Carmel

CJ Juillet 1897

La santé de Thérèse

Début juillet 1897, Thérèse est à bout de forces. Les hémoptysies (crachements de sang) reprennent de façon quasi quotidienne à partir du 6 juillet (et dureront jusqu'au 5 août). Le 7 juillet, elle étouffe, est très faible et a une forte fièvre. Elle semble mourante. Elle souffre, « mais pas à en crier ». On la traite avec des « remèdes doux » : de la glace pour arrêter les hémoptysies, de la pancréatine pour digérer le lait, des cataplasmes sinapisés (à base de farine de moutarde), des ventouses, etc. Le docteur de Cornière lui diagnostique une blessure au poumon droit et lui défend de bouger.

Le 8 juillet, elle est descendue à l'infirmerie. Maigrissant de jour en jour, elle souffre de maux d'estomac, de tête, de coeur et de diarrhées. Elle ne peut plus manger de fruits. Le docteur lui diagnostique une congestion dans le haut du poumon droit jusqu'à l'épaule : elle est perdue à moins d'un miracle.

Le 25 juillet, elle se lève encore deux heures par jour, mais dès le 28 juillet commencent les « grandes souffrances ». Outre ses hémoptysies continuelles, elle étouffe et est trop oppressée pour parler. Le 30 juillet, elle reçoit l'extrême onction et la communion en viatique du chanoine Maupas.

Le 2 juillet

2 juillet 1897

Elle alla pour la dernière fois devant le Saint-Sacrement à l'Oratoire dans l'après midi ; mais elle était à bout de forces. Je la vis regarder l'Hostie longtemps et je devinais que c'était sans aucune consolation mais avec beaucoup de paix au fond du coeur.

Je me rappelle que, le matin après la Messe, quand la Communauté se rendait à l'Oratoire pour l'action de grâces, personne ne pensa à la soutenir. Elle marchait près du mur tout doucement. je n'ai pas osé lui offrir le bras.

Le 3 juillet

1

Une de nos amies était morte et le docteur de Cornière avait parlé devant elle de sa maladie, sorte de tumeur qu'il n'avait pu exactement définir. Ce cas l'intéressait vivement au point de vue médical. « Quel dommage, dit-il, que je n'aie pu faire l'autopsie! »

Elle me dit ensuite :

Ah ! C'est comme cela qu'on est indifférent les uns pour les autres sur la terre ! Dirait-on la même chose s'il s'agissait d'une mère ou d'une soeur ? Oh ! que je voudrais bien m'en aller de ce triste monde !

2

Je lui confiais mes pensées de tristesse et de découragement après une faute.

... Vous ne faites pas comme moi. Quand j'ai commis une faute qui me rend triste, je sais bien que cette tristesse est la conséquence de mon infidélité. Mais croyez-vous que j'en reste là ? ! Oh ! non, pas si sotte ! Je m'empresse de dire au bon Dieu : Mon Dieu, je sais que ce sentiment de tristesse je l'ai mérité, mais laissez-moi vous l'offrir tout de même, comme une épreuve que vous m'envoyez par amour. Je regrette mon péché, mais je suis contente d'avoir cette souffrance à vous offrir.

3

Comment se fait-il que vous désiriez mourir avec votre épreuve contre la foi qui ne cesse pas ?

Ah ! mais, je crois bien au Voleur ! C'est sur le ciel que tout porte. Comme c'est étrange et incohérent !

4

Comme le lait lui faisait mal et qu'elle ne pouvait prendre autre chose à ce moment-là, Mr de C. avait indiqué une sorte de lait condensé qu'on devait trouver chez le pharmacien sous le nom de « lait maternisé ». Pour diverses raisons cette ordonnance lui fit de la peine et, quand elle vit arriver les bouteilles, elle se mit à pleurer à chaudes larmes.

Dans l'après-midi, elle sentit le besoin de sortir d'elle-même et nous dit d'un air triste et doux :

J'ai besoin d'une nourriture pour mon âme ; lisez-moi une vie de saint.

Voulez-vous la vie de St François d'Assise ? Cela vous distraira quand il parle des petits oiseaux.

Non, pas pour me distraire, mais pour avoir des exemples d'humilité.

5

Quand vous serez morte, on vous mettra une palme dans la main.

Oui mais, il faudra que je la lâche quand je voudrai, pour donner à pleines mains des grâces à ma petite Mère. Il faudra que je fasse tout ce qui me plaira.

6

(Le soir)

Jusqu'aux saints qui m'abandonnent ! Je demandais à St Antoine, pendant Matines, de me faire retrouver notre mouchoir que j'avais perdu. Croyez-vous qu'il m'a exaucée ? Il s'en est bien guetté ! Mais ça ne fait rien, je lui ai dit que je l'aimais bien tout de même.

7

Pendant Matines, je voyais les étoiles briller, puis j'entendais l'office, cela me plaisait.

(La fenêtre de sa cellule était ouverte.)

Le 4 juillet

1

Le bon Dieu m'a aidée, et j'ai pris le dessus de ma tristesse au sujet du lait maternisé...

2

(Le soir)

Notre-Seigneur est mort sur la Croix, dans les angoisses, et voilà pourtant la plus belle mort d'amour. C'est la seule qu'on ait vue, on n'a pas vu celle de la Sainte Vierge. Mourir d'amour, ce n'est pas mourir dans les transports. Je vous l'avoue franchement, il me semble que c'est ce que j'éprouve.

3

Oh ! comme je pressens que vous allez souffrir !

Qu'est-ce que cela fait ! la souffrance pourra atteindre des limites extrêmes, mais je suis sûre que le bon Dieu ne m'abandonnera jamais.

4

J'ai une grande reconnaissance envers le P. Alexis, il m'a fait beaucoup de bien. Le P. Pichon me traitait trop comme une enfant ; cependant il m'a fait du bien aussi en me disant que je n'ai pas commis de péché mortel.

Le 5 juillet

1

Je lui parlais de mes faiblesses, elle me dit :

Il m'arrive bien aussi des faiblesses, mais je m'en réjouis. Je ne me mets pas toujours non plus au dessus des riens de la terre ; par exemple, je serai taquinée d'une sottise que j'aurai dite ou faite. Alors je rentre en moi-même et je me dis : Hélas ! j'en suis donc encore au même point comme autrefois ! Mais je me dis cela avec une grande douceur et sans tristesse. C'est si doux de se sentir faible et petit !

2

Ne soyez pas triste de me voir malade, ma petite Mère, car vous voyez comme le bon Dieu me rend heureuse. Je suis toujours gaie et contente.

3

Après avoir regardé une image qui représente Notre Seigneur avec deux petits enfants dont le plus petit est sur ses genoux et l'autre à ses pieds, lui baisant la main:

Moi je suis ce tout petit qui a grimpé sur les genoux de Jésus, qui tire si gentiment sa petite jambe, qui lève sa petite tête et qui le caresse sans rien craindre. L'autre petit ne me plaît pas tant. Il se tient comme une grande personne ; on lui a dit quelque chose... il sait qu'on doit du respect à Jésus...

Le 6 juillet

1

Elle venait de cracher le sang. Je lui dis : Vous allez donc nous quitter ?!

Mais non ! Mr l'Abbé m'a dit : «Vous aurez un grand sacrifice à faire en quittant vos soeurs.» Je lui ai répondu : «Mais, mon Père, je trouve que je ne les quitterai pas; au contraire, je serai encore plus près d'elles après ma mort.»

2

Je pense que pour ma mort, ce sera la même patience à avoir que pour les autres grands événements de ma vie. Regardez : je suis entrée jeune au Carmel, et pourtant, après que tout a été décidé, il a fallu attendre 3 mois ; pour ma prise d'Habit, la même chose ; pour ma Profession, la même chose encore. Eh bien, pour ma mort, il en sera de même, elle arrivera bientôt, mais il faudra encore attendre.

3

Quand je serai au Ciel, je m'avancerai vers le bon Dieu, comme la petite nièce de Sr Elisabeth devant la grille du parloir - Vous savez, quand elle récitait son compliment et finissait par une révérence en levant les bras et disant : «Le bonheur pour tous ceux que j'aime.» -

Le bon Dieu me dira : «Qu'est-ce que tu veux ma petite fille?» Et je répondrai : «Le bonheur pour tous ceux que j'aime.» Je ferai de même devant tous les saints.

Vous êtes bien gaie aujourd'hui, on sent que vous voyez le Voleur.

Oui, à chaque fois que je suis plus malade, je le revois. Mais quand même je ne le verrais pas, je l'aime tant que je suis toujours contente de ce qu'il fait. Je ne l'aimerais pas moins s'il ne venait pas me voler, au contraire... Quand il me trompe, je lui fais toutes sortes de compliments, il ne sait plus comment faire avec moi.

4

J'ai lu un beau passage dans les Réflexions de l'Imitation. C'est une pensée de M. de Lamennais - tant pis ! - c'est beau tout de même. (Elle croyait et nous aussi que cet abbé de Lamennais était mort dans l'impénitence.)
Notre Seigneur au Jardin des Oliviers jouissait de toutes les délices de la Trinité, et pourtant son agonie n'en était pas moins cruelle. C'est un mystère, mais je vous assure que j'en comprends quelque chose par ce que j'éprouve moi-même.

5

Je mettais une lampe devant la Vierge du Sourire pour obtenir qu'elle ne continue pas à cracher le sang.

Vous ne vous réjouissez donc pas que je meure ! Ah ! pour me réjouir, moi, il aurait fallu que je continue à cracher le sang. Mais c'est fini pour aujourd'hui !

6

8 heures ¼.- Je lui apportais sa lampe qu'on avait oublié de lui monter. Je lui avais rendu d'autres petits services. Elle se montra très touchée et me dit :

Vous avez toujours agi ainsi avec moi... Je ne puis vous dire ma reconnaissance.

En essuyant ses larmes :

Je pleure, parce que je suis trop touchée de ce que vous avez fait pour moi depuis mon enfance.

Oh ! tout ce que je vous dois ! Mais quand je serai au Ciel, je dirai la vérité, je dirai aux Saints : C'est ma petite Mère qui m'a donné tout ce qui vous plaît en moi.

7

Quand donc viendra le Jugement dernier ? Oh ! que je voudrais bien être à ce moment là ! Et qu'est-ce qu'il y aura après ? !...

8

Je fais beaucoup de petits sacrifices...

Le 7 juillet

1

 

 

 

 

du Voleur ? Cette fois il est à la porte !

Non, il n'est pas à la porte, il est entré. Mais qu'est-ce que vous dites, ma petite Mère ! Si j'ai peur du Voleur ! Comment voulez-vous que j'aie peur de quelqu'un que j'aime tant ? !

2

Je lui demandai de me raconter encore ce qui lui était arrivé après son offrande à l'Amour. Elle me dit d'abord :

Ma petite mère, je vous l'ai confié le jour même ; mais vous n'y avez pas fait attention.

(En effet, j'avais eu l'air de n'y attacher aucune importance.)

Eh bien, je commençais mon Chemin de Croix, et voilà que tout-à-coup, j'ai été prise d'un si violent amour pour le bon Dieu que je ne puis expliquer cela qu'en disant que c'était comme si on m'avait plongée tout entière dans le feu. Oh ! quel feu et quelle douceur en même temps ! Je brûlais d'amour et je sentais qu'une minute, une seconde de plus, je n'aurais pu supporter cette ardeur sans mourir. J'ai compris alors ce que disent les saints de ces états qu'ils ont expérimentés si souvent. Pour moi, je ne l'ai éprouvé qu'une fois et qu'un seul instant, puis je suis retombée aussitôt dans ma sécheresse habituelle.

Un peu plus tard :

Dès l'âge de 14 ans, j'avais bien aussi des assauts d'amour ; ah ! que j'aimais le bon Dieu ! Mais ce n'était pas du tout comme après mon offrande à l'Amour, ce n'était pas une vraie flamme qui me brûlait.

3

Cette parole de Job : «Quand même Dieu me tuerait j'espérerais encore en lui», m'a ravie dès mon enfance. Mais j'ai été longtemps avant de m'établir à ce degré d'abandon. Maintenant j'y suis ; le bon Dieu m'y a mise, il m'a prise dans ses bras et m'a posée là...

4

Je lui demandais de dire quelques paroles d'édification et d'amabilité à M. de Cornière.

Ah ! ma petite Mère, ce n'est pas mon petit genre... Que Mr de Cornière pense ce qu'il voudra. Je n'aime que la simplicité, j'ai horreur de la «feintise». Je vous assure que, de faire comme vous désirez, ce serait mal de ma part.

5

Enfin, je me fais l'effet d'être tout à fait malade. Je n'oublierai jamais la scène de ce matin pendant que je crachais le sang ; M. de Cornière avait l'air consterné.

6

Voyez, c'est pour vous que le bon Dieu me traite si doucement. Point de vésicatoire, rien que des remèdes doux. Je souffre, mais ce n'est pas à en crier.

Après un moment, d'un air malin :

Pourtant, Il nous a envoyé des épreuves à «crier»... et nous n'avons pas «crié» quand même...

(Elle faisait allusion à notre grande épreuve de famille.)

Quant aux 'remèdes doux', ils ne le furent pas toujours et ses souffrances devinrent terribles.

7

Je suis comme un pauvre «petit loup gris» qui a bien envie de retourner dans sa forêt et qu'on force à habiter dans les maisons.

(Notre bon père, aux Buissonnets l'appelait quelquefois « mon petit loup gris ».)

8

Je viens de voir sur le mur un petit moineau qui attendait patiemment en jetant de temps en temps un petit cri d'appel, que ses parents viennent le chercher et lui donner la becquée, j'ai pensé que je lui ressemblais.

9

Je lui disais que j'aimais bien les compliments :

Je m'en souviendrai au Ciel...

 

Le 8 juillet

1

Elle était si malade qu'on parlait de l'Extrême-Onction. Ce jour-là on la descendit de sa cellule à l'infirmerie. Elle ne pouvait plus se soutenir, il fallut la porter. Etant encore dans sa cellule et voyant qu'on songeait à lui donner l'Extrême-Onction, elle dit d'un ton de joyeuse surprise :

Il me semble que je rêve !... Enfin, ils ne sont pas fous...

(M. l'Abbé Youf et M. de Cornière.)

Je n'ai peur que d'une chose, c'est que ça change.

2

Elle voulut chercher avec moi les péchés qu'elle pouvait avoir commis par ses sens afin de s'en accuser avant l'Extrême-Onction. Nous en étions à l'odorat, elle me dit :

Je me rappelle qu'à mon dernier voyage d'Alençon à Lisieux, je me suis servie d'une bouteille d'eau de Cologne que Mme Tifenne m'avait donnée et c'était avec plaisir.

3

Nous voulions toutes lui parler.

Beaucoup de monde qui a quelque chose à dire !

4

Elle était débordante de joie et s'efforçait de nous la communiquer.

Si, quand je serai au Ciel, je ne peux pas venir vous faire des petites «joueries» sur la terre, j'irai pleurer dans un petit «toin».

5

A moi :

Vous avez le nez long, il vous en sentira bon plus tard...

Regardant ses mains amaigries :

Ça devient déjà squelette, v'là c'qui m'«agrée».

7

Vous ne savez pas : je vais bientôt être une «moribonde».

... Ça me fait l'effet d'un mât de Cocagne ; j'ai fait plus d'une glissade, puis, tout à coup me voilà rendue en haut !

8

J'aime mieux être réduite en poudre que d'être conservée comme Ste Catherine de Bologne. Je ne connais que St Crispin qui soit sorti du tombeau avec honneur.

Le corps de ce saint est admirablement conservé à son Couvent des Franciscains de Rome.

9

Se parlant à elle-même :

C'est quelque chose que d'être là à agoniser !... Qu'est-ce que ça fait après tout ! j'ai bien été quelquefois agonisée de sottises...

10

D'un air sérieux et doux, je ne me rappelle plus à quelle occasion, mais je sais qu'elle avait été incomprise : La Sainte Vierge a bien fait de garder toute chose dans son «petit» coeur... On ne peut pas m'en vouloir de faire comme elle...

11

Les petits anges se sont beaucoup amusés à me jouer de petites farces... Ils se sont tous exercés à me cacher la lumière qui me montrait ma fin prochaine.

Ont-ils caché la Ste Vierge aussi ?

Non, la Sainte Vierge ne sera jamais cachée pour moi, car je l'aime trop.

12

Je désire beaucoup l'Extrême-Onction, tant pis si on se moque de moi après.

(Si elle revenait à la santé, car elle savait que certaines soeurs ne la trouvaient pas en danger de mort.)

13

Oh ! certainement que je pleurerai en voyant le bon Dieu !... Non, pourtant, on ne peut pas pleurer au Ciel... Mais si, puisqu'il a dit : «J'essuierai toutes les larmes de vos yeux.»

14

Je vous offre mes petits fruits de joie tels que le bon Dieu me les donne.

Au Ciel j'obtiendrai beaucoup de grâces pour ceux qui m'ont fait du bien. Pour la petite Mère, tout. Tout ne pourra même pas vous servir, il y en aura beaucoup pour vous «éjouir».

15

Si vous saviez comme le bon Dieu sera doux pour moi ! Mais s'il est un tout petit peu pas doux, je le trouverai doux encore... Si je vais en Purgatoire, je serai très contente ; je ferai comme les trois hébreux dans la fournaise, je me promènerai dans les flammes en chantant le cantique de l'Amour. Oh ! que je serais heureuse, si en allant en purgatoire, je pouvais délivrer d'autres âmes, souffrir à leur place, car alors je ferais du bien, je délivrerais les captifs.

16

Elle me prévint que, plus tard, un grand nombre de jeunes prêtres, sachant qu'elle a été donnée comme soeur spirituelle à deux missionnaires, demanderont ici la même faveur. Elle m'avertit que cela pourrait devenir un grand danger.

N'importe laquelle écrirait ce que j'écris et recevrait les mêmes compliments, la même confiance. C'est par la prière et le sacrifice que nous pouvons seulement être utiles à l'Eglise. La correspondance doit être très rare et il ne faut pas la permettre du tout à certaines religieuse qui en seraient préoccupées, croiraient faire des merveilles, et ne feraient en réalité que blesser leur âme et tomber peut-être dans les pièges subtils du démon.

Insistant davantage :

Ma Mère, ce que je viens de vous dire est bien important, je vous en prie ne l'oubliez pas plus tard. Au Carmel, il ne faut pas faire de la fausse monnaie pour acheter des âmes... Et souvent les belles paroles qu'on écrit et les belles paroles qu'on reçoit sont un échange de fausse monnaie.

17

Pour nous faire rire :

Je voudrais être mise dans une petite boîte à Gennin, pas dans la bière.

Elle jouait sur le mot « bière ». On avait envoyé au Carmel de jolies fleurs artificielles dans des boîtes longues et très bien conditionnées, de la Maison Gennin à Paris.

18

... Ça rend si bon d'avoir de la peine, ça porte à être régulière et charitable.

Le 9 juillet

1

Elle ne voulait pas de tristesse autour d'elle, ni chez mon oncle.

Je veux qu'ils fassent tous «la noce» à la Musse. Moi je fais la noce spirituelle toute la journée.

Elle n'est pas gaie cette noce-là.

Moi, je la trouve très gaie.

2

Ma Soeur Geneviève aura besoin de moi... Mais du reste, je reviendrai.

3

Après la visite de Notre Père, je lui fis la réflexion qu'elle ne s'y était pas bien prise pour obtenir d'être administrée, qu'elle n'avait plus l'air du tout malade quand elle recevait des visites.

Je ne connais pas le métier !

4

... Voudrais m'en aller !...

5

Vous mourrez sans doute le 16 Juillet, fête de N.D. du M.Carmel, ou le 6 Août, fête de la Sainte Face.

Mangez des «dattes» tant que vous voudrez, moi je ne veux plus en manger... J'ai été trop attrapée par les dates.

6

... Pourquoi serais-je plus à l'abri qu'une autre d'avoir peur de la mort ? Je ne dis pas comme St Pierre : «Je ne vous renoncerai jamais.»

7

On parlait de la sainte pauvreté :

Sainte Pauvreté ! Que c'est drôle une sainte qui n'ira pas dans le Ciel !

8

J'avais eu de la peine :

Mon amour devrait vous consoler.

A celles qui étaient présentes :

Je vais m'arranger de ma petite Mère.

Le soir, à moi seule :

... Oh ! allez, je ne m'y trompe pas, je sais bien que tout ce que vous faites pour moi, c'est par amour...

9

On avait pris une souris dans son infirmerie ; elle nous fit toute une histoire, nous demandant de lui apporter la souris blessée, qu'elle la coucherait à côté d'elle et la ferait ausculter par le docteur. Nous riions de bon coeur et elle était contente de nous avoir distraites.

Le 10 juillet

1

... Les petits enfants, ça ne se damne pas.

2

Ce que vous avez écrit pourrait bien aller un jour jusqu'au Saint Père.

Riant :

Et nunc et semper !

3

Me montrant d'un geste enfantin l'image de la Sainte Vierge allaitant le petit Jésus : Y a que ça qui est du bon lolo, faut le dire à M. de Cornière.

4

C'était le samedi et elle avait craché le sang à minuit.

Le Voleur, il a rendu sa maman voleuse... Alors elle est venue à minuit forcer le Voleur à se décacher ; ou bien elle est venue toute seule, si le Voleur n'a pas voulu venir.

5

On ne me prolongera pas une minute de plus que le Voleur ne veut.

6

à moi seule

Vous vous faites beaucoup trop de peine pour des affaires qui n'en valent pas la peine.

7

souriant

... Quand vous avez fait quéque chose comme ça, c'qu'est encore très vilain, c'est que vous craignez trop les conséquences...

8

Vous êtes comme un petit oiseau craintif qui n'a jamais vécu parmi les hommes, vous avez toujours peur d'être prise. Moi, je n'ai jamais craint personne ; je suis toujours allée où j'ai voulu... J'aurais plutôt filé entre leurs jambes...

9

En tenant son Crucifix après l'avoir baisé à 3 heures, elle faisait semblant de vouloir ôter la couronne et les clous.

10

Revenant sur l'accident de la nuit, elle dit d'une façon charmante : regardant l'image de la Vierge-Mère attachée au fond de son lit sur le rideau :

La Sainte Vierge n'est pas voleuse de nature... mais depuis qu'elle a eu son Fils, il lui a appris le métier...

Après une pause :

Pourtant le petit Jésus est encore trop petit pour avoir ces idées là... Il ne pense guère à voler sur le sein de sa Mère... Si ! il y pense déjà, i sait bien qu'i viendra me voler.

A quel âge ?

A 24 ans.

11

On parlait de la mort et des contractions qui se produisent souvent à ce moment-là sur le visage . Elle reprit : Si ça arrive pour moi, ne vous attristez pas, car aussitôt après je ne ferai plus que des sourires.

Ma Soeur Geneviève regardait le couvercle d'une boîte de baptême disant que la jolie tête qu'elle y voyait lui servirait de modèle pour une tête d'ange. Notre petite Thérèse eut envie de la voir, mais personne ne pensa à la lui montrer et elle ne demanda rien. Je sus cela plus tard.

12

Que faudra-t-il que je pense en regardant la fenêtre de votre cellule quand vous aurez quitté la terre ? J'aurai le coeur bien gros.

Ah ! Vous penserez que je suis bien heureuse, que là j'ai beaucoup lutté et souffert... J'aurais été contente d'y mourir.

13

(Pendant Matines.)

Il lui vient à la pensée qu'elle n'est pas sérieusement malade, que le docteur se trompe sur son état. Elle me confie ses épreuves et ajoute:

Si mon âme n'était pas toute remplie d'avance par l'abandon à la volonté du bon Dieu, s'il fallait qu'elle se laisse submerger par les sentiments de joie ou de tristesse qui se succèdent si vite sur la terre, ce serait un flot de douleur bien amer et je ne pourrais le supporter. Mais ces alternatives ne touchent que la surface de mon âme... Ah ! ce sont pourtant de grandes épreuves !

14

J'crois qu'c'est pas la Sainte Vierge qui me joue ces tours là !... Elle est forcée par le bon Dieu ! alors... Il lui dit de m'éprouver afin que je lui donne plus de témoignages d'abandon et d'amour.

15

à moi seule

... Vous êtes toujours là, pour me consoler... Vous remplissez de douceur mes derniers jours.

Le 11 juillet

1

Elle récite toute la strophe :
«Puisque le Fils de Dieu a voulu que sa Mère »
Fût soumise à la nuit, à l'angoisse du coeur,
Alors, c'est donc un bien de souffrir sur la terre ?
etc. . . . . . . . .. . . . . . . . . .

Vous ne voyez donc plus la « Voleuse » ?

Mais si, je la vois ! Vous ne comprenez pas ! Elle est bien libre de ne pas me voler... Ah ! «j'ai regardé à ma droite... et il n'y a personne qui me connaisse»... le bon Dieu seul peut me comprendre.

2

Pendant Matines

Elle me parla de ses oraisons d'autrefois, le soir pendant le silence d'été, et me dit avoir compris alors par expérience ce que c'est qu'un « vol d'esprit ». Elle me parla d'une autre grâce de ce genre reçue dans la grotte de Ste Madeleine, au mois de juillet 1889, grâce qui fut suivie de plusieurs jours de 'quiétude'.

... Il y avait comme un voile jeté pour moi sur toutes les choses de la terre... J'étais entièrement cachée sous le voile de la Sainte Vierge. En ce temps là, on m'avait chargée du réfectoire et je me rappelle que je faisais les choses comme ne les faisant pas, c'était comme si on m'avait prêté un corps. Je suis restée ainsi pendant une semaine entière.

3

Je lui parlais de manuscrit de sa Vie, du bien qu'il ferait aux âmes.

... Mais comme on verra bien que tout vient du bon Dieu ; et ce que j'en aurai de gloire, ce sera un don gratuit qui ne m'appartiendra pas ; tout le monde le verra bien...

4

Elle me parla de la Communion des Saints et m'expliqua comment les biens des uns seront les biens des autres.

... Comme une mère est fière de ses enfants, ainsi le serons-nous les uns des autres sans la moindre jalousie.

5

Hélas ! comme j'ai peu vécu ! La vie m'a toujours semblé très courte. Mes jours d'enfance, il me semble que c'était hier.

6

On pourrait croire que c'est parce que je n'ai pas péché que j'ai une confiance si grande dans le bon Dieu. Dites bien, ma Mère, que, si j'avais commis tous les crimes possibles, j'aurais toujours la même confiance, je sens que toute cette multitude d'offenses serait comme une goutte d'eau jetée dans un brasier ardent. Vous raconterez ensuite l'histoire de la pécheresse convertie qui est morte d'amour ; les âmes comprendront tout de suite, car c'est un exemple si frappant de ce que je voudrais dire, mais ces choses ne peuvent s'exprimer.

7

Dans la soirée, elle répéta ces vers de « La jeune poitrinaire » je crois. Elle le fit avec un air si doux...

... Mes jours sont condamnés, je vais quitter la terre
Je vais vous dire adieu sans espoir de retour ;
Vous qui m'avez aimé, bel Ange tutélaire,
Laissez tomber sur moi vos doux regards d'amour.
Quand vous verrez tomber, tomber les feuilles mortes
Si vous m'avez aimé, vous prierez Dieu pour moi.

8

... Très grande paix dans mon âme... Ma petite barque est remise à flot. Je sais que je n'en reviendrai pas, mais je suis résignée à rester malade plusieurs mois, tant que le bon Dieu voudra.

9

Comme le bon Dieu vous a favorisée ! Qu'est-ce que vous pensez de cette prédilection?

Je pense que «l'Esprit de Dieu souffle où il veut».

Le 12 juillet

1

Elle me raconta qu'autrefois elle avait eu à subir un rude combat à propos d'une veilleuse à préparer pour la famille de Mère Marie de Gonzague qui venait d'arriver inopinément pour coucher chez les soeurs tourières. La lutte était si violente et il lui venait de telles pensées contre l'autorité, que, pour ne pas y succomber elle dut implorer avec instance le secours du bon Dieu. En même temps, elle s'appliqua de son mieux à ce qui lui avait été demandé. C'était pendant le silence du soir. Elle était portière et Sr St Rapahël était sa première d'emploi.

Pour me vaincre, je pensai que je préparais la veilleuse pour la Ste Vierge et l'Enfant-Jésus ; alors je le faisais avec un soin incroyable, n'y laissant aucun grain de poussière, et peu à peu j'ai senti un grand apaisement et une grande douceur. Matines sonnèrent et je ne pus y aller de suite, mais je me sentais dans une telle disposition, j'avais reçu une telle grâce que si ma Sr St Raphaël était venue et m'avait dit, par exemple, que je m'étais trompée de lampe, qu'il fallait en préparer une autre, c'est avec bonheur que je lui aurais obéi. A partir de ce jour, j'ai pris la résolution de ne jamais considérer si les choses commandées me paraissaient utiles ou non.

2

Sr Marie de l'Eucharistie disait que j'étais admirable...

... Mère admirable ! Oh ! non, plutôt Mère aimable, parce que l'amour vaut mieux que l'admiration.

3

A Mère Marie de Gonzague:

Rien ne tient aux mains. Tout ce que j'ai, tout ce que je gagne, c'est pour l'Eglise et les âmes. Que je vive jusqu'à 80 ans, je serai toujours aussi pauvre.

Le 13 juillet

1

Je vois bien qu'il faudra que je veille aux fruits quand je serai au Ciel, mais faudra pas tuer les petits oiseaux, ou bien, on ne vous enverra pas d'aumônes.

Brandissant le bras gentiment vers l'image du petit Jésus :

Oui, oui !...

2

Il faudra que le bon Dieu fasse toutes mes volontés au Ciel, parce que je n'ai jamais fait ma volonté sur la terre.

3

Vous nous regarderez du haut du Ciel n'est-ce pas ?

Non, je descendrai !

4

Pendant la nuit elle avait composé le couplet pour la Communion :

Toi qui connais, etc.

A ce propos, elle me dit :

Je l'ai composé bien facilement, c'est extraordinaire ; je croyais que je ne pouvais plus faire de vers.

5

Je ne dis pas : «S'il est dur de vivre au Carmel, il est doux d'y mourir» mais : «S'il est doux de vivre au Carmel, il est encore plus doux d'y mourir.»

6

Le médecin l'avait trouvée mieux qu'à l'ordinaire.

Tenant ensuite son côté dont elle souffrait beaucoup :

Oui, oui, ça va mieux qu'à l'ordinaire !...

7

Il me semblait qu'elle avait le coeur gros, malgré son air gai et content et je lui dis :

C'est pour ne pas nous attrister que vous prenez cet air et dites des paroles gaies, n'est-ce pas ?

... J'agis toujours sans «feintise»...

8

On lui offrait du vin de Baudon.

Je ne veux plus du vin de la terre... je veux boire du vin nouveau dans le royaume de mon Père.

9

... Quand ma Sr Geneviève venait au parloir, je ne pouvais pas lui dire en une demi-heure tout ce que j'aurais voulu. Alors, dans la semaine, quand j'avais une lumière ou bien si je regrettais d'avoir oublié de lui dire quelque chose, je demandais au bon Dieu de lui faire savoir et comprendre ce que je pensais, et, au prochain parloir, elle me disait juste ce que j'avais demandé au bon Dieu de lui faire savoir.

... Au commencement, quand elle avait de la peine et que je n'avais pu réussir à la consoler, je m'en allais le coeur navré, mais je compris bientôt que ce n'était pas moi qui pouvais consoler une âme ; et alors je n'avais plus de chagrin quand elle était partie toute triste. Je demandais au bon Dieu de suppléer à mon impuissance et je sentais qu'il m'exauçait ; je m'en rendais compte au parloir d'après... Depuis ce temps-là, quand j'ai fait de la peine involontairement, je demande au bon Dieu de réparer cela et je ne me tourmente plus.

10

Je vous demande de faire un acte d'amour au bon Dieu et une invocation à tous les saints ; ils sont tous mes «petits» parents là-haut.

11

... Je désire qu'on m'achète trois petits sauvages : un petit Marie-Louis-Martin, un petit Marie-Théophane ; une petite fille entre les deux qui s'appelle Marie-Cécile.

Après un moment :

Une petite Marie-Thérèse en plus.

(Au lieu de laisser dépenser de l'argent pour acheter des couronnes après sa mort.)

12

Elle me parla encore de la Communion des Saints.

... Avec les vierges, nous serons comme les vierges ; avec les docteurs comme les docteurs ; avec les martyrs comme les martyrs, parce que tous les Saints sont nos parents ; mais ceux qui auront suivi la voie d'enfance spirituelle garderont toujours les charmes de l'enfance.

(Elle me développa ces pensées)

13

... Depuis mon enfance, le bon Dieu m'a donné le sentiment profond que je mourrais jeune.

14

...En me regardant avec tendresse :

Vous avez un figure !... «pis»... vous l'aurez toujours... Je vous reconnaîtrai bien, allez !

15

Le bon Dieu m'a toujours fait désirer ce qu'il voulait me donner.

16

A nous trois :

Ne croyez pas que lorsque je serai au Ciel je vous ferai tomber des alouettes rôties dans le bec... Ce n'est pas ce que j'ai eu ni ce que j'ai désiré avoir. Vous aurez peut-être de grandes épreuves, mais je vous enverrai des lumières qui vous les feront apprécier et aimer. Vous serez obligées de dire comme moi : «Seigneur, vous nous comblez de joie par tout ce que vous faites.»

17

Ne vous figurez pas que j'éprouve pour mourir une joie vive, comme par exemple j'en éprouvais autrefois d'aller passer un mois à Trouville ou à Alençon ; je ne sais plus ce que c'est que les joies vives. D'ailleurs je ne me fais pas une fête de jouir, ce n'est pas cela qui m'attire. Je ne puis pas penser beaucoup au bonheur qui m'attend au Ciel ; une seule attente fait battre mon coeur, c'est l'amour que je recevrai et celui que je pourrai donner. Et puis je pense à tout le bien que je voudrais faire après ma mort : faire baptiser les petits enfants, aider les prêtres, les missionnaires, toute l'Eglise...

... mais d'abord consoler mes petites soeurs...

... Ce soir j'entendais une musique dans le lointain et je pensais que bientôt j'entendrais des mélodies incomparables, mais ce sentiment de joie n'a été que passager.

18

Je lui demandais de me préciser ses emplois au Carmel.

Dès mon entrée au Carmel, j'ai été mise à la lingerie avec Mère Sous-prieure (Sr Marie des Anges), j'avais de plus l'escalier et le dortoir à balayer.

... Je me rappelle que cela me coûtait beaucoup de demander à Notre Maîtresse de faire des mortifications au réfectoire, mais je n'ai jamais cédé à mes répugnances, il me semblait que le crucifix du préau que je voyais par la fenêtre de la lingerie se tournait vers moi pour me demander ce sacrifice.

C'est à cette époque que j'allais arracher de l'herbe à 4 h. ½, ce qui mécontentait Notre Mère.

Après ma prise d'habit, j'ai été mise au réfectoire jusqu'à l'âge de 18 ans, je le balayais et je mettais l'eau et la bière. Aux Quarante-Heures en 1891, j'ai été mise à la sacristie avec ma Sr St Stanislas. A partir du mois de juin de l'année suivante, je suis restée deux mois sans emploi, c'est-à-dire que pendant ce temps, j'ai peint les anges de l'oratoire et j'ai été tierce de la dépositaire. Après ces deux mois j'ai été mise au tour avec ma Sr St Raphaël, tout en gardant la peinture. Ces deux emplois jusqu'aux élections de 1896 où j'ai demandé d'aider ma Sr M. de St Joseph à la lingerie, dans les circonstances que vous savez...

Elle me raconta ensuite comme on la trouvait lente, peu dévouée dans les emplois, que moi-même je le crus ; et, en effet nous nous rappelâmes ensemble combien je la grondai fort pour une nappe du réfectoire qu'elle avait gardée longtemps dans son panier sans la raccommoder. Je l'accusais de négligence et je me trompais, car c'est le temps qui lui avait manqué. Cette fois, sans s'excuser du tout, elle avait beaucoup pleuré, me voyant attristée et très mécontente... Est-ce possible !!!

Elle me dit encore ce qu'elle avait souffert au réfectoire avec moi (j'étais sa première d'emploi alors) ne pouvant me dire ses petites affaires comme autrefois, parce qu'elle n'en avait pas la permission, et pour d'autres raisons...

Si bien que vous en étiez venue à ne plus me connaître ajouta-t-elle.

Elle me parla de la violence qu'elle se faisait pour enlever les toiles d'araignées du trou noir de St Alexis sous l'escalier (elle avait horreur des araignées) et mille autres détails qui me prouvaient combien elle avait été fidèle en tout et ce qu'elle avait souffert sans que personne ne s'en doute.

Le 14 juillet

1

J'ai lu autrefois que les Israélites bâtirent les murs de Jérusalem, travaillant d'une main et tenant une épée de l'autre. C'est cela que nous devons faire : ne point nous livrer entièrement à l'ouvrage... etc.

2

Si j'avais été riche, il m'aurait été impossible de voir un pauvre ayant faim sans lui donner aussitôt de mes biens. Ainsi à mesure que je gagne quelque trésor spirituel, sentant qu'au même instant des âmes sont en danger de se perdre et de tomber en enfer, je leur donne tout ce que je possède, et je n'ai pas encore trouvé un moment pour me dire : Maintenant je vais travailler pour moi.

3

Elle se mit à répéter avec un air et un accent célestes la strophe de « Rappelle-toi » qui commence par ces mots:
Rappelle-toi que ta volonté sainte
Est mon repos, mon unique bonheur.

4

Ce n'est pas la peine que ça paraisse (mourir d'amour) pourvu que ce soit !

5

Toujours ce que le bon Dieu m'a donné m'a plu, au point que s'il m'avait donné à choisir, c'est cela que j'aurai choisi, même les choses qui me paraissent moins bonne et moins belles que celles que les autres avaient.

6

Oh ! quel poison de louanges j'ai vu servir à la Mère Prieure ! Comme il faut qu'une âme soit détachée et élevée au dessus d'elle-même pour ne pas en éprouver de mal !

7

Dans sa visite, le docteur avait redonné un peu d'espoir, mais elle n'en éprouva plus de peine et nous dit :

J'y suis habituée maintenant ! Mais qu'est-ce que cela me fait de rester longtemps malade ! C'est pour vous épargner des angoisses que je désirerais que cela soit vite fait.

8

Oh ! je vous aime beaucoup, ma petite Mère !

9

Mon coeur est plein de la volonté du bon Dieu, aussi, quand on verse quelque chose par dessus, cela ne pénètre pas à l'intérieur ; c'est un rien qui glisse facilement, comme l'huile qui ne peut se mélanger avec l'eau. Je reste toujours au fond dans une paix profonde que rien ne peut troubler.

10

En regardant ses mains amaigries :

Oh ! que j'éprouve de joie à me voir me détruire !

Le 15 juillet

1

Vous mourrez peut-être demain, (fête de N.D. du Mont Carmel)après la communion.

Oh ! cela ne ressemblerait pas à me petite voie. J'en sortirais donc pour mourir ? Mourir d'amour après la Communion, c'est trop beau pour moi ; les petites âmes ne pourraient imiter cela.

Pourvu seulement qu'il ne m'arrive pas d'accident demain matin ! C'est des affaires de ce genre là qui peuvent m'arriver à moi : Impossible de me donner la Communion, le bon Dieu obligé de s'en retourner ; voyez-vous cela !

2

Elle me parla du Bx Théophane Vénard qui n'avait pu recevoir la Sainte Communion au moment de sa mort, et poussa un profond soupir...

3

Nous avions fait des préparatifs pour sa Communion du lendemain. Le neveu de Sr M. Philomène devait entrer après sa première Messe au Carmel pour lui donner la Communion ; mais la voyant plus malade, nous avions peur d'un crachement de sang après minuit et lui demandions de prier afin que rien de fâcheux ne vienne entraver nos projets. Elle répondit :

Vous savez bien que moi, je ne peux pas demander... mais vous demandez-le pour moi... Enfin, ce soir, je le demandais tout de même au bon Dieu pour faire plaisir à mes petites soeurs, pour que la Communauté n'ait pas de déception, mais au fond je lui dis tout le contraire, je lui dis de faire tout ce qu'il voudra...

4

En nous voyant orner l'infirmerie :

Ah ! comme on se donne de mal pour apprêter tout ce qu'il faut ! Comme c'est bien les fêtes de la terre ! Aux petites premières communiantes, on apporte leur belle robe blanche le matin, elles n'ont plus qu'à s'en revêtir ; toute la peine qu'on a prise pour elles leur est cachée, elles n'ont que de la joie. Ce n'est plus la même chose quand on grandit...

5

Elle me raconta le trait suivant dont le souvenir lui restait comme une grâce :

Sr Marie de l'Eucharistie voulait allumer les cierges pour une procession ; elle n'avait pas d'allumette, mais voyant la petite lampe qui brûle devant les reliques, elle s'en approche. Hélas ! elle la trouve à demi éteinte, il ne reste plus qu'une faible lueur sur la mèche carbonisée. Elle réussit cependant à allumer son cierge et, par ce cierge, tous ceux de la Communauté se trouvèrent allumés. C'est donc cette petite lampe à demi éteinte qui a produit ces belles flammes qui, à leur tour, peuvent en produire une infinité d'autres et même embraser l'univers. Pourtant ce serait toujours à la petite lampe qu'on devrait la première cause de cet embrasement. Comment les belles flammes pourraient-elles se glorifier, sachant cela, d'avoir fait un incendie pareil, puisqu'elles n'ont été allumées que par correspondance avec la petite étincelle ?...

Il en est de même pour la Communion des Saints. Souvent, sans le savoir, les grâces et les lumières que nous recevons sont dues à une âme cachée, parce que le bon Dieu veut que les Saints se communiquent les uns aux autres la grâce par la prière, afin qu'au Ciel ils s'aiment d'un grand amour, d'un amour bien plus grand encore que celui de la famille, même la famille la plus idéale de la terre. Combien de fois ai-je pensé que je pouvais devoir toutes les grâces que j'ai reçues aux prières d'une âme qui m'aurait demandée au bon Dieu et que je ne connaîtrai qu'au Ciel.

Oui, une toute petite étincelle pourra faire naître de grandes lumières dans toute l'Eglise, comme des docteurs et des martyrs qui seront sans doute bien au dessus d'elle au Ciel ; mais comment pourrait-on penser que leur gloire ne deviendra pas la sienne ?

. . . . . . . . . .

Au Ciel on ne rencontrera pas de regards indifférents, parce que tous les élus reconnaîtront qu'ils se doivent entre eux les grâces qui leur ont mérité la couronne.

(La conversation était trop longue je n'ai pu prendre tout, ni le mot à mot.)

Le 16 juillet

1

- J'ai peur que pour mourir vous souffriez beaucoup...

- Pourquoi avez-vous peur d'avance ? attendez au moins que cela arrive pour avoir de la peine. Voyez-vous que je me mette à me tourmenter en pensant que s'il survient des persécutions et des massacres, comme c'est prédit, on vous arrachera peut-être les yeux !

2

J'avais fait le complet sacrifice de Sr Geneviève, mais je ne puis pas dire que je ne la désirais plus. Bien souvent l'été, pendant l'heure du silence avant Matines, étant assise sur la terrasse, je me disais : Ah ! si ma Céline était là près de moi ! Mais non ! ce serait un trop grand bonheur pour la terre !

... Et cela me semblait un rêve irréalisable. Pourtant ce n'était point par nature que je désirais ce bonheur, c'était pour son âme, pour qu'elle marche par notre voie... Et quand je l'ai vue entrer ici, et non seulement entrer, mais donnée à moi complètement pour l'instruire de toutes choses ; quand j'ai vu que le bon Dieu faisait cela, dépassant ainsi mes désirs, j'ai compris quelle immensité d'amour il a pour moi...

... Eh bien, ma petite Mère, si un désir à peine exprimé est ainsi comblé, il est donc impossible que tous mes grands désirs dont je parle si souvent au bon Dieu ne soient pas complètement exaucés.

3

Elle me répéta d'un air convaincu cette parole qu'elle avait lue dans les 'Petites Fleurs', livre de l'Abbé Bourb.

Les saints des derniers temps surpasseront autant ceux des premiers que les cèdres surpassent les autres arbres.

4

Vous connaissez tous les replis de ma petite âme, vous seule...

5

D'un air d'enfant qui a une gentille malice en tête :

Je voudrais vous donner un témoignage d'amour que personne ne vous ait jamais donné...

Je me demandais ce qu'elle allait faire... Et voilà que [Mère Agnès a gratté la suite !]

6*

Si le bon Dieu me disait : Si tu meurs maintenant, tu auras une très grande gloire ; si tu meurs à 80 ans, la gloire sera bien moins grande, mais cela me fera beaucoup plus de plaisir. Oh ! alors je n'hésiterais pas à répondre : «Mon Dieu, je veux mourir à 80 ans, car je ne cherche pas ma gloire, mais seulement votre plaisir.»

Les grands saints ont travaillé pour la gloire du bon Dieu, mais moi qui ne suis qu'une toute petite âme, je travaille pour son unique plaisir, et je serais heureuse de supporter les plus grandes souffrances, quand ce ne serait que pour le faire sourire même une seule fois.

Le 17 juillet

Samedi - A 2 heures du matin elle avait craché le sang.

Je sens que je vais entrer dans le repos... Mais je sens surtout que ma mission va commencer, ma mission de faire aimer le bon Dieu comme je l'aime, de donner ma petite voie aux âmes. Si le bon Dieu exauce mes désirs, mon Ciel se passera sur la terre jusqu'à la fin du monde. Oui, je veux passer mon Ciel à faire du bien sur la terre. Ce n'est pas impossible, puisqu'au sein même de la vision béatifique, les Anges veillent sur nous.

Je ne puis pas me faire une fête de jouir, je ne peux pas me reposer tant qu'il y aura des âmes à sauver... Mais lorsque l'Ange aura dit : «Le temps n'est plus!» alors je me reposerai, je pourrai jouir, parce que le nombre des élus sera complet et que tous seront entrés dans le joie et le repos. Mon coeur tressaille à cette pensée...

Le 18 juillet

1

... Le bon Dieu ne me donnerait pas ce désir de faire du bien sur la terre après ma mort, s'il ne voulait pas le réaliser ; il me donnerait plutôt le désir de me reposer en lui.

2

Je n'ai que des incommodités à supporter, pas des souffrances.

Le 19 juillet

1

-« Je vais aller arroser ce soir. » (C'était au commencement de la récréation)

... Mais... faudrait bien aussi que vous m'arrosiez !

- Qu'est-ce que vous êtes ?

- Je suis une petite graine, on ne sait pas encore ce qui en sortira...

2

J'avais bien envie tantôt de demander à Sr Marie du S.C. qui revenait du parloir à Mr Youf, ce qu'il avait dit de mon état après sa visite. Je pensais en moi-même : Cela va peut-être me faire du bien, me consoler de le savoir ; mais, en réfléchissant, je me suis dit : Non, c'est de la curiosité, je ne veux rien faire pour le savoir ; puisque le bon Dieu ne permet pas qu'elle me le dise d'elle-même, c'est signe qu'il ne veut pas que je le sache. Et j'ai évité de ramener la conversation sur ce sujet, de peur que ma Sr Marie du Sacré Coeur ne me le dise comme forcément ; je n'aurais pas été heureuse...

3

Elle me dit qu'elle s'était recherchée en essuyant son visage une fois de plus qu'il n'était nécessaire, pour que Sr Marie du S.C. s'aperçoive qu'elle transpirait beaucoup.

Le 20 juillet

1

(Le matin à 3 heures, elle avait craché le sang.)

« Qu'auriez-vous fait si l'une de nous avait été malade à votre place ? Seriez-vous venue à l'infirmerie pendant les récréations ? »

- J'aurais été tout droit à la récréation sans demander aucune nouvelle, mais j'aurais fait cela bien simplement pour que personne ne s'aperçoive de mon sacrifice. Si j'étais venue à l'infirmerie, je l'aurais fait pour faire plaisir, jamais pour me satisfaire.

... tout cela pour accomplir mon petit devoir et pour vous attirer des grâces que la recherche de moi-même ne vous aurait pas bien sûr attirées. Et moi-même, j'aurais retiré de ces sacrifice une grande force. Si quelquefois, par faiblesse, j'avais fait le contraire de ce que je voulais, je ne me serais pas découragée, j'aurais tâché de réparer mes manquements en me privant encore davantage sans que cela paraisse.

2

Le bon Dieu se fait représenter par qui il veut, mais cela n'a pas d'importance... Avec vous, il y aurait eu un côté humain ; j'aime mieux qu'il n'y ait que du divin. Oui, je le dis du fond du coeur, je suis heureuse de mourir entre les bras de Notre Mère, parce qu'elle représente le bon Dieu.

3

... Le péché mortel ne m'enlèverait pas la confiance.

... Ne pas oublier de raconter l'histoire de la pécheresse surtout ! C'est cela qui prouvera que je ne me trompe pas.

4

Je lui disais que je redoutais pour elle les angoisses de la mort.

Si vous entendez par les angoisses de la mort des souffrances terribles qui se manifestent au dernier moment par des signes effrayants pour les autres, je ne les ai toujours jamais vues ici, dans celles qui sont mortes sous mes yeux. Mère Geneviève les a eues pour l'âme, mais pas pour le corps.

5

Vous ne savez pas à quel point je vous aime et je vous le prouverai...

6

On me harcèle de questions, cela me fait penser à Jeanne d'Arc devant son tribunal ! Il me semble que je réponds avec la même sincérité.

Le 21 juillet

1

Quand je vous vois, ma petite Mère, cela me fait un grand bonheur ; jamais vous ne me fatiguez au contraire. Je le disais tantôt : tandis que si souvent je suis obligée de donner, c'est vous qui m'apportez...

2

Si le bon Dieu me gronde, même un tout petit peu, je ne pleurerai pas d'attendrissement... mais s'il ne me gronde pas du tout, s'il m'accueille avec un sourire, je pleurerai...

3

Oh ! je voudrais connaître au Ciel l'histoire de tous les saints ; mais il ne faudra pas qu'on me la raconte, parce que ce serait trop long. Il faudra qu'en abordant un saint, je connaisse son nom et toute sa vie dans un seul coup d'oeil.

4

Je n'ai jamais fait comme Pilate qui refusa d'entendre la vérité. J'ai toujours dit au bon Dieu : O mon Dieu, je veux bien vous entendre, je vous en supplie, répondez-moi quand je vous dis humblement : Qu'est-ce que la vérité ? Faites que je voie les choses telle qu'elles sont, que rien ne me jette de poudre aux yeux.

5

Nous lui disions qu'elle était bien heureuse d'être choisie par le bon Dieu pour montrer aux âmes la voie de confiance. Elle répondit :

Qu'est-ce que cela me fait que ce soit moi ou une autre qui donne cette voie aux âmes ; pourvu qu'elle soit montrée, qu'importe l'instrument !

Le 22 juillet

1

Sr Marie du Sacré Coeur lui disait : »Allez ! vous êtes soignée avec beaucoup d'amour... »

Oui, je le vois bien... C'est une image de l'amour que le bon Dieu a pour moi. Je ne lui ai jamais donné que de l'amour, alors il me rend de l'amour, et ce n'est pas fini, il m'en rendra davantage bientôt...

Je suis bien touchée, c'est comme un rayon ou plutôt un éclair au milieu de mes ténèbres... mais seulement comme un éclair !

2

Elle me répéta en souriant cette parole que M. Youf lui avait dite après sa confession :

Si les anges balayaient le Ciel, la poussière serait faite de diamants.

Le 23 juillet

1

On lui parlait d'associations :

Je suis si près du Ciel que tout cela me semble triste.

2

L'une de nous lui avait dit et lu quelque chose et pensait l'avoir beaucoup consolée et réjouie dans sa grande épreuve.

-N'est-ce pas que votre épreuve a cessé pour un moment ?

- Non ! C'est comme si vous chantiez !

3

Je lui disais toujours cette crainte qui ne me quittait pas de la voir souffrir davantage encore.

Nous qui courons dans la voie de l'Amour, je trouve que nous ne devons pas penser à ce qui peut nous arriver de douloureux dans l'avenir, car alors c'est manquer de confiance et c'est comme se mêler de créer.

4

... Au moment des épreuves de papa, j'avais un désir violent de la souffrance... Un soir que je le savais plus malade, Sr M. des Anges me voyant bien triste, me consolait de son mieux ; mais je lui dis : «O ma Sr M. des Anges, je sens que je puis encore souffrir davantage!» Elle me regarda tout étonnée et me le rappelait souvent depuis.

Sr M. des Anges, en effet, n'a jamais oublié cette soirée. Notre petite sainte encore postulante était près de se coucher, assise sur sa paillasse en chemise de nuit avec ses beaux cheveux sur les épaules. »Son regard, dit-elle, et toute sa personne avaient quelque chose de si noble, de si beau, que je crus voir une vierge du Ciel. »

5

Je me souviens qu'un jour au plus fort de nos épreuves, je rencontrai Sr Marie du S.C. après avoir balayé l'escalier du dortoir (du côté de la lingerie). Nous avions la permission de parler et elle m'arrêta. Alors je lui dis que j'avais beaucoup de force et qu'à ce moment je pensais à cette parole de Mme Swetchine qui me pénétrait tellement que j'en était comme embrasée : «La résignation est encore distincte de la volonté du bon Dieu; il y a la même différence qu'entre l'union et l'unité. Dans l'union, on est encore deux, dans l'unité, on est plus qu'un.»

(Je ne sais si c'est tout à fait textuel)

6

On m'avait obligée de demander la guérison de papa le jour de ma profession ; mais il me fut impossible de dire autre chose que cela : Mon Dieu, je vous en supplie, que ce soit votre volonté que papa guérisse !

7

... «In te Domine speravi!» Au moment de nos grandes peines, que j'étais heureuse de dire ce verset au Choeur !

Le 24 juillet

1

On lui avait envoyé de beaux fruits, mais elle n'en pouvait manger. Elle les prit les uns après les autres comme pour les offrir à quelqu'un et dit :

La Sainte Famille a été bien servie. St Joseph et le petit Jésus ont eu chacun une pêche et deux prunes.

A demi voix, m'interrogeant :

Ce n'est pas bien peut-être, mais je les ai touchés avec satisfaction ? Cela me fait beaucoup de plaisir de toucher aux fruits, surtout aux pêches, et de les voir de près.

Je la rassurai et elle continua :

La Sainte Vierge a eu sa part aussi. Quand on me donne du lait avec du rhum, je l'offre à St Joseph ; je me dis : Oh ! que cela va faire de bien au pauvre St Joseph !

Au réfectoire, je voyais toujours à qui il fallait donner. Le doux c'était pour le petit Jésus, le fort pour St Joseph, la Sainte Vierge n'était pas oubliée non plus. Mais quand je manquais de quelque chose, par exemple quand on oubliait de me passer de la sauce, de la salade, j'étais bien plus contente parce qu'il me semblait donner pour de bon à la Ste Famille, étant privée réellement de ce que j'offrais.

2

... Quand le bon Dieu veut qu'on soit privé de quelque chose, il n'y a pas moyen, il faut en passer par là. Quelquefois, Sr Marie du Sacré Coeur posait mon plat de salade si près de Sr Marie de l'Incarnation que je ne pouvais plus le considérer comme à moi, et je n'y touchais pas.

Ah ! ma petite Mère, et quelle «savate» d'omelette on m'a servie dans ma vie ! On croyait que je l'aimais ainsi toute desséchée. Il faudra faire bien attention après ma mort à ne pas donner cette saleté aux pauvres soeurs.

Le 25 juillet

1

Je lui disais que je finissais par désirer sa mort pour ne plus la voir tant souffrir.

... Oui mais, il ne faut pas dire cela, ma petite Mère, car souffrir c'est justement ce qui me plaît de la vie.

2

Est-ce que c'est la saison des pêches tout à fait ? Est-ce qu'on crie les prunes dans la rue ? Je ne sais plus ce qui se passe.

«Quand on arrive à son déclin,

«On perd la mémoire et la tête.»

3

Mon Oncle lui avait envoyé du raisin. Elle en mangea un peu et dit :

Qu'il est bon ce raisin là ! Mais je n'aime pas ce qui me vient de ma famille... Autrefois, quand on m'apportait de sa part des bouquets pour mon petit Jésus, je ne voulais jamais les prendre sans être bien sûre que Notre Mère l'avait dit.

4

Sur sa demande, je lui faisais baiser son Crucifix et le lui présentais comme on le fait d'habitude.

... Ah ! mais, moi, c'est la figure que j'embrasse !

Regardant ensuite l'image de l'Enfant Jésus (que Sr M. de la Trinité a rapportée du Carmel de Messine°.

Ce petit Jésus là, il semble me dire : «Tu viendras au Ciel, c'est moi qui te le dis!»

5

Où donc est le Voleur maintenant ? On n'en parle plus. Elle répondit en mettant la main sur son coeur :
Il est là ! Il est dans mon coeur.

6

Je lui disais que la mort était bien triste en apparence et que j'aurais tant de peine de la voir morte. Elle me répondit d'une voix attendrie :

La Sainte Vierge a bien tenu son Jésus mort sur ses genoux, défiguré, sanglant ! C'était autre chose que ce que vous verrez ! Ah ! je ne sais pas comment elle a fait !... Je suppose qu'on me rapporte à vous en cet état, que deviendriez-vous ? Responde mihi ?...

7

Après m'avoir confié plusieurs petites choses qu'elle se reprochait, elle me demanda si elle avait offensé le bon Dieu. Je lui répondis simplement que tous ces petits péchés là n'en étaient pas et qu'elle m'avait fait du bien en me les racontant ; alors elle parut très touchée et me dit un peu plus tard :

En vous entendant je me suis rappelée le Père Alexis : vos paroles ont pénétré aussi avant dans mon coeur.

Et elle se mit à pleurer ; j'ai recueilli ses larmes en les essuyant avec un linge fin. (Sr Geneviève garde cette relique )

8

Sr Geneviève lui présentait une petite fleur de géranium qui était depuis longtemps sur la table, afin qu'elle la jette à ses images épinglées au rideau du lit :

... Jamais lancer de petites fleurs fanées... rien que des petites fleurs «fraîches écloses».

9

On lui proposait une distraction mais trop bruyante. Elle répondit en souriant :

... Pas de jeux de garçons !.. Pas de jeux de petites filles non plus ; seulement des jeux de petits anges.

10

... Je regarde le raisin et je me dis : C'est joli ça, et ça à l'air bon. Puis j'en mange un grain ; celui-là je ne le donne pas au petit Jésus, c'est lui qui me le donne.

11

Je suis comme un vrai petit enfant pendant ma maladie ; je ne pense rien ; je suis contente d'aller au Ciel, voilà tout !

12

... La première fois qu'on m'a donné du raisin à l'infirmerie j'ai dit au petit Jésus : Que c'est bon le raisin ! Je ne comprends pas que vous attendiez si longtemps pour me prendre, puisque je suis une petite grappe de raisin et qu'on dit que je suis si mûre !

13

A propos des directions spirituelles :

... Je pense qu'il faut bien faire attention à ne pas se rechercher car on aurait le coeur blessé ensuite et l'on pourrait dire avec vérité : «Les gardes m'ont enlevé mon manteau, ils m'ont blessée... ce n'est qu'après les avoir dépassés un peu que j'ai trouvé mon Bien-Aimé».

Je pense que, si l'âme avait humblement demandé aux gardes où était son Bien-Aimé, ils lui auraient indiqué où il se trouvait, mais pour avoir voulu se faire admirer, elle est tombée dans le trouble, elle a perdu la simplicité du coeur.

14

... Vous, vous êtes ma lumière.

15

Ecoutez une petite histoire bien risible : Un jour, après ma prise d'habit, Sr St Vincent de Paul me voit chez Notre Mère et s'écrie : «Oh! quelle figure de prospérité! Est-elle forte cette grande fille! est-elle grosse!» Je m'en allais tout humiliée du compliment quand Sr Madeleine m'arrête devant la cuisine et me dit : «Mais qu'est-ce que vous devenez donc, ma pauvre petite Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus! Vous maigrissez à vue d'oeil! Si vous y allez de ce train là, avec cette mine qui fait trembler, vous ne suivrez pas longtemps la règle!» Je n'en pouvais revenir d'entendre l'une après l'autre des appréciations si opposées. Depuis ce moment je n'ai plus du tout attaché d'importance à l'opinion des créatures et cette impression s'est tellement développée en moi qu'à présent les blâmes, les compliments, tout glisse sur moi sans laisser la plus légère empreinte.

Le 26 juillet

1

J'ai rêvé cette nuit que j'étais dans un bazar avec papa, et là je voyais de jolies petites pelotes blanches qui me tentaient pour mettre mes épingles ; mais à la fin je me suis dit qu'on en faisait de pareilles au Carmel et j'ai demandé une petite musique.

2

Elle me dit que vers le 8 Déc.1892 elle s'était occupée de Sr Marthe ; qu'en 1893 elle avait aidé Mère Marie de Gonzague au noviciat et qu'à la dernière élection en 1896 elle s'était vue pour ainsi dire chargée complètement des novices.

3

... La vertu brille naturellement, aussitôt qu'elle n'est plus là, je le vois.

Le 27 juillet

1

Elle ne voulait pas que j'oublie les gouttes d'un médicament qui m'avait été ordonné.

... Oh ! il faut vous fortifier ; 30 gouttes ce soir, n'oubliez pas !

2

Nous vous fatiguons ?

Non, parce que vous êtes du monde très gentil.

3

Elle nous raconta en riant qu'elle avait rêvé qu'on la portait au chauffoir entre deux flambeaux pour la fête de Notre Père.

4

La communauté était à la lessive.

... Vers une heure je me suis dit : elles sont bien fatiguées à la lessive ! Et j'ai prié le bon Dieu pour qu'il vous soulage toutes, pour que l'ouvrage se fasse dans la paix, dans la charité. Quand je me suis vue si malade, j'ai éprouvé de la joie d'avoir à souffrir comme vous.

5

Le soir elle me rappela la parole de St Jean de la Croix :

«Rompez la toile de cette douce rencontre.» J'ai toujours appliqué cette parole à la mort d'amour que je désire. L'amour n'usera pas la toile de ma vie, il la rompra tout à coup.

Avec quel désir et quelle consolation je me suis répété dès le commencement de ma vie religieuse ces autres paroles de N.P. St Jean de la Croix : «Il est de la plus haute importance que l'âme s'exerce beaucoup à l'Amour afin que, se consommant rapidement, elle ne s'arrête guère ici-bas mais arrive promptement à voir son Dieu face à face.»

En répétant ces dernières paroles elle leva son doigt et prit un air céleste.

6

A propos des difficultés que je prévoyais pour la publication de sa vie.

... Eh bien, je dis comme Jeanne d'Arc : «...Et la volonté de Dieu s'accomplira malgré la jalousie des hommes.»

7

- Je ne verrai bientôt plus votre petite figure aimée ! Je ne verrai plus que votre petite âme.

- Elle est bien plus belle !

8

- Quand on pense que nous allons vous perdre !

- Mais vous ne me perdrez pas... point fines !...

9

A Sr Geneviève qui pleurait :

- E'voit bien qu'c'est ça qui lui pend au bout du nez (la mort) la v'la saisie d'peur maintenant !

10

Après avoir offert une grappe de raisin à l'Enfant Jésus :

Je lui ai offert cette grappe là pour lui donner envie de me prendre, parce que je crois que je suis de cette espèce là...

La peau n'était pas dure et il était très doré - Goûtant un grain :

Oui, je suis de cette espèce là...

11

La petite Mère c'est mon téléphone ; je n'ai qu'à tendre ma petite oreille quand é vient, et j'sais tout !

12

... Je ne suis pas égoïste, c'est le bon Dieu que j'aime, c'est pas moi.

13

... Pour la nature, j'aime mieux mourir, mais je ne me réjouis de la mort que parce qu'elle est la volonté du bon Dieu pour moi.

 

14

Je n'ai jamais demandé au bon Dieu de mourir jeune, je suis donc sûre qu'il n'accomplit en ce moment que sa volonté.

15

Elle étouffait et je lui manifestais ma compassion et ma tristesse.

N'ayez pas de peine, allez ! Si j'étouffe, le bon Dieu me donnera la force. Je l'aime ! Il ne m'abandonnera jamais.

16

Elle me raconta comment elle avait porté longtemps sa petite croix de fer et qu'elle en avait été malade. Elle me dit que ce n'était pas la volonté du bon Dieu sur elle ni sur nous qu'on se jette à de grandes mortifications, que cela lui en avait donné la preuve.

17

A propos des frictions qui avaient été ordonnées par le médecin :

Ah ! d'être «étrillée» comme je l'ai été, c'est bien pire que n'importe quoi !

18

... A partir du 9 juin, j'ai été sûre de mourir bientôt.

Le 29 juillet

1

... Je voudrais m'en aller !

- Où ?

«Là-haut, dans le Ciel bleu!»

2

Une soeur lui avait rapporté cette réflexion faite en récréation : « Pourquoi donc parle-t-on de ma Sr Thérèse de l'Enfant Jésus comme d'une sainte ?! Elle a pratiqué la vertu, c'est vrai, mais ce n'était pas une vertu acquise par les humiliations et surtout par les souffrances. » Elle me dit ensuite :

... Et moi qui ai tant souffert dès ma plus tendre enfance ! Ah ! que cela me fait de bien de voir l'opinion des créatures au moment de la mort !

3

On avait cru lui faire plaisir en lui apportant un objet et c'est le contraire qui arriva. Elle manifesta du mécontentement, devinant qu'on avait privé quelqu'un de l'objet en question, mais se repentit bientôt et demanda pardon avec larmes.

Oh ! je vous demande bien pardon, j'ai agi par nature, priez pour moi !

Et un peu plus tard :

Oh ! que je suis heureuse de me voir imparfaite et d'avoir tant besoin de la miséricorde du bon Dieu au moment de la mort !

4

Elle avait craché le sang le matin et à 3 heures de l'après midi.

5

Nous lui exprimions la crainte qu'elle ne meure la nuit.

Je ne mourrai pas la nuit, croyez-le ; j'ai eu le désir de ne pas mourir la nuit.

6

... Deux jours après l'entrée de Sr M. de la Trinité on m'a soigné la gorge... Le bon Dieu a permis quel les novices m'épuisent. Sr M. de l'Eucharistie m'a dit que cela m'arrivait comme aux prédicateurs.

7

... Pour être mon historien, il faut vous ménager.

8

Eh bien ! «bébé» va donc mourir ! Depuis 3 jours, c'est vrai que je souffre beaucoup ; ce soir je suis comme en purgatoire.

9

Bien souvent quand je le puis je répète mon offrande à l'Amour.

10

Je lui confiais un trouble.

... C'est vous qui avez jeté dans ma petite âme la semence de la confiance, vous ne vous le rappelez donc pas ?

11

Je la soutenais pendant qu'on arrangeait ses oreillers.

J'appuie ma tête sur le coeur de ma petite Mère.

12

Elle n'avait pas demandé un soulagement, on croyait que c'était par vertu, mais elle n'avait pas songé à se mortifier en cela. Comme nous admirions son acte :

Je suis lasse de la terre ! On fait des compliments quand on n'en mérite pas et des reproches quand on n'en mérite pas non plus. Tout ça !... tout ça !...

13

Ce qui fait notre humiliation au moment fait ensuite notre gloire même dès cette vie.

14

Je n'ai point de capacité pour jouir, j'ai toujours été comme cela ; mais j'en ai une très grande pour souffrir. Autrefois, quand j'avais beaucoup de peine, je ressentais de l'appétit au réfectoire, mais quand j'avais de la joie, c'était le contraire ; impossible de manger.

Le 30 juillet

1

... Toujours mon corps m'a gênée, je ne me trouvais pas à l'aise dedans... toute petite même, j'en avais honte.

2

Pour lui avoir rendu un petit service

Merci, maman !

3

Je n'aurais pas voulu ramasser une épingle pour éviter le purgatoire. Tout ce que j'ai fait c'était pour faire plaisir au bon Dieu, pour lui sauver des âmes.

4

En regardant la photographie des P.P. Bellière et Roulland :

Je suis plus gentille qu'eux !

5

On lui promettait de lui acheter des petits chinois.

C'est pas des chinois que j'veux, c'est des nègres !

6

Ça m'est amer quand vous ne me regardez pas.

7

Les mouches la tourmentaient beaucoup mais elle ne voulait pas les tuer.

Je leur fais toujours grâce. Elles seules pourtant m'ont fait de la misère pendant ma maladie. Je n'ai qu'elles d'ennemies et comme le bon Dieu a recommandé de pardonner à ses ennemis, je suis contente de trouver cette petite occasion de le faire.

8

C'est bien dur de tant souffrir, cela doit vous empêcher toute pensée ?

Non, cela me laisse encore dire au bon Dieu que je l'aime, je trouve que c'est suffisant.

9

Montrant un verre qui contenait un remède très mauvais sous l'aspect d'une délicieuse liqueur de groseilles.

Ce petit verre là c'est l'image de ma vie. Hier, Sr Thérèse de St Augustin me disait : «J'espère que vous buvez de la bonne liqueur!» Je lui ai répondu : «O ma Sr Thérèse de St Aug. c'est tout ce que je bois de plus mauvais!»

Eh bien ma petite Mère voilà ce qui a paru aux yeux des créatures. Il leur a toujours semblé que je buvais des liqueurs exquises et c'était de l'amertume. Je dis, de l'amertume, mais non ! car ma vie n'a pas été amère, parce que j'ai su faire ma joie et ma douceur de toute amertume.

10

Si vous voulez donner un souvenir de moi à Mr de Cornière, faites-lui une image avec ces paroles : «Ce que vous avez fait au plus petit des miens, c'est à moi que vous l'avez fait.»

11

On lui avait donné un écran, venu du Carmel de Saïgon ; elle s'en servait pour chasser les mouches. Comme il faisait très chaud, elle se tourna vers les images épinglées au rideau du lit et se mit à les éventer, et nous ensuite, avec l'écran.

J'évente les saints en place de moi ; je vous évente pour vous faire du bien et parce que vous êtes des saintes aussi.

12

M. de Cornière avait dit de lui donner 5 ou 6 cuillerées d'au de Tisserand. elle demanda à ma Sr Geneviève de ne lui en donner que 5 puis se tournant vers moi :

Toujours le moins, est-ce pas, maman ?

13

Ne dites pas à M. Ducellier que ne n'en ai plus que pour quelques jours ; je ne suis pas encore faible à mourir, et après cela, quand on vit en est bien «capot».

14

(4 heures) Elle me souriait après le départ d'une soeur. Je lui dis : Reposez-vous maintenant, fermez les yeux..

... Non, j'aime tant à vous regarder !

15

Je voulais prendre une mouche qui l'importunait.

Qu'est-ce que vous allez lui faire ?

Je vais la tuer.

- Oh ! non, je vous en prie.

16

Voulez-vous me préparer à l'Extrême-Onction.

Avec un sourire en me regardant :

Je pense à rien !
Priez le bon Dieu pour que je la reçoive aussi bien qu'on peut la recevoir.

17

Elle me raconta ce que Notre Père lui avait dit avant la cérémonie :

... «Vous allez être comme un petit enfant qui vient de recevoir le baptême.» Puis, il ne m'a parlé que d'amour. Oh ! que j'étais touchée !

18

Elle nous montrait ses mains avec respect après l'Extrême Onction.

Je recueillais d'habitude les petites peaux de ses lèvres desséchées ; mais ce jour là elle me dit :

J'avale aujourd'hui mes petites peaux parce que j'ai reçu l'Extrême Onction et le saint Viatique.

C'était dans l'après-midi. A peine avait-elle fait une courte action de grâces que plusieurs soeurs vinrent lui parler. Elle me dit le soir :

Comme on est venu me déranger après la Communion ! On m'a regardée sous le nez... mais pour ne pas m'agacer j'ai pensé à Notre-Seigneur qui se retirait dans la solitude sans pouvoir empêcher le peuple de l'y suivre. Et il ne le renvoyait pas. J'ai voulu l'imiter en recevant bien les soeurs.

Le 31 juillet

1

On supposait encore un jour de fête pour sa mort, comme le 6 Août la Transfiguration, ou l'Assomption le 15.

Ne parlez pas d'une date, ce sera toujours une fête !

2

Après nous avoir raconté la fable de La Fontaine(1) : »Le meunier et ses trois fils. »

... J'ai deux bottes, mais j'nai pas cor de sac ! Ça veut dire que je n'suis pas près de mourir.

(1) C'est l'histoire du « Chat Botté » non une fable de La Fontaine.

3

On avait descendu sa paillasse pour l'exposer après sa mort. Elle l'aperçut lorsqu'on ouvrit la porte qui donne dans la cellule à côté de l'infirmerie et s'écria avec joie :

Ah ! Voilà notre paillasse ! Elle va se trouver toute prête pour mettre mon cadavre.

... Mon petit nez a toujours eu de la chance !

4

Comment que bébé fera pour mourir ? Mais, de quoi que je mourrai ?

5

... Oui je volerai... Y disparaîtra bien des choses du Ciel que je vous apporterai... Je serai une petite voleuse, je prendrai tout ce qui me plaira...

6

Regardant la statue de la Sainte Vierge et lui désignant du doigt son petit plat :

Quand c'est venu cette nuit (un grand crachement de sang) je croyais que vous alliez m'emmener !

7

Nous nous étions endormies en la gardant :

... Pierre, Jacques et Jean !

8

... Je vous dis que j'en ai pour longtemps si la Sainte Vierge n'y met pas la main !

9

Aimablement :

... Ne nous entre-causons pas, c'est bien assez de s'entre-guigner !

10

L'Voleur viendra
Et m'emport'ra
Alleluia !

11

On discutait sur le peu de jours qui lui restaient à vivre.

C'est encore la malade qui sait le mieux ! et je sens que j'en ai encore pour longtemps.

12

J'ai pensé qu'il fallait que je sois bien mignonne et que j'attende le Voleur bien gentiment.

13

J'ai trouvé le bonheur et la joie sur la terre, mais uniquement dans la souffrance, car j'ai beaucoup souffert ici-bas ; il faudra le faire savoir aux âmes...

Depuis ma première Communion, depuis que j'avais demandé à Jésus de changer pour moi en amertume toutes les consolations de la terre, j'avais un perpétuel désir de souffrir. Je ++ne pensais pas cependant à en faire ma joie ; c'est une grâce qui ne m'a été accordée que plus tard. Jusque là c'était comme une étincelle cachée sous la cendre, et comme les fleurs d'un arbre qui doivent devenir des fruits en leur temps. Mais voyant toujours tomber mes fleurs, c'est-à-dire me laissant aller aux larmes quand je souffrais, je me disais avec étonnement et tristesse : mais ce ne sera donc jamais que des désirs !

14

Ce soir, quand vous m'avez dit que M. de Cornière croyait que j'en avais encore pour un mois et plus, je n'en revenais pas ; c'était une si grande différence avec hier où il disait qu'il fallait m'administrer le jour même ! Mais cela m'a laissée dans un calme profond. Qu'est-ce que cela me fait de rester encore longtemps sur la terre ! Si je souffre beaucoup et toujours davantage, je n'ai point peur, le bon Dieu me donnera la force, il ne m'abandonnera pas.

15

Si vous vivez encore longtemps, personne n'y comprendra rien.

Qu'est-ce que ça fait ! Tout le monde peut bien me mépriser, c'est toujours ce que j'ai désiré ; je l'aurai à la fin de ma vie !

16

... Maintenant que le bon Dieu a fait ce qu'il voulait faire, qu'il a trompé tout le monde... Il viendra comme un voleur à l'heure où l'on n'y pensera plus ; voilà ma petite idée.

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