Carmel

CJ Septembre 1897

La santé de Thérèse

Début septembre 1897, Thérèse a de nouveau de la fièvre et souffre beaucoup. À son retour de vacances le 10 septembre, le docteur de Cornière est consterné par son état qui s'est considérablement aggravé.

À partir du 12 septembre, ses pieds commencent à enfler, ce qui est mauvais signe, et tout mouvement la fait souffrir. Le 14 septembre, la maladie a fait tellement de progrès qu'on estime qu'elle ne pourra pas vivre plus de 15 jours. Victime d'indigestion et de nuits sans sommeil, elle est épuisée et d'une maigreur squelettique. Elle se sent à l'agonie.

Le 22 septembre, elle ne peut pas parler. Dans les jours qui suivent, elle n'a plus aucune force, se tourne avec peine et fait des crises de suffocation.

Le 29 septembre, elle entre en agonie. Dans une souffrance extrême, elle peine à respirer, ne parle plus, elle a un râle très pénible.

Elle « entre dans la Vie » le 30 septembre 1897 à 19h20 après avoir prononcé ces paroles : « Oh ! je l'aime ! Mon Dieu... je vous aime ! »

Le 2 septembre

1

Vous mourrez bien sûr un jour de fête.

- Ce sera une bien assez belle fête ! Je n'ai jamais eu envie de mourir un jour de fête.

2

... Il y avait peut-être deux ans que j'étais ici quand le bon Dieu a fait cesser mon épreuve par rapport à Sr Marie des anges, et j'ai pu lui ouvrir mon âme... A la fin elle me consolait vraiment.

3

... Cela me coûtait beaucoup de demander à faire des mortifications au réfectoire, parce que j'étais timide, je rougissais, mais j'y étais bien fidèle mes deux fois par semaine. Quand cette épreuve de timidité s'est passée, j'y faisais moins attention et j'ai dû oublier plus d'une fois mes deux mortifications.

4

Nous lui disions qu'elle était le chef de la bande, qu'elle avait vaincu tous les ennemis, et qu'il n'y avait plus qu'à la suivre. Elle fit alors le geste bien connu pour nous de mettre ses mains l'une sur l'autre à une toute petite distance disant :

«Haute comme ça dans la famille!»

Puis faisant semblant de semer quelque chose :

Petit Poucet !

5

Sr Geneviève lui disait : »Quand on pense qu'on vous attend encore à Saïgon ! »

J'irai, j'irai prochainement ; si vous saviez comme j'aurai vite fait mon tour !

6

... Quand on accepte l'ennui d'avoir été méchante, le bon Dieu revient tout de suite.

7

J'ai surtout offert mon épreuve intérieure contre la foi pour un membre allié de notre famille qui n'a pas la foi.

(Mr Tostain)

8

... Oh ! oui je désire le Ciel ! «Déchirez la toile de cette douce rencontre», ô mon Dieu !

Le 3 septembre

1

Je lui rapportais ce qui m'avait été dit sur les honneurs rendus au Tzar de Russie en France.

Ah ! ça ne m'éblouit pas tout ça ! Parlez-moi du bon Dieu, de l'exemple des Saints, de tout ce qui est vérité...

2

Quand on pense que nous soignons une petite sainte !

Eh bien, tant mieux ! mais je voudrais que le bon Dieu le dise.

3

La pauvre Mère C. de J. était de plus en plus exigeante et les infirmières se plaignaient d'être obligées de céder à ses manies.

... Ah ! que j'aurais eu d'attrait pour tout cela !

Le 4 septembre

1

... C'est comme cela que j'ai pris le bon Dieu et c'est pour cela que je serai si bien reçue par lui à l'heure de ma mort.

2

Je suis bien contente que la viande me dégoûte, parce qu'au moins je n'y trouve pas de plaisir.

(On lui servait un peu de viande)

3

Au moment où je sortais de l'infirmerie pour le réfectoire :

Je vous l'aime !

4

On sonnait l'Angelus.

Faut-il que je décache mes petites mains ?

Non, vous êtes même trop faible pour dire l'Angelus. Appelez seulement la Sainte Vierge en disant : »Vierge Marie! » Elle reprit :

Vierge Marie, je vous aime de tout mon coeur.

Sr Geneviève lui dit : »Dites que vous l'aimez, pour moi aussi. » Alors elle ajouta tout bas :

pour «Mlle Lili», pour Maman,
pour Marraine, pour Léonie, la petite Marie, mon Oncle, ma tante, Jeanne, Francis, «Maurice», «le petit Roulland» et tous ceux que j'aime.

5

Elle avait eu envie d'un certain mets, bien simple d'ailleurs, et l'une de nous l'avait fait savoir à mon Oncle.

... C'est bien drôle qu'on fasse savoir ça dans le monde ! Enfin je l'ai offert au bon Dieu.

Je lui dis que ce n'était pas ma faute, car en effet je l'avais défendu. Elle reprit en prenant le petit plat :

Ah ! c'est offert au bon Dieu. Ça ne me fait plus rien. Qu'ils pensent ce qu'ils voudront !

6

Pendant Matines :

Ma petite Mère, oh ! que je vous aime !

Avec un joli sourire en faisant effort pour parler :

Disons quelque chose tout de même, disons...

... Si vous saviez comme la pensée d'aller bientôt au Ciel me laisse calme. Pourtant je suis bien heureuse, mais je ne puis pas dire que j'éprouve une joie vive et des transports d'allégresse, non !

7

Vous aimez mieux tout de même mourir que vivre ?

O ma petite Mère, je n'aime pas mieux une chose que l'autre, je ne pourrai pas dire comme Notre Mère Ste Thérèse : «Je me meurs de ne point mourir.» Ce que le bon Dieu aime mieux et choisit pour moi, voilà ce qui me plaît davantage.

Le 5 septembre

1

Vous n'avez donc pas de chagrin de quitter « maman » ? (d'un petit air enfantin 🙂

Non !... S'il n'y avait pas de vie éternelle, oh ! oui !... mais il y en a une peut-être... et même c'est sûr !

 

2

Si l'on vous disait que vous allez mourir subitement, à l'instant même, auriez-vous quelque frayeur ?

... Ah ! qué bonheur ! Je voudrais m'en aller !

Alors vous aimez mieux mourir que vivre ?

Non, pas du tout. Si je guérissais, les médecins me regarderaient ébahis et moi je leur dirais : «Messieurs, je suis très contente d'être guérie pour servir encore le bon Dieu sur la terre, puisque c'est sa volonté. J'ai souffert comme si je devais mourir; eh bien je recommencerai une autre fois!»

3

Me désignant du doigt son verre d'eau rougie, avec un petit air gai si gentil :

A boire, ma petite Mère s'il vous plaît. Il y a de la glace dedans, c'est bon !

Après avoir bu :

J'ai bu sans soif ! Je suis un petit «boit sans soif».

Je lui disais qu'elle avait moins souffert pendant le silence :

Oh ! tout autant ! beaucoup, beaucoup souffert ! Mais c'est à la Sainte Vierge que je me suis plainte.

4

Visite du docteur La Néele qui après lui avoir affirmé à sa consultation précédente qu'elle était à la mort, qu'elle pouvait même mourir tout à coup en se tournant dans son lit, lui dit :

« Vous êtes comme un vaisseau qui n'avance ni ne recule. »

Elle fut d'abord stupéfaite.

Vous avez entendu, me dit-elle, vous voyez comme ça change ! Mais moi je ne veux pas changer, je veux continuer de m'abandonner au bon Dieu entièrement.

Le 6 septembre

1

... Dites-moi quelques petites paroles douces, après ce qui m'est arrivé, hier.

Ah ! comment faire pour vous consoler, ma pauvre petite ? Je suis bien impuissante.

...d'un air de paix :

Je n'ai pas besoin d'être consolée...

2

Elle pleura de joie dans l'après-midi quand on lui apporta une relique du Vble Théophane Vénard.

Elle m'offrit avec beaucoup de tendresse une petite pâquerette pour mon anniversaire.

Toute l'après-midi, elle se montra pour nous très affectueuse, et ravissante de toutes manières. Je lui dis :

J'ai remarqué que dès que vous le pouvez, vous redevenez comme autrefois.

... Ah ! c'est bien vrai ! Oui, quand je le peux, je fais de mon mieux pour être gaie, pour faire plaisir.

3

Elle attendait M. Youf pour se confesser ; il ne put venir et ce lui fut une vraie déception. Mais aussitôt elle reprit son bel air de paix.

4

On lui apporta un peu de nourriture : son estomac était mieux.

Hélas ! d'où en suis-je donc de ma maladie ? Voilà que je mange maintenant ! !

Le 7 septembre

Elle ne m'avait pas dit un mot de la journée, et je pensais dans l'après-midi : Aujourd'hui je vais rien avoir à écrire.

Mais elle me dit presque aussitôt :

Ah ! il n'y a pas d'âme comme vous...

Après cela, elle se mit à verser de grosses larmes de la crainte qu'elle gardait de m'avoir fait de la peine dans une circonstance que je n'avais même pas remarquée.

Le 8 septembre

Un petit rouge-gorge vint sautiller sur son lit.

Léonie lui envoya la boîte à musique qu'on a conservée et les airs quoique profanes en sont si doux qu'elle les écouta avec beaucoup de plaisir.

Enfin on lui apporta une gerbe de fleurs des champs pour fêter l'anniversaire de sa Profession. Se voyant si comblée, elle pleura de reconnaissance et nous dit :

C'est à cause des délicatesses du bon Dieu à mon égard ; à l'extérieur j'en suis comblée, et pourtant, à l'intérieur je suis toujours dans l'épreuve... mais aussi dans la paix.

Le 9 septembre

1

On avait trop remonté la boîte à musique, elle semblait cassée. Auguste la répara, mais depuis il y manqua (pour un certain air) la plus jolie note. J'en avais du chagrin et je lui demandai si elle en avait aussi.

Oh ! pas du tout, je n'en ai que parce que vous en avez.

2

... Ah ! je sais ce que c'est que la souffrance !

Le 10 septembre

1

A la consultation de M. de Cornière, il parut consterné de son état.

Eh bien, êtes-vous contente ? lui dis-je après le départ du docteur.

Oui, mais j'y suis un peu habituée, ils disent et dédisent !

2

Pendant qu'on arrangeait ses oreillers, le soir, elle appuya sa tête sur moi en me regardant avec tendresse. Cela m'a rappelé le regard de l'Enfant Jésus à la Sainte Vierge quand il écoute la musique de l'ange sur l'image où elle disait de la Sainte Vierge : « C'est Pauline en idéal. »

Le 11 septembre

1

C'est petite mère qui mourra la dernière, nous viendrons la chercher avec Théophane Vénard, quand elle aura fini de travailler pour moi...

... à moins que les petites âmes n'aient besoin d'elle.

2

Je vous aime beaucoup, mais beaucoup !

Quand j'entends ouvrir la porte, je crois toujours que c'est vous ; et quand vous ne venez pas, je suis toute triste.

Donnez-moi un baiser, un baiser qui fasse du bruit ; enfin que les lèvres fassent «pit!»

Il n'y a qu'au Ciel que vous saurez ce que vous m'êtes... Vous m'êtes une lyre, un chant... bien plus qu'une boîte à musique, allez ! même quand vous ne dites rien.

3

Elle avait fait deux couronnes de bleuets pour la Sainte Vierge, l'une était à ses pieds, l'autre à sa main. Je lui dis :

Vous pensez sans doute que celle qu'elle tient c'est pour vous la donner.

Oh ! non, c'est comme elle voudra, ce que je lui donne c'est pour son plaisir.

4

... J'ai peur d'avoir eu peur de la mort... Mais je n'ai pas peur d'après, bien sûr ! Et je ne regrette pas la vie, oh ! non. C'est seulement de me dire : Qu'est-ce que c'est que cette séparation mystérieuse de l'âme et du corps ? C'est la première fois que j'ai éprouvé cela, mais je me suis tout de suite abandonnée au bon Dieu.

5

Voulez-vous me donner mon Crucifix afin que je le baise après l'acte de contrition, pour gagner l'indulgence plénière en faveur des âmes du Purgatoire. Je ne leur donne plus que cela !

Donnez-moi maintenant de l'eau bénite. Approchez-moi les reliques de la Mère Anne de Jésus et de Théophane Vénard, je veux les embrasser.

Après cela elle fit une petite caresse à son image de la Vierge Mère ; d'abord à l'Enfant Jésus puis à la Sainte Vierge.

 

Elle ne pouvait s'endormir et me dit :

Je connais cela, c'est la malice du démon ; il est furieux parce que je n'ai pas oublié mes petites dévotions. Quand, pour un motif ou pour un autre je ne les ai pas faites, je m'endors et je me réveille quelques minutes après minuit. C'est comme pour se moquer de moi, parce que j'ai manqué l'indulgence plénière.

6

Faut-il que j'aie peur du démon ? Il me semble que non parce ce que je fais tout par obéissance.

7

Oh ! non, je ne désire pas voir le bon Dieu sur la terre. Et pourtant, je l'aime ! J'aime aussi beaucoup la Sainte Vierge et les Saints et je ne désire pas les voir non plus.

Le 12 septembre

C'était la fête du Saint Nom de Marie. Elle me demanda de lui lire l'Evangile du dimanche. Je n'avais pas le paroissien et lui dis simplement : C'est l'Evangile où Notre Seigneur nous avertit que « nul ne peut servir deux maîtres ». Alors elle prit une petite voix d'enfant qui récite sa leçon et me le dit d'un bout à l'autre.

Le 13 septembre

1

Elle était bien plus malade et avait les pieds enflés de la veille. On ne pouvait faire le moindre mouvement autour d'elle, comme remuer un peu le lit et surtout la toucher sans la faire beaucoup souffrir, tant elle était faible. Nous ne le supposions pas à ce point, et Sr Marie du Sacré Coeur, après moi, lui avait tâté le pouls assez longtemps. Elle ne manifesta d'abord aucun signe de fatigue pour ne pas nous faire de peine, mais à la fin, n'en pouvant plus, elle se mit à pleurer. Et quand on arrangea ensuite ses oreillers et son coussin elle gémissait, disant d'un ton si doux :

Oh ! je voudrais... je voudrais...

- Quoi donc ?

- Ne plus faire de peine à mes petites soeurs, et pour cela m'en aller bien vite.

A ce moment, elle regarda Sr Marie du Sacré-Coeur et lui fit un ravissant sourire ; c'était elle surtout qu'elle craignait le plus d'avoir contristée.

Comme on n'arrivait pas à bien disposer son coussin, car on n'osait trop la remuer, elle dit gentiment en s'appuyant sur les mains et essayant de le faire elle-même :

Attendez, je vais me pousser au fond du lit, en faisant les mouvements d'une petite sauterelle.

2

Une soeur avait cueilli pour elle une violette au jardin, elle la lui offrit et se retira. Alors notre petite Thérèse me dit en regardant la fleur :

Ah ! le parfum des violettes !

puis elle me fit un signe comme pour savoir si elle pouvait le respirer sans immortification.

Le 14 septembre

1

On lui apporta une rose ; elle l'effeuilla sur son Crucifix avec beaucoup de piété et d'amour, prenant chaque pétale et en caressant les plaies de Notre Seigneur.

Au mois de septembre, dit-elle, la petite Thérèse effeuille encore «la rose printanière»

En effeuillant pour Toi, la rose printanière,

Je voudrais essuyer tes pleurs !

Comme les pétales glissaient de son lit sur le plancher de l'infirmerie, elle dit très sérieusement:

Ramassez bien ces pétales, mes petite soeurs, ils vous serviront à faire des plaisirs plus tard... n'en perdez aucun...

 

2

... Ah ! maintenant...

«J'en ai l'espoir, mon exil sera court!»

3

Le docteur La Néele lui avait affirmé qu'elle n'aurait pas d'agonie, et comme elle souffrait de plus en plus :

... On m'avait pourtant dit que je n'aurais pas d'agonie !...

... Mais, après tout, je veux bien en avoir une.

Si l'on vous faisait choisir ou d'en avoir ou de ne pas en avoir ?

Je ne choisirais rien !

Le 15 septembre

1

Quand vous serez au Ciel, vos grandes souffrances d'aujourd'hui vous paraîtront peu de chose, allez !

- Oh ! même sur la terre, je trouve que c'est bien peu.

2

Le soir pendant la récréation :

Quand Sr Geneviève disait tantôt à Sr Marthe qui demandait de mes nouvelles : «Elle est bien fatiguée!» Je pensais en moi-même : C'est bien vrai, c'est bien cela ! Oui, je suis comme un voyageur fatigué, harassé, qui tombe en arrivant à la fin de son voyage.

... Oui mais, c'est dans les bras du bon Dieu que je tombe !

3

Notre Mère m'a dit que je n'avais rien à faire pour me préparer à la mort, parce que j'étais préparée d'avance.

Le 16 septembre

A moi seule, sur des questions que je lui posais :

Ce qui nous attire les lumières et le secours du bon Dieu pour guider et consoler les âmes, c'est de ne pas raconter ses peines à soi, pour se soulager ; d'ailleurs ce n'est pas un vrai soulagement, il excite plutôt que d'apaiser.

Le 17 septembre

1

Autour des malades il faut être gai :

(Nous lui exprimions notre chagrin)

Voyons, il ne faut pas se lamenter comme des personnes qui n'ont pas d'espérance.

D'un air un peu malin :

Vous finirez par me faire regretter la vie.

- Oh ! nous aurions bien du mal !

- C'est vrai ! J'ai dit cela pour vous faire peur.

2

En me parlant de son enfance elle me raconta qu'un jour on lui avait donné un petit panier et qu'elle s'était écriée dans son bonheur :

Maintenant je ne désire plus rien sur la terre !

Puis qu'elle s'était ravisée pour dire bien vite :

Si, je désire encore quelque chose, c'est le Ciel !

Le 18 septembre

1

Je lui disais que j'avais peur de la fatiguer en lui parlant :

Ma petite Mère, votre conversation m'est si agréable ! Oh ! non, elle ne me fatigue pas. C'est comme une musique pour moi... Il n'y en a pas deux comme vous sur la terre. Oh ! que je vous aime !

2

En regardant par la fenêtre la vigne vierge toute rouge sur l'ermitage de la Sainte Face :

La Sainte Face est dans toute sa splendeur. Voyez, il y a des branches de vigne vierge jusqu'au-dessus des marronniers.

3

Je vais mieux cette après-midi.

En effet elle s'intéressait à tout. Elle regardait avec plaisir la nappe que faisait Sr Geneviève pour l'autel de l'Oratoire, puis l'ornement de M. l'Abbé Denis.

Mais le matin, quand Sr Aimée de Jésus l'avait prise dans ses bras pour qu'on arrange un peu son lit, j'ai cru qu'elle allait mourir.

Le 19 septembre

On avait apporté du dehors un bouquet de dahlias. Elle les regarda avec plaisir et coula ses doigts dans leurs pétales avec une manière si gentille !

Après la première Messe de M. l'Abbé Denis, elle demanda à voir son calice. Comme elle regardait longuement le fond de la Coupe, on lui dit : Pourquoi donc regardez-vous si attentivement le fond du Calice :

Parce que je m'y reflète. A la sacristie, j'aimais à faire cela. J'étais contente de me dire : Mes traits se sont reflétés là où le sang de Jésus a reposé et descendra encore.

Combien de fois ai-je pensé aussi qu'à Rome mon visage s'était reproduit dans les yeux du Saint Père.

Le 20 septembre

1

Visite du docteur de Cornière qui nous dit qu'elle doit souffrir un vrai martyre. En sortant il s'exclamait sur son héroïque patience. Je lui en répétai quelque chose.

Comment peut-il dire que je suis patiente ! Mais c'est mentir ! Je ne cesse de gémir, je soupire, je crie tout le temps : Oh ! la la ! et puis : Mon Dieu, je n'en puis plus ! Ayez pitié, ayez pitié de moi !

2

Dans l'après-midi, on la changea de tunique et nous fûmes frappées de sa maigreur, car son visage était resté le même. J'allai demander à Notre Mère de venir voir son dos. Elle tarda beaucoup et j'admirai l'air si doux et si patient de notre pauvre petite malade en l'attendant. Notre Mère fut péniblement surprise et dit avec bonté : Qu'est-ce que c'est qu'une petite fille aussi maigre ?

Un quelette !

Le 21 septembre

1

J'avais été sans rien dire vider son crachoir et je le posais près d'elle, pensant en moi-même : Que je serais contente si elle me disait qu'au Ciel elle me rendra cela ! Et aussitôt, se tournant vers moi elle me dit :

Au Ciel, je vous rendrai cela.

2

Quand je pense qu'elle va mourir, dit Sr Geneviève.

Ah ! dame oui ! du coup, j'y crois !

3

Dire qu'elle n'a pas de petite Thérèse à aimer !

... Il m'appelle sa petite Thérèse !

Qui ?

Mais le P. Bellière !

Il venait d'écrire et je voulus lui relire sa lettre, croyant lui faire plaisir en retrouvant cette parole, mais elle était trop fatiguée et me dit :

Oh ! non, assez ! je suis «fûtée» de la petite Thérèse !

Puis se tournant vers moi avec un petit air calin :

Pas «fûtée» de la petite Pauline, aussi ! Oh ! non !

4

Je vais à la vaisselle, j'ai deux tours à faire.

Bien dur pour moi, oh ! oui !

5

Sr Geneviève me demandait un crayon, j'en avais besoin aussi, mais je prêtai le nôtre quand même. Elle dit alors d'un petit ton net :

C'est gentil, ça.

6

Ah ! qu'est-ce que c'est que l'agonie ? Il me semble que j'y suis tout le temps ! !..

7

En s'essuyant les yeux, quelques cils s'étaient détachés de ses paupières :

Prenez ces cils, ma petite Sr Geneviève, il faut qu'on en donne le moins possible à la terre.

Alors, faisant un jeu de mots sur le nom du Père Alaterre (un ouvrier), frère de Sr St Vincent de Paul.

Pauv'bonhomme pourtant, si ça lui fait plaisir !

Le 22 septembre

1

Après lui avoir rappelé plusieurs circonstances de sa vie religieuse où elle avait été très humiliée, j'ajoutai : Oh ! que de fois j'ai eu pitié de vous !

Il n'aurait pas fallu, je vous assure, avoir tant pitié de moi. Si vous saviez comme je surnageais au-dessus de tout cela ! Je m'en allais fortifiée des humiliations ; il n'y avait pas plus brave que moi au feu.

2

Elle voulait me parler et ne pouvait pas.

... Ah ! que c'est dur d'être dans une telle impuissance !

... Avec vous ! C'était si doux quand je pouvais vous parler ! C'est cela qui est le plus dur.

3

Je disais en regardant l'image de Théophane Vénard : Il est là avec son chapeau bas, et pour en finir, il ne vient point vous chercher !

En souriant :

Oh ! moi je ne me moque pas des saints... Je les aime bien... Ils veulent voir...

Quoi ? Si vous allez perdre patience ?

D'un air malin et profond à la fois :

Oui !... surtout si je vais perdre confiance... jusqu'où je vais pousser ma confiance...

4

Elle avait appelé Sr Geneviève sa « bobonne », Sr Marie de la Trinité sa « poupée » parce qu'elle lui trouvait une figure de poupée.

C'était pour nous distraire et jamais par dissipation ou par enfantillage. Mais on abusa de ces appellations et elle dit :

Il ne faut pas s'appeler de tous les noms. Tout de même ce n'est pas religieux !

5

Le temps doit vous sembler bien long ?

Non, le temps ne me semble pas long ; il me semble que c'est hier que je suivais la Communauté, que j'écrivais le cahier. (sa vie)

6

Quelle terrible maladie et combien vous avez souffert !

Oui ! ! ! quelle grâce d'avoir la foi ! Si je n'avais pas eu la foi, je me serais donné la mort sans hésiter un seul instant...

Le 23 septembre

1

... Oh ! tout ce que je vous dois !... Aussi je vous aime !... mais je ne veux plus vous en parler, parce que je pleurerais...

(Cela lui faisait beaucoup de mal de pleurer)

2

Demain, ce sera l'anniversaire de votre Prise de voile, et sans doute le jour de votre mort.

Moi je ne sais pas quand, j'attends toujours, mais je sais bien que ça ne peut pas tarder.

3

Elle nous souriait souvent, à l'une ou à l'autre, mais nous ne nous en apercevions pas toujours.

... Bien des fois j'ai fait de beaux sourires perdus à «Bobonne» et à d'autres...

4

Le soir on avait entendu comme un roucoulement d'oiseau sur la fenêtre fermée. Nous nous demandions ce que cela pouvait être. L'une disait : C'est une tourterelle. L'autre : C'est peut-être un oiseau de proie.

Eh bien, si c'est un oiseau de proie, tant pis ! Les oiseaux de proie venaient bien manger les martyrs.

5

A propos d'une confidence de peu d'importance qu'une soeur lui avait faite en lui demandant le secret :

... Si les soeurs défendent, c'est sacré... Quand ce serait pour la moindre chose, il ne faudrait pas le dire.

6

Après un très long silence, en regardant Sr Marie du Sacré Coeur et moi qui étions seules à ce moment près d'elle :

Mes petites soeurs, c'est vous qui m'avez élevée !...

et ses yeux se remplirent de larmes.

Le 24 septembre

1

Pour l'anniversaire de sa Prise de voile, j'avais fait dire la Messe pour elle.

Merci de la Messe !

Comme je la voyais tant souffrir, je répondis avec tristesse : Ah ! vous voyez, vous n'êtes pas plus soulagée !

C'est donc pour mon soulagement que vous avez obtenu de faire dire la Messe ?

- C'est pour votre bien.

- Mon bien, c'est sans doute de souffrir...

2

Elle me raconta une peine qu'elle avait eue autrefois, où, bien trop tard cette année-là, on avait émondé les marronniers.

D'abord ce fut une tristesse amère et de grands combats en même temps. J'aimais tant les ombrages ! et il n'y en aurait pas cette année. Les branches déjà vertes étaient en fagots à terre, plus rien que des troncs ! Puis, tout à coup, je me suis mise au-dessus en me disant : Si j'étais dans un autre Carmel, qu'est-ce que cela me ferait qu'on coupe, même entièrement les marronniers du Carmel de Lisieux ! Et j'ai éprouvé une grande paix et une joie céleste.

3

Visite de M. de Cornière, de plus en plus édifié. Il dit à Notre Mère : « C'est un ange ! Elle a une figure d'ange, son visage n'est point altéré, malgré ses grandes souffrances. Je n'ai jamais vu cela. Avec son état d'amaigrissement général, c'est surnaturel. »

4

... Je voudrais courir dans les prairies du Ciel...

... Je voudrais courir dans des prairies où l'herbe ne se foulerait pas, où il y aurait de belles fleurs qui ne se faneraient pas et de jolis petits enfants qui seraient des petits anges.

Vous n'avez jamais l'air fatiguée de souffrir. Au fond, est-ce que vous l'êtes ?

Mais non ! quand je n'en peux plus, je n'en peux plus, et puis voilà !

5

J'avais envie de dire à M. de Cornière : Je ris parce que vous n'avez tout de même pas pu m'empêcher d'aller au Ciel ; mais, pour votre peine, quand j'y serai je vous empêcherai d'y aller si tôt.

6

Je ne parlerai bientôt plus que le langage des anges.

7

Vous irez au Ciel parmi les Séraphins.

Ah ! mais, si je vais parmi les Séraphins, je ferai pas comme eux, tant pis ! Tous se couvrent de leurs ailes devant le bon Dieu ; moi je me garderai bien de me courir de mes ailes.

8

... Mon Dieu !... ayez pitié de

la petite fi... fi... fille !

(En se tournant avec beaucoup de peine.)

9

-Comme elle caresse son « Théophane » il est bien honoré !

- C'est pas des honorations...

- Qu'est-ce que c'est alors ?

- C'est des caresses, enfin !

10

...Vous n'avez donc pas l'intuition du jour de votre mort ?

- Ah ! ma Mère, des intuitions ! Si vous saviez dans quelle pauvreté je suis ! Je ne sais rien que ce que vous savez ; je ne devine rien que par ce que je vois et sens. Mais mon âme malgré ses ténèbres est dans une paix étonnante.

11

Qui est-ce qui vous aime le mieux sur la terre ?...

Le 25 septembre

1

Je lui avais rapporté ce qui avait été dit en récréation, à propos de M.Youf qui craignait beaucoup la mort. Les soeurs s'étaient entretenues de la responsabilité de ceux qui ont charge d'âmes et qui ont vécu longtemps.

... Pour les petits, ils seront jugés avec une extrême douceur. Et on peut bien rester petit, même dans les charges les plus redoutables, même en vivant très longtemps. Si j'étais morte à 80 ans, que j'aurais été en Chine, partout, je serais morte, je le sens bien, aussi petite qu'aujourd'hui. Et il est écrit que «à la fin, le Seigneur se lèvera pour sauver tous les doux et les humbles de la terre». Il ne dit pas juger, mais sauver.

2

Elle m'avait dit un de ces derniers jours de terribles souffrances :

O ma Mère, c'est bien facile d'écrire de belles choses sur la souffrance, mais d'écrire ce n'est rien, rien ! Il faut y être pour savoir !...

J'avais gardé de cette parole une impression pénible, quand, ce jour-là, paraissant se souvenir de ce qu'elle m'avait dit, elle me regarda d'une façon toute particulière et comme solennelle, et prononça ces paroles :

Je sens bien maintenant que ce que j'ai dit et écrit est vrai sur tout... C'est vrai que je voulais beaucoup souffrir pour le bon Dieu, et c'est vrai que je le désire encore.

3

On lui disait : Ah ! C'est affreux ce que vous souffrez !

Non, ce n'est pas affreux. Une petite victime d'amour ne peut pas trouver affreux ce que son Epoux lui envoie par amour.

Le 26 septembre

Elle n'avait plus aucune force.

Oh ! que je suis accablée !...

Regardant par la fenêtre une feuille morte détachée de l'arbre et soutenue en l'air par un léger fil :

Voyez, c'est mon image, ma vie ne tient plus qu'à un léger fil.

Après sa mort, le soir même du 30 Septembre, la feuille qui jusque-là se balançait au gré du vent, tomba à terre, je l'ai recueillie avec son fil d'araignée qui y adhérait encore.

Le 27 septembre

Entre deux et trois heures, nous lui proposions à boire. Elle demanda de l'eau de Lourdes disant :

Jusqu'à 3 heures, j'aime mieux l'eau de Lourdes, c'est plus pieux.

Le 28 septembre

1

... Maman !... l'air de la terre me manque, quand est-ce que le bon Dieu me donnera l'air du Ciel ?...

... Ah ! jamais ça n'a été si court ! (Sa respiration)

2

Ma pauvre petite, vous êtes comme les martyrs dans l'amphithéâtre ; nous ne pouvons plus rien pour vous !

- Oh ! si, rien que de vous voir cela me fait du bien.

Toute l'après-midi elle nous prodigua ses sourires.

Elle m'écouta avec attention quand je lui lus ces passages de l'Office de St Michel :

« L'Archange Michel est venu avec une multitude d'anges. C'est à lui que Dieu a confié les âmes des Saints, pour qu'il les fasse parvenir aux joies du Paradis. »

« Archange Michel, je t'ai établi prince sur toutes les âmes qui doivent être reçues. »

Elle me fit signe avec sa main tendue vers moi, puis posée sur son coeur, que j'étais là, dans son coeur.

Le 29 septembre

1

Dès le matin, elle paraissait à l'agonie ; elle avait un râle très pénible et ne pouvait pas respirer. La communauté fut appelée et se réunit autour de son lit pour réciter les prières du Manuel. Au bout d'une heure à peu près, Notre Mère congédia les soeurs.

2

A midi, elle dit à Notre Mère :

Ma Mère, est-ce l'agonie ?... Comment fais-je faire pour mourir ? Jamais je ne vais savoir mourir !...

3

Je lui lus encore plusieurs passages de l'Office de St Michel et les prières des agonisants en français. Lorsqu'il fut question des démons, elle eut un geste enfantin comme pour les menacer et s'écria en souriant :

Oh ! Oh !

d'un ton qui voulait dire : Je n'en ai pas peur.

4

Après la visite du docteur, elle dit à Notre Mère :

Est-ce aujourd'hui , ma Mère ?

- Oui, ma petite fille.

L'une de nous dit alors :

Le bon Dieu est bien joyeux aujourd'hui.

Moi aussi !

Si je mourais tout de suite quel bonheur !

5

... Quand est-ce que je vais être tout à fait étouffée !... Je n'en puis plus ! Ah ! qu'on prie pour moi !... Jésus ! Marie !

Oui ! Je veux, je veux bien...

6

Sr Marie de la Trinité était venue, elle lui avait dit au bout de quelques instants, et bien gentiment, de se retirer. Quand elle fut partie je dis : Pauvre petite ! elle vous aimait tant !

Est-ce que j'ai été méchante de la renvoyer ?

Et son visage prit une expression de tristesse, mais je la rassurai bien vite.

7

(6h.) Une sorte d'insecte s'était introduit dans sa manche, on la tracassait pour l'en retirer :

Laissez, ça ne fait rien.

- Mais si, vous allez être piquée.

- Non, laissez, laissez, je vous dis que je connais ces petites bêtes là.

8

J'avais un violent mal de tête et je fermais les yeux malgré moi en la gardant.

Faites dodo... et moi aussi !

Mais elle ne pouvait pas dormir et me dit :

Oh ma Mère, que ça fait mal les nerfs !

 

9

Pendant la récréation du soir.

... Ah ! si vous saviez !

(Si vous saviez ce que je souffre)

10

Je voudrais vous sourire tout le temps et je vous tourne le dos ! Ça vous fait-il de la peine ?

(C'était pendant le silence)

11

Après Matines quand Notre Mère vint la voir, elle avait les mains jointes et dit d'une voix douce et résignée :

Oui, mon Dieu, oui mon Dieu, je veux bien tout !...

- C'est donc atroce ce que vous souffrez, dit Notre Mère ?

- Non, ma Mère, pas atroce, mais beaucoup, beaucoup... juste ce que je peux supporter.

Elle demanda à rester seule la nuit, mais Notre Mère ne le voulut pas. Sr Marie du Sacré Coeur et Sr Geneviève se partagèrent cette grande consolation. Je restai dans la cellule, tout près de l'infirmerie, qui donne sous le cloître.

Le 30 septembre

Jeudi, jour de sa précieuse mort.

Le matin je la gardai pendant la Messe. Elle ne me disait pas un mot. Elle était épuisée, haletante ; ses souffrances, je le devinais, étaient inexprimables. Un moment, elle joignit les mains et regardant la statue de la Sainte Vierge :

Oh ! je l'ai priée avec une ferveur ! Mais c'est l'agonie tout pure, sans aucun mélange de consolation.

Je lui dis quelques paroles de compassion et d'affection et j'ajoutai qu'elle m'avait bien édifiée pendant sa maladie.

- Et vous, les consolations que vous m'avez données ! Ah ! elles sont bien grandes !

Toute la journée, sans un instant de répit, elle demeura on peut le dire sans exagération, dans de véritables tourments. Elle paraissait à bout de forces et cependant, à notre grande surprise, elle pouvait se remuer, s'asseoir dans son lit.

... Voyez, nous disait-elle, ce que j'ai de force aujourd'hui ! Non, je ne vais pas mourir ! J'en ai encore pour des mois, peut-être des années !

- Et si le bon Dieu le voulait, dit Notre Mère, l'accepteriez-vous ?

Elle commença à répondre, dans son angoisse :

Il le faudrait bien...

Mais se reprenant aussitôt, elle dit avec un accent de résignation sublime en retombant sur ses oreillers :

Je le veux bien !

J'ai pu recueillir ces exclamations, mais il est bien impossible d'en rendre l'accent:

Je ne crois plus à la mort pour moi... Je ne crois plus qu'à la souffrance... Eh bien, tant mieux !

O mon Dieu !...

Je l'aime le bon Dieu !

O ma bonne Sainte Vierge, venez à mon secours !

Si c'est ça l'agonie, qu'est-ce que c'est que la mort ? !...

Ah ! mon bon Dieu !... Oui, il est bien bon, je le trouve bien bon...

En regardant la Sainte Vierge :

Oh ! vous savez que j'étouffe !

A moi :

Si vous saviez ce que c'est que d'étouffer !

- Le bon Dieu va vous aider, ma pauvre petite, et ce sera bientôt fini.

- Oui mais, quand,

- ... Mon Dieu, ayez pitié de votre pauvre petite fille ! Ayez-en pitié !

A Notre Mère :

O ma Mère, je vous assure que le calice est plein jusqu'au bord !...

... Mais le bon Dieu ne va pas m'abandonner, bien sûr...

... Il ne m'a jamais abandonnée.

... Oui, mon Dieu, tout ce que vous voudrez, mais ayez pitié de moi !

... Mes petites soeurs ! mes petites soeurs, priez pour moi !

... Mon Dieu ! mon Dieu ! Vous qui êtes si bon ! ! !

... Oh ! oui, vous êtes bon ! je le sais...

Après Vêpres, Notre Mère posa sur ses genoux une image de N.D. du Mont Carmel.

Elle la regarda un instant et dit, quand Notre Mère lui eut assuré qu'elle caresserait bientôt la Sainte Vierge comme l'Enfant Jésus sur cette image :

O ma Mère, présentez-moi bien vite à la Sainte Vierge, je suis un bébé qui n'en peut plus !... Préparez-moi à bien mourir.

Notre Mère lui répondit qu'ayant toujours compris et pratiqué l'humilité, sa préparation était faite. Elle réfléchit un instant et prononça humblement ces paroles :

Oui, il me semble que je n'ai jamais cherché que la vérité ; oui, j'ai compris l'humilité du coeur... Il me semble que je suis humble.

Elle répéta encore :

Tout ce que j'ai écrit sur mes désirs de la souffrance. Oh ! c'est quand même bien vrai !

... Et je ne me repens pas de m'être livrée à l'Amour.

Avec insistance :

Oh ! non, je ne m'en repens pas, au contraire !

Un peu plus tard :

Jamais je n'aurais cru qu'il était possible de tant souffrir ! jamais ! jamais ! Je ne puis m'expliquer cela que par les désirs ardents que j'ai eus de sauver des âmes.

Vers 5 heures, j'étais seule près d'elle. Son visage changea tout à coup, je compris que c'était la dernière agonie.

Lorsque la Communauté entra dans l'infirmerie, elle accueillit toutes les soeurs avec un doux sourire. Elle tenait son Crucifix et le regardait constamment.

Pendant plus de deux heures, un râle terrible déchira sa poitrine. Son visage était congestionné, ses mains violacées, elle avait les pieds glacés et tremblait de tous ses membres. Une sueur abondante perlait en gouttes énormes sur son front et ruisselait sur ses joues. Elle était dans une oppression toujours croissante et jetait parfois pour respirer de petits cris involontaires.

Pendant ce temps si plein d'angoisse pour nous, on entendait par la fenêtre - et j'en souffrais beaucoup - tout un ramage de rouge-gorge, et d'autres petits oiseaux, mais si fort, si près et si longtemps! Je priais le bon Dieu de les faire taire, ce concert me perçait le coeur et j'avais peur qu'il fatigue notre pauvre petite Thérèse.

A un moment elle semblait avoir la bouche si desséchée que Sr Geneviève, pensant la soulager, lui mit sur les lèvres un petit morceau de glace. Elle l'accepta en lui faisant un sourire que je n'oublierai jamais. C'était comme un suprême adieu.

A 6 heures, quand l'Angélus, sonna elle regarda longuement la statue de la Sainte Vierge.

Enfin à 7 heures et quelques minutes, Notre Mère ayant congédié la communauté, elle soupira :

Ma Mère ! N'est-ce pas encore l'agonie ?... Ne vais-je pas mourir ?...

- Oui, ma pauvre petite, c'est l'agonie, mais le bon Dieu veut peut-être la prolonger de quelques heures.

Elle reprit avec courage :

Eh bien !... allons !... Allons !...

Oh ! je ne voudrais pas moins longtemps souffrir...

Et regardant son Crucifix :

Oh ! je l'aime !......................

Mon Dieu... je vous aime.....

Tout à coup, après avoir prononcé ces paroles, elle tomba doucement en arrière, la tête penchée à droite. Notre Mère fit sonner bien vite la cloche de l'infirmerie pour rappeler la Communauté.

-« Ouvrez toutes les portes » disait-elle en même temps. Cette parole avait quelque chose de solennel, et me fit penser qu'au Ciel le bon Dieu la disait aussi à ses anges.

Les soeurs eurent le temps de s'agenouiller autour du lit et furent témoin de l'extase de la sainte petite mourante. Son visage avait repris le teint de lys qu'il avait en pleine santé, ses yeux étaient fixés en haut brillants de paix et de joie. Elle faisait certains beaux mouvements de tête, comme si Quelqu'un l'eut divinement blessée d'une flèche d'amour, puis retiré la flèche pour la blesser encore...

Sr Marie de l'Eucharistie s'approcha avec un flambeau pour voir de plus près son sublime regard. A la lumière de ce flambeau, il ne parut aucun mouvement de ses paupières. Cette extase dura à peu près l'espace d'un Credo, et elle rendit le dernier soupir.

Après sa mort, elle conserva un céleste sourire. Elle était d'une beauté ravissante. Elle tenait si fort son Crucifix qu'il fallut l'arracher de ses mains pour l'ensevelir. Sr Marie du Sacré-Coeur et moi nous avons rempli cet office avec Sr Aimée de Jésus et remarqué alors qu'elle ne portait pas plus de 12 à 13 ans.

Ses membres restèrent souples jusqu'à son inhumation, le lundi 4 octobre 1897.

Appendice

[Voir Paroles Retrouvées]

30 septembre

... Tous mes petits désirs ont été réalisés... Alors ce grand (mourir d'amour) devra l'être !

Dans l'après-midi :

Ah ! que j'ai de force aujourd'hui !... J'en ai pour des mois ! Et demain, tous les jours, ce sera encore pire !...

... Eh bien ! tant mieux !

.................................................

Je ne peux pas respirer, je ne peux pas mourir !...

... Je ne saurai jamais mourir !.......................

... Oui, mon Dieu !... Oui !.............

... Je veux bien encore souffrir....................

Vers 5 heures, Mère Marie de Gonzague fit tomber ses reliques du B. Théophane et de la Mère Anne de Jésus qui étaient épinglées sur son rideau, à droite. On les releva et elle leur fit une petite caresse.

Remarque importante.

Quand ma sainte petite Thérèse m'a dit, le 16 Juillet 1897 : « Vous connaissez tous les replis de ma petite âme, vous seule... » je suis sûre que, dans sa pensée, elle n'excluait pas de cette connaissance complète de son âme, Sr Marie du Sacré-Coeur et Sr Geneviève de la Ste Face. Sr Marie du Sacré Coeur à qui elle devait le sourire de la Sainte Vierge, et qui l'avait préparée à sa première Communion, à qui l'on doit encore la réponse merveilleuse de sa filleule, le 17 Sept. 1896. Sr Geneviève de la Sainte Face, sa Céline qu'elle appelait si suavement : « le doux écho de mon âme. »

Mais elle était inspirée par le bon Dieu de me dire cela à moi très particulièrement, afin que, plus tard, à cause de l'autorité qui me serait donnée, on pût se fier entièrement à ce que je dirais et écrirais à son sujet.

Sr Agnès de Jésus

c.d.i. ]

Retour à la liste