Carmel
De soeur Geneviève au Frère Siméon. 25 avril 1897.

DE  
MARTIN Céline, Soeur Geneviève de la Sainte Face
À 
SIMÉON Frère

25/04/1897

 
De soeur Geneviève au Frère Siméon. 25 avril 1897.
 
+ Jésus
J.M.J.T.
25 Avril 1897
 
         Monsieur le Directeur,
       Je voudrais commencer par vous remercier et cependant je veux vous dire quel gros sacrifice vous m'avez fait faire en arrivant au Carmel en Carême. Pendant ce temps les visites sont interdites. Heureusement que le Visiteur venait de loin! plus heureusement encore il était attendu de toute la communauté! à ce titre la porte lui a été ouverte à deux batttants. Il a fait le tour de la communauté et le charme d'une récréation. Savez-vous ce qu'on a dit, Très cher Frère? Que vous aviez l'air d'un Prélat Romain! Moi j'ai applaudi.
           La belle et si aimable lettre que vous m'adressiez a été lue, ac­compagnant la photographie, [lv°] inutile de dire combien elle a fait plaisir et comme le Très cher Frère Siméon est aimé et vénéré ici. C'est grâce à cela que le supplice de Tantale ne m'a pas été imposé jusqu'à Pâques.
         Vous dites, Très cher Frère, que vous ne pouvez rien me refuser. Cette parole m'a bien touchée, j'aurais voulu lutter encore et mon coeur aurait voulu inventer quelque chose pour vous faire plaisir, mais je m'avoue vaincue, votre générosité me confond et vous laisse le dernier mot. (Pour les cadeaux, mais pas dans le Coeur de Jésus! !!...)
       La santé de votre autre petite Carmélite Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus est bien compromise, elle va un peu mieux tout à l'heure, cependant la toux n'a pas cédé, on lui a mis vésicatoires sur vésicatoires, et le docteur en ordonne un autre aujourd'hui. Malgré que la maladie de poitrine ne soit pas encore déclarée, chacun s'attend à voir le divin Maître cueillir [2r°] cette fleur si belle. Elle est mûre pour le Ciel et cependant la terre la réclame : elle n'a que vingt-quatre ans et déjà à cause de sa capacité, de sa précoce sainteté, notre Mère l'a prise pour aide dans la charge des novices. Moi, son aînée, qui vais atteindre mes vingt-huit ans mercredi, je suis tout heureuse d'être sous sa conduite, ah! puissé-je lui ressembler! Notre vie à toutes les deux a été si unie qu'elle ne sera pas, je crois, longtemps séparée par la mort. Quand elle sera auprès de Jésus elle m'appellera... Je ne voudrais rien demander, car je veux avant tout faire la volonté du bon Dieu, soit dans la vie, soit dans la mort, mais je ne cesse de répéter que si j'ai vu deux beaux jours : ma première Communion et ma Profession, il m'en reste encore un plus beau c'est le jour de ma mort... O jour heureux! quand donc aura-t-il lui pour moi et pour tous ceux que j'aime!
       Très Cher et Vénéré Frère, pardon de vous [2v°] entretenir ainsi de mes pensées, mais quand je suis sur ce sujet je ne sais pas m'arrêter. La terre est si triste, on voit tant de bassesses, tant de défections dans le monde que le dégoût s'empare de l'âme. Nous sommes pourtant des privilégiées et le bon Dieu nous a mis en serre, notre exil se passe avec des âmes choisies, oh! que la vocation religieuse est une grande grâce! Que de beaux exemples nous avons tous les jours! Celui que vous nous avez mis sous les yeux est bien édifiant, la vie du Cher Frère Léon de Jésus (Pro-directeur du Collège de Rome) est une de celles qui laissent un doux parfum dans l'âme, c'était un saint!... Je connaissais le R. P. Tissot l'ayant entendu prêcher à Paray (le15 octobre 1890, en compagnie de Léonie) et j'ai de lui un souvenir ineffaçable.
         Merci, Très Cher Frère, de tout ce que vous nous avez envoyé, y compris « Mes Dévotions » (Recueil de poésies du Fr. Salutaire, envoyé par ce dernier à Thérèse le 16 mars), on ne se lasse pas de lire et de méditer tout ce qui vient de Rome...
           Veuillez recevoir, Très Cher et Vénéré Frère, avec le plus religieux souvenir de notre Mère, le plus affectueux respect de vos deux petites Carmélites.
La plus indigne
Geneviève de Ste Thérèse
(r. carm.ind.)
[2v°tv] P.S. Avec cette lettre vous recevrez, Monsieur le Directeur, une image de N. D. du Mont Carmel que notre Mère vous envoie.

Retour à la liste