de ma part. Aussitôt votre mort moi je vous ferai aller en purgatoire pour soulager les petites âmes qui y sont avec mes petites prières. Ainsi vous demanderez à la S. Vierge d'y descendre avec elle, portant mes petits verres de rafraîchissement, j'en aurai à vous offrir de plus d'une espèce, vous verrez, ce sera à mon tour de vous faire des petites joies. » 

Mère Agnès de Jésus à Thérèse, 4 juin 1897
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Et donc à partir du 4 juin Thérèse cesse de coudre un peu pour Sœur Marie de St Joseph et elle commence à écrire son "petit devoir", selon l'expression rapportée au Carnet jaune (CJ 25.6.2).  Elle s'installe dehors dans la chaise d'infirme que l'oncle pharmacien Isidore Guérin avait achetée pour M. Martin lors de sa sortie du Bon Sauveur - photo ci-contre dans l'allée des marronniers. Elle le fera souvent au cours du mois.

Le 5 juin mais cela ne pas va bien pour Thérèse. Le Dr de Cornière vient la visiter et fait une ordonnance qui en témoigne, avec de la morphine à nouveau, cette fois en chlorhydrate, jointe à de la cocaïne. Comme on le voit ci-dessous, le mot morphine a été jugé inadéquat et un peu barbouillé.

Marie de Gonzague, elle, soigne autrement en demandant une neuvaine de messes à Notre-Dame des Victoires à Paris, à laquelle les Guérin et La Néele s'associent. Thérèse n'en attend rien pour elle, comme elle l'écrira à l'abbé Bellière dans quatre jours en LT 244

"Que je suis heureuse de mourir!... Notre bonne Mère voudrait me retenir sur la terre ; en ce moment on dit pour moi une neuvaine de messes à N.D. des Victoires, elle m'a déjà guérie dans mon enfance mais je crois que le miracle qu'elle fera ne sera autre que de consoler la Mère qui m'aime si tendrement."

Thérèse à l'abbé Bellière, LT 224

Ce même jour elle relit sa pièce de théâtre RP 3 sur Jeanne d'Arc, et trouve que ses sentiments sur la mort y sont tous exprimés.

Le 7 juin, l'effet des médicaments doit s'atténuer car c'est le jour où Thérèse renonce à simplement marcher au jardin, et c'est aussi celui de la prise de trois photos d'elle par Céline: n° 41, 42 et 43. Une Céline exigeante, qui insiste pour prendre ses clichés bien qu'elle connaisse l'état de santé de sa petite sœur. Le jardinier l'a entendue dire : "Faites vite je me sens épuisée".

photos 41-2-3

Céline s'est excusée auprès d'elle, ce qui nous vaut LT 243, où Thérèse lui tire les oreilles au niveau des arts :

Salomon, le roi le plus sage qui fut jamais sur la terre, ayant considéré les différents travaux qui occupent les hommes sous le soleil, la peinture, la sculpture, tous les arts, [ce qui inclut la photographie] comprit que toutes ces choses étaient soumises à l'envie, il s'écria qu'elles ne sont que vanité et affliction d'esprit !...

Thérèse à Sœur Geneviève, 7 juin 1897 (LT 243)

Le 9 juin. Ce bel anniversaire est aussi celui de la promesse d'une "pluie de roses", comme en témoigne Marie du Sacré-Cœur au folio 314 du Procès de l'Ordinaire. À Sr Marie qui disait à Thérèse: « Quelle peine nous aurons quand vous nous quitterez ! - Oh ! non, répondit-elle, vous verrez, ce sera comme une pluie de roses ! ». On l'a vu, Thérèse a élaboré depuis février son travail sur terre après sa mort pour sauver des âmes. Maintenant elle continue et approfondit. L'origine de cette élaboration de Thérèse sur la manière de faire après sa mort vient d'un livre qu'on lisait au réfectoire depuis quelque temps : Histoire de St Louis de Gonzague, par J.M.S. Daurignac, 1864. Thérèse ne le trouvait pas terrible. Elle le commenta ainsi : « St Louis de Gonzague était sérieux, même en récréation, mais Théophane Vénard, il était gai toujours. »  La semaine où Marie du Sacré-Cœur était lectrice au réfectoire, on en était dans le livre à l'histoire d'un malade qui sollicitait sa guérison. Il vit une pluie de roses tomber sur son lit, comme un symbole de la grâce qui allait lui être accordée. Thérèse s'enflamma pour l'image : « Moi aussi, après ma mort je ferai pleuvoir des roses! »

Ce même 9 juin, elle inscrit une date à la mine sur le cahier noir où elle rédige à l'encre pour l'instant le Manuscrit C, c'est la seule date du manuscrit, au folio 7 verso.

MsC 9juin

Dans son récit, elle vient de terminer la description de son épreuve de la foi – elle inscrit son 9 juin comme une antidote à cette nuit. Pour cette terrible nuit de Thérèse,  l'aumônier du monastère l'abbé Youf n'a pu être d'aucun secours, trop effrayé lui-même. Mère Marie de Gonzague, qui en est informée comme prieure depuis longtemps, avait contacté le Père Godefroid Madelaine à l'abbaye de Mondaye pour lui demander qui pourrait aider Thérèse. Il a pensé à Dom Abric, alors abbé d'Aiguebelle, l'abbaye cistercienne (il le sera de 1882 à 1923). Ce dernier, après en avoir parlé au Procureur général de l'Ordre, déclina l'offre – il était débordé par ailleurs. Thérèse reste dans sa nuit sans le secours de "professionnels".

Le 14 juin, c'est la fin de la neuvaine de messes à Notre-Dame des Victoires. Thérèse constate qu'elle n'est pas guérie !

Le 21 juin Thérèse s'accorde un congé de rédaction du Manuscrit C, en ce jour de fête de Saint Louis de Gonzague. Un jour chômé (sans travail) et un jour de licence (on peut parler), à cause de la Mère prieure Marie de Gonzague dont c'est la fête ! Thérèse offre le magnifique cadeau de l'album photo préparé en secret pour Marie de Gonzague. Ce cadeau très original pour l'époque, nous livre sa vision du Carmel.

Elle profite de ce jour de congé pour écrire à Bellière, ce qui ne la repose guère de ses écritures LT 247 :

Ah ! mon cher petit Frère, depuis qu'il m'a été donné de comprendre aussi l'amour du Coeur de Jésus, je vous avoue qu'il a chassé de mon coeur toute crainte. Le souvenir de mes fautes m'humilie, me porte à ne jamais m'appuyer sur ma force qui n'est que faiblesse, mais plus encore ce souvenir me parle de miséricorde et d'amour.

Thérèse à l'abbé Bellière, 21 juin 1897 (LT 247)
TH44

C'est sans doute ce jour-là, à cause des licences autorisant le parole, qu'a été prise la poignante photo n° 44 (détail ci-contre). Nous savons qu'elle est prise après le 2 juin car Marie Guérin porte le voile noir. Thérèse est-elle celle qui a eu l'idée de jeter ainsi des fleurs au crucifix du préau ? Elle ne peut garder sa tête immobile pendant les 9 secondes nécessaires et l'expression des sœurs est grave : chacune sait que Thérèse est à bout de force. Ont-elles chanté la poésie de Thérèse Jeter des fleurs ? PN 34. Ont-elles alors communié à son profond message ?

Dans cet état, il n'est pas étonnant que le 29 juin, Thérèse soit vexée d'entendre une réflexion désobligeante de Sœur St Jean de la Croix sur son état de santé : "Vous avez très bonne mine – on ne croirait pas que vous êtes malade !" Cela se reproduira d'ailleurs le 25 aoûtAlors que les malades graves ont tant besoin de la compassion de leurs proches, Thérèse commente : "Je vois bien qu'on ne me croit pas malade, mais c'est le bon Dieu qui permet cela". (CJ 29 juin, 3e parole).

Le 30 juin aura lieu le dernier parloir avec l'oncle Isidore Guérin, et le même jour ou la veille, un parloir avec Léonie avant qu'ils ne partent tous à La Musse dont M. Guérin a hérité depuis la fin d'août 1888 de Auguste David, cousin de la mère de sa femme. Il y séjourne chaque été jusqu'en 1899.

Thérèse doit être bouleversée par cette rencontre familiale car après son parloir, elle n'arrive plus à se contrôler, elle gronde beaucoup une novice, et elle abandonne même la plume pour continuer le Manuscrit C au crayon, peu après le milieu du folio 36 recto.

Juillet 1897

Le 2 juillet, Thérèse se rend pour la dernière fois à l'oratoi­re, lieu de prière des sœurs malades où elle avait peint une fresque en juin 1893, se représentant elle-même en petit enfant accoudée sur le tabernacle en train de sommeiller (ci-contre à droite).

Le 6 juillet, son état est si délabré que le médecin vient, et reviendra chaque jour. Le Dr de Cornière diagnostique une blessure au poumon droit et interdit de la bouger, même pour la descendre à l'infirmerie. Forte fièvre. Le lendemain 7 juillet, Mère Agnès lui demande d'être gentille avec le médecin, et de lui dire une parole édifiante : Thérèse l'envoie promener.

infirmerie-lit

Le 8 juillet c'est l'installation à l'infirmerie de la Sainte Face. Cette photo très rare (à gauche) montre le ciel du lit: le lit est enfermé dans une sorte de boîte de tissu de bure pour y garder la chaleur autour de la malade la nuit. On distingue les côtés mais aussi le haut du lit. Cela signifie aussi que Thérèse couchée verra toujours ce ciel de lit sombre la surplombant.

C'est toute une cérémonie que de descendre à l'infirmerie. Le Manuel de Direction spirituelle recommande :  Si on envoie une sœur à l'Infirmerie et qu'elle puisse se mettre à genoux, elle le fera... et s'offrira à Dieu en qualité de victime entièrement dévouée à sa sainte volonté, pour la vie ou pour la mort, pour la maladie ou la santé, pour tant et si longtemps qu'il plaira au Seigneur.

On sait que les sœurs y descendent pour y mourir. C'est la désolation dans la communauté. Mais quand elle descendit à l'infirmerie, Thérèse dit à Thérèse de St Augustin : « Que votre rêve se réalise bien ! » (Souvenirs d'une sainte amitié, n° 12)

La Vierge du Sourire qui était dans l'antichambre de la dernière cellule de Thérèse au premier étage est descendue avec elle. On la place en face du lit.

Ce même 8 juillet 1897 Marie Guérin écrit à son père qu'elle trouve que Thérèse «est admirablement soignée, on lui a appliqué aussi des ventouses sèches.»  L'ordonnance porte 6 à 8 verres à ventouse. Les ventouses utilisées pour Thérèse ont été conservées (photo de droite). La ventouse est comme un cataplasme, mais express : 12 secondes au lieu de 12 heures pour soulever la peau. On enflamme le morceau d'ouate avec une allumette, on le tient sous le verre de 4 cm de diamètre qui se remplit d'air chaud et est tout de suite posé sur la peau, laquelle se soulève immédiatement.

Marie Guérin écrit très souvent à sa famille et donne presque toujours des nouvelles de Thérèse au cours de ses derniers mois de vie. Il est très éclairant de lire cette correspondance en continu.

Le déménagement de Thérèse entraîne des petits changements. Sœur Marie de la Trinité est retirée de l'emploi à l'infirmerie. Sœur Geneviève dort dans la cellule voisine : la famille se rapproche de Thérèse.

Le 9 juillet Thérèse reçoit la visite du chanoine Maupas. Il est le supérieur du Carmel – l'abbé Youf en est l'aumônier. Thérèse lui demande l'extrême onction, alors que le Dr de Cornière dans sa visite du jour avait dit : « Elle n'en est pas encore là ! » Et Maupas, voyant Thérèse si joyeuse, trouve lui aussi qu'elle n'en est pas encore là. Thérèse est très déçue, comme l'écrit Marie Guérin à son père : 

Quand il a été parti, la petite malade était courroucée et elle a dit : « Une autre fois je ne me mettrai pas tant en peine... j'ai fait l'aimable, je lui ai fait la cour et il me refuse ce que je lui demande ! Une autre fois j'userai de feintise...  je lui répondrai à peine en lui disant que j'agonise. »

Sœur Marie de l'Eucharistie à son père, 9 juillet 1897

Vers le 10 juillet Thérèse achève d'écrire sur son cahier noir ce qui deviendra le Manuscrit C en commençant sa dernière page, le folio 37 du cahier.

Ms-C-folio-37-en-haut

Le 11 juillet, elle demande qu'on raconte à la fin de ce cahier l'histoire de la péche­resse convertie, morte d'amour.

Peu avant le 16 juillet, pendant une nuit d'insomnie Thérèse compose ses derniers vers bien facilement. Ce sera le très beau PS 8 :

Toi qui connais ma petitesse extrême
Tu ne crains pas de t'abaisser vers moi !
Viens en mon coeur, ô blanche Hostie que j'aime,
Viens en mon coeur, il aspire vers toi !
Ah ! je voudrais que ta bonté me laisse
Mourir d'amour après cette faveur.
Jésus ! entends le cri de ma tendresse.
Viens en mon coeur !

Ce jour est la Fête de Notre Dame du Mont Carmel, la plus grande festivité de l'Ordre. Sœur Marie de l'Eucharistie chante à la communion la strophe 14 de Vivre d'amour et ce tout dernier poème de Thérèse, PS 8.

Marthe

Ce même jour est aussi l'anniversaire de sa chère Sœur Marthe (photo de gauche), qui a 32 ans. Thérèse lui écrit un petit mot gentil LT 256, navrée de n'avoir pas pu encore terminer pour elle sa Prière pour obtenir l'humilité :

Je le sais, ô mon Dieu, vous abaissez l'âme orgueilleuse mais à celle qui s'humilie vous donnez une éternité de gloire, je veux donc me mettre au dernier rang, partager vos humiliations afin «d'avoir part avec vous» dans le royaume des Cieux.

Prière pour obtenir l'humilité

Après cela, elle nous laisse sa dernière lettre à Roulland LT 254 le 14 juillet, où elle réaffirme son désir de s'occuper des autres après sa mort: Bientôt je vais m'asseoir au banquet céleste, je vais me désaltérer des eaux de la vie éternelle ! Quand vous recevrez cette lettre sans doute j'aurai quitté la terre. Le Seigneur, dans son infinie miséricorde, m'aura ouvert son royaume et je pourrai puiser dans ses trésors pour les prodiguer aux âmes qui me sont chères... C'est aussi sa dernière lettre aux Guérin: Je ne vous dirai qu'au Ciel mon affection, tant que je traînerai, mon crayon ne pourra vous la traduireLT 255  C'est presque la fin de toute écriture et pourtant le 18 juillet, elle écrit la longue LT 258 à un abbé Bellière éploré d'avoir appris sa mort prochaine. Elle lui glisse au milieu de douces paroles de consolation cette petite phrase: Ah ! si pour quelques instants vous pouviez lire dans mon âme, que vous seriez surpris ! La pensée du bonheur céleste, non seulement ne me cause aucune joie, mais encore je me demande parfois comment il me sera possible d'être heureuse... Et elle enchaîne sur la souffrance.

Les jours qui suivent ne sont que grande souffrance pour Thérèse, devant tout ce qui s'agite autour d'elle et les incompréhensions de ses soeurs qui la harcèlent de questions.

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Le 24 ou 25 juillet un petit mot d'elle aux Guérin accompagne un pauvre bouquet de fleurs, peut-être cueillies par Thérèse elle-même ou plus vraisemblablement déposées gentiment à l'infirmerie. Le mot et les fleurs sont confiées au sacristain, Auguste Acard, qui conduit l'abbé Youf à la Musse pour un séjour de santé. Il est très malade et mourra quelques jours après Thérèse le 7 octobre à 54 ans. Les Guérin émus ont conservé les fleurs (photo ci-dessus).

Le 26 juillet, on défend à Thérèse d'écrire mais elle écrit courageusement, sans doute en cachette, une autre lettre à Bellière, LT 261où elle raconte l'histoire de sa famille, mais surtout où elle l'assure de la continuité de leur relation: "Moi qui ne suis pas pour rien votre petite sœur, je vous promets de vous faire goûter après mon départ pour l'éternelle vie ce qu'on peut trouver de bonheur à sentir près de soi une âme amie. Ce ne sera pas cette correspondance plus ou moins éloignée, toujours bien incomplète, que vous paraissez regretter, mais un entretien fraternel qui charmera les anges."

Le 29 juillet une médisance sur Thérèse la peine beaucoup. Une de ses sœurs lui avait rapporté à l'infirmerie cette réflexion faite en récréation : « Pourquoi donc parle-t-on de ma Sœur Thérèse de l'Enfant Jésus comme d'une sainte ? Elle a pratiqué la vertu, c'est vrai, mais ce n'était pas une vertu acquise par les humiliations et surtout par les souffrances.» Et voilà que Thérèse s'effondre : "Et moi qui ai tant souffert dès ma plus tendre enfance ! Ah ! que cela me fait de bien de voir l'opinion des créatures au moment de la mort !"  Et tout cela en un jour terrible où Thérèse est très oppressée.

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Le 30 juillet, elle reçoit enfin l'extrême onction tant désirée, et la communion. Un lavis de La vie en images illustre la scène à l'infirmerie - photo ci-contre. Marie Guérin raconte à son papa le lendemain: C'était bien touchant, je t'assure, de voir notre petite malade toujours avec son air calme et pur ; lorsqu'elle a demandé pardon à toute la Communauté, plus d'une a fondu en larmes (lettre du 31 juillet 1897).

Et elle poursuit :

Hier soir elle a encore craché le sang ; cette nuit aussi, la nuit n'a pas été bonne mais pas aussi mauvaise qu'on aurait pu le supposer d'après la journée. La matinée a été passable; pas de crachement de sang jusqu'à 3 heures cet après-midi où il y en a eu un. Elle est tou­jours aussi brûlante de fièvre et souffre d'oppression et de dou­leurs dans le côté; enfin elle est bien bien malade et je crois qu'il est préférable que vous retardiez votre voyage à Vichy, car elle ne peut aller bien des jours comme cela surtout si elle a des journées semblables à hier.  Il est impossible de se figurer son bonheur de mourir !

Sœur Marie de l'Eucharistie à son père, 31 juillet 1897

Août 1897

« Ces jours-là » sans plus de précision, Thérèse écrit toute son âme  dans sa dernière lettre au Père Pichon. Marie du Sacré-Cœur joint cette lettre à la sienne dans un courrier pour le Canada et jette un œil indiscret sur les lignes de sa sœur et filleule. Touchée, elle décide a posteriori de la copier mais l'enveloppe tourne (qui donc voudrait ajouter un mot au bon Père ? dans la même enveloppe ça coûte moins cher) et l'enveloppe part avant que Marie ne puisse copier la lettre de Thérèse.

Mais le 3 août, Thérèse se dit aussi toute entière dans la lettre LT 262 à Céline, poignante par l'écriture et le contenu.  O mon Dieu que vous êtes doux pour la petite victime de votre Amour Miséricordieux ! Maintenant que Vous joignez la souffrance extérieure aux épreuves de mon âme, je ne puis dire : «Les angoisses de la mort m'ont environnée» mais je m'écrie dans ma reconnaissance : «Je suis descendue dans la vallée de l'ombre de la mort, cependant je ne crains aucun mal: parce que vous êtes avec moi, Seigneur!»

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Ce même 3 août, les La Néele regagnent Caen et dans trois jours - le 6 août - ce sera au tour des Guérin mais Isidore veut aller en cure à Vichy et il consulte le Dr De Cornière qui lui dit de façon surprenante qu'il peut partir sans crainte, lui-même s'en allant à Plombières. L'état stationnaire de Thérèse, à partir du 5 août, ne laissait donc pas prévoir de complications immédiates? Avant de partir en vacan­ces, le Dr de Cornière a simplement conseillé quelques soins et indiqué un confrère lexovien, auquel on n'eut pas recours, car le Dr La Néele, bien qu'exerçant à Caen, venait souvent à Lisieux. Mais De Cornière sera le premier stupéfait de l'état de Thérèse en la revoyant le 10 septembre, peut-être avec remords.

Le 6 août à l'occasion de la fête de la Transfiguration, on déplace la veille la représentation de la Sainte Face qui est au chœur dans l'infirmerie, ornée de fleurs et de lumières. "Oh que cette Sainte Face là m'a fait de bien dans ma vie !" s'écrie Thérèse, qui raconte un peu. (Carnet Jaune au 5 août - 7e parole). Ce qui provoquera aussi le lendemain de la fête 7 août une exclamation: "Que le bon Dieu est peu aimé sur la terre !"

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Le 10 août Thérèse écrit la dernière lettre à l'Abbé Bellière LT 263 où elle lui dit qu'elle a reçu son passeport pour le ciel et que le médecin est étonné des progrès de sa maladie. Elle détaille l'héritage qu'elle lui laissera, notamment le petit crucifix tellement embrassé "qu'il n'est pas beau, la figure du Christ a presque disparu... En le regardant je pense avec joie qu'après avoir reçu mes baisers, il ira réclamer ceux de mon petit frère." (photo de gauche).

Le 12 août elle prend la peine d'écrire un petit mot tremblé à Sr Marie de la Trinité pour ses 23 ans (LT 264).

Le 17 août, aggravation constante de l'état physique de Thérèse : oppression, étouffement, grande douleur du côté gauche ; enflure des jambes. Que faire ? En l'absence de De Cornière, c'est Francis qui vient à son secours. Il s'est déplacé de Caen pour aller voir la grand-mère de sa femme Jeanne, Mme Fournet, et il vient tout naturellement voir Marie Guérin au parloir. Il demande à voir Thérèse. Et il constate qu'elle n'en a plus que pour 15 jours. Le second poumon est pris, dit-il. Marie Guérin le cite dans une lettre à son père du 17 août 1897 : « La tuberculose est arrivée au dernier degré ».  Le mot est prononcé pour la première fois. Francis écrira lui-même à Isidore son beau-père le 26 août 1897 :

Aussitôt introduit... C'est ému jusqu'aux larmes que je lui parlais en tenant ses mains diaphanes toutes brûlantes de fièvre. Après l'avoir auscultée, je la fis asseoir sur ses oreillers. Vais-je bientôt aller voir le Bon Dieu, me dit-elle. – Pas encore, ma chère petite sœur, le bon Dieu veut vous faire attendre encore quelques semaines pour que votre couronne soit plus belle au ciel. – Oh! non, je n'y pense pas, c'est pour sauver des âmes que je veux souffrir encore. – Oui, c'est bien vrai, mais en sauvant des âmes, vous monterez plus haut dans le ciel, plus près de Dieu. La réponse fut un sourire qui illumina sa figure comme si le ciel s'ouvrait devant ses yeux et l'inondait de sa divine clarté. – Dans combien de jours irais-je au ciel? – Dans votre maladie, ma petite sœur, c'est bien difficile à dire. Dans quelques semaines, un mois, peut-être plus, à moins d'un accident, à moins que vous ne soyez bien pressée d'aller voir le bon Dieu. – Comme il le voudra j'attendrai... Je suis resté une bonne demi-heure près d'elle avec Céline et la mère Prieure. Je l'ai embrassée encore en partant et elle m'a accompagné jusqu'à la porte de son sourire que je n'oublierai jamais.

Le poumon droit est absolument perdu, rempli de tubercules en voie de ramollissement. Le gauche est pris dans son tiers inférieur. Elle est bien amaigrie mais sa figure lui fait encore honneur. Elle souffre beaucoup de névralgie intercostale, c'est ce qui m'a procuré le bonheur de la voir. J'y suis retourné le mercredi suivant, espérant bien entrer encore mais Marie et la petite prieure n'ont pas osé demandé à la Mère Marie de Gonzague la permission d'entrer pour moi une seconde fois. Je lui ai fait une ordonnance pour calmer ses douleurs car elle souffrait beaucoup ce jour-là et j'ai fait demander Céline pour lui donner quelques conseils.

Francis La Néele à Isidore Guérin, 26 août 1897

Le 19 août, c'est la dernière communion possible de Thérèse, qu'elle offre pour l'ex-père carme Hyacinthe Loyson (1827-1912) dont c'est la fête. Il est âgé de 70 ans. Très opposé aux enseignements du Pape Pie IX, il rompit avec l'Eglise dès avant la naissance de Thérèse en 1869 et se fit le promoteur de l'Eglise du Libre Esprit et épousa la veuve protestante américaine Mme Merriman.

Il se trouve que ce même jour, c'est le pèlerinage national à Lourdes, et l'Abbé Bellière y va avec sa mère ; et Jeanne, Francis et Léonie y partici­pent également. Ce qui signifie que Thérèse sera donc 13 jours sans médecin.

Le 22 août, graves escarres – le mal touche les intestins. En effet, les tubercules de la tuberculose peuvent aussi se développer dans d'autres organes. Thérèse souffre « à en perdre la raison », dit-elle.  Une ordonnance sera envoyée par De Cornière par courrier le 25 août. Or dans le cahier d'ordonnances, deux pages ont été arrachées: manquent du 30 juillet 1897 (grosso modo à partir du départ de De Cornière) au 15 juillet 1898. Céline commente dans un texte sur une feuille volante non datée : Les calmants qui ont depuis franchi les portes du monastère...à ce moment-là étaient prohibés comme une honte.  Est-ce là la cause des pages arrachées?

Le 25 août c'est le retour des pèlerins de Lourdes. Dès son arrivée, Léonie se précipite au Carmel, avec sa bonbonne d'eau de Lourdes.

Le 26 août, grande fête en ville chez les Bénédictines de Lisieux avec la consécration de l'autel de leur chapelle, évènement couvert par Le Normand. Beaucoup d'anciennes élèves compagnes de Thérèse vont y revoir leurs maîtresses d'autrefois, dans un tourbillon de récits et de confidences. Parlera-t-on des sœurs Martin, dont l'une est mourante au Carmel ?

Le 28 août pour aider Thérèse, son lit est disposé au centre de l'infirme­rie pour voir le jardin, un peu comme dans cette photo tardive prise au début du 20e siècle. De sorte que Thérèse peut regarder le jardin, appuyée sur ses oreillers. « Oh ! que je suis contente! » s'exclame-t-elle.

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ermitage-ste-face

Vers midi, elle contemple la vigne qui recouvre le petit ermitage de la Ste Face, au bout du pré, directement en face de sa fenêtre. La vigne est très touffue cette année-là et Thérèse commente : "Voyez-vous là-bas le trou noir où l'on ne distingue plus rien. C'est dans un trou comme ça que je suis pour l'âme et pour le corps. Ah oui, quelles ténèbres ! mais j'y suis dans la paix. »

Le 30 août est le jour de la dernière photo de Thérèse n° 45 allongée sous le cloître.

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Pendant tout le tralala pour la prise de la photo, Thérèse regarde le préau. Sœur Marie du Sacré-Cœur, jardinière du préau, étant près d'elle, lui dit : "Voici un rejeton de rhododendron qui se meurt, je vais l'arracher".

- Oh! ma Sœur Marie du Sacré-Cœur lui répondit Thérèse d'un ton de voix plaintif et suppliant, je ne vous comprends pas. Pour moi qui vais mourir, je vous en supplie, laissez-lui la vie à ce pauvre rhododendron."

Il lui fallut insister encore, mais son désir fut respecté.

rhododendron-de-TH

Or, ce pauvre rejeton était le seul survivant de magnifiques rhododendrons qui avaient été donnés. En peu de temps tous étaient morts, sauf le rhododendron de Thérèse! On le vit ressusciter, raconte Sœur Marie des Anges qui était là, pousser des branches, les étendre, prendre une forme gracieuse qu'il n'avait jamais eu, si bien qu'aujourd'hui, il est l'un des arbustes les plus jolis du préau (voir ci-contre à gauche une photo récente).

Pour savoir comment Thérèse se porte, il suffit de réaliser que le jour de sa dernière photo vivante, elle a révélé à Mère Agnès ses pensées de suicide, recommandant de ne pas laisser auprès des malades des médicaments qui sont des poisons. Quand on souffre ainsi, dit-elle, on s'empoisonnerait très bien !

Très alarmée, Mère Agnès demande à Mère Marie de Gonzague d'envoyer un télégramme à Francis rentré de Lourdes le 25 août. Ci-dessous à droite la photo de ces trois personnes qui s'occupent le plus de Thérèse. Francis est arrivé par le train de 19hr et est allé tout droit au Carmel. Il n'avait pas pu venir plus tôt. La dépêche lui est arrivée trop tard pour qu'il prenne un train du matin. Une fois au carmel, il a trouvé que la maladie a fait des progrès depuis 15 jours. Le second poumon qui n'était alors pris qu'à la base est pris à moitié. Elle a toujours ses beaux yeux bleus, dit Francis à Mme Guérin, et elle a souri quand je lui ai dit qu'elle irait bientôt Là-Haut.

Gonzague-AJ-LaNeele

Le lendemain 31 août, nouvelle visite de Francis, malgré une petite altercation la veille avec Marie de Gonzague, qui au fond aurait préféré le vieux de Cornière, plus proche d'elle que Francis au niveau générationnel. Francis avait été rude avec elle, comme il avait expliqué à Mme Guérin: « Je suis sûr qu'elles ne font pas toutes mes ordonnances.»  Marie de Gonzague pleura, lui envoya la dernière photo de Thérèse comme pour s'excuser. Francis reviendra voir Thérèse une dernière fois le 5 septembre.

Septembre 1897

Début septembre Thérèse a faim ! Cela révolutionne tout le petit monde qui s'agite autour d'elle. Marie de Gonzague lui ordonne de demander tout ce qu'elle désire: rôti, purée, éclair au chocolat, etc. Les Guérin assurent l'intendance et offrent une image à Thérèse pour la réconforter « Sourire à la souffrance ».

Le 3 septembre Mme Guérin, qui écrit à Jeanne que Thérèse est si sensible aux petits cadeaux, aux petites attentions, suggère de lui offrir un petit panier avec des délicatesses. Elle le suggère à Jeanne, mais c'est Léonie qui le fera, avec ce petit panier de 34 cm de long à la vannerie si particulière que ses sœurs lui avaient  rapporté d'Italie. Elle l'offre à donne à Thérèse rempli de bonbons.

bourriche-offerte-par-Leonie

Léonie ne peut que prier et offrir pour la malade ces menus cadeaux par où s'exprime sa tendresse.

Le 6 septembre  Thérèse pleure de joie lorsqu'on lui offre une relique de Théophane Vénard. Cette relique est une petit cadeau de Sœur Aimée, qui n'aimait pas spécialement Thérèse, ou plutôt le clan Martin. Elle avait été infirmière jusqu'en 1896 environ, de sorte qu'un jour où il fallut changer le lit à l'infirmerie, Thérèse l'avait proposée: «Je crois que ma sœur Aimée-de-Jésus me prendrait facilement dans ses bras; elle est grande et forte, et très douce autour des malades. » Dix ans plus tard, Sœur Aimée se souvenait encore du regard céleste et si plein de reconnaissance et d'affection que lui porta alors Thérèse. Sr Aimée était fin 1897 en charge des reliques, elle connaissait ce qui circulait comme reliques dans Lisieux, et elle savait que les sœurs de l'Immaculée Conception (qui tenaient à Lisieux une école) en avaient une de Théophane Vénard. Elle leur emprunte la relique, et la rendra après la mort de Thérèse.

Le 8 septembre Nativité de la Vierge et 7e anniversaire de la profession de Thérèse. Ce jour-là on exposait sur l'autel du chœur une statuette de cire de la Bambina. Le 8 septembre 1890 au soir, Thérèse avait déposé sa couronne aux pieds de la Ste Vierge. C'était la petite Ste Vierge d'un jour qui présentait sa petite fleur au petit Jésus... (Ms A 77r).

Ce jour-là, Léonie lui offre une boîte à musique (photo de droite), dont les airs sont si doux que Thérèse les écoute avec attendrissement. Se voyant si choyée, elle pleure de reconnaissance : « C'est à cause des délicatesses du bon Dieu à mon égard, dit-elle ; à l'extérieur, j'en suis comblée, et pourtant, à l'intérieur, je suis toujours dans l'épreuve... mais aussi dans la paix ! »

boite-a-musique-ouverte

Et ce même 8 septembre, Thérèse demande à revoir l'image de Notre-Dame des Victoires, sur laquelle elle avait collé la petite fleur de saxifrage offerte par son papa lorsqu'elle lui avait demandé d'entrer au Carmel. Elle y trace d'une main tremblante son dernier autographe, qui deviendra sa dernière prière (PRI 21):

O Marie, si j'étais la Reine du Ciel et que vous soyez Thérèse, je voudrais être Thérèse afin que vous soyez la Reine du Ciel !!!...............

8 Septembre 1897

Pri 21

C'est le dernier texte écrit par Thérèse.

Le 10 septembre De Cornière, rentré de vacances, est consterné par l'état de la jeune carmélite. Il suggère des piqûres de morphine mais la prieure propose qu'on s'en tienne au sirop de morphine. Le lendemain 11 septembre Thérèse s'interroge sur la mort : qu'est-ce que c'est que cette séparation de l'âme et du corps... La psychanalyste Claude Bourreille écrit que la foi est une expérience à prendre au sérieux. La réponse à la foi, écrit-elle, est dans le maintien de sa question jusqu'à la mort.

Le 14 septembre on lui apporte une rose qu'elle effeuille avec beaucoup de piété et d'amour sur son crucifix. Les pétales glissent de son lit sur le sol et ses sœurs les ramassent... Le lendemain y pensera-t-elle en disant: Je suis comme un voyageur fatigué, harassé, qui tombe en arrivant à la fin du voyage.

petales-de-rose-effeuilles-par-TH

Le 17 septembre Dr Cornière trouve que l'enflure des pieds augmente et que c'est mauvais signe: "Elle ne peut pas vivre plus de 15 jours.''

calice-fond

Le 18,  il se trouve que c'est l'Ordination de l'Abbé Denis (Joseph Denis de Maroy) qui célèbre le lendemain, donc le 19 septembre, une première messe au carmel. Comme séminariste, il avait déjà rencontré les sœurs Martin au parloir. Thérèse demande à voir son calice après la célébration. Le calice reviendra au Carmel, avec la date gravée sous sa base. Thérèse se mire dans le fond du calice ! Céline explique dans ses Conseils et Souvenirs qu'elle faisait souvent cela comme sacristine en préparant les vases sacrés: il lui semblait que l'or ayant reflété son image, c'était sur elle que reposeraient les divines espèces.

Le 20 septembre De Cornière parle de son héroïque patience à travers des souffrance qui, dans un corps d'une maigreur impressionnante, sont un vrai martyre. Thérèse elle-même revient sur le suicide deux jours plus tard : « Si je n'avais pas eu la foi je me serais donné la mort sans hésiter un seul instant ! » (CJ 22 septembre, 6e parole)Le 25 septembre, elle déclare: C'est bien facile d'écrire de belles choses sur la souffrance, mais écrire ce n'est rien !  Elle sait pertinemment de quoi elle parle, elle qui a beaucoup écrit sur la souffrance.

Trois jours avant sa mort, Sœur Marie de la Trinité raconte qu'elle la vit dans un tel état de souffrance qu'elle en était elle-même toute troublée. Thérèse fit un effort pour lui sourire et d'une voix entrecoupée par l'étouffement, elle lui dit : « Ah ! si je n'avais pas la foi, jamais je ne pourrais supporter tant de souffrances ! Je suis étonnée qu'il n'y en ait pas davantage parmi les athées qui se donnent la mort. » (témoignage au Procès de l'Ordinaire - folio 1096 r). Ce jour-là elle demande à boire de l'eau de Lourdes.

Le 29 septembre Thérèse entre en agonie.  La Communauté récite autour d'elle les Prières de la recommandation de l'âme, que l'on récitait pour les sœurs agonisantes. Thérèse demande à se confesser, elle aura le Chanoine Faucon, car l'aumônier habituel l'abbé Youf est lui-même mourant. Faucon a été confesseur des carmélites à quelques reprise chaque année de 1886 à 1891 alors qu'il était vicaire de St Jacques et il est donc un familier du carmel. Le même jour que l'Abbé Bellière embarque à Marseille pour Alger.

Le 30 septembre, Sœur Marie du Sacré-Cœur, qui a assuré la veille de la nuit avec Céline, est si bouleversée par l'état de Thérèse qu'elle hésite à revenir à l'infirmerie. Mère Agnès quant à elle prie devant la statue du Sacré-Cœur et de Marguerite-Marie Alacoque à l'étage du dortoir pour que Thérèse ne se désespère pas dans ses derniers moments.

Thérèse expire à la fin de ce très long jour.  M. et Mme Guérin prient à ce moment dans la chapelle du Carmel, avec Léonie. Tout de suite après la mort de Thérèse, Mère Agnès leur fait passer un billet :

sainte-Therese-de-Lisieux 46

Mes bien aimés Parents, ma Léonie chérie,

Notre Ange est au Ciel. Elle a rendu le dernier soupir à 7h. en pressant son crucifix sur son coeur et disant: «Oh! je vous aime! » Elle venait de lever les yeux au ciel, que voyait-elle...

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Le 3 octobre, Céline prit un autre cliché, le dernier ci-contre à gauche (photo n° 47).

Thérèse fut enterrée le 4 octobre au cimetière de Lisieux, où on enterrait les carmélites depuis 1887. Elle a été la première carmélite enterrée dans le second enclos de la communauté au cimetière de la ville. On y enterrait les carmélites depuis 1887, date à laquelle on avait acheté un terrain. Dix ans plus tard, ce petit terrain était rempli et M. Guérin, prévoyant la mort prochaine de sa nièce, acheta pour la communauté un second terrain. En ce 4 octobre 1897, Thérèse y est la première inhumée.

La famille fait aussitôt part du décès, tout comme le Carmel. Le journal Le Normand publie une note nécrologique. En voici les photos ci-dessous, elles sont cliquables pour une lecture plus aisée.

Faire-part familial

Faire-part du Carmel

Nécrologie dans Le Normand

Voici une photo de la tombe de Thérèse prise l'année suivante, peu après le décès de Mère Hermance.

Sur le montant on peut lire l'avenir de Thérèse tel qu'elle l'avait pressenti.

Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre !

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À la mort de Thérèse, Mère Agnès hésite entre deux phrases, pour inscrire quelque chose sur la croix surplombant la tombe.  Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre, ce projet que Thérèse a si souvent évoqué dans ses derniers mois, la tente beaucoup, mais encore plus un extrait de la poésie PN 24, à la strophe 17 :

Que je veux, ô mon Dieu
Porter au loin ton Feu
Rappelle-toi.

Elle opte pour la poésie, mais un ouvrier ayant laissé traîner sa manche sur la peinture encore fraîche et rendant ainsi le texte illisible, Mère Agnès y a lu un signe et a fait inscrire à la place sa première idée.