Carmel

Correspondance avec Sœur Germaine

Sœur Germaine Le Conte (1908-1917), carmélite d'Angers

Sœur Marie de la Trinité est devenue la correspondante attitrée d'une jeune professe (1906) du Carmel d'Angers, Sœur Germaine Le Conte, conquête enthou­siaste de Thérèse et, de surcroît, sa parente du côté paternel (lettre 14). Pour elle, Marie de la Trinité entre à plein dans son rôle de témoin de la gloire naissante de Thérèse et d'apôtre de la petite voie.  La première lettre conservée est de 1908, époque où « le culte de Thérèse fait explosion dans l'univers » (lettre 3). Merveilles et prodiges pleuvent de partout. Marie de la Trinité s'en fait le reporter très vivant.  Son zèle trouve aussi à se déployer dans un secteur bien inattendu: un embryon de Procure voit le jour en face du Carmel en 1912 (lettre 21).

Autre conséquence de l'incroyable « pluie de roses »: l'Eglise doit faire vite pour ne pas se laisser devancer par la vox populi dans la canonisation de Thérèse. L'activité prodigieuse du vice‑postulateur, Mgr de Teil, se trouve presque prise de court. Procès des Ecrits (mai 1910), Procès de l'ordinaire (1910‑1911), Procès Apostolique (1915-­1917) s'enchaînent à un rythme soutenu. Les lettres qui suivent nous livrent des renseignements de première main sur le mécanisme de ces assises, les émotions et fatigues des témoins, parmi lesquels Marie de la Trinité occupe une place de choix. Les pèlerinages, d'autre part, commencent à se multiplier « de tous les confins de la terre » (lettre 21). Des évêques profitent de leur visite ad limina pour faire le détour par Lisieux, s'agenouiller sur la tombe de la carmélite (exhumée une première fois le 6 sep­tembre 1910), et prier en clôture (Mgr Lemonnier accordant largement de telles permissions). Tout cela est consolant certes, mais « prend du temps ». Et l'on est bien d'accord avec la narratrice lorsqu'elle affirme: « C'est un prodige que nous puissions arriver à faire face à tout en maintenant notre vie religieuse » (lettre 22).

1. 3 mai 1908 à sr Germaine.

Ma chère petite soeur,

Enfin, je puis trouver un petit moment de libre pour vous dire moi‑même combien votre belle image m'a fait plaisir. J'aurais voulu vous exprimer ma joie immédiatement mais, voyez‑vous, petite Thérèse me prend tous mes moments libres, il me faut faire des photographies, arranger des reliques, que sais‑je ? quantité de choses en dehors de mes emplois qui me donnent à peine le temps de respirer. Je vous avoue néanmoins que ce surcroît de fatigue m'est très doux, je suis même fière de penser que Sr Thérèse se sert de moi pour lui aider à faire du bien sur la terre. Vous aussi, ma chère petite soeur, vous pouvez lui aider; elle m'avait dit qu'après sa mort, il fallait lui remplir souvent ses petites mains de roses afin de lui donner la joie de pouvoir les répandre sur le monde. [On trouve cette parole, sans date, dans le Carnet rouge de soeur Marie de la Trinité, p. 102]. Donc, par nos petits actes de vertu, nos élans d'amour, nous pouvons combler son plus ardent désir.

Vous voudriez, chère petite soeur, que je vous écrive ce que je sais sur notre séraphin. Avec quelle joie je le ferais si... j'avais le temps ! Rien ne m'est plus agréable que de parler de ma chère petite Maîtresse, de celle qui me fut donnée comme Ange dès mon entrée en ce béni Carmel de Lisieux. Pendant 3 ans 1/2 j'eus le bonheur inappré­ciable de vivre dans son intimité, ce que je considère comme une des plus grandes grâces de ma vie. Mais je veux aussi vous dire pour vous consoler de n'avoir pas joui de mon privilège, que son absence ne me fait pas souffrir et que je la sens encore plus près de moi que lorsque nous étions ensemble. Lorsqu'elle était sur la terre, il me fallait supporter qu'elle se partage aux unes et aux autres, mais à présent je la possède sans partage, et c'est je pense le privilège de toutes celles qui font partie de la légion des petites âmes dont elle est la reine. Le souvenir de ses exemples de vertu peut aussi, comme à moi, alimenter votre ferveur. Ne possédez‑vous pas l'histoire de sa belle âme ? Après surtout notre dernière édition [l'édition de 1907, considérablement enrichie par rapport aux précé­dentes] que pourrais‑je vous apprendre de plus? Peut‑être quelques détails intimes, quelques consolations personnelles qui n'ajou­teraient pas grand-chose à ce livre si complet. Consolez‑vous donc, chère petite soeur, et sachez que les 3/4 et demi de la communauté qui ont vécu avec notre petite reine ne l'ont cependant connue que par l'histoire de son âme. J'avoue que si pareille chose m'était arrivée j'en aurais un regret mortel, mais Jésus m'a fait la grâce de la connaître et de l'apprécier tout le temps que j'ai vécu avec elle.

Je pense que la photo de Ste Agnès que je vous envoie vous fera plaisir. C'est notre chère artiste Sr Geneviève qui a composé ce tableau en copiant la figure de sa Thérèse chérie [Sr Geneviève s'est inspirée du portrait de Thérèse à treize ans pour peindre la Sainte Vierge. Puis, en couronnant de roses la tête de la Vierge, on a fait un buste de Ste Agnès]. Je puis vous assurer qu'il n'y a pas de photographie qui me rappelle mieux notre Ange, elle a enfin ce quelque chose d'angélique, de céleste cette expression qu'on ne pouvait pas attraper en photographie; aussi pas une ne nous plaisait et ne nous la rappelait entièrement. Voilà pourquoi on l'a photographiée tant de fois et, vous avez dû le remarquer, à cause de sa figure mobile, elles sont presque toutes différentes.

Vraiment le temps passe trop vite, il me faut déjà vous quitter mais non sans vous remercier encore de la Communion que vous avez faite pour moi, j'en ai été très touchée et je ne doute pas que le bon Dieu m'accorde cette grâce dont j'ai le plus besoin. Pour moi, en ce moment, ce serait une grâce de force pour supporter l'épreuve du changement de notre petite Mère chérie. « Les élections ça tue les petits », disait une sainte petite Visitandine. Moi, je suis bien de cet avis, et je ne promets pas que ma « coquille » ne me servira pas au moins pendant les premiers jours de ce changement pénible. Ah ! quand serons‑nous dans le Ciel où nous n'aurons plus ni changements, ni séparations ! (...)

Votre petite soeur qui vous aime beaucoup
Sr Marie de la Trinité et de la Ste Face
(petit jouet de l'Enfant‑Jésus)

P.S. Je fais des petits sacrifices pour aider le diable à sortir de la pauvre possédée. Hier je n'ai pas pu m'empêcher de rire car en laissant une lettre inachevée au ler coup de la cloche j'ai dit précipitamment: « Ça c'est pour le diable !... »  (‑‑‑)

2. 17 mai 1908. 

(...) Pour répondre à votre désir, je vous envoie ce petit groupe représentant nos deux Mères chéries [Mère Marie‑Ange, qui vient d'être élue prieure le 8 mai et Mère Agnès de Jésus]; il y a près de 2 ans que cette photo a été faite, Sr Marie‑Ange était alors bien malade de la poitrine et nous étions presque assurées de sa fin prochaine, mais le bon Dieu si bon eut pitié de nous et contre toutes prévisions humaines nous conserva l'ange de notre Carmel. Surtout depuis qu'elle est devenue notre petite Mère c'est merveilleux de voir les forces qu'Il lui donne. Priez bien pour que Jésus les lui continue de plus en plus pour le bonheur de notre petit Carmel.

Vous avez raison, chère petite soeur, notre nouvelle petite Mère et Mère Agnès de Jésus, c'est pareil, c'est toujours Jésus; et même, sans regarder au point de vue de la foi, leurs âmes se ressemblent tellement et sont si unies qu'on ne peut pas aimer l'une sans l'autre.

Je vois que vous êtes toujours avide de nouveau sur Thérèse mais votre avidité ne sera vraiment satisfaite qu'au Ciel, j'ai raconté dans les « Conseils et Souvenirs » tout ce que je pouvais dire de ma chère petite Maîtresse, il y en a assez long je pense pour faire du bien et encourager les âmes. Un des traits qui me fait encore le plus de bien c'est le premier où elle me comparait à un petit enfant au bas de l'escalier de la perfection. (‑‑ ‑)

Je n'ai pas le temps de vous en dire plus long ma chère petite soeur. Je vous envoie le programme de mes jeux d'amour pour vous montrer à quoi je passe mon temps au bas de l'escalier en attendant l'ascenseur divin. Gardez‑le aussi longtemps que vous voudrez, je n'ai pas eu le temps de le copier pour vous. (‑‑ ‑)

3.   12 août 1908.

(‑‑‑) Ah ! c'est bien à vous de venir maintenant me demander des leçons de petitesse vous qui, au berceau, êtes au premier rang de la légion des petites âmes dont Thérèse est la reine. Ne grandissez pas, ne bougez pas de votre berceau, Jésus fera tout pour vous... Vous le savez, tous les enfants au berceau vont droit au Ciel, maintenez‑vous y donc jusqu'à 90 ans, s'il le faut ! (‑‑‑)  « Le désir de la Reine du Ciel » est pour vous personnellement. Ce n'est pas à moi mais à Sr Geneviève que Sr Thérèse de l'Enfant­-Jésus l'avait dédiée. Pendant son postulat elle s'appelait Marie de la Ste Face, mais les Supérieurs lui ont fait changer son nom pour lui donner celui de notre sainte Fondatrice. C'est égal ! je ne crois pas qu'ils ont été bien inspirés pour avoir fait ce coup‑là car son 1er nom si prophétique lui allait si bien! Enfin! ne faut‑il pas que le sacrifice se cache partout, même dans le nom !

Vous me demandiez, chère petite soeur de vous indiquer les traits que j'ai rapportés dans la vie de Thérèse. Les voici en toute simpli­cité (...) Je vous ai copié aussi les autres poésies inédites qu'elle m'a composées et que vous trouverez ci‑joint. Hein ! je crois que vous allez être contente ! Payez‑moi largement de prières et dites au petit Jésus de m'aider dans ma débordante besogne... Thérèse me donne un ouvrage fou. Son culte fait explosion dans l'univers; lettres et commandes abondent de toutes parts, elle sait bien que tout le profit des ventes s'en va grossir sa caisse de béatification, aussi, elle se charge de faire aller le commerce ! c'est merveilleux ! Cependant cela ne m'étonne pas, je le prévoyais même de son vivant; quelquefois je lui en parlais alors elle riait, mais ne disait pas non ... (‑‑‑)

Votre petite soeur qui vous chérit en Jésus notre Tout
Marie de la Trinité et de la Ste Face r.c. ind .

Si vous désirez d'autres gravures comme celles que nous vous envoyons, nous vous les laisserons à 0,20c.
La petite marchande de la boutique de Thérèse

[Suit la copie exacte de PN 11 et PN 12 ; puis Marie de la Trinité poursuit]:

Ces couplets parlant de deux Prises d'Habit réclament explication. Voici donc: J'étais entrée à 16 ans 1/2 au Carmel de l'Avenue de Messine à Paris. Après avoir passé 2 ans 1/2 dans ce fervent Carmel, je fus obligée d'en sortir pour cause de santé. Je languis presque un an dans le monde mais voyant que la communauté ne voulait pas me recevoir de nouveau avant mon âge de 21 ans et ne me sentant pas la force d'attendre si longtemps sans mourir de douleur, je vins me présenter au Carmel de Lisieux qui ouvrit charitablement ses portes à la pauvre petite exilée le 16 Juin 1894. Ah ! quelle épreuve providentielle ! et combien je trouve n'avoir pas payé trop cher les grâces inappréciables qui m'attendaient dans ce béni Carmel.

Un trait qui vous intéressera entre autres : Sr Th. de l'E. J. ne fut pas étrangère à cette épreuve qui me fit alors tant souffrir ! Nos Mères de l'Avenue de Messine étant en bons rapports avec nos Mères de Lisieux, elles leur parlèrent de moi, leur disant qu'elles aussi avaient une toute jeune sœur comme leur petite Th. de l'E. J.... Mais voilà qu'il prit à la « petite reine » le désir de me connaître et même de me posséder... A ce moment le Gouvernement parlait de faire une loi qui interdirait aux communautés de recevoir des sujets avant qu'ils aient 21 ans. « Ah! se disait petite Thérèse, si on me renvoie je sais bien ce que je ferai: j'irai trouver la petite sœur Agnès de Jésus (c'était mon nom) et nous vivrons ensemble dans une douce intimité jusqu'à ce que nous ayons atteint l'âge de rentrer au Carmel. » Jésus qui se plaisait à réaliser les moindres désirs de sa petite reine, permit que je tombe malade d'une anémie très grave, en même temps que je fus assail­lie de nombreuses peines d'âme et malgré tous les encouragements que nos Mères me donnaient, j'étais intimement persuadée de ma sortie et de ma rentrée dans un autre Carmel. Je ne leur cachais pas mes sentiments, ce qui les étonnait beaucoup; moi‑même je ne pouvais m'expliquer cette chose étrange car j'étais très heureuse au Carmel de Messine et j'aurais tout donné pour y mourir. Plus tard ce mystère fut dévoilé et je vois encore les douces larmes que versait petite Thérèse quand elle me vit à ses côtés devenue son inséparable petite sœur ainsi qu'elle l'avait désiré...

Je ne comptais pas avoir si vite l'occasion de répondre à votre lettre qui m'a fait tant de plaisir. Oh ! que je remercie Thérèse d'avoir si intimement uni nos deux âmes si bien faites pour se comprendre et marcher côte à côte dans sa petite voie d'enfance. La jolie petite photographie que vous m'offrez si délicatement me ravit, je vais m'en faire une image et la mettre dans l'Évangile que je porte sur mon coeur (‑‑‑)

Voyez, chère petite soeur, combien j'ai sujet d'être reconnaissante envers Jésus pour toutes les grâces dont il m'a comblée ; plus que tout autre je serais coupable si je ne l'aimais pas à la folie. Et pourtant, que de défaillances dans mon amour ! que de retours sur moi‑même ! Il y aurait de quoi me décourager en me voyant si imparfaite, si la doctrine de notre Ange ne venait relever mon courage. Ecoutez son langage: « Il suffit de s'humilier, de supporter avec douceur ses imperfections: voilà la vraie sainteté (LT 243) pour nous » ou bien encore: « Pour moi, j'éprouve une grande joie, non seulement quand on me trouve imparfaite, mais surtout, quand je sens que je le suis. » Et mille autres citations que vous connaissez aussi bien que moi. Ah! quel langage vraiment divin ! Quel saint jusqu'à présent a pu mieux nous faire connaître le bon Dieu?

Il est temps que je m'arrête; je ne sais trop quel décousu a cette lettre (...) Je vous souhaite bien‑aimée petite soeur, ainsi qu'à votre fervente Communauté une bonne fête du 30 ! Puisse notre Ange d'amour faire pleuvoir sur votre cher Carmel son abondante pluie de roses si fécondante pour les âmes !

5. Après le 5 mai 1909.

(‑‑‑)  Qu'il est beau le miracle que vous nous avez envoyé; avec quelle joie marquée Mgr de Teil qui se trouvait justement ici l'a emporté ! Il est d'un dévouement infatigable pour la cause de Thérèse et en peu de temps la fera aboutir. Du train qu'elle marche, en moins de 10 ans elle sera béatifiée. Sa pluie de roses tombe de plus en plus abondante sur la terre. Ah ! comme Jésus se plaît à glorifier sa petite Reine dans la mesure où elle a voulu rester petite et ignorée sur la terre.

Un riche anglais veut absolument lui faire faire une statue par le plus habile artiste, il nous en laisse le soin, s'offrant à payer tout ce qu'il faudra. D'après le conseil de Mgr de Teil nous la ferons faire en marbre blanc, ce ne sera pas une dépense moindre de 10.000 Fr. Voyez comme elle est vraiment traitée en petite Reine.

Notre petite thauma­turge nous a bien recréés le jour du Bon Pasteur. Ce jour‑là nous avons reçu la nouvelle qu'elle avait guéri miraculeusement une vache dans un couvent de Visitandines. La vente du lait est leur gagne‑pain; or, un jour elles trouvèrent leur pauvre vache paralysée et inerte dans l'étable; déjà, elles avaient perdu une autre vache de la même maladie, c'était pour elles une perte de 4 à 500 Fr. La supérieure pensa aussitôt que Sr Thérèse de l'Enfant Jésus ne dédaignerait peut‑être pas de des­cendre dans l'étable.  (‑‑‑)

Il me semble, petite sœur chérie que j'ai répondu à toutes vos ques­tions, j'espère que vous allez être contente. Ah ! je me rappelle encore une chose: vous vous étonnez de ma poésie: « Un lys au milieu des épines » alors que j'avais des parents si pieux. C'est vrai, mais comme je vous l'ai dit nous étions beaucoup d'enfants et nos parents n'avaient guère le temps de s'occuper de nous; nous jouissions donc d'une très grande liberté, ainsi j'allais très souvent seule faire des courses dans Paris, ou bien nous concertant avec des compagnes de classe nous allions le jeudi nous promener et nous amuser ensemble sans que nous ayons besoin d'en rendre compte à la maison. Si le bon Dieu ne m'avait pas donné ma vocation de si bonne heure, je sens infailliblement que je me serais perdue avec ma nature ardente et le grand besoin d'amour que je ressentais, mais la passion que j'avais pour le Carmel surpassait toutes les autres passions qui s'allumaient dans mon cœur. Ignorant le mal je n'appréhendais pas le danger et pourtant j'en ai couru plus d'un ! Mais Jésus veillait et m'a toujours bien gardée.

J'ai repris cette lettre je ne sais combien de fois, aussi elle ne doit guère avoir de suite. Nous revenons de fêter notre bien‑aimée Mère. Malheureusement nous avons la peine de la voir malade de nouveau; c'est une rechute de sa maladie de poitrine et la fièvre qu'elle a déjà à 38,2° ne laisse pas de nous inquiéter. Priez avec nous je prie pour que Jésus la guérisse au plus vite, vous ne pouvez vous imaginer le trésor que nous possédons en elle, nous l'apprécions chaque jour davantage, jamais nous ne pourrons assez remercier le bon Dieu de nous l'avoir donnée, elle est vraiment une seconde petite soeur Thérèse de l'Enfant‑Jésus ! Les cadeaux de nos Soeurs étaient nombreux et variés, toutes avaient travaillé pour notre petite Reine, et c'était bien utile car nous ne suffisons pas à contenter les personnes qui nous demandent de ses reliques. (...)

J'ai bien prié pour vous pendant votre Retraite; je m'y suis trouvée un jour avec vous le 30 Avril, 13ème anniversaire de ma profession et 18ème anniversaire de ma 1re entrée au Carmel. Quelle joie de vieillir ainsi au service du bon Dieu !

Je compte toujours sur vos prières pour m'aider à devenir une sainte. Hélas ! j'en suis si éloignée ! j'aurai toujours essayé, et puisque le bon Dieu ne demande que l'effort, je ne m'inquiète pas du succès et le lui abandonne. Ne visons qu'à une chose comme notre petite Thérèse: Aimer Jésus, le faire aimer par nos petits efforts de vertu sans cesse renouvelés.

6.   17 juillet 1909.

(‑‑ ‑)  Vous aussi, chère petite sœur vous serez obligée de pâtir pour mes lettres qui seront de plus en plus rares et courtes. Thérèse le veut ainsi puisqu'elle me donne tant d'ouvrage, mais ce qu'elle veut aussi c'est que je vous aime de plus en plus, je le sens à votre souvenir qui me revient assez souvent et qui m'oblige chaque fois à prier pour vous. Prière simple et courte à la façon de Thérèse et à la vôtre qui consiste à demander au bon Dieu « de vous embraser de son Esprit d'amour et de vous accorder la grâce de Le faire beaucoup aimer ».(LT 220)

Votre histoire de Thérèse protégeant votre petit nid m'avait bien intéressée, elle prouve qu'elle reste la même au Ciel que sur la terre Vous savez sans doute qu'elle avait dit à Sr Marie du Sacré-Cœur qui voulait détruire les merles qui mangeaient les fraises: « Si vous les laissez faire, je vous promets que vous n'y perdrez pas et que je vous enverrai des fruits après ma mort. » Or, depuis sa mort nous recevons chaque année plus de fraises que notre jardin n'en peut fournir. (‑‑ ‑)

Je suis si pauvre de vertus ! mais de cela encore je ne m'inquiète pas, ne suis‑je pas riche de tous les trésors infinis de mon Epoux Jésus ! Il m'a abandonné la clef de toutes ses richesses et j'avoue que j'y puise en prodigue... Je sais que je lui fais plaisir en agissant ainsi parce que, contrairement aux biens de la terre, les siens se multiplient en proportion de ce qu'on les distribue.

Il ne faut jamais gronder Thérèse quand elle n'accorde pas ce qu'on lui demande, moi je la remercie toujours de tout, persuadée qu'elle agit pour le mieux. Mes 2 petites sœurs Violette et Marguerite‑Marie ne cessent d'échouer au concours de Télégraphe, et pourtant elles ont besoin de se faire une situation. Thérèse sait tout cela, cela me suffit, je ne m'inquiète de rien.

Le 1er frère de Thérèse, très fraternel avec elle, est allé la rejoindre il y a 2 ans, après avoir souffert dans son corps et dans son âme un véritable martyre [Il s'agit du P. Bellière,  le premier frère de Thérèse]. Non, elle n'épargne pas ses vrais amis ou plutôt, selon l'expression du P. Raymond, elle les burine à l'image de Jésus. —Son 2e frère, très dévoué missionnaire, nous donne rarement de ses nouvelles. Que Thérèse vous accorde de grâces et qu'elle montre bien que vous êtes sa petite sœur chérie!... Bon ! voilà que vous devenez suscep­tible comme moi, c'est là mon grand défaut, il me fait bien souffrir mais il me fournit bien des roses pour remplir la petite main de Thérèse. A ce compte‑là je ne suis pas fâchée de le garder jusqu'à ma mort. Si Thérèse parle peu de son oraison, c'est parce qu'elle n'avait pas autre chose à en dire: oraison de foi, toute simple, telle que peuvent l'avoir de petites âmes comme nous. (‑ ‑‑)

7.   6 septembre 1909.

(‑‑‑)  Vous me demandez, petite sœur, comment Thérèse peut recueillir des roses au milieu du champ de bataille qu'est votre âme, mais ne savez‑vous pas que c'est justement au milieu des épines que se cueillent les plus belles roses ? C'est donc à pleines mains qu'elle les cueille chez vous, petit rosier de Thérèse qui ne gardez et ne sentez en vous que les épines. Ah ! vous n'êtes pas seule à souffrir ces écarts de l'imagination, ces tentations variées pendant l'Office En cela, nous sommes bien sœurs. Autrefois j'en éprouvais beaucoup de peine, aujourd'hui je les traite comme l'on ferait de mouches tracassières. Avec douceur je ramène mon âme dans le moment présent sans la brusquer ni lui faire de reproche de ses écarts, je n'ai même pas l'air de m'en étonner et je constate que cette méthode me fait plus de bien que tous les troubles et reproches auxquels je m'abandonnerais. Le R. Père Pichon nous disait dans une de ses retraites [probablement celle des 23-31 octobre 1907]: « Chaque tentation laisse dans l'âme un rayon de beauté de la vertu opposée à cette tentation. » Cette pensée me fait beaucoup de bien, n'est‑ce pas qu'elle est consolante ?

Comment pouvez‑vous penser que vous êtes au‑dessous de moi ! Ah ! si vous viviez avec moi comme vous seriez encouragée de constater que nous sommes absolument pareilles avec tous nos petits défauts. Je dis «  petits » parce que du moment qu'on les reconnaît et qu'on a le désir de s'en corriger, ils ne sont pas profonds et ne font pas de peine à Jésus car ils nous servent plutôt d'échelon pour arriver jusqu'à Lui par la souffrance et l'humiliation.

« Un saint est celui qui se relève toujours ». Je ne sais plus qui a dit cette parole, mais « se relever toujours » suppose qu'on tombe toujours ! Vous voyez donc que la sain­teté est bien abordable pour nous deux: se relever toujours, et surtout ne jamais se tracasser car c'est un manque de confiance et d'abandon à Jésus. Nous autres « tout petits » il faut avoir l'humilité de reconnaître tout Lui devoir, accepter de voir nos efforts stériles, notre impuissance à tout bien.

Je suis toute la journée dans les calculs si bien que même à Jésus je parle de calculs. Ce matin pendant l'action de grâces, je Lui ai proposé ce problème: « Un rien uni au Tout, combien cela fait‑il ? » Il m'a répondu: « Cela fait Tout ! » Et moi toute contente je lui ai offert ce « Tout » pour les âmes. J'avais oublié mon indigence et ma misère, et en effet elle n'existait plus : « A vous aussi Thérèse montre le ciel sans dire un mot. Que voulez-vous qu'elle vous dise ? Faisons ce qu'elle a fait, mettons en pratique ce qu'elle a dit. Notre cœur alors sera comme un vase de parfum pour notre Bien‑Aimé. Ne faut‑il pas bien mieux que nous lui envoyions des parfums, que Lui de permettre à sa petite Reine de nous en donner ? La petite reine !... Elle n'a jamais senti de parfums pendant sa vie, elle n'a jamais senti que la Croix. »   (‑‑ ‑)

8.   31 décembre 1909.

C'est le cas de dire que l'amour ne trouve d'impossibilité à rien, car venir à vous dans le temps de presse où je suis n'est pas chose faisable, je compte sur le petit Jésus pour faire courir vite ma plume et vous dire en quelques minutes ce que je voudrais vous dire en une journée !  Ma voiture pour aller à la crèche était en voiture publique, rien ne pouvait mieux tomber ! C'est au milieu d'une poussée de colis et de gens que je m'y suis rendue, aussi y suis‑je arrivée plus ou moins poussiéreuse et les habits en désordre!

Germaine s'en serait alarmée, Trinité n'en a pas perdu une once de sa paix, elle aime mieux penser que toujours le petit Jésus est content d'elle, quand même elle ne le sentirait pas, ça la rend joyeuse, et le petit Jésus aime les cœurs joyeux ; quand même il aurait envie de s'attrister de nos petites infidé­lités, il ne reste pas longtemps fâché, s'il nous voit le servir de nouveau avec un visage épanoui. Au contraire, s'Il nous voit triste et ruminant toujours sur nos misères, ça le rend triste lui‑même ! Quelle grâce Jésus vous fait de vous faire traverser cette nuit obscure d'épreuves de toutes sortes, si purifiantes et qui nous rapproche si près de Lui ! Je puis vous assurer que je vous tiens bien compagnie — vous verrez cela au ciel—mais Jésus m'a fait si bien comprendre le prix d'une telle grâce que je ne sais pas comment lui en témoigner ma reconnaissance; déjà j'en goûte les fruits délicieux par un plus grand détachement des consolations de la terre, par une union plus étroite avec Lui.

Ainsi, par exemple, je ne saurais vous dire combien m'a été profitable la longue maladie de notre chère Mère Marie‑Ange, 6 mois entiers sans au­cune direction, ne pouvant même pas aborder Mère Agnès de Jésus qui ne la quittait pas, je vous avoue que c'était dur pour ma nature exubé­rante de porter toute seule ses peines et ses combats, mais combien cette épreuve a fortifié mon âme et lui a donné des ailes ! Que cette purification m'était nécessaire et comme je remercie le bon Dieu de ne pas me l'avoir épargnée. Il en est de même de tous les autres genres d'épreuve, oh! si nous savions bien en profiter, qu'en peu de temps nous deviendrions saintes !

C'est ce que Mère Marie‑Ange a fait, vous verrez cela dans sa longue et belle circulaire, vous verrez que ce n'est pas sans souffrir beaucoup et de toutes façons qu'on arrive à la sainteté. Mais qu'est ce court temps de souffrances en comparaison de la félicité éternelle qui nous attend ?

Je pense que cela vous fera plaisir si je vous raconte les signes que Jésus a voulu déjà nous donner de la gloire de sa fidèle épouse. Le lendemain de sa mort (12 novembre) vers 5h du soir, à l'heure où nous terminions au Chœur l'office des Morts, les voisins aperçurent au‑dessus de notre monastère un immense globe de feu de la grandeur d'une grande table ronde. Emerveillés, ils vinrent dire aux tourières: «  Sûrement les Carmélites ont eu des révélations sur la Sœur qui vient de mourir. » Et ils racontèrent ce qu'ils avaient vu; nos Sœurs Tourières en avaient aussi été témoin. Pour nous, nous n'avons rien vu, puisque nous étions au Chœur, mais ce récit nous combla de joie et nous prouva que Thérèse avait voulu descendre avec Marie‑Ange pour nous assurer de leur protection.

Une dame bienfaitrice de notre Carmel demeurant à Paris se disposait à venir à l'inhumation de Notre Mère; avant de partir elle envoya la gouvernante de ses enfants acheter la plus belle gerbe de fleurs qu'elle pût trouver. A peine avait‑elle donné la commission que toute sa maison se trouva embaumée d'une odeur céleste de parfum d'oranger: c'était comme pour des noces ! Son mari put jouir de ce surnaturel parfum. Vous jugez de la consolation qu'ils éprouvèrent !

Cependant tous ces signes ne suffisaient pas à notre Mère chérie [Mère Agnès de Jésus]. Elle demanda au bon Dieu un signe incontestable prouvant ou plutôt lui confirmant que Mère Marie-Ange avait été droit au Ciel. Et voilà qu'elle reçoit une lettre d'un Carmel exilé (je vous dirais bien son nom mais il nous a demandé le secret) qui lui dit que le 11 9bre à 8 h—heure précise où Mère Marie‑Ange quittait la terre—une sœur avait eu l'intime conviction que la Mère Prieure du Carmel de Lisieux venait de mourir et elle sentit comme une béatitude qui remplissait le chœur, elle demeura dans cette joie céleste jusqu'à minuit, car c'était le jour de l'heure sainte. Oh ! combien nous fûmes touchées de ce détail !

C'est ainsi que Dieu glorifie ses petites âmes, c'est ainsi qu'il nous glorifiera un jour, car nous en faisons partie, mais en attendant il nous faut supporter le froid de la nuit obscure, la douleur intolérable de ne pas sentir qu'on aime et qu'on est aimé, en un mot, il faut supporter faire son pur­gatoire ici‑bas pour n'avoir plus qu'à nous élancer dans le sein de Dieu pour nous y consumer éternellement.

Ma petite sœur me voilà emportée à vous parler lon­guement et le temps passe... Comment vais‑je faire pour le rattraper ? C'est une pluie de lettres sinon de roses dans ma boutique, hier seulement j'avais 40 lettres de commandes à servir ! Aussi mes jeux de quilles et de toupie sont bien finis, depuis que mon petit Jésus a adopté de jouer « à la marchande » il ne veut plus faire autre chose. Toute sa marchandise est si attrayante qu'il fait abonder l'univers chez nous, aussi je ne sais plus où donner de la tête !

Oh ! que nous sommes heureuses d'avoir pour maman la petite Mère de Thérèse, vivre avec elle c'est un ciel anticipé ! Pourtant nous ne pouvons en jouir beaucoup, une direction par mois, pas plus, et en dehors de cela, elle est absorbée par le travail que donne Thérèse et de plus, en ce moment, par la circulaire de Mère Marie ­Ange, voilà 8 jours qu'elle y travaille et ce n'est pas un petit travail ! Elle écrit à votre chère Mère des détails sur Thérèse c'est pourquoi je ne vous en donne pas.

Sr Isabelle du Sacré-Cœur a été élue sous-­prieure: c'est encore une conquête de Thérèse comme Mère Marie-Ange, elle n'a que 27 ans, elle est d'une intelligence rare et très vertueuse. Pour dépositaire nous avons Sr Madeleine de Jésus 35 ans, elle est en même temps 1ère infirmière, vous ne sauriez croire combien elle est bonne et dévouée... Vous voyez que nous sommes bien pour­vues, d'ailleurs Thérèse nous envoie des sujets d'élite. (‑ ‑ ‑)

9.   16 janvier 1910.

Merci de la communication de la lettre de notre frère. Qu'elle est intéressante et édifiante ! Seulement, grondez‑le de n'avoir pas encore osé s'offrir au bon Dieu pour être son martyr, c'est là une humilité mal placée et qui est éloignée de la voie «  des petits » à qui toutes les audaces sont permises justement à cause de la simplicité de leur amour confiant. (‑ ‑‑)

Pour la couleur des yeux de Thérèse, on ne peut guère la définir, couleur douteuse d'un gris‑marron. Quant aux faveurs sensibles dont elle prive les unes et comble les autres, le pourquoi reste le secret du bon Dieu et l'on ne doit point voir en cela la marque de son amour.

Hier nous recevions une lettre de Madagascar nous racontant qu'un petit enfant d'une femme païenne étant mourant, une religieuse s'em­presse de le baptiser, laissant à la pauvre femme pour tout remède une image de Thérèse. Le lendemain la païenne arrivait à la Mission, son enfant plein de santé dans ses bras: « La belle dame, dont tu m'as donné l'image, je l'ai vue cette nuit, dit‑elle, elle s'est approchée de mon enfant, a déposé sur lui une robe blanche et quand elle a disparu mon enfant était guéri ! » Eh bien, est‑ce parce que Thérèse s'est montrée à cette païenne qu'elle l'aime mieux que nous ? Ce qu'il y a de plus surprenant dans cette histoire c'est que Thérèse de son vivant avait lu un fait analogue dans les missions, un enfant guéri ainsi par la Très Sainte Vierge et elle avait dit à Mère Agnès de Jésus: « Ce sont des choses comme cela que je ferai quand je serai au Ciel » [Carnet Jaune 25.6.1]

10. 3 avril 1910.

(‑‑‑)  J'étais bien sûre que la circulaire de Mère Marie‑Ange serait un encouragement pour votre âme comme elle l'est pour la mienne. Moi aussi, j'ai les vilains défauts qu'elle a si bien combattus, mais pour m'en corriger le bon Dieu s'est servi d'autres moyens que celui de me priver de la Ste Communion. Celui‑là m'aurait plutôt déses­pérée [et il aurait été contraire à l'enseignement de Thérèse; cf. LT 92 et LT 240].

Pour me corriger, Il a permis que je ne trouve que de l'amertume quand je me recherchais ou bien qu'on me donne tant d'ouvrage que je n'avais pas le temps d'aller jouir de ma « Petite Mère» ou de jalouser celles qui pouvaient en jouir. Ce fut un trai­tement dur pour mon cœur si affectueux mais je le sentais si utile que c'est de tout cœur que je redisais chaque jour cette prière : « O Jésus, changez pour moi en amertume toutes les consolations de la terre. » Je sens mon cœur libre et je n'en aime que plus fortement...

Il y a une erreur bien grande dans votre lettre, et il faut la rétracter au plus vite car Thérèse n'a jamais pu la supporter et elle l'a bannie de sa méthode d'enseignement aux « tout petits ». « C'est si triste, dites‑vous, de faire sans cesse de la peine à notre bien‑aimé Jésus. » Jamais les petites âmes si remplies de bonne volonté comme nous sommes ne font de peine à Jésus ! Elles peuvent tomber à chaque instant mais leurs chutes ne font qu'amuser Jésus car elles servent à les rendre plus petites, plus humbles encore.

Oh ! que cette vérité dilate l'âme ! elle lui fait goûter dès cette vie un ciel anticipé. Je demande à ma petite Thérèse de vous la faire comprendre.

Depuis ma dernière Retraite — il y a un mois — j'ai l'âme particulièrement dans la joie à cause de ma résolution. J'avais vu combien il y avait à refaire en moi sur le point de la charité en relisant le chapitre qui en traite dans l'Histoire d'une Ame. Au moment de prendre ma résolution je pensai à cette parole d'un saint: « Tout souffrir des autres et ne rien leur faire souffrir. »

«Tout souffrir des autres ! me disais‑je, c'est pas gai ! » Me lever chaque matin avec cette perspective ne m'allait pas. J'invoquai petite Thérèse et Mère Marie‑Ange de me faire connaître clairement ce que le bon Dieu me demandait. Aussitôt je pensai que j'étais bien sotte de vouloir ainsi tout souffrir des autres et qu'il fallait prendre au contraire la résolution de ne rien souffrir de personne; faire comme Thérèse qui, par exemple, lorsque le bruit d'une sœur la fatiguait l'écoutait avait plaisir et l'offrait à Jésus comme une mélodie. Depuis que je pratique cette résolution je n'ai jamais été si heureuse de ma vie, je n'ai plus de combats contre certains travers de nos Sœurs et je sens mon amour grandir pour elles.

Mais c'est trop parler de moi, venons à notre petite Thérèse. Vous avez sans doute été émerveillée de la nouvelle « Pluie de Roses ».  (‑‑‑)

Il y a un mois, elle a fait un autre prodige ici à la cuisine. Sr Jeanne‑Marie, la plus jeune de nos sœurs du voile blanc, une vraie petite sainte, avait fait un jour des ménages très fatigants, plusieurs fois dans la journée elle avait demandé à petite Thérèse de venir l'aider. Vers 5 heures du soir elle vit que la bouilloire du fourneau était vide et, malgré sa fatigue, elle s'offrit à Sr Marie-Madeleine qui était de cuisine pour lui aider à la remplir. Celle‑ci en profita pour vider complètement la bouilloire et la nettoyer avant d'y remettre de l'eau fraîche.

Ensuite elles y jetèrent un 1er broc d'eau et allèrent en pomper un second. En l'apportant quel ne fut pas leur étonnement de voir la bouilloire pleine jusqu'au bord. Or, pour la remplir il faut 4 grands brocs d'eau. Elles ne doutèrent pas que Thérèse elle‑même soit venue à leur secours. Toute la Communauté fut très frappée de cet incident. Sr Marie du Sacré-Cœur conserve même une petite bouteille de cette eau qu'elle appelle miraculeuse [ Sœur Jeanne‑Marie (1886‑1960) a elle‑même déposé au Procès Ordinaire le fait en question, survenu le 23 février 1910].

Notre bien‑aimée Mère fit de ce fait le sujet de son exhortation au Chapitre suivant, elle nous dit que ce prodige signifiait que pour un petit acte de charité nous obtenons aussitôt de Jésus une plénitude d'eau vive qui vient remplir notre âme. Que beaucoup de pécheurs devant le puits de salut disent comme la Samaritaine: « Ce puits est trop profond et nous n'avons pas de quoi puiser. » Et voilà que notre petite goutte de charité a fait monter l'eau de la grâce jusqu'à leurs lèvres !...

Ne croyez pas pourtant que Thérèse agisse toujours ainsi pour nous. Pas plus tard qu'hier une sœur me demanda de venir lui servir de tierce. S'apercevant de mon hésitation, car elle savait que je n'en avais pas le temps, Notre Mère me dit: « Allez tout de même, vous allez voir que Petite Thérèse va vous rendre votre acte de charité en vous aidant à son tour. » Oui, d'une belle façon ! En rentrant dans notre cellule, je renverse par terre notre encrier qui dessine sur le parquet la forme d'un diable avec des cornes ! Et toute ma matinée a dû se passer à enlever cette horrible tache. A la vérité c'est un coup de patte du diable qui enrage de notre confiance en Thérèse.

Sa cause va faire de très rapides progrès. Mgr notre évêque a reçu de Rome l'ordre de procéder promptement à la recherche des écrits de la « Servante de Dieu ». En ce moment il fait une Lettre pastorale qui devra être lue 3 dimanches consécutifs dans tout le diocèse et qui fera connaître officiellement le procès et ordonnera sous les peines prescrites par l'Église, que tous les écrits de Sr Th. de l'Enfant Jésus soient communiqués en originaux ou en copies certifiées conformes à l'autorité ecclésiastique, pour être soumises à Rome à la révision des théologiens.

Dès que cette lettre aura paru, nous l'en­verrons aux Carmels avec les Articles du Procès oral que vient de composer Mgr de Teil et sur lesquels nous serons interrogées chacune, sous la foi du serment devant un tribunal de six prêtres ayant prêté eux‑mêmes serment. Je vous assure que nous allons avoir une année grave et solennelle, et nous aurons bien besoin de vos prières car nous allons avoir un travail immense. Ne voulant pas nous dessaisir des originaux, il nous faut copier tout son manuscrit, ses poésies, ses lettres, etc.

Le R.P. Flamérion est venu dernièrement, il a raconté ce que le diable lui avait dit dans son exorcisme [Le Père Flamérion, S.J. (1851‑1925) a succédé en 1909 au Père de Haza comme exorciste du diocèse de Paris. Il témoignera au Procès de l'Ordinaire du pouvoir de Thérèse sur Satan  — rétractera sa déposition ! — et de nouveau au Procès Apostolique. Ses rapports au Carmel de Lisieux, en 1910‑1911 semblent avoir excité les imaginations. Mgr de Teil mettra sagement en garde contre les «  révélations » du démon: « C'est toujours délicat d'avoir affaire au diable, qui est le menteur par excellence. » (20 février 1909).  Dès 1905 le Père Pichon écrivait déjà: « Il ne faut pas se fier au démon parlant par la bouche d'un possédé. » (23 août 1905, à Marie du Sacré-Cœur.) Sœur Marie du Sacré-Cœur finira par écrire, désabusée: « On ne parle plus d'exorcismes (...). Nous ne nous occupons plus du diable qui répète toujours la même chose et ne veut jamais sortir du corps des possédées ni au nom de la Ste Vierge ni au nom des saints. » 1er juin 1913, à sœur Françoise‑Thérèse]. 

Merci de votre jolie petite image qui m'a fait un si grand plaisir, c'est bien avec un petit Jésus comme celui‑là que je joue mais cela n'empêche pas ma dévotion si grande à la Face adorable de Jésus souffrant. Voilà bien la « tête » me dis‑je un jour en la contemplant, mais où est le corps ? Et il me semblait l'entendre me dire: « Mon corps, c'est toi ! » Oui c'est nous qui sommes les membres de ce Chef adorable et comment nous étonner alors d'être dans la souffrance, le mépris, l'humiliation ?... C'est trop long de vous développer ma pensée... Vous la devinez.

11.   25 mai 1910 à sr Germaine

La révision des écrits de notre chère petite sainte est terminée. Ces chers écrits vont à présent prendre le chemin de Rome où ils seront sévèrement examinés par des théologiens. Que tout cela est donc grand et pénétrant ! Nous avons été 6 à être interrogées minutieusement sur ces écrits. Mais auparavant on nous a fait jurer l'une après l'autre à genoux, la main sur les saints Evangiles de dire la vérité et de ne rien cacher de ce que nous connaissions sur les interrogations qui nous seraient faites, sous peine de parjure. Cette première cérémonie s'est faite au Chœur, les 2 grilles ouvertes, devant le Saint Sacrement. Mr le Vicaire Général [Quirié], Mr le Supérieur du Grand Séminaire nommé Promoteur de la foi [Dubosq] —entre nous (avocat du diable) mais il est très favorable au fond pour notre petite soeur — et Mr le Chanoine Deslandes secrétaire de l'Evêché et nommé Notaire de la Cause. C'était bien imposant, je vous assure.

Ensuite nous sommes allées à tour de rôle au parloir, où devaient avoir lieu les interrogations. Notre bien‑aimée Mère commença, puis Sr Marie du Sacré-Cœur, Sr Geneviève, moi, Sr Marthe et Sr Marie‑Madeleine converses, novices de Thérèse. Là, on nous fit encore prêter le même serment puis les interrogations commencèrent et toutes nos réponses étaient scrupuleusement écrites par le notaire. Ces questions se résumaient à savoir si les écrits que nous avions livrés étaient parfaitement authentiques, sans aucun changement, si nous avions bien tout livré, si nous gardions les ori­ginaux avec respect et amour.

Je vous donne tous ces détails, chère petite sœur, sachant bien qu'ils vous intéresseront ainsi que toutes nos chères mères et sœurs d'Angers. Ah ! comment vous dépeindre mes sentiments en voyant ces grandes et belles choses qui se passent pour ma petite sœur Thérèse de l'Enfant‑Jésus, naguère ma petite compagne d'exil, ma confidente intime, celle que je chérissais tant et qui me prodiguait elle‑même tant d'amour... Je crois bien que c'est la 1ère fois depuis que le monde est monde qu'on canonise une sainte qui n'a rien fait d'extraordinaire, ni extases ni révélations, ni mortifi­cations qui effraient les petites âmes comme les nôtres. Toute sa vie se résume en ce seul mot: elle a aimé le bon Dieu dans toutes les petites actions ordinaires de la vie commune, les accomplissant avec une grande fidélité. Elle avait toujours une grande sérénité d'âme dans la souffrance comme dans la jouissance parce qu'elle prenait toutes choses comme venant de la part du bon Dieu. Mais... J'oublie que mon temps est très limité et que s'il me fallait suivre la pente de mon cœur à vous parler d'elle ma journée y passerait.

Il faut pourtant que je vous raconte sa gracieuse visite du jour de ma fête. Donc, samedi dernier [le 21 mai, veille de la Trinité], notre Mère vint me dire: « Il y en a un courrier aujourd'hui ! allez le chercher chez nous. » J'entre dans son office et je vis que notre bien‑aimée Mère avait paré la chaise sur laquelle elle dépose habituellement toutes les lettres de commande, d'images et de médailles, pour me fêter. J'étais tout à la joie et bien touchée d'une telle délicatesse, lorsque tout à coup l'appartement fut rempli d'une suave odeur d'encens, je regardai de tous côtés pour savoir d'où provenait ce parfum. Notre Mère entra, je lui demandai aussitôt si elle sentait quelque chose? Et sur sa réponse négative j'ajoutai: « Ce n'est pas possible, ma Mère, vous avez dû brûler de l'encens. » Mais elle m'affirma que non et que tout sim­plement, c'était Thérèse qui voulait s'unir à elle pour me fêter. Ce céleste parfum dura presque 10 minutes, mon émotion fut si forte que je pleurai longtemps, je sentais en même temps dans mon âme une impression de grâce si douce ! Vraiment j'avais besoin de cette consolation, j'avais l'âme presque découragée par l'abondance du travail, plus je me dévouais pour y faire face, plus il augmentait. Cet encouragement de ma petite sœur chérie me redonna du courage.

A présent, j'ai presque un regret de vous avoir raconté cela, j'ai peur que vous pensiez encore que Thérèse vous aime moins pour ne pas vous accorder ses faveurs, alors que c'est tout le contraire ! Je suis bien persuadée en effet que si j'avais été plus forte, moins abattue, Thérèse n'aurait jamais fait cela et c'est plutôt pour moi un sujet de confusion de voir que mon imperfection l'a presque forcée à m'accorder cette faveur. Ces sortes de grâces ne sont jamais accordées sur la terre comme récompense mais seulement comme encouragement. Ici‑bas la récompense de la vertu, la preuve de la satisfaction du bon Dieu pour nous, c'est l'épreuve, la tentation, les souffrances de toutes sortes... Ah ! qu'on s'illusionne à vouloir croire le contraire!

L'histoire des poulets de Sr Agnès de Jésus nous a bien touchées mais pas étonnées, Sr Thérèse de l'Enfant Jésus aimait beaucoup les petits poulets et, du moment que vous l'aviez chargée de votre couvée, vous pouviez être sûre qu'elle s'en tirerait à merveille ! (...)

Je vous envoie (...) une parcelle de la peau de notre petite Thérèse ! Je vous vois d'ici ouvrir de grands yeux interrogateurs pour savoir comment je me suis procuré cette peau. Eh bien, voilà ! Vous savez que j'ai eu la consolation d'être près d'un an son infirmière (comme 3e n'étant que novice). L'année de sa mort, au mois de Mai, on lui mit des vésicatoires sur la poitrine, la peau brûlée tomba mais j'eus soin de la ramasser précieusement [Qu'on apprécie ou non l'idée de conserver pareille « relique », rappe­lons que Thérèse a subi plusieurs fois le traitement douloureux des vésicatoires cf. DE, pp. 148-150, 164, 797. Marie de la Trinité fut auxiliaire à l'infirmerie depuis l'élection de mars 1896 (donc témoin de la première hémoptysie de Thérèse]. Sr Th. de l'Enfant Jésus s'en aperçut, mais elle était si simple qu'elle m'aida dans mon pieux larcin et m'en donna elle‑même ! (‑‑‑)

Mais oui, j'ai une dévotion particulière à Sr Marie de St Pierre, d'ailleurs tous ceux qui aiment la Ste Face sont mes amis. Oh ! que­ je lui dois de grâces à cette Face adorable ! Non seulement je lui dois ma vocation mais jusqu'à mon nom de religion. Je vous ai raconté je pense ce triangle incrusté miraculeusement sur le verre de la lampe qui brûlait jour et nuit chez nous devant la Ste Image [l'histoire complète est racontée dans la circulaire de Marie de la Trinité]. Et depuis, que de bienfaits je lui suis redevable !

12. 6 août 1910. à sr Germaine

(‑‑‑)  Si vous pouviez en réalité « faire la petite poule du jardin » vous constateriez le débordement de travail qui nous incombe. Les lettres pour la boutique sont montées à 60 par jour et de plus c'est la préparation immédiate de nos dépositions. Mgr a constitué le tribunal dont il fait partie avec neuf chanoines le 2 Août dernier, et ils ont prêté serment devant une assemblée de 180 prêtres. C'est le 12 de ce mois (fête de votre bien‑aimée Mère et anniversaire de mes 36 ans) qu'aura lieu la 1ère séance et elles vont se continuer jusqu'au 30 septembre. Ah ! que ne pouvez‑vous entrer en ce moment en notre Carmel avec votre Mère chérie et Sr Th. de l'E.J. On vous ferait lire toutes nos dépositions même les plus secrètes pendant qu'il en est temps encore puisque nous n'avons pas prêté serment; et que vous seriez édifiées, encouragées ! Ah ! qu'elle va être bien glorifiée notre petite Reine. Que je me réjouis de voir que ses vertus cachées, que ses grandes souffrances vont être exposées en pleine lumière. Il existe encore certains préjugés dans ceux qui nous interrogent mais qu'ils tomberont vite devant nos révélations...

13.  9 octobre 1910. à sr Germaine

Savez‑vous qu'à l'ouverture du cercueil, le 6 septembre, le menuisier et son fils ont senti un suave parfum de violettes s'exhaler du côté de la tête. Ils en ont été si touchés qu'en reconnaissance ils nous ont envoyé une magnifique couronne de violettes blanches pour être déposée dans la cellule de notre petite sainte. Un religieux du St Esprit a joui aussi du même privilège.

Nous aussi nous avons été privilégiées, mais... c'est trop long à vous raconter je préfère vous envoyer le résumé de cette grâce que j'ai écrit le soir même; vous voudrez bien me le renvoyer car il me servira dans ma déposition.

‑ Vos 1000 Ave du 6 septembre ont obtenu une plus grande grâce que la guérison de l'aveugle. Vous avez sans doute entendu parler du « Sillon » qui vient d'être condamné. Or, il était à craindre que le Chef, Marc Sangnier, se révolte et entraine tous ses camarades dans le schisme. Grâce à Thérèse il n'en fut rien. Surprise de voir sa belle lettre de soumission au St Père et à ses camarades datée du 6 7bre [septembre], Notre Mère sur l'invitation de Mgr de Teil, lui écrivit (à Marc Sangnier) pour le féliciter et lui demander si Thérèse n'était pas pour quelque chose dans ses dispositions. Voici un extrait de lettre qu'il lui répondit le 15 7bre: « Au moment même où la cruelle épreuve que je viens de traverser s'abattait sur moi, je recevais envoyée par une inconnue, une petite brochure consacrée à Sr Thérèse de l'Enfant‑Jésus. A peine commençai‑je à la lire que je sentis aussitôt une très douce consolation et comme un réconfort intérieur à me faire tout petit et à m'aban­donner à la volonté de Dieu à la suite de Sr Thérèse. C'est dans cette disposition que j'écrivis dans notre journal La Démocratie les 2 Articles que vous avez lus.   Cette lettre a une très grande valeur, pour servir à la Cause de notre petite Thérèse, Mgr de Teil se propose de la montrer lui‑même au Pape. [L'histoire cachée de la soumission si méritoire de Marc Sangnier a été abordée par J. Caron dans La Croix du 17 novembre 1973. Mgr de Teil fit lire la lettre du 15 septembre 1910 au pape Pie X le 29 octobre de la même année. Il lui avait d'abord fait parcourir la lettre de Thérèse sur la communion fréquente (LT 92). Pie X avait alors exprimé sa satisfaction (CG 1, 488). Et c'est après lecture de la lettre de Marc Sangnier - dont le pape voulut garder l'original - que sa joie redoubla et qu'il conclut avec insistance: « Bisogna far presto questo Processo.»]

Nous comptons sur votre discrétion pour ne pas ébruiter ce fait comme aussi celui de Gallipoli dont je veux vous dire 2 mots [il est encore question de Gallipoli dans les lettre 14, 16, 17, 18. Apres une sérieuse enquête sur les faits (1910‑1911), Mgr de Teil en annexa le récit dans la seconde édition des Articles (PO, 98‑103). Nous avons déjà remarqué que Marie de la Trinité connaît bien tous ces faits lorsqu'elle dépose le 13 mars 1911, introduisant les paroles « Ma voie est sûre » (cf. lettre 16) dans le propos de Thérèse cité dès 1907. L'évêque de Nardo, Mgr Giannattasio dépose à son tour les 21‑22 août 1911 et se réfère au témoignage de Marie de la Trinité pour donner plus de poids aux paroles posthumes de la Sainte: « Ma voie est sûre et je ne me suis pas trompée en la suivant.»]

La sainte Mère Prieure continue à avoir des rapports bien mysté­rieux avec Sr Thérèse, elle la voit assez fréquemment et (celle‑ci) laisse de ses visites des preuves dont il est impossible de douter. « Elle se fait voir souvent vers l'aurore, nous écrit la Mère Prieure, son visage est très beau, brillant, ses vêtements brillent d'une lumière comme d'argent transparent, ses paroles ont une mélodie d'ange. »

« La petite Thérèse c'est le joyau du Cœur de Jésus »... Paroles de la Mère Prieure. Elle nous dit qu'elle la reprend de ses manquements, la console dans ses épreuves, lui racontant pour l'encourager tout ce qu'elle a souffert ici‑bas. Avant l'exhumation elle l'a avertie qu'on ne retrouverait que ses ossements mais qu'ils feraient des prodiges comme elle n'en a pas encore fait... Sa dernière lettre était embaumée d'un suave et très fort parfum d'oranger dont la Communauté a joui et Notre Mère lui ayant demandé si elle n'avait pas parfumé sa lettre, elle lui répondit, il y a 2 jours, que sa question la fit bien rire, qu'elle n'avait touché aucun parfum. Elle nous raconta que le 1er jour de la neuvaine pour le 30, elle et sa Communauté avaient senti de mystérieux parfums de roses, d'encens et autres fleurs « beaucoup suaves » dans la petite cassette aux 500 Fr. de Thérèse, de même les 2 billets de 50 Fr. qu'elles conservent étaient parfumés.

Thérèse continue à soulager leur pauvreté en leur apportant quelques billets de temps en temps. L'évêque de Gallipoli avait perdu un billet de 100 Fr., intérieurement il pria Thérèse de les apporter à la Mère Prieure. Quelques jours après et sans rien savoir la mère Prieure dit à l'Évêque qu'en faisant leurs comptes de dépenses elles avaient trouvé à leur avoir un excédent de 100 Fr. sans pouvoir s'expliquer la provenance. Une autre fois l'évêque ferma la petite cassette à clef n'y laissant qu'un seul billet de 100 ou 50 Fr. et quand il revint ouvrir la cassette il en trouva deux. Toutes ces merveilles demandent un minutieux examen. Mgr de Teil va partir ces jours‑ci à Gallipoli envoyé par notre Tribunal diocésain pour procéder à une rigoureuse enquête.

Nos dépositions ne sont pas finies. Notre « petite Mère », Sr Marie du Sacré-Cœur et Sr Geneviève sont passées. Le Tribunal reviendra au mois de février pour les autres témoins dont je fais partie.

Ma petite sœur chérie je ne vous ai pas encore remerciée de votre petite lettre qui m'a fait tant plaisir et tant de bien. Ah ! que Thérèse vous aime ! que vous marchez bien dans sa petite voie!... Notre « petite Mère » est bien touchée aussi de la confiance et de l'affection de ses deux petites filles d'Angers, elle voudrait leur faire plaisir en leur écrivant, mais elle est si surmenée !... Elle s'en dédommage en me donnant la permission de vous écrire tous nos petits secrets de famille, en cela elle vous donne une grande preuve d'amour. (‑‑‑)

14.   6 novembre 1910. 

Un mot bien à la hâte pour vous donner les renseignements que Sr Geneviève vient de me donner, car nous sommes débordées.

M. Bohard, d'une piété exemplaire, avait eu beaucoup d'enfants; il était Maire de son pays (Athis dans l'Orne). Sa sœur, Mlle Bohard, avait épousé M. Martin; de ce mariage naquit le Capitaine Martin, grand père de Sr Thérèse de l'Enfant Jésus. Mlle Bohard votre tante [Sophie Bohard, cousine des Martin], la famille Madeline, Mme St Arsène de l'Abbaye de Lisieux, descendaient de M. Bohard maire d'Athis, tandis que Sr Thérèse de l'Enfant Jésus descend de Mlle Bohard sa sœur. (...)

Si vous êtes alliée à la famille de Sr Thérèse, c'est du côté de son Père mais nullement du côté de sa mère. Tout ce qu'il y a de certain, c'est que vous êtes plus que sa petite cousine, vous êtes sa vraie sœur d'âme et c'est un lien plus fort que celui du sang.

Excusez‑moi d'être si brève. Je vous écrirai plus longuement après la Retraite que nous aurons du 17 au 25 courant.—Mgr de Teil est bien content de son voyage à Rome et à Gallipoli. Tout est très vrai et avec d'autres touchants détails que je vous raconterai. Mais... faut‑il vous le dire ?... oui, comme à ma petite sœur ; eh bien j'ai eu de la peine de vous avoir raconté Marc Sangnier puisque je n'ai pas été comprise... Dorénavant, si vous voulez que je reste libre avec vous, ne montrez pas mes lettres à toute la Communauté. Je vous parle avec simplicité, vous racontant les faits comme je les sais et les comprends sans étude plus approfondie; s'il se glisse quelques erreurs dans mes récits c'est ignorance de ma part, alors qu'on en rie, très bien, mais qu'on ne s'en formalise pas, car cela me ferme le cœur... Vous m'avez comprise, n'est‑ce pas ?

Votre petite sœur Marie de la Trinité

Oui, Sr Th. espérait que Jésus, exauçant son désir, demeurait toujours en elle sous les espèces sacramentelles, et c'est aussi ma conviction. Je vous en reparlerai dans ma prochaine lettre. (‑ ‑‑)

15.     3 janvier 1911.

L'encombrement de lettres pour Noël et le jour de l'an m'a empêchée de venir à vous comme je l'aurais désiré dés le 25 décembre. (...)

Je me rappelle que je vous ai promis quelques détails sur l'opinion que nous avons que Jésus-Eucharistie habitait continuellement en l'âme de notre petite sainte (...)

Tout ce que je demande je pense que le bon Dieu me le donne et cette pensée dilate mon âme, la recueille, lui fait du bien. Si je me trompe (ce que je ne crois pas) eh bien, mon erreur m'aura servi à m'unir davantage à Jésus et je ne la regretterai pas.

Je vous quitte bien vite, petite sœur chérie, j'espère que vous m'avez comprise et que vous penserez comme moi pour la plus grande dilatation de votre âme dans l'amour. Je ne raisonnerais pas avec tout le monde comme je le fais avec vous, il n'y a que notre Petite Mère qui me connaisse vraiment, les autres ne comprendraient pas. (‑‑‑)

16.   18 avril 1911.

(‑‑‑)  J'avais bien hâte de trouver ce moment de libre pour m'entretenir avec vous et encore va‑t‑il être trop court à mon gré pour vous raconter tant et tant de choses ! Forcément je dois me restreindre... au ciel seulement nous pourrons jouir de l'expansion parfaite et ce bienheureux temps arrivera vite, soyez en sûre.

Le dernier et si malin influenza que nous venons de traverser m'a encore confirmé qu'en peu de temps nous pouvons aborder au port. Sans une protection bien spé­ciale de notre petite Thérèse, nous aurions dû perdre 4 ou 5 d'entre nous parmi lesquelles notre petite Mère chérie, Sr Geneviève et même votre petite sœur était du nombre des partantes. Sr Geneviève une fois hors de danger a pleuré de dépit d'avoir manqué le train, elle a si grande hâte de revoir sa Thérèse !

Notre « petite Mère » si dévouée s'est réjouie de notre bonheur de la conserver encore, puis la Cause si intéressante de sa petite sainte chérie l'attire et la console de son exil prolongé. Quant à moi j'aurais été heureuse de mourir mais maintenant je suis très heureuse de vivre puisque je fais la volonté du bon Dieu. Au mois de novembre dernier j'ai fait un rêve bien symbolique que je veux vous raconter pour qu'il vous fasse le même bien qu'à moi (...)

Ne trouvez‑vous pas, chère petite sœur, que ce rêve est encore une assurance de la voie si sûre de Thérèse qui mène à la glorieuse demeure des petits ? A propos de cela il faut que je vous raconte le fait merveilleux opéré en faveur de Mgr Giannattasio, évêque de Nardo (Italie). Ce saint prélat fut frappé de la parole de Sr Thérèse à la Mère Carmela de Gallipoli : « Ma voie est sûre. »

Pour s'assurer si elle avait voulu entendre par ces mots la sûreté de sa doctrine, il profita d'une retraite qu'il prêcha cette année au mois de janvier au Carmel de Gallipoli pour en faire l'expérience. Il mit dans une enveloppe cachetée et scellée une offrande de 500 Fr. avec un billet portant ces mots: « Ma voie est sûre. » Il fit déposer cette enveloppe dans la mystérieuse cassette et pria Sr Thérèse d'y venir déposer 300 Fr. pour preuve de la vérité de sa parole.

Le 16 Janvier, jour anni­versaire des premiers 500 Fr. apportés par Thérèse, il fit ouvrir cette enveloppe en sa présence, mais quelle merveille ! En plus de son offrande et du billet écrit il y avait les 300 Fr. demandés ! Or personne n'était au courant de sa prière et de l'expérience qu'il avait voulu faire. C'est lui‑même qui nous a raconté ce fait prodigieux.

Il nous a aussi raconté son désir de faire toucher à Sr Thérèse sa croix pectorale dans une de ses apparitions à la Mère Carmela et que non seulement Thérèse prit sa croix entre ses mains mais qu'elle écrivit par derrière: « Zèle apostolique. » Depuis ce jour, il assure qu'il sent en lui ce zèle croître de plus en plus. (...)

S'il me fallait vous narrer toutes les merveilles que nous recevons journellement de notre petite Thérèse je ne cesserais pas de vous écrire. Aussitôt que la nouvelle Pluie de Roses sera parue nous vous l'en­verrons mais déjà vous avez dû la voir dans la nouvelle grande édition de l'Histoire d'une Ame, 90e mille, qui est aussi enrichie de 4 ou 5 nouvelles gravures. Depuis cette nouvelle Pluie de Roses, nous avons encore reçu bien des faits extraordinaires. (‑‑‑)

Nous avons terminé nos dépositions devant le Tribunal diocésain. La mienne a duré six séances de 3 ou 4 heures chacune. Ce temps m'est resté comme un souvenir du Ciel, j'ai senti bien vivement l'assistance de ma petite sœur Thérèse, je n'ai pas du tout été inti­midée et vous devinez avec quel cœur j'ai parlé des vertus héroïques que je lui ai vu pratiquer. Sr Geneviève parlant de nos dépositions disait que Sr Thérèse avait eu comme Notre Seigneur ses 4 évangélistes. St Jean: Notre Mère, St Luc: Sr Marie du Sacré-Cœur, St Matthieu: Sr Geneviève, St Marc: Sr Marie de la Trinité !

Le bon Père Flamérion en revenant de sa Déposition à Bayeux a raconté à Notre Mère des choses bien intéressantes sur ses exor­cismes. Le diable lui dit un jour: « Thérèse de l'Enfant Jésus la Vierge du Carmel et Jeanne d'Arc la Vierge de Domrémy combattent har­diment pour la France. Leur combat sur la terre a été différent dans la forme, là‑haut où toute forme disparaît il est fait de la réalité éternelle des bienheureux qui est celle de l'amour, car c'est à force d'amour que la France peut être sauvée, mais l'amour est jeté sur elle, il la rendra grande. Qu'elle se lève éclatante parmi toutes les nations car le Cœur du Christ la regarde. » Il appelle la voie d'enfance une voie d'imbécillité. Le Père lui demanda: « Qu'est‑ce donc qui m'a valu d'être appelé à cette imbécillité ? »

- « Parce que tu étais droit et Dieu ne demande que cela. »

Le 21 mars, le démon lui dit que Thérèse sera bientôt sur les autels.

—Quand Thérèse sera sur les autels, lui dit le Père, elle aura une plus grande puissance ?

—Non, elle la manifestera davantage.

—Tu as raison, elle n'aura pas une plus grande puissance puisqu'elle est fixée par son degré de gloire.

—Ta distinction est bonne, alors pourquoi emploies‑tu une expression qui n'est pas juste ?

Une autre fois le Père dit au démon: —Ca te fait donc bien mal l'obéissance ? —Rien ne m'écrase davantage.

Il dit encore qu'« une âme est en puissance auprès de Dieu autant qu'elle est pure ».

Voilà chère petite sœur ce que je voulais vous raconter pour vous intéresser ainsi que votre Mère chérie et toutes vos sœurs. Pour ma peine, veuillez recommander à leurs prières notre petite sœur Margue­rite‑Marie du Sacré-Cœur afin qu'elle devienne une parfaite carmélite, une autre « petite Thérèse ». Jusqu'ici Notre Mère est bien contente d'elle, elle est énergique et a bonne volonté. Mais elle a tout à apprendre, c'est une vie si différente de celle qu'elle menait que les débuts lui sont un peu durs, malgré tout elle estime n'avoir jamais été aussi heureuse et j'espère qu'elle réussira. Quelle grâce Sr Thérèse lui a faite l Le jour de sa 1ère Communion qu'elle a faite ici au Couvent de la Providence où l'une de mes sœurs est religieuse, elle était venue au Carmel. Sœur Thérèse de l'Enfant Jésus vint la voir au parloir et ne put s'empêcher de pleurer en la regardant tellement elle se sentit émue. Peut‑être à ce moment avait‑elle demandé au bon Dieu de la prendre pour Lui ? Quelques jours avant sa mort comme je lui recommandais particulièrement cette chère sœur, elle me répondit: « Ne vous in­quiétez pas, je m'en occuperai ». [Cette lettre est la source unique de la parole de Thérèse en 1897. Le 24 mai 1894, jour de la première communion de Marguerite‑Marie Castel, Marie de la Trinité n'était pas encore entrée au Carmel de Lisieux. Marguerite-­Marie (1883‑1964) devra quitter le Carmel de Lisieux pour raison de santé au bout de quelques mois, sans avoir pris l'habit. Elle sera ensuite Visitandine à Caen].

A mon tour, je recommande à vos prières ma grande Retraite que je vais commencer le soir du Bon‑Pasteur, 30 Avril, 20e anni­versaire de ma 1ère entrée au Carmel et 15e anniversaire de ma Profession. Que de grâces reçues depuis ce temps !... Mes dettes d'amour s'augmentent à toute heure. Ah! que leur poids m'écrase et me fasse enfin mourir ! Je me sens de plus en plus impuissante à y faire face... Qu'il est doux d'avoir été choisies pour être les petites victimes de l'Amour miséricordieux ! Ah ! laissons‑nous enserrer de toutes parts par cet amour purifiant et transformant, et que toute notre vie jusque dans ses plus petits détails ne soit plus qu'un acte d'amour.

17.   1911 (?)

Très secret

Je ne sais pas si je vous ai dit que c'est Notre‑Seigneur lui‑même qui a dit à la Mère Carmela, Prieure de Gallipoli: « Ma fille, Thérèse est la joie de mon cœur. »

La veille de l'exhumation quand Sr Thérèse lui est apparue et lui a dit qu'on ne retrouverait que ses ossements, elle lui a fait un signe de regarder en haut. Alors la Mère Prieure vit un manteau de reine brodé par les anges tout brillant de pierreries qui figuraient lui dit‑elle, les vertus qu'elle a pratiquées sur la terre dans l'ombre et le silence. Une couronne d'or était aussi suspendue au‑dessus de sa tête et comme la Mère Carmela lui demandait pourquoi elle ne revêtait pas ce manteau et ne portait pas cette couronne, Thérèse lui a répondu en souriant: «J'attends la permission du Pape. »

18.   28 mai 1911.

(‑‑‑)  Hélas, je dois avouer que je suis loin d'être toujours fidèle, obtenez‑moi de notre Petite Reine l'énergie nécessaire pour l'être toujours. C'est si triste de manquer des occasions de faire plaisir à Jésus ! Je me rappelle qu'un jour je dis à Sr Thérèse de l'Enfant-­Jésus: « Si je ne faisais pas attention à être bien fidèle je n'irais pas au Ciel tout droit » — « Ce n'est pas cela, me répondit‑elle, le bon Dieu est si bon qu'Il s'arrangerait de façon à ce que vous iriez tout de même, vous ne perdriez rien, mais c'est Lui qui perdrait de l'Amour... » Elle me dit ces paroles avec un accent si pénétré qu'elles me firent plus d'effet que si elle m'avait dit que je me damnerais !

En ce moment, la communauté est dans une bien grande peine, notre chère Mère sous-prieure [Sœur Isabelle du Sacré Cœur, qui mourra le 31 juillet 1914] a vomi le sang le jour de l'Ascension, le médecin la déclare perdue. Elle n'a que 29 ans, mais elle est mûre pour le Ciel, c'est une sainte comme on en voit rarement et avec cela d'une intelligence remarquable. Notre Mère chérie surtout a beaucoup de chagrin, elle lui rendait tant de services surtout comme Maîtresse de Novices, charge qu'elle exerce avec une capacité et une humilité extraordinaires. C'est un ange de plus que notre petit Carmel va envoyer au Ciel.

Il est vraiment fécond en saintes et ses heureuses habitantes seraient doublement coupables de ne pas le devenir en vivant au milieu de si beaux exemples. Priez bien pour notre sainte petite malade, Notre Mère voudrait bien que le bon Dieu la prolonge le temps de former nos 4 postulantes qui ont l'air de bien prendre racine parmi nous. Que votre bien‑aimée Mère, en retraite en ce moment, nous obtienne ce petit miracle.

Quel mystère ! Thérèse qui fait des merveilles de toutes parts, ne nous soustrait aucun calice amer. On dirait qu'elle traite sa « petite Mère » sans pitié !... Elle était vraie la parole qu'elle me disait: « Les saints qui souffrent ne me font pas pitié. » Pour moi, je crois qu'au Ciel j'aurai pitié des saints qui souffrent, ils pourront avoir recours à moi. En attendant si vous en connaissiez un, veuillez nous l'indiquer pour qu'il ait pitié de nous. On lui ferait une fervente neuvaine.

J'ai bien senti que vous aviez prié pour moi pendant ma Retraite car malgré tous mes dérangements inévitables (à cause de Thérèse) mon âme a été toute reposée et retrempée dans l'amour. Mes sou­venirs sur Thérèse me suffisent pour mes oraisons et je sais que le bon Dieu ne demande pas autre chose de moi que de marcher dans la « petite voie » où elle a guidé mes premiers pas. Oh! que je l'aime cette petite voie! Aussi tout mon travail est de ne pas m'en écarter car il est si facile de s'en détourner qu'il faut une attention soutenue pour y demeurer. Mais lorsqu'on y est, quelle paix, quel ciel anticipé !...

Je ne vous dirai rien aujourd'hui des nouveaux prodiges de notre petite Maman du Ciel, vous verrez les principaux dans les nouveaux Articles de Mgr de Teil qui paraîtront dans un mois. Là seront relatées les merveilles de Gallipoli bien mieux que je ne vous les ai racontées puis la conversion miraculeuse d'un ministre protestant à Edinburg, conversion si extraordinaire que tous les journaux anglais en ont parlé [il s'agit d'Alexander‑James Grant, qui a déposé au Procès de l'Ordinaire ]. Ce ministre va même venir déposer au procès à Bayeux. Mgr de Gallipoli et Mgr de Nardo viendront de même faire leur déposition. Ils profiteront de l'occasion pour pénétrer dans la clôture et vénérer les lieux sanctifiés par notre Ange.

19. 27 décembre 1911.

(‑‑‑) Je vous envoie le compte‑rendu de la clôture du Procès Infor­matif de notre petite sainte. Ce même jour, 12 décembre, nous avons eu dans notre Chapelle un salut très solennel en son honneur, il y avait tant de monde pour y assister que beaucoup n'ont pu trouver place dans la Chapelle. C'est Mr l'Abbé Domin, aumônier des Béné­dictines, celui qui fit faire la 1ère Communion à Thérèse, qui officia, assisté de Mr l'Abbé Faucon, celui qui lui donna sa dernière abso­lution. Après la bénédiction, l'officiant récita à haute voix la prière pour demander la béatification, elle fut suivie du chant du cantique ci‑joint.

Je ne vous cacherai pas que nous étions bien émues pendant cette cérémonie, pour moi j'ai pleuré tout du long et j'ai vu que je n'aurais jamais la force de supporter les joies de la béatification; « Petite Mère » dit la même chose pour elle. Si le bon Dieu veut pour nous ces joies, il faudra qu'Il nous cuirasse le cœur ou alors on en mourrait !

Le lendemain de cette fête nous recevions une lettre d'un sémi­nariste nous racontant que dans la nuit du 11 au 12 il avait vu Sr Thérèse resplendissante lui dire: « Aujourd'hui à Bayeux il y a grande fête en mon honneur, je vais faire pleuvoir un torrent de roses... Rome parlera bientôt. » Ce séminariste d'un pays éloigné nous demandait instamment de lui dire si vraiment il y avait eu fête, car il n'était au courant de rien. Ce fait nous a grandement réjouies.

Je vous quitte bien vite, ma petite sœur, comptant sur de promptes nouvelles. Je vous souhaite une sainte fête des Innocents (c'est la fête des petits). (‑‑‑)

20.   1er mai 1912.

Chère petite sœur de mon âme,

Nous aussi nous avons la grippe et une grippe pommée, je vous assure ! Notre R[évéren]de et bien aimée Petite Mère en est couchée avec 39° de fièvre. Bref, c'est à qui aura le plus violent mal de tête ! Vous le voyez, nous ne valons pas plus cher que vous.

Eh bien, malgré tout, nous sommes, comme vous, heureuses de la part que le bon Dieu nous fait (...) Pour ma part, je vous dirai tout bas (car on pourrait se scandaliser que je vous écrive) que je fais en ce moment ma grande retraite particulière, retraite de souffrance comme vous le pensez bien, mais souffrance douce et paisible, car ne recherchant pas ni n'attendant pas la joie, je me trouve dans mon élément naturel, laissant faire le bon Dieu en moi sans même cher­cher à me rendre compte de ce qu'il y fait. Ah ! quelle douce paix on trouve en cet abandon ! Thérèse me fait entrer de plus en plus dans le ciel anticipé et je me réjouis de constater dans vos lettres qu'elle fait de même avec vous. Oh ! oui, nous marchons bien dans la même petite voie, n'ayant d'autre souci que d'aimer Jésus et de transformer en amour jusqu'à nos moindres petits actes. Nous ne sentons pas cet amour, c'est vrai, mais qu'importe ! La volonté seule d'agir ainsi suffit, bien que nous ne constations que nos misères et nos défaillances perpétuelles. Un petit enfant ne peut pas sentir autre chose ! 

Vous avez bien de la bonté de reste de vous tourmenter pour vos directions de retraite ! Faites donc comme moi ! Pour éviter de lutter et de me sentir incomprise, je réponds invariablement aux Pères de passage pour retraites « que tout va bien dans mon âme, que je m'exerce à aimer Jésus en toutes mes actions, que je passe ma vie à tomber et à me relever sans cesse ». Et je les quitte sans entrer dans plus de détails. En cela, je suis le conseil de ma « Petite Mère » et mon âme s'en trouve au mieux ! (‑‑‑)

21.   29 août 1912. 

J'ai honte de vous faire attendre si longtemps ma lettre promise et pourtant c'est notre petite Thérèse qui en est cause, elle occupe tous mes moments. Elle fait partager ses célestes travaux à ses bien-­aimées sœurs du Carmel de Lisieux et nous sommes comme forcées d'entrer dans son activité débordante. De tous les confins de la terre on vient à elle, mais en passant par le Carmel de Lisieux. En ce moment c'est le temps des pèlerinages. Nos Sœurs Tourières étaient tellement débordées par l'affluence de pèlerins qu'il nous a fallu établir une « Procure » ou magasin d'objets de pèlerinage en face le Carmel, car personne ne veut quitter Lisieux sans emporter un souvenir de Thérèse. Nous avons une gérante, mais c'est nous qui devons alimenter cette Procure, aussi jugez du tracas qui m'incombe pour faire les commandes aux différents éditeurs, vérifier les colis à leur arrivée et faire passer à la Procure tout ce qui est nécessaire, puis le grand registre de comptes qu'il me faut tenir, etc. etc.

Le mois dernier les évêques du Congo, du Zanzibar, de la Côte d'ivoire, de Tahiti et celui du Dahomey sont venus faire leur pèle­rinage à la tombe, à des jours différents sauf deux qui s'y sont ren­contrés le même jour. L'évêque du Dahomey est venu avec un petit esclave noir qui lui a répondu la messe. Ces saints évêques mis­sionnaires ont remporté de leur pèlerinage, disaient‑ils, un souvenir qui les embaumera toute leur vie et un réconfort pour continuer leur laborieux dévouement dans les Missions. Si toutes ces réceptions d'Évêques sont consolantes, vous comprenez qu'elles nous prennent du temps.

[Visites sensationnelles à l'époque ! La chronique du monastère signale: le 5 juillet, pèlerinage et entrée de Mgr Augouard, Congo; le 15, Mgr Steinmetz, vicaire apostolique du Dahomey, accompagné de Mgr Maury, vicaire aposto­lique de la Côte d'Ivoire, le 21 juillet, Mgr Allgeyen, évêque de Zanzibar (entrée en clôture), le 23, Mgr Hermel, vicaire apostolique de Tahiti. Il faut lire la lettre de sœur Geneviève à Léonie, les 23‑24 juillet].

Le 16 Juillet un directeur de grand séminaire en Italie est venu faire un pèlerinage à la tombe, il avait pris tous ses arrangements pour rester plusieurs jours à Lisieux pour contenter sa dévotion. Mais, dès son arrivée Sr Thérèse l'a tellement comblé de grâces intimes en lui faisant sentir sa présence sensible à ses côtés qu'il ne put maîtriser son émotion, ses larmes coulèrent abondamment pendant sa Messe; à genoux à la tombe pendant 3 heures durant, il ne cessa de pleurer. Enfin, il prit le parti de reprendre le train le soir même, avouant à Notre Mère qu'il lui était impossible de supporter plus longtemps une si forte émotion sans tomber malade. C'est à lui que nous avons confié les 4 colis de lettres postulatoires de Sr Thérèse pour les porter à Rome. Il nous a écrit que lorsqu'il s'était agi de les faire passer à la douane, les employés se sont inclinés au nom de Sr Thérèse et n'ont pas voulu les taxer d'impôts. Il paraît que c'est chose inouïe ! Rappelant ses vives émotions à Lisieux, il ajoute: « Mon pèlerinage a été un baptême de larmes... j'entendais toujours bien nette la voix de Thérèse qui me parlait au fond de mon âme de foi, d'espérance, d'amour, d'enfance spirituelle, d'actions de grâces, d'oblations, d'immolations ! »

Mais je m'étends trop longuement sans calculer mon temps; quand je me mets à vous écrire, petite soeur chérie, je ne sais tarir... puis je sens que tous ces détails vous font plaisir ainsi qu'à votre si bonne Mère et à vos chères Sœurs et cela m'encourage.

Mgr le Cardinal Amette est venu avant‑hier nous rendre visite, nous l'avons reçu comme un Père toujours aimé. Après nous avoir dit sa Messe, nous l'avons reçu à la Salle de Récréation que nous avions bien décorée et là les Novices lui ont joué « La Petite Voie », [Poème mystique, composé par sœur Isabelle du Sacré-Cœur] ce qui l'a vivement intéressé et charmé. Il nous a quittées pour se rendre au Cimetière avec notre Évêque visiter notre illustre « Petite Reine ».

Dès maintenant je prie de toute mon âme pour vos prochaines élections. C'est une bien grande épreuve quand il faut changer une Mère aimée comme la vôtre. Mais Jésus et Thérèse vous adouciront l'épreuve, j'en suis bien persuadée; déjà ils y travaillent dans l'âme de ma petite Germaine en la faisant pénétrer si profondément dans la petite voie d'abandon et de confiance. J'y pénètre avec vous chaque jour de plus en plus, petite sœur de mon âme. Ah ! qu'on y est heureux dans cette voie ! on ne sait plus rien appréhender ni redouter, on s'endort confiants dans les bras de Jésus et on n'aime que ce qu'Il fait ou permet...  (‑‑‑)

Notre chère Mère sous-prieure va toujours un peu mieux, sans être bien vaillante. Elle vient de composer une nouvelle édition de la Vie de Mère Geneviève notre Fondatrice, elle est à l'impression en ce moment, je vous l'enverrai aussitôt prête. [il s'agit de la brochure La Fondation du Carmel de Lisieux et sa Fondatrice: La Révérende Mère Geneviève de Sainte Thérèse - imprimatur du 26 juin 1912 - qui constitue un résumé de la circulaire de Mère Geneviève et de son récit de la fondation du monastère.]

22.   6 janvier 1913.

(...) Vous partirez sans doute avant moi, car Thérèse m'associe plus directement avec ses Sœurs bien‑aimées à sa mission mondiale, il est comme nécessaire que nous restions encore jusqu'à sa béatification puisqu'elle semble vouloir se servir de nous pour propager sa mission. La semaine dernière nous avons reçu près de l800 lettres ! Pour moi, c'est un prodige que nous puissions arriver à faire face à tout en maintenant notre vie religieuse. (‑‑‑)

La veille du jour où les journaux ont publié que ses écrits avaient été approuvés à Rome (le 12 décembre) nous finissions les Laudes au Chœur quand soudain un bruit épouvantable s'est fait entendre à la stalle de Sr Thérèse. Nous nous demandions avec anxiété ce que cela pouvait signifier. Nous avons eu la clef du mystère le lendemain en apprenant la bonne nouvelle, et quelques jours plus tard nous avons été instruites des menées diaboliques des ennemis influents de notre petite sainte pour empêcher ou du moins retarder ce 1er triomphe. Le diable nous avait fait entendre par son vacarme le rugissement de sa défaite. (‑‑‑)

23.   14 juin 1914.

(‑‑‑) Ainsi que vous, nous trouvions le temps long pour la récep­tion de cette bienheureuse dépêche qui nous est parvenue le 10 à 5 h l/2 du soir [dépêche annonçant officiellement l'Introduction de la Cause de la Servante de Dieu Thérèse de l'Enfant‑Jésus, 10 juin 1914, par Pie X]. Aussitôt nous avons sonné nos 2 cloches et toute la Communauté s'est rendue au Chœur pour chanter le Te Deum avec manteaux et cierges. Personne n'occupait la stalle de Thérèse, on y avait déposé une immense couronne de violettes blanches et de lys - don d'une protégée de Sr Thérèse - ayant un large nœud de satin blanc avec cette inscription en or: « A notre Sainte Protectrice Thérèse de Lisieux, 9 juin 1895‑9 juin 1914 ». Je vous assure que nous étions toutes bien émues...

Nous ferons notre Triduum de réjouissances, vendredi, samedi et dimanche prochain  (lire la lettre de Sœur Geneviève à sœur Françoise‑Thérèse, 28 juin 1914.)

(‑‑ ‑)

24.   Fin juin 1914.  

(...) Comme vous avez bien fêté, vous aussi, notre chère petite Thérèse ! Nous aussi nous avons fait procession autour des cloîtres, dans l'infirmerie et la cellule de Thérèse au chant des litanies et cantiques en 3 parties, nos 2 postulantes étaient en blanc couronnées de roses et jetaient des fleurs. A la tête de la procession était une jolie bannière de Thérèse, ex‑voto venu d'Irlande. La photo de nos cloîtres n'a été prise que le 3e jour, il restait alors très peu de pétales par terre, ayant enlevé tout ce qui était fané, mais le sol était jonché.

Au réfectoire il y avait la grande gravure de Sr Thérèse aux roses drapée et enguirlandée très artistement, toutes les tables étaient recou­vertes de grandes nappes blanches qui tombaient jusqu'en bas et garnies de fleurs, la chaire et l'escalier étaient drapés de serge blanche garnie de fleurs.

Pendant Matines nos Soeurs du voile blanc et les novices ont allumé tous nos lampions et lanternes vénitiennes. Aussi quand nous sommes sorties de Matines le coup d'œil était vraiment féerique. Notre postulante qui a vu les illuminations à Venise disait qu'elles n'étaient pas aussi belles que les nôtres, à beaucoup près. A la fenêtre de la cellule de Thérèse, il y avait une grande étoile de lumière. Que j'au­rais voulu que vous puissiez jouir du spectacle ! J'ai oublié de dire en parlant de l'apparition de Thérèse qu'elle portait une robe de satin couleur feu brun et un manteau de satin blanc parsemé d'étoiles d'or. Après son chant, d'instinct nous nous sommes mises en procession, Thérèse en tête, en chantant le Te Deum en parties, c'était à se croire au Ciel ! puis nous avons tout éteint sauf l'étoile rayonnante de Thérèse qui brillait dans la nuit comme la présence visible de celle que nous fêtions.

25.   (Août ?) 1914. Fragment

Les instruments de pénitence de Sr Thérèse de l'E.J. consistaient en 1 bracelet, 1 ceinture crin, 1 croix fer, 1 cilice. Mais ne vous épouvantez pas, elle ne s'en est presque pas servie, ses mortifications, comme elle le dit, consistaient surtout à mortifier son esprit et son cœur.

26.   2 novembre 1914.

Votre lettre m'a fait un plaisir bien grand, je vois que vous êtes le petit enfant privilégié de Papa‑Bon Dieu et de Maman‑Marie, moi aussi je le suis mais pas tout‑à‑fait de la même façon, je ne sens et ne vois rien, ou plutôt je ne sens que ma misère et mon impuissance je ne vois que ténèbres et malgré tout je reste dans une paix ineffable. Jésus dort, Marie aussi; je ne cherche pas à les réveiller et comme Thérèse « j'attends en paix le rivage des cieux ». Je ne sais si je vous ai raconté un rêve que j'ai fait il n'y a pas bien longtemps et qui me fait encore beaucoup de bien. Je m'étais endormie en demandant avec amour et confiance pardon au bon Dieu de plusieurs infidélités de la journée. Et voilà que, sur le matin, je rêve que j'arrivais au Ciel environnée de gloire et de splen­deur. En m'apercevant les anges et les saints s'écrient avec admi­ration: « Quelle est celle‑ci qui s'élève du désert, comblée de délices et appuyée sur son Bien‑Aimé ! » Et tandis qu'ils s'exclamaient ainsi je comprenais que le désert signifiait ma pauvreté, mon impuis­sance, mon néant et que toute ma richesse, mon éclat venaient de ma confiance en Jésus, de ce que j'étais appuyée sur mon Bien‑Aimé qui me communiquait ses vertus et ses mérites... Sous le coup de cette grâce inoubliable, je m'éveillai. Depuis, ma confiance est plus grande encore, j'ai plus de force pour supporter les ténèbres de la foi et ne pas me décourager de mes chutes.

La guerre ne me donne guère de répit dans mon emploi, au contraire ! Bar‑le‑Duc, sur la ligne du feu, ne peut faire aucune expédition, de sorte que je suis obligée de servir toutes les commandes, nous recevons à peu près une centaine de lettres par jour qui donnent encore bien du travail. Chère petite sœur, j'ai demandé à notre Mère chérie de vous faire profiter de son dernier chapitre car je m'empresse de recueillir soigneusement toutes ses paroles qui font tant de bien à l'âme. Elle sourit quand je lui dis quelquefois: « Oh ! ma Mère, le St Esprit est tout entier en vous ! » Et c'est vrai, il y a du divin dans ses paroles, elle est une image vivante du bon Dieu.

(...) Ce que vous me dites au sujet des sentiments des Srs de X pour Thérèse ne m'étonne pas, pourtant leur Mère Prieure l'aime beaucoup. Elle n'est pas très appréciée de tous les Carmels; il faut, vous le savez, être petite âme pour la comprendre complètement et il y a plutôt de grandes âmes dans les Carmels. (‑‑‑)

27.   22 avril 1915.

Oui, le nouveau Procès de notre Thérèse est commencé [Procès Apostolique - PA - ouvert à Bayeux le 17 mars 1915] et il nous faudra encore comparaître devant un Tribunal bien imposant. C'est un honneur, mais un honneur bien coûteux, je vous assure. Enfin ce n'est pas acheter trop cher le privilège de pouvoir, par notre témoignage, rehausser l'éclat des vertus de notre sainte chérie.

Que de merveilles elle opère, et de plus en plus ! Mais les plus grandes sont, à mon avis, celles qu'elle opère dans les petites âmes comme la vôtre, par exemple. (...) J'espère qu'elle agit de même, à mon insu, dans ma pauvre petite âme car je n'éprouve aucun des sentiments d'union ineffable dont vous êtes favorisée, mais loin de les jalouser je pense simplement qu'ils ne me sont pas nécessaires, et j'accepte en paix de trébucher à chaque pas dans la nuit profonde. (‑ ‑‑)

28.   8 juillet 1915.

Ma petite sœur chérie j'ai un grand service à vous demander, ce serait de me trouver, le plus promptement possible les passages, dans la vie de Sr Gertrude Marie, qui parlent du prodige de Jésus restant en elle d'une Communion à l'autre et, si vous en avez, d'autres senti­ments autorisés de théologiens à ce sujet.

J'en aurais besoin pour ma déposition comme preuves à l'appui de la certitude de la prière exaucée de Sr Thérèse: « Restez en moi comme au Tabernacle, ne vous éloignez jamais de votre petite hostie. » Au dernier procès cette question a été touchée, malheureusement les Juges n'avaient pas cru utile de prendre toutes les raisons données à l'appui [il faut croire que le Tribunal manifesta la même réserve dans l'interro­gatoire du 25 septembre 1916, qui ne s'attarde pas outre mesure à la  demande de la Servante de Dieu]. Ces raisons, je les ai détruites depuis, et j'ai tout lieu de penser qu'à ce nouveau procès elles me seraient redemandées. Je crois me rappeler que votre bonne Mère Marie‑Claire avait interrogé le Père Flamérion à ce sujet et que sa réponse avait été favorable à notre croyance.

Bref, faites‑moi un petit résumé de citations qui m'évitera de passer un long temps à chercher dans un livre et dans la multitude de lettres conservées. Adressez la lettre de réponse à mon nom, autrement elle risquerait d'être ouverte par d'autres secrétaires. Notre Mère, surtout en ce moment, ne peut ouvrir les 4 ou 500 lettres reçues par jour, mais les lettres adressées aux sœurs sont ouvertes par elle.

Bien que je n'aie pas encore prêté serment pour le secret de tout ce qui touche au Procès Apostolique, gardez pour vous ma demande, n'est‑ce pas? car rien ne doit être ébruité concernant les interrogations; ainsi depuis que notre Petite Mère a prêté serment je n'ai plus le droit de la consulter pour ma déposition.

Priez bien pour notre Mère chérie, c'est si fatigant de si longues séances, le matin de 9 heures à midi et le soir de 2 heures à 6 heures. sans discontinuer, soit 7 heures par jour. Notre Mère est à son 4e jour, je crois prévoir qu'elle en aura bien pour une dizaine de jours en tout. Que de belles choses elle a à déposer ! Là sont dévoilées « les pages qui ne devaient pas se lire sur la terre ». (Ms A 75 r°)

29.   14 juillet 1915.

(‑ ‑ ‑) Notre Mère chérie n'a pas encore fini ses séances, elle croit en avoir encore pour deux jours [Mère Agnès a déposé du 5 au 19 juillet 1915] . Sr Geneviève sera à peu près aussi longtemps que Notre Mère. Pour Sr Marie du Sacré-Cœur, il est à prévoir qu'elle en aura seulement pour 3 ou 4 jours car ce n'est pas dans son caractère d'entrer dans les détails, de traiter toutes les questions comme Sr Geneviève ! (‑‑ ‑)

30.   26 novembre 1916.

(‑‑‑)  Vous n'aurez pas à regretter votre envoi, déjà demain ou après-­demain je vous en retournerai une grande partie, augmentée de plusieurs photographies qui vous feront plaisir. Le reste vous sera envoyé plus tard dans quelques mois intégralement, sauf la photo où notre bonne R[évéren]de Mère est à genoux près de Mère Marie‑Ange. Cette photo déplaît tellement à la C[ommunau]té que nous en avons brisé le cliché et détruit toutes les épreuves. De même, la petite Thérèse sacristine qui est si peu elle ! [photos TH 39 et TH 40].

Petite Thérèse elle‑même ne l'aimait pas, d'ailleurs elle n'est pas du tout ressemblante. Celle où elle est bien et même très bien c'est la photo, même sujet, où elle est coupée près du voile. Petite Thérèse disait que c'était la mieux de ses photos. Vous n'avez pu en bien juger car l'épreuve que vous possédez était trop pâle. Sr Geneviève a refait le fond de cette photographie qui manquait du côté de Sr Thérèse de l'Enfant Jésus et l'a ensuite re-photographiée. Cette opération a réussi parfaitement, vous en jugerez par l'épreuve que nous vous envoyons.

En ce moment Sr Geneviève révise tous les clichés et fait disparaître tous les défectueux; c'est un travail bien utile car, après notre mort, on aurait pu s'en servir et faire paraître notre Petite Thérèse comme elle n'était pas. Nous qui l'avons connue, ses sœurs surtout, peuvent être seules bons juges dans le choix, c'est pourquoi il est prudent que nous passions la revue des reproductions que nous avions confiées à nos intimes. Tous ont compris et nous ont remis intégralement, comme vous, leurs trésors (‑‑‑)

P.S. Il y avait dans votre envoi 5 ou 6 Thérèse sacristine. Si cela vous faisait plaisir je vous en tirerai le même nombre quand j'aurai du temps, sur le nouveau cliché, afin que celles qui l'avaient n'en soient pas privées. (‑‑‑)

31.   18 avril 1917. 

(‑‑‑) Au sujet de ce que vous me dites, chère petite sœur, sur vos peines imaginaires, il est vrai qu'en elles‑mêmes elles ne sont guère méritoires, mais petite Thérèse m'apprenait à les rendre très méritoires en les supportant patiemment comme des épreuves pour l'amour du bon Dieu; ces peines sont souvent indépendantes de notre volonté, elles sont souvent l'effet de la maladie ou d'un caractère plus ou moins susceptible, que sais‑je ! Oh ! que le bon Dieu est bon de tirer profit du bien, du mal qu'il trouve en nous. Pour cela il nous suffit de l'aimer. «  Tout tourne à bien pour celui qui l'aime ». (‑‑‑)

32.   29 mai 1917.

(‑‑‑)  Voyez‑vous, chère petite sœur de mon âme, le moyen d'être heureux dans la petite voie de Thérèse c'est de s'abandonner à Dieu et de penser à soi le moins possible, ne pas même chercher à se rendre compte si l'on fait des progrès ou non: cela ne nous regarde pas. Nous n'avons qu'à nous exercer à faire avec le plus d'amour possible tous nos petits actes de la vie courante, à reconnaître hum­blement, mais sans tristesse, nos mille imperfections sans cesse re­naissantes et à demander avec confiance au bon Dieu de les trans­former en amour. Vous vous rappelez ces jolis vers :

L'amour, j'en ai l'expérience,
Du bien, du mal qu'il trouve en moi
Sait profiter, quelle puissance !
Il transforme mon âme en soi...

PN 30

Voilà, ma chère petite soeur, je vous ai fait ma direction, vous voyez qu'elle n'est pas compliquée... (‑‑‑)

33.   26 septembre 1917.

(‑‑‑)  Nous nous préparons à bien fêter le 30 et je serai bien unie à vous ce jour‑là. Oh ! quelle douceur cette fête a pour moi ! je ne saurais vous l'exprimer... Thérèse est ma petite Mère, ma Maîtresse mon amie, ma sœur chérie, elle m'est tout; aussi c'est à elle que je me suis consacrée tout entière et bien souvent je lui renouvelle ma donation en ces termes :

« Ma petite Thérèse je me donne à toi corps et âme pour le temps et pour l'éternité. Conduis‑moi à Marie et à Joseph pour qu'ils me donnent à Jésus, que tout ce qui est de moi passe par toi pour aller à eux. »

Où me suis‑je embarquée ? Je m'arrête court, car me lançant à vous parler de mon amour pour Thérèse je ne saurais finir. (‑‑‑)

Thérèse aussi avait désiré la souffrance et elle l'a savourée dans toute son amertume. Pour moi je suis trop lâche, la souffrance me fait peur, c'est ce qui me fait penser que le bon Dieu me l'épargnera. Mais, d'un autre côté, je me sens si abandonnée à Lui qu'Il pourrait bien me jouer le tour de m'en donner beaucoup... n'importe ! je ne veux rien appréhender, je me laisse conduire par Thérèse les yeux fermés, trop honorée si elle me conduit par les sentiers qu'elle a traversés. (‑‑‑)

Sr Germaine est décédée en 1943.