Carmel

CJ Août 1897

La santé de Thérèse

Si les hémoptysies s'arrêtent le 5 août 1897, les souffrances physiques, elles, s'intensifient. Les douleurs au côté, dans l'épaule et le bras droit se font de plus en plus violentes, elle est oppressée tous les jours de 11h du matin à minuit.  Avant de partir en vacances, le docteur constate que le poumon gauche commence à être pris.

L'état de Thérèse reste stationnaire jusqu'au 15 août, date à laquelle la maladie prend un nouveau tournant : l'oppression augmente, les douleurs se font très intenses du côté gauche, les jambes enflent, elle souffre de douleurs intercostales, de fièvre et ne peut plus se lever seule.

Le 17 août, la tuberculose est arrivée au dernier degré : le poumon gauche est pris au tiers et le poumon droit entièrement pris : elle souffre des deux côtés. Jusqu'au 30 août, Thérèse tousse pendant des heures, occasionnant de grands maux de tête. Dans le même temps, son amaigrissement produit des plaies. Elle dort de moins en moins bien, est oppressée régulièrement et commence à avoir des maux d'intestins « à crier », faisant craindre une gangrène. Elle souffre violemment à chaque respiration, a une soif ardente, le ventre dur et ballonné, des urines très rouges.

Le 30 août, le poumon gauche est pris à moitié. Si elle n'a pas plus de fièvre et est moins oppressée, elle est très pâle, très faible et affamée.

Le 1er août

1

A propos de la grande grâce qu'elle avait reçue autrefois lorsque son livre de messe s'était fermé sur l'image de Notre Seigneur sur la Croix, ne laissant dépasser qu'une main. Elle me répéta ce qu'elle s'était dit alors :

Oh ! je ne veux pas laisser perdre ce sang précieux. Je passerai ma vie à le recueillir pour les âmes.

2

Pendant Matines, à propos du manuscrit de sa vie :

Après ma mort, il ne faudra parler à personne de mon manuscrit avant qu'il soit publié ; il ne faudra en parler qu'à Notre Mère. Si vous faites autrement, le démon vous tendra plus d'un piège pour gâter l'oeuvre du bon Dieu... une oeuvre bien importante !

3

Je n'écrirai plus maintenant !

4

Oh ! comme je suis malade !... Car vous savez... avec vous !

Parce qu'elle ne pouvait plus me parler.

5

... Je suis bien abandonnée, j'attendrai tant qu'Il voudra.

6

... Comme le bon Dieu a bien fait de dire : «Il y a plusieurs demeures dans la Maison de mon Père.»

(A propos d'un prêtre très mortifié qui se privait même de soulager d'insupportables démangeaisons)

... Moi, j'aime mieux pratiquer la mortification autrement et pas dans des choses aussi agaçantes ; je n'aurais pas pu me retenir ainsi.

7

Il y avait eu un ennui à propos de la glace et j'avais pleuré. Je lui demandais si j'avais eu tort, elle me répondit pour me consoler :

Vous êtes toujours gracieuse !

8

Pensez-vous à vos frères missionnaires ?

Je pensais à eux bien souvent ; mais depuis que je suis malade je ne pense pas à grand'chose.

9

Un de ces missionnaires lui avait promis une messe pour elle le jour de Noël 1896. Elle me racontait sa déception lorsqu'elle apprit qu'il n'avait pu la dire ce jour là.

... Moi qui m'y étais unie avec tant de bonheur à l'heure même ! Ah ! tout est incertain sur la terre !

Le 2 août

1

J'ai bien envie de faire garder votre coeur comme celui de Mère Geneviève.

Faites comme vous voudrez !

J'avais changé d'avis parce que la chose me répugnait trop et je le lui disais. Elle en parut plutôt triste. Je devinais sa pensée : Nous nous priverions d'une consolation qu'elle ne nous donnerait pas par miracle, sachant bien qu'elle ne serait pas conservée. Enfin elle me dit :

Vous tergiversez bien trop, ma petite mère, je l'ai remarqué bien des fois dans ma vie...

2

On avait parlé ensemble intimement du peu de cas que l'on fait souvent de la vertu cachée.

... Cela m'a frappé dans la Vie de N.P. St Jean de la Croix dont on disait : «Le frère Jean de la Croix! mais c'est un religieux moins qu'ordinaire!»

3

Je n'ai pas de grands désirs du Ciel ; je serai bien contente d'y aller, voilà tout !

4

On ne pourra pas dire de moi : «Elle se meurt de ne point mourir.» Je vous l'ai déjà dit : pour ma nature, oui, le Ciel ! mais la grâce en mon âme a pris beaucoup d'empire sur la nature, et maintenant je ne puis que répéter au bon Dieu :
Longtemps encore, je veux bien vivre,
Seigneur, si c'est là ton désir.
Dans le Ciel, je voudrais te suivre,
Si cela te faisait plaisir.
L'Amour, ce feu de la Patrie,
Ne cesse de me consumer
Que me fait la mort ou la vie ?
Mon seul bonheur, c'est de t'aimer.

5

A Sr Geneviève :

Tout passe en ce monde mortel, même «bébé» mais il reviendra...

Sr Geneviève baisait les pieds du Crucifix.

Vous ne suivez pas la doctrine de «bébé» ! Baisez-le bien vite sur les deux joues et faites-vous embrasser.

6

J'éprouve une joie très vive non seulement lorsqu'on me trouve imparfaite, mais surtout de m'y sentir moi-même. Cela surpasse tous les compliments qui m'ennuient.

Le 3 août

1

Comment avez-vous fait pour arriver à cette paix inaltérable qui est votre partage ?

Je me suis oubliée et j'ai tâché de ne me rechercher en rien.

2

Je lui disais qu'elle avait dû beaucoup lutter pour arriver à être parfaite

Oh ! ce n'est pas cela !...

3

Elle avait eu de la peine avec une soeur et me dit d'un air grave et tendre :

Je vous le dis franchement : j'ai besoin de vous voir près de moi dans les derniers jours de ma vie.

4

Mes petites soeurs, priez pour les pauvres malades à la mort. Si vous saviez ce qui se passe ! Comme il faudrait peu de chose pour perdre patience ! Il faut être charitable pour n'importe lesquelles... Je n'aurais pas cru cela autrefois.

5

Je lui parlais de la mortification sous forme d'instruments de pénitence.

... Il faut être très modéré sur ce point, car il s'y mêle souvent plus de nature qu'autre chose.

6

A nous trois :

Il faut faire bien attention à la régularité. Après un parloir, ne vous arrêtez pas pour parler entre vous, car alors c'est comme chez soi, on ne se prive de rien.

Se tournant vers moi:

Ça ma Mère, c'est le plus utile de tout.

7

Oh ! que ma petite épaule est meurtrie, si vous saviez !

On va y mettre de la ouate.

Non, il ne faut pas m'ôter ma petite croix.

8

Il y a longtemps que je souffre, mais de petites souffrances. Depuis le 28 juillet, ce sont de grandes souffrances.

9

On ne comprenait plus rien à la marche de sa maladie et l'une de nous lui dit :

De quoi donc mourrez-vous ?

Mais, je mourrai de mort ! Le bon Dieu n'a-t-il pas dit à Adam de quoi il mourrait, par ces paroles : «Vous mourrez de mort.» C'est cela tout simplement.

Le 4 août

1

J'ai eu beaucoup de cauchemars cette nuit, et des cauchemars bien effrayants, mais au moment le pire, vous veniez à moi et je n'avais plus peur.

2

... Non, je ne me crois pas une grande sainte ! Je me crois une toute petite sainte ; mais je pense que le bon Dieu s'est plu à mettre en moi des choses qui font du bien à moi et aux autres.

3

On lui avait apporté une gerbe d'épis, elle en détacha le plus beau et me dit:

Ma Mère, cet épi est l'image de mon âme : le bon Dieu m'a chargée de grâces pour moi et pour bien d'autres...

Puis craigant d'avoir eu une pensée d'orgueil :

Oh ! que je voudrais être humiliée et maltraitée pour voir si j'ai vraiment l'humilité du coeur !... Pourtant, quand j'étais humiliée autrefois, j'étais bien heureuse... Oui, il me semble que je suis humble... Le bon Dieu me montre la vérité ; je sens si bien que tout vient de Lui.

4

Comme c'est facile de se décourager quand on est bien malade !...

Oh ! comme je sens que je me découragerais si je n'avais pas la foi ! ou plutôt si je n'aimais pas le bon Dieu.

5

C'est seulement au Ciel que nous verrons la vérité sur toute chose. Sur la terre, c'est impossible. Ainsi, même pour la Sainte Ecriture, n'est-ce pas triste de voir toutes les différences de traduction. Si j'avais été prêtre, j'aurais appris l'hébreu et le grec, je ne me serais pas contentée du latin, comme cela j'aurais connu le vrai texte dicté par l'Esprit Saint.

6

Je me suis endormie une seconde pendant l'oraison. J'ai rêvé qu'on manquait de soldats pour une guerre.

Vous avez dit : Il faut envoyer Soeur Thérèse de l'Enfant Jésus. J'ai répondu que j'aurais bien préféré que de fût pour une guerre sainte. Enfin, je suis partie tout de même.

Oh ! non, je n'aurais pas eu peur d'aller à la guerre. Avec quel bonheur, par exemple au temps des croisades, je serais partie pour combattre les hérétiques. Allez ! je n'aurais pas eu peur d'attraper une balle !

7

Et moi qui désirais le martyre, est-ce possible que je meure dans un lit !

8

Comment arrangez-vous votre petite vie maintenant ?

Ma petite vie, c'est de souffrir et puis ça y est ! Je ne pourrais pas dire : Mon Dieu, c'est pour l'Eglise, mon Dieu c'est pour la France ... etc ... Le bon Dieu sait bien ce qu'il faut qu'il en fasse ; je lui ai tout donné pour lui faire plaisir. Et puis ça me fatiguerait trop de lui dire : Donnez ceci à Pierre, donnez ceci à Paul. Je ne le fais bien vite que lorsqu'une soeur me le demande, et après je n'y pense plus. Quand je prie pour mes frères missionnaires, j'offre pas mes souffrances, je dis tout simplement : Mon Dieu, donnez-leur tout ce que je désire pour moi.

Le 5 août

1

Il faisait très chaud, et le sacristain nous avait plaintes de porter de gros habits.

Ah ! au Ciel, le bon Dieu nous rendra cela d'avoir porté pour son amour de gros habits sur la terre.

2

Constatant qu'elle ne pouvait presque plus se mouvoir :

David disait dans les psaumes : «Je suis comme la sauterelle qui change continuellement de place.» Eh bien moi je ne peux pas en dire autant ! je voudrais bien me promener, mais j'ai un fil à la patte !

3

... Quand les saints auront fermé sur moi la porte du Ciel, ils chanteront :
Enfin nous te tenons,
Petite souris grise,
Enfin nous te tenons
Et nous te garderons !
(Une petite chanson qui lui revenait à la mémoire)

4

Sr Marie du Sacré Coeur lui dit que les Anges viendraient à sa mort, pour accompagner Notre Seigneur, qu'elle les verrait resplendissants de lumière et de beauté.

... Toutes ces images ne me font aucun bien, je ne puis me nourrir que de la vérité. C'est bien pour cela que je n'ai jamais désiré de visions. On ne peut voir sur la terre, le Ciel, les anges tels qu'ils sont. J'aime mieux attendre après ma mort.

5

Pendant Vêpres, ma petite Mère, j'ai pensé que vous êtes mon soleil.

6

Je me suis endormie, et j'ai rêvé que vous vous penchiez vers moi pour m'embrasser ; j'ai voulu vous rendre, mais aussitôt je me suis réveillée, tout étonnée que mon baiser soit tombé dans le vide !

7

Son lit n'était pas encore placé au milieu de l'infirmerie, mais au fond, dans le coin. Pour fêter le lendemain, 6 Août, la Transfiguration de N.S. nous avions pris la Sainte Face du Choeur qu'elle aimait beaucoup et suspendu le cadre entouré de fleurs et de lumières à sa droite, sur le mur. Elle me dit en regardant l'image :

Que Notre Seigneur a bien fait de baisser les yeux pour nous donner son portrait ! Puisque les yeux sont le miroir de l'âme, si nous avions deviné son âme, nous en serions mortes de joie.

Oh ! que cette Sainte Face là m'a fait de bien dans ma vie ! Pendant que je composais mon cantique : «Vivre d'Amour» elle m'a aidée à le faire avec une grande facilité. J'ai écrit de mémoire, pendant mon silence du soir les 15 couplets que j'avais composés, sans brouillon, dans la journée. Ce jour là, en allant au réfectoire après l'examen, je venais de composer la   des pécheurs le pardon.

Je la lui ai répétée, en passant, avec beaucoup d'amour. En la regardant, j'ai pleuré d'amour.

8

Je répète comme Job : «Le matin, j'espère ne pas arriver au soir, et le soir, j'espère ne plus revoir le matin.»

9

... Ces paroles d'Isaïe : «Qui a cru à votre parole... Il est sans éclat, sans beauté... etc.» ont fait tout le fond de ma dévotion à la Sainte Face, ou, pour mieux dire, le fond de toute ma piété. Moi aussi, je désirais être sans beauté, seule à fouler le vin dans le pressoir, inconnue de toute créature...

10

A propos d'une confidence que je lui faisais, elle me dit :

Une mère prieure devrait toujours laisser croire qu'elle est sans aucune peine. Cela fait tant de bien et donne tant de force de ne point dire ses peines ! Par exemple, il faut éviter de s'exprimer ainsi : Vous avez des ennuis et des difficultés, moi j'ai les mêmes et bien d'autres, etc.

Le 6 août

1

Elle avait espéré mourir dans la nuit et me dit dès le matin :

J'ai guetté toute la nuit, comme la petite fille dans la chanson du petit soulier de Noël...

Je n'ai pas cessé de regarder la Sainte Face... J'ai repoussé bien des tentations... Ah ! j'ai fait bien des actes de foi...

Je puis dire aussi : «J'ai regardé à ma droite, et j'ai considéré, et il n'y a personne qui me connaisse...» Je veux dire personne qui connaisse le moment de ma mort... La droite me figure le côté où vous êtes pour moi.

Elle regarda ensuite la statue de la Sainte Vierge et chanta doucement :
Quand viendra-t-il, ma tendre Mère,
Quand viendra-t-il ce beau jour,
Où, de l'exil de la terre,
Je volerai dans l'éternel Séjour ?

2

Sa violente douleur de côté avait cessé dans la nuit. M. de Cornières à l'auscultation la trouva tout aussi malade, mais elle doutait de sa mort prochaine.

Je suis comme un pauvre petit Robinson dans son île. Tant qu'on ne m'avait rien promis, j'étais exilée, c'est vrai, mais je ne pensais pas à quitter mon île. Mais voilà qu'on m'annonce sûrement un vaisseau qui doit me reconduire bientôt dans ma Patrie. Alors je reste sur la plage, je regarde au loin, je regarde toujours... et, ne voyant rien paraître à l'horizon, je me dis : Ils m'ont trompée ! Je ne vais pas m'en aller !

3

Elle me montra dans le petit bréviaire du Sacré Coeur, la parole de N.S. à la Bse Marguerite-Marie, qu'elle avait tirée, le jour de l'Ascension :

«La croix est le lit de mes épouses, c'est là que je te ferai consommer les délices de mon amour.»

Et elle me raconta qu'un jour, une soeur ayant tiré dans le même livre et étant tombée sur un passage sévère, lui avait demandé de tirer à son tour. Elle était alors tombée sur cette parole :

«Confie-toi en moi...»

4

... Je ne puis m'appuyer sur rien, sur aucune de mes oeuvres pour avoir confiance. Ainsi j'aurais bien voulu pouvoir me dire : Je suis quitte de tous mes offices des morts. Mais cette pauvreté a été pour moi une vraie lumière, une vraie grâce. J'ai pensé que je n'avais jamais pu dans ma vie acquitter une seule de mes dettes envers le bon Dieu, mais que c'était pour moi comme une véritable richesse et une force, si je le voulais. Alors j'ai fait cette prière : O mon Dieu, je vous en supplie, acquittez la dette que j'ai contractée envers les âmes du Purgatoire, mais faites-le en Dieu, pour que ce soit infiniment mieux que si j'avais dit mes offices des morts. Et je me suis souvenue avec une grande douceur de ces paroles du cantique de St Jean de la Croix : «Acquittez toutes dettes.» J'avais toujours appliqué cela à l'Amour... Je sens que cette grâce ne peut se rendre... C'était trop doux ! On éprouve une si grande paix d'être absolument pauvre, de ne compter que sur le bon Dieu.

5

... Oh ! qu'il y a peu de parfaites religieuse, qui ne font rien n'importe comment et à peu près, se disant : Je ne suis pas tenue à cela, après tout... Il n'y a pas grand mal à parler ici, à me contenter en cela... Qu'elles sont rares celles qui font tout le mieux possible ! Et ce sont pourtant les plus heureuses. Ainsi pour le silence, quel bien il fait à l'âme, quels manquements à la charité il empêche et tant de peines de toutes sortes. Je parle surtout du silence, parce que c'est à ce point qu'on manque le plus.

6

Que j'étais fière quand j'étais semainière à l'Office, que je disais les oraisons tout haut au milieu du Choeur ! parce que je pensais que le prêtre disait les mêmes oraisons à la Messe et que j'avais comme lui le droit de prier tout haut devant le Saint Sacrement, de donner les bénédictions, les absolutions, de dire l'Evangile quand j'étais première chantre.

... Mais je puis dire que l'Office a été à la fois mon bonheur et mon martyre, parce que j'avais un si grand désir de bien le réciter et de ne pas y faire de fautes ; et je me suis vue quelquefois, après avoir prévu une minute avant ce que je devais dire, le laisser passer sans ouvrir la bouche par une distraction tout à fait involontaire. Je ne crois pas pourtant qu'on puisse désirer plus que moi parfaitement réciter l'office et y assister au Choeur.

... J'excuse beaucoup les soeurs qui oublient ou qui se trompent.

7

Sr St Stanislas sa première infirmière, l'avait quittée tout le temps de Vêpres, laissant la porte et la fenêtre de l'infirmerie ouvertes ; le courant d'air était très fort. Notre Mère la trouvant en cet état manifesta son mécontentement et demanda des explications. Elle me dit :

J'ai raconté à Notre Mère la vérité, mais en parlant, il m'est venu à la pensée une expression plus charitable que celle dont j'allais me servir et qui pourtant n'était pas mal, bien sûr ; j'ai suivi mon inspiration et le bon Dieu m'en a récompensée par une grande paix intérieure.

8

Je lui demandai le soir pendant Matines ce qu'elle entendait par « rester petite enfant devant le bon Dieu. » Elle me répondit :

C'est reconnaître son néant, attendre tout du bon Dieu, comme un petit enfant attend tout de son père ; c'est ne s'inquiéter de rien, ne point gagner de fortune. Même chez les pauvres, on donne à l'enfant ce qui lui est nécessaire, mais aussitôt qu'il grandit son père ne veut plus le nourrir et lui dit : Travaille maintenant, tu peux te suffire à toi-même.

C'est pour ne pas entendre cela que je n'ai pas voulu grandir, me sentant incapable de gagner ma vie, la vie éternelle du Ciel. Je suis donc restée toujours petite, n'ayant d'autre occupation que celle de cueillir des fleurs, les fleurs de l'amour et du sacrifice, et de les offrir au bon Dieu pour son plaisir.

Etre petit, c'est encore ne point s'attribuer à soi-même les vertus qu'on pratique, se croyant capable de quelque chose, mais reconnaître que le bon Dieu pose ce trésor dans la main de son petit enfant pour qu'il s'en serve quand il en a besoin ; mais c'est toujours le trésor du bon Dieu. Enfin, c'est de ne point se décourager de ses fautes, car les enfants tombent souvent, mais ils sont trop petits pour se faire beaucoup de mal.

Le 7 août

1

Sr X... qui est partie, voulait me faire ses confidences, bien que je ne sois plus prieure.

... Ne l'écoutez jamais, même quand elle serait comme un ange ; vous seriez bien malheureuse parce que vous ne feriez pas en cela votre devoir ; ce serait de la faiblesse qui ferait certainement de la peine au bon Dieu.

2

... Oh ! que le bon Dieu est peu aimé sur la terre !... même des prêtres et des religieux... Non, le bon Dieu n'est pas beaucoup aimé...

3

Elle me montra la photographie de N.D. des Victoires où elle avait collé la petite fleurette que papa lui avait donnée aux Buissonnets le jour où elle lui avait confié sa vocation ; la racine en était détachée et le petit Jésus a l'air de la tenir dans sa main et de lui sourire ainsi que la Sainte Vierge.

... Que la petite fleur ait perdu sa racine, ça vous dira que je suis au Ciel... C'est pour cela qu'ils me font si gentil... (la Ste Vierge et l'Enft J.)

4

Oh ! si j'étais infidèle, si je commettais seulement la moindre infidélité, je sens que le paierais par des troubles épouvantables, et je ne pourrais plus accepter la mort. Aussi je ne cesse de dire au bon Dieu : «O mon Dieu, je vous en prie, préservez-moi du malheur d'être infidèle.»

De quelle infidélité voulez-vous parler ?

D'une pensée d'orgueil entretenue volontairement. Si je me disais, par exemple : J'ai acquis telle vertu, je suis certaine de pouvoir la pratiquer. Car alors ce serait s'appuyer sur ses propres forces, et quand on en est là, on risque de tomber dans l'abîme. Mais j'aurai le droit sans offenser le bon Dieu de faire de petites sottises jusqu'à ma mort, si je suis humble, si je reste toute petite. Voyez les petits enfants : ils ne cessent de casser, de déchirer, de tomber, tout en aimant beaucoup, beaucoup leurs parents. Quand je tombe ainsi, cela me fait voir encore plus mon néant et je me dis : Qu'est-ce que je ferais, qu'est-ce que je deviendrais, si je m'appuyais sur mes propres forces ? !...

Je comprends très bien que St Pierre soit tombé. Ce pauvre Saint Pierre, il s'appuyait sur lui-même au lieu de s'appuyer uniquement sur la force du bon Dieu. J'en conclus que, si je disais : «O mon Dieu, je vous aime trop, vous le savez bien, pour m'arrêter à une seul pensée contre la foi» ; mes tentations deviendraient plus violentes et j'y succomberais certainement.

Je suis bien sûre que si St Pierre avait dit humblement à Jésus : «Accordez-moi je vous en prie, la force de vous suivre jusqu'à la mort», il l'aurait eue aussitôt.

Je suis certaine encore que Notre-Seigneur n'en disait pas davantage à ses Apôtres par ses instructions et sa présence sensible, qu'il ne nous dit à nous-mêmes par les bonnes inspirations de sa grâce. Il aurait bien pu dire à St Pierre : Demande-moi la force d'accomplir ce que tu veux. Mais non, parce qu'il voulait lui montrer sa faiblesse, et que, devant gouverner toute l'Eglise qui est remplie de pécheurs, il lui fallait expérimenter par lui-même ce que peut l'homme sans l'aide de Dieu.

... Avant sa chute, Notre Seigneur lui dit : «Quand tu seras revenu à toi, confirme tes frères». Cela voulait dire : Persuade-les par ta propre expérience de la faiblesse des forces humaines.

5

Je voudrais que vous soyez toujours avec moi, vous êtes mon soleil.

Le 8 août

1

Je lui disais que je ferais valoir ses vertus plus tard :

C'est le bon Dieu tout seul qu'il faut faire valoir, car il n'y a rien à faire valoir dans mon petit néant.

2

Elle regardait le ciel par la fenêtre de l'infirmerie et Sr Marie du Sacré Coeur lui dit : »Comme vous regardez le ciel avec amour ! » A ce moment elle était plus fatiguée et ne répondit que par un sourire. Plus tard elle me confia ce qu'elle avait pensé.

Ah ! elle croit que je regarde le firmament en pensant au vrai Ciel ! Mais non, c'est tout simplement parce que j'admire le ciel matériel ; l'autre m'est de plus en plus fermé. Puis aussitôt je me suis dit avec une grande douceur : Oh ! mais si, c'est bien par amour que je regarde le ciel, oui, c'est par amour pour le bon Dieu, puisque tout ce que je fais, les mouvements, les regards, tout, depuis mon offrande, c'est par amour.

3

J'ai pensé aujourd'hui à ma vie passée, à l'acte de courage que j'avais fait autrefois à Noël, et la louange adressée à Judith m'est revenue à la mémoire : «Vous avez agi avec un courage viril et votre coeur s'est fortifié.» Bien des âmes disent : Mais je n'ai pas la force d'accomplir tel sacrifice. Qu'elles fassent donc ce que j'ai fait : un grand effort. Le bon Dieu ne refuse jamais cette première grâce qui donne le courage d'agir ; après cela le coeur se fortifie et l'on va de victoire en victoire.

4

Si Notre Seigneur et la Sainte Vierge n'étaient pas allés eux-mêmes à des festins, jamais je n'aurais compris l'usage d'inviter ses amis pour des repas. Il me semblait que pour se nourrir on aurait dû se cacher ou du moins rester en famille. S'inviter, oui, mais seulement pour se parler, se raconter des voyages, des souvenirs, enfin pour des choses de l'esprit.

J'ai eu grand'pitié des personnes qui servaient dans les grands dîners. Si, par malheur, il leur arrivait de laisser tomber quelques gouttes sur la nappe ou sur l'un des convives, je voyais la maîtresse de maison les regarder sévèrement, alors ces pauvres gens rougissaient de honte, et je me disais, toute révoltée intérieurement : Oh ! comme cette différence qui existe ici-bas entre les maîtres et les serviteurs prouve bien qu'il y a un ciel où chacun sera placé selon son mérite intérieur, où tous seront assis au festin du Père de famille. Mais alors quel Serviteur sera le nôtre, puisque Jésus a dit «qu'il irait et viendrait pour nous servir» ! Ce sera le moment pour les pauvres et les petits surtout, d'être récompensés amplement de leurs humiliations.

Le 9 août

1

Je disais d'elle : Il est abattu notre guerrier !

Je ne suis pas un guerrier qui a combattu avec des armes terrestres, mais avec «le glaive de l'esprit qui est la parole de Dieu». Aussi la maladie n'a pu m'abattre, et pas plus tard qu'hier soir je me suis servie de mon glaive avec une novice. Je l'ai dit : je mourrai les armes à la main.

2

A propos de son manuscrit :

Il y en aura pour tous les goûts, excepté pour les voies extraordinaires.

3

Vous êtes redevenue pour moi ce que vous étiez dans mon enfance... Je ne puis pas dire ce que vous êtes pour moi !

On lui disait qu'elle était une sainte :

Non, je ne suis pas une sainte ; je n'ai jamais fait les actions des saints. Je suis une toute petite âme que le bon Dieu a comblée de grâces, voilà ce que je suis. Ce que je dis c'est la vérité, vous le verrez au Ciel.

Le 10 août

1

Elle regardait l'image de Théophane Vénard épinglée aux rideaux de son lit. Cette image représente le missionnaire montrant du doigt le Ciel.

Croyez-vous qu'il vous connaît ? Regardez ce qu'il me montre... Il aurait bien pu ne pas avoir cette pose là...

2

On disait que les âmes arrivées comme elle à l'amour parfait voyaient leur beauté, et qu'elle était du nombre.

Quelle beauté ?... Je ne vois pas du tout ma beauté, je ne vois que les grâces que j'ai reçues du bon Dieu. Vous vous méprenez toujours, vous ne savez donc pas que je ne suis qu'un tout petit noyau... une petite amande...

(J'ai été dérangée et n'ai pu prendre l'explication qui a suivi.)

3

D'un air gai et si gentil en regardant le portrait de Th. Vénard :

... Ah ! mais !...

Pourquoi dites-vous : Ah ! mais, demanda Sr Geneviève.

C'est parce que chaque fois que je le regarde, il me regarde aussi, et puis il semble me guetter du coin de l'oeil d'un air à moitié malin.

4

On lui montrait une photographie de Jeanne d'Arc dans sa prison.

Les saints m'encouragent moi aussi dans ma prison. Ils me disent : Tant que tu es dans les fers, tu ne peux remplir ta mission ; mais plus tard, après ta mort, ce sera le temps de tes travaux et de tes conquêtes.

5

Je pense aux paroles de St Ignace d'Antioche. «Il faut, moi aussi que, par la souffrance, je sois broyée pour devenir le froment de Dieu.»

6

Pendant Matines :

Si vous saviez ce que vous êtes pour moi ! Mais je vous dis toujours la même chose.

7

Je lui parlais du Ciel, de Notre-Seigneur, de la Sainte Vierge qui y sont en corps et en âme.

Elle poussa un profond soupir avec cette exclamation :

Ah !...

Vous me faites comprendre par là que vous souffrez beaucoup de votre épreuve ?

Oui !... Faut-il tant aimer le bon Dieu et la Sainte Vierge et avoir ces pensées là !... Mais je ne m'y arrête pas.

Le 11 août

1

... J'ai toujours trouvé, ma petite Mère, que vous mettiez trop d'ardeur à l'ouvrage - (à propos du lavage).

2

Je lui disais qu'après sa mort nous serions bien bonnes et que la Communauté serait renouvelée :

... «En vérité, en vérité, je vous le dis: Si le grain de blé tombé à terre ne vient à mourir il demeure seul, mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit.»

3

Je ne m'attendais pas à souffrir comme cela ; je souffre comme un petit enfant.

... Je ne voudrais jamais demander au bon Dieu des souffrances plus grandes. S'il les augmente, je les supporterai avec plaisir et avec joie puisque ça viendra de lui. Mais je suis trop petite pour avoir la force par moi-même. Si je demandais des souffrances, ce seraient mes souffrances à moi, il faudrait que je les supporte seule, et je n'ai jamais rien pu faire toute seule.

4

... La Sainte Vierge, elle n'a pas de Sainte Vierge à aimer, elle est moins heureuse que nous.

(Elle m'avait dit cela à la récréation autrefois.)

5

Je prie souvent les saints sans être exaucée, mais plus ils semblent sourds à mes prières, plus je les aime.

Pourquoi ?

Parce que j'ai plus désiré ne pas voir le bon Dieu et les saints et rester dans la nuit de la foi que d'autres désirent voir et comprendre.

6

Elle nous avait raconté toutes sortes de choses sur le temps de l'influenza. Je lui dis à la fin : Quelle fatigue vous vous êtes imposée ! Et que vous avez été gentille et aimable ! Sûrement, toute cette gaîté n'est pas sincère, vous souffrez trop d'âme et de corps.

En riant :

Jamais je ne «feins», je ne suis pas comme la femme de Jéroboam.

Le 12 août

1

(Elle fit la Communion)

... «Adieu mes soeurs, je pars pour un lointain voyage.»

(Allusion à mon « départ » pour ma retraite de profession)

2

Regardant la photographie du P. Bellière en soldat :

... A ce soldat là qui a l'air si fringuant, je donne des conseils comme à une petite fille !

Je lui indique la voie de l'amour et de la confiance.

3

Depuis l'épi, j'ai des sentiments encore plus bas de moi-même. Mais qu'elle est grande la nouvelle grâce que j'ai reçue ce matin, au moment où le prêtre a commencé le Confiteor avant de me donner la communion et que toutes les soeurs l'ont continué. Je voyais là le bon Jésus tout près de se donner à moi, et cette confession me paraissait une humiliation si nécessaire. «Je confesse à Dieu, à la Bienheureuse Vierge Marie, à tous les Saints que j'ai beaucoup péché...» Oh ! oui, me disais-je, on fait bien de demander pardon pour moi en ce moment, à Dieu, à tous les Saint... Je me sentais, comme le publicain, une grande pécheresse. Je trouvais le bon Dieu si miséricordieux ! Je trouvais cela si touchant de s'adresser à toute la Cour Céleste, pour obtenir par son intercession le pardon de Dieu. Ah ! j'ai bien manqué de pleurer, et quand la Sainte Hostie a été sur mes lèvres, j'étais bien émue.

... Que c'est extraordinaire d'avoir éprouvé cela au Confiteor ! Je crois que c'est à cause de ma disposition présente ; je me sens si misérable ! Ma confiance n'est pas diminuée, au contraire, et le mot «misérable» n'est pas juste, car je suis riche de tous les trésors divins ; mais c'est justement pour cela que je m'humilie davantage. Quand je pense à toutes les grâces que le bon Dieu m'a faites je me retiens pour ne pas verser continuellement des larmes de reconnaissance.

... Je crois que les larmes que j'ai versées ce matin étaient des larmes de contrition parfaite. Ah ! comme il est bien impossible de se donner soi-même de tels sentiments ! C'est le Saint-Esprit qui les donne, lui «qui souffle où il veut.»

4

Nous lui parlions des résistances qu'elle avait faites autrefois lorsque nous la conjurions de se ménager, de ne point se lever à l'heure de la Communauté, de ne pas aller à Matines. Elle nous dit :

Vous ne me compreniez pas quand j'insistais, mais c'était parce que je sentais bien qu'on essayait d'influencer Notre Mère. Je voulais dire toute la vérité à Notre Mère, afin qu'elle décide d'elle-même. Je vous assure que si d'elle-même elle m'avait demandé de ne pas aller à la Messe, à la Communion, à l'Office, j'aurais obéi avec une grande docilité.

5

C'est inouï, maintenant que je ne puis plus manger, il me prend des envies de toutes sortes de bonnes choses, comme du poulet, des côtelettes, du riz à l'oseille du Dimanche, du thon !...

6

... Vous pourrez dire de moi : «Ce n'est pas en ce monde qu'elle vivait, mais au Ciel, là où est son trésor.»

13 août

Je lui disais une pensée que j'avais eue pendant complies sur le Ciel.

... Pour moi, je n'ai que des lumières pour voir mon petit néant. Cela me fait plus de bien que des lumières sur la foi.

Le 13 août

Je lui disais une pensée que j'avais eue pendant complies sur le Ciel.

... Pour moi, je n'ai que des lumières pour voir mon petit néant. Cela me fait plus de bien que des lumières sur la foi.

Le 14 août

(Communion)

... Bien des petits chagrins dans la journée... Ah ! que je donne de mal !

Pendant Matines, je lui dis : Vous avez eu bien des peines aujourd'hui :

Oui mais puisque je les aime... J'aime tout ce que le bon Dieu me donne.

Le 15 août

1

(Communion)

Je lui rappelais ce que dit St Jean de la Croix sur la mort des âmes consommées dans la Charité. Elle soupira et me dit :

Il faudra dire que c'est au fond de mon âme «la joie et les transports»... Mais cela n'encouragerait pas tant les âmes si l'on croyait que je n'ai pas beaucoup souffert.

Comme je sens que vous êtes angoissée ! Et pourtant, il y a un mois vous me disiez de si belles choses sur la mort d'amour.

Mais ce que je vous disais, je vous le dirais bien encore.

2

Elle était très oppressée et comme cela augmentait toujours, elle me dit :

Je ne sais pas ce que je deviendrai !

Est-ce que cela vous inquiète ce que vous deviendrez ? Avec un ton ineffable et un sourire :

Oh ! non...

3

J'ai rêvé pendant le silence que vous me disiez : Vous allez être bien fatiguée, quand le Communauté va venir, d'être regardée par toutes les soeurs et obligée de leur parler un peu. Je vous ai répondu : Oui mais, quand je serai là-haut je me reposerai de tout.

4

Je demandais hier soir à la Sainte Vierge de ne plus tousser, pour que Soeur Geneviève puisse dormir, mais j'ai ajouté : Si vous ne le faites pas, je vous aimerai encore plus.

5

Nos nouvelles cloches sonnaient pour Vêpres ; j'ouvris la porte pour qu'elle les entende bien et je lui dis : Ecoutez bien les belles cloches qui sonnent. Après avoir écouté :

... Pas cor très belles !

6

Le bon Dieu me donne du courage en proportion de mes souffrances. Je sens que, pour le moment, je ne pourrais en supporter davantage, mais je n'ai pas peur, puisque si elles augmentent, il augmentera mon courage en même temps.

7

Je me demande comment le bon Dieu peut se retenir si longtemps de me prendre...

... Et puis, on dirait qu'il veut me faire «accroire» qu'il n'y a pas de Ciel !...

... Et tous les saints que j'aime tant, où sont-ils donc «nichés?»...

... Ah ! je ne feins pas, c'est bien vrai que je n'y vois goutte. Mais enfin, il faut que je chante bien fort dans mon coeur :
«Après la mort la vie est immortelle»
ou bien sans ça, ça tournerait mal...

8

Après matines, elle était épuisée et nous dit au moment où l'on s'apprêtait à battre ses oreillers :

Maintenant, faites de moi ce que vous voudrez.

Le 16 août

1

Elle ne pouvait plus parler tant elle était faible et oppressée.

... Ne... plus... même... pouvoir parler... à vous !... Oh ! si l'on pouvait savoir !... Si je n'aimais pas le bon Dieu !... Oui mais...

2

Au parloir, il ne faut pas dire n'importe quoi, par exemple parler de toilette.

3

« Vous n'aurez pas, vous, de 'petite Thérèse' pour venir vous chercher. »

Elle sourit, et regardant la statue de la Sainte Vierge et l'image de Théophane Vénard, elle me les montra du doigt tour à tour.

4

Les anges ne peuvent pas souffrir, ils ne sont pas aussi heureux que moi. Mais comme ils seraient étonnés de souffrir et de sentir ce que je sens !... Oui, ils seraient bien étonnés, car je le suis moi-même.

5

Pendant Matines, en se réveillant tout à coup, et me regardant avec un doux sourire :

Ma jolie petite mère !

Le 17 août

1

(Communion)

Je sens bien que le bon Dieu veut que je souffre. Les remèdes qui devraient me faire du bien et qui soulagent les autres malades, me font du mal à moi.

2

On venait de la lever, et comme en faisant le lit on l'avait heurtée, qu'on l'avait fait souffrir aussi en lui donnant certains soins, elle demanda un petit linge. On hésitait à le lui donner ne sachant pas ce qu'elle voulait en faire. Elle dit alors avec douceur :

On devrait me croire quand je demande quelque chose, car je suis une «petite fille» bien mignonne :

(c'est à dire qui ne demande que l'indispensable)

Une fois recouchée, se sentant à bout de force :

Je suis une «petite fille» très malade, oui, très malade !

3

Elle mit une pervenche à l'image de Théophane Vénard ; j'ai gardé cette pervenche.

4

Je vais prier pour que la Sainte Vierge diminue votre oppression.

Non, il faut les laisser faire là-haut !

5

Pendant Matines, en regardant l'image de Théophane Vénard :

Je ne sais pas ce que j'ai, ne peux plus le regarder sans pleurer.

6

Elle se trouvait moins oppressée après Matines et dit à Sr Geneviève en me désignant :

Elle a prié Marie, et puis je n'ai plus hoqueté.

(Elle employait ce mot pour rire et d'un petit ton si gentil, quand elle voulait dire qu'elle toussait jusqu'à en étouffer.)

Le 18 août

1

Je souffre beaucoup, mais est-ce que je souffre bien ? Voilà !

2

«Bébé» est épuisé !...

Pendant le silence de midi, je m'étais cachée un peu en arrière du lit pour écrire.

Tournez-vous de côté, pour que je vous voie.

3

Maman, il faut me lire la lettre que vous avez reçue pour moi. Je me suis privée de vous la demander pendant l'oraison, pour me préparer à ma communion de demain et parce que ce n'est pas permis.

(C'était pendant la récréation .)

Voyant que je prenais le crayon pour écrire cela :

Mon mérite va être perdu peut-être, puisque je vous l'ai dit et que vous l'écrivez ?

Vous voulez donc acquérir des mérites ?

Oui, mais pas pour moi ; pour les pauvres pécheurs, pour les besoins de toute l'Eglise, enfin pour jeter des fleurs à tout le monde, justes et pécheurs.

4

Je lui disais qu'elle était bien patiente :

Je n'ai pas encore eu une minute de patience. Ce n'est pas ma patience à moi !... On se trompe toujours !

5

Puisqu'on dit que toutes les âmes sont tentées par le démon au moment de la mort, il faudra que j'y passe. Mais pourtant non, je suis trop petite. Avec les tout petits, il ne peut pas...

6

Je lui disais : Comme ça vous semblerait étrange de revenir à la santé ?

Si c'était la volonté du bon Dieu, je serais bien heureuse de lui faire ce sacrifice là. Mais je vous assure que ce ne serait pas peu de chose, car aller si loin, et en revenir ! écoutez !...

7

Dans l'état de faiblesse où je me trouve, je me demande ce que je deviendrais si je voyais une grosse araignée sur notre lit. Enfin, je veux bien encore accepter cette peur là pour le bon Dieu.

... Mais si vous demandiez à la Sainte Vierge que cela n'arrive pas ?

Le 19 août

1

Elle faillit se trouver mal avant la communion, en entendant psalmodier, même à voix basse, le Miserere. Elle me dit ensuite en versant de grosses larmes :

Je vais peut être perdre mes idées. Oh ! Si l'on savait ce que c'est que la faiblesse que j'éprouve.

Cette nuit, je n'en pouvais plus ; j'ai demandé à la Sainte Vierge de me prendre la tête dans ses mains pour que je puisse la supporter.

2

Restez avec moi, ma petite Mère, ça me fait comme un appui de vous avoir.

3

Sr Geneviève lui donna le crucifix. Elle l'embrassa sur le visage avec tendresse. Elle était belle à ce moment comme un ange. Ce crucifix avait la tête penchée, elle dit en le contemplant :

Il est mort, Lui ! J'aime mieux qu'on le représente mort, parce que je pense qu'il ne souffre plus.

4

Elle demandait certains soins qui lui coûtaient beaucoup, mais que le docteur et Notre Mère avaient recommandés. Sr Geneviève lui dit comme à un petit enfant : »Qui est-ce qui a demandé cela à 'bobonne' »?

C'est «bébé», par fidélité.

5

Elle caressait Théophane Vénard sur les deux joues. (L'image était attachée au rideau, un peu loin d'elle.)

Pourquoi le caressez-vous ainsi ?

Parce que je peux pas l'embrasser.

6

A Sr Marie de l'Eucharistie :

Il ne faut pas s'asseoir ainsi de travers sur les chaises ; c'est écrit.

7

A Sr Geneviève qui arrangeait ses oreillers sans prendre garde aux images du rideau :

Attention au petit Théophane !

8

On parlait trop quand on se trouvait réunies toutes les trois près d'elle ; cela la fatiguait, parce qu'on lui faisait trop de questions à la fois.

« Qu'est-ce que vous voulez que nous disions aujourd'hui? »

... Faudrait pour bien faire qu'on ne dise rien du tout, parce qu'à dire vrai, y a rien à dire.

« Tout est dit, n'est-ce pas ? »

Oui !

9

N'importe ce que vous me dites, les choses les plus insignifiante ; vous me faites l'effet d'un gracieux troubadour qui chante ses légendes toujours sur de nouveaux airs.

Et elle faisait de petits suppements pour me faire voir qu'elle buvait mes paroles.

10

... Je ne souffre qu'un instant. C'est parce qu'on pense au passé et à l'avenir qu'on se décourage et qu'on désespère.

Le 20 août

1

A Sr Geneviève, d'un ton d'enfant :

Vous savez bien que vous soignez un «bébé» à la mort...

Et puis (montrant son verre) il faudrait mettre quelque chose de bon dans le grand verre, parce que «bébé» a beaucoup goût de pourri dans la bouche.

2

Elle avait demandé qu'on l'embrasse peu, parce que l'haleine la fatiguait, étant si faible.

Peut-on vous faire seulement une petite caresse ?

Oui, parce que les mains ça ne respire pas.

3

On lui parlait des ennuis que donnait aux infirmières la pauvre Mère Coeur de Jésus.

Oh ! que j'aurais bien voulu être infirmière, pas par nature mais «par un attrait de grâce». Et qu'il me semble que j'aurais rendu la Mère C. de Jésus heureuse ! Oui, j'aurais eu du goût pour tout cela... Et j'y aurais mis tant d'amour, en pensant à la parole du bon Dieu : «J'étais malade et vous m'avez soulagé». C'est encore rare de trouver cette belle occasion là au Carmel.

4

D'un petit air gai et malin:

Je serai bientôt dans les horreurs du tombeau ! Et vous y serez un jour aussi, ma petite Mère !... Et, en vous voyant arriver auprès de moi, «mes os humiliés tressailliront d'allégresse.»

5

... Aussitôt que j'vé du bère (à boire) ça me fait ça. (Elle tousse et dit à son verre d'eau de Bottot : C'est pas pour bère ! A part : - Il ne comprend pas - plus haut : C'est pas pour bère j'te dis !

6

Elle ne pouvait plus voir le lait que d'ailleurs elle n'avait jamais pris avec plaisir et qui, alors, lui causait une extrême répugnance. Je lui dis : « Boiriez-bous bien cette tasse pour me sauver la vie ? »

Oh ! oui !... Eh bien, regardez, et je ne la prendrais pas pour l'amour du bon Dieu ?

Et elle but la tasse d'un trait.

7

Nous faisions nos réflexions à propos de la marque du manteau d'infirmerie. +.F.

Non, ça ne signifie pas ce que vous dites. Ça veut dire qu'il faut qu'on porte la croix (+), pour aller après, plus haut que le firmament (F.)

8

Quand je souffre beaucoup, je suis contente que ce soit moi ; je suis contente que ce ne soit pas une de vous.

9

«C'est avec toi que je me plais le mieux, ma bonne Clarisse.»

(Parole adressée à Mère Geneviève par son petit frère.)

10

A propos de la Communion qu'elle sentait bien ne pouvoir plus faire désormais, et par suite de bien des réflexions qu'elle entendit à ce sujet, cette journée fut une journée d'angoisses et de tentations que je devinais terribles. Elle me demanda dans l'après midi de garder le silence pendant quelque temps et même de ne pas la regarder. Elle me dit tout bas :

Je pleurerais trop si je vous racontais tout de suite mes peines, et je suis si oppressée que j'étoufferais certainement.

Après un silence d'au moins une heure, elle me parla, mais en mettant devant ses yeux l'écran qu'on lui avait donné pour les mouches, car elle était encore trop émue.

11

Elle me parla de la lettre d'un prêtre qui disait que la Sainte Vierge ne connaissait pas par expérience les souffrances physiques.

En regardant la Sainte Vierge ce soir, j'ai compris que ce n'était pas vrai ; j'ai compris qu'elle avait souffert non seulement de l'âme, mais aussi du corps. Elle a souffert beaucoup dans les voyages, du froid, de la chaleur, de la fatigue. Elle a jeûné bien des fois.

... Oui, elle sait ce que c'est que de souffrir.

... Mais c'est peut-être mal de vouloir que la Sainte Vierge ait souffert ? Moi qui l'aime tant !

12

Elle était très oppressée.

Depuis quelque temps, elle trouvait dans ces oppressions si pénibles une sorte de soulagement en jetant comme un petit cri régulier, soit : « Oh ! là là ! » ou « Agne ! Agne ! »

C'est quand l'oppression vient d'en bas que je dis «Agne! Agne!» mais ce n'est pas gentil, cela me déplaît ; maintenant je dirai : Anne ! Anne !

On mettra cela dans votre circulaire.

Ça ferait l'effet d'une recette de cuisine !

13

C'est vous qui m'avez donné la consolation d'avoir le portrait de Théophane Vénard ; elle est extrêmement grande. Mais c'est qu'il aurait très bien pu ne pas me plaire !... Mais il est «très plaisant», il est «très aimâble».

Expressions qu'elle avait entendues et qui l'amusaient.

14

Que ce sera gentil de connaître au Ciel tout ce qui s'est passé dans la Sainte Famille ! Quand le petit Jésus commença à grandir, peut-être qu'en voyant jeûner la Sainte Vierge, il lui disait : «Moi je voudrais bien jeûner aussi.» Et la Sainte Vierge répondait : «Non, mon petit Jésus, tu es trop petit encore, tu n'as pas la force.» Ou bien peut-être n'osait-elle pas l'en empêcher.

Et le bon St Joseph ! Oh ! que je l'aime ! Lui ne pouvait pas jeûner à cause de ses travaux.

Je le vois raboter, puis s'essuyer le front de temps en temps. Oh ! qu'il me fait pitié ! Comme il me semble que leur vie était simple !

Les femmes du pays venaient parler à la Sainte Vierge familièrement. Quelquefois elles lui demandaient de leur confier son petit Jésus pour aller jouer avec leurs enfants. Et le petit Jésus regardait la Sainte Vierge pour savoir s'il devait y aller. Quelquefois même les bonnes femmes allaient tout droit à l'Enfant Jésus  et lui disaient sans cérémonie : «Viens jouer avec mon petit garçon» etc.

... Ce qui me fait du bien quand je pense à la Sainte Famille, c'est de m'imaginer une vie toute ordinaire. Pas tout ce qu'on nous raconte, tout ce qu'on suppose. Par exemple que l'Enfant Jésus après avoir pétri des oiseaux de terre soufflait dessus et leur donnait la vie. Ah ! mais non, le petit Jésus ne faisait pas de miracles inutiles comme ça, même pour faire plaisir à sa Mère. Ou bien alors pourquoi n'ont-ils pas été transportés en Egypte par un miracle qui eût été autrement nécessaire et si facile au bon Dieu. En un clin d'oeil, ils auraient été rendus là. Mais non, tout dans leur vie s'est fait comme dans la nôtre.

Et combien de peines, de déceptions ! Combien de fois a-t-on fait des reproches au bon St Joseph ! Combien de fois a-t-on refusé de payer son travail ! Oh ! comme on serait étonné si on savait tout ce qu'ils ont souffert ! etc. etc.

Elle m'a parlé très longuement sur ce sujet et je n'ai pu tout écrire.

15

... Je voudrais être sûre qu'elle m'aime, la Sainte Vierge.

16

... Quand on pense que j'ai eu tant de mal toute ma vie à dire mon chapelet !

17

Quand j'ai reçu l'absolution, au lieu de me perdre en prières pour remercier le bon Dieu, je pense tout simplement avec reconnaissance qu'il m'a mis une petite robe bien blanche et m'a changée de sarreau. Ni l'une ni l'autre n'était bien sale, mais c'est égal, mes petits habits sont plus brillants et je suis mieux vue de tout le Ciel.

18

On ne se doute pas que Sr Marie du Sacré Coeur étant provisoire m'a fait faire bien des mortifications. Elle m'aime tant que j'avais l'air bien gâtée ; mais la mortification est plus grande dans ce cas là.

... Elle me soignait selon ses goûts absolument opposés aux miens.

Le 21 août

1

Elle souffrait beaucoup et je la regardais à genoux le coeur bien triste.

Petits yeux tristes, pourquoi ?

- Parce que vous souffrez tant !

- Oui, mais paix aussi, paix !

2

... Il n'y a plus rien que dodo pour «bébé»... tout, tout fait souffrir !

Même plus de dodo pour bébé ! C'est fini ! J'étoufferai une nuit, je le sens bien !

[voir Paroles Retrouvées

3

Que j'aurais donc bien voulu être prêtre pour prêcher sur la Sainte Vierge ! Une seule fois m'aurait suffi pour dire tout ce que je pense à ce sujet.

J'aurais d'abord fait comprendre à quel point on connaît peu sa vie.

Il ne faudrait pas dire des choses invraisemblables ou qu'on ne sait pas ; par exemple que, toute petite, à trois ans, la Sainte Vierge est allée au Temple s'offrir à Dieu avec des sentiments brûlants d'amour et tout à fait extraordinaires ; tandis qu'elle y est peut-être allée tout simplement pour obéir à ses parents.

Pourquoi dire encore, à propos des paroles prophétiques du vieillard Siméon, que la Sainte Vierge, à partir de ce moment-là a eu constamment devant les yeux la passion de Jésus ? «Un glaive de douleur transpercera votre âme» avait dit le vieillard. Ce n'était donc pas pour le présent, vous voyez bien, ma petite Mère ; c'était une prédiction générale pour l'avenir.

Pour qu'un sermon sur la Ste Vierge me plaise et me fasse du bien, il faut que je voie sa vie réelle, pas sa vie supposée ; et je suis sûre que sa vie réelle devait être toute simple. On la montre inabordable, il faudrait la montrer imitable, faire ressortir ses vertus, dire qu'elle vivait de foi comme nous, en donner des preuves par l'Evangile où nous lisons : «Ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait.» Et cette autre, non moins mystérieuse : Cette admiration suppose un certain étonnement, ne trouvez-vous pas, ma petite Mère ?

On sait bien que la Sainte Vierge est la Reine du Ciel et de la terre, mais elle est plus Mère que reine, et il ne faut pas dire à cause de ses prérogatives qu'elle éclipse la gloire de tous les saints, comme le soleil à son lever fait disparaître les étoiles. Mon Dieu ! que cela est étrange ! Une Mère qui fait disparaître la gloire de ses enfants ! Moi je pense tout le contraire, je crois qu'elle augmentera de beaucoup la splendeur des élus.

C'est bien de parler de ses prérogatives, mais il ne faut pas dire que cela, et si, dans un sermon, on est obligé du Commencement à la fin de s'exclamer et de faire Ah ! Ah ! on en a assez ! Qui sait si quelque âme n'irait pas même jusqu'à sentir alors un certain éloignement pour une créature tellement supérieure et ne se dirait pas : «Si c'est cela, autant aller briller comme on pourra dans un petit coin!»

Ce que la Sainte Vierge a de plus que nous, c'est qu'elle ne pouvait pas pécher, qu'elle était exempte de la tache originelle, mais d'autre part, elle a eu bien moins de chance que nous, puisqu'elle n'a pas eu de Sainte Vierge à aimer ; et c'est une telle douceur de plus pour nous, et une telle douceur de moins pour elle !

Enfin j'ai dit dans mon Cantique : «Pourquoi je t'aime, ô Marie!» tout ce que je prêcherais sur elle.]

Le 22 août

1

C'est la fête de bon papa aujourd'hui.

(St Joachim)

2

O ma petite Mère, qu'est-ce que je deviendrais si le bon Dieu ne me donnait pas la force ? Il n'y a plus que les mains !... On ne sait pas ce que c'est que de souffrir comme cela. Non, il faut le sentir.

3

... On vous a trouvée imparfaite en telle occasion ...

Avec satisfaction :

Oh ! bien, tant mieux !

4

Du côté des intestins et... d'ailleurs, elle souffrait violemment, on craignit la gangrène.

... Eh bien, ça vaut mieux, tant qu'à faire de souffrir beaucoup et de partout, d'avoir plusieurs maladies ensembles. C'est comme en voyage, où l'on supporte toutes sortes d'incommodités, sachant bien que ça va finir promptement et qu'une fois le but atteint on n'en jouira que davantage.

5

Sur une réflexion qu'on lui faisait (je ne me rappelle plus pourquoi)

Croyez-vous que la Sainte Vierge a fait des contorsions comme Ste Madeleine ! Ah mais non, ça n'aurait pas été gentil. C'est bon pour moi d'hoqueter !

6

Elle avait renversé du tilleul sur le lit ; on lui disait pour la consoler que cela ne faisait rien.

D'un air de dire qu'il fallait qu'elle souffre de toutes manières :

Ah ! ça ne fait rien, non !

7

Elle m'a regardée pendant l'oraison, puis son image de Théophane Vénard de son regard si doux et si profond.

Quelque temps après elle voulut parler pour me faire plaisir car elle pouvait à peine respirer. Je lui dis de garder le silence.

Non, il ne faut pas que je parle ?... Mais... je croyais... Je vous aime tant !... Je vais être mignonne... Oh ma petite Mère !

8

On voulait l'empêcher de faire des frais pour nous consoler :

Faut me laisser faire mes petites «singeries».

9

J'ai éprouvé du plaisir à penser qu'on priait pour moi, alors j'ai dit au bon Dieu que je voulais que ce soit appliqué aux pécheurs.

- Vous ne voulez donc pas que ce soit pour votre soulagement?

- Non !

10

Elle souffrait beaucoup et gémissait.

Ma petite Mère !... Oui !... je veux bien !...

... Il ne faut plus que je me plaigne, ça ne sert à rien.

Priez pour moi, mes petites soeurs, mais pas à genoux, assises.

(Nous étions à genoux.)

Le 23 août

1

Je n'avais pas encore passé une aussi mauvaise nuit. Oh ! qu'il faut que le bon Dieu soit bon pour que je puisse supporter tout ce que je souffre ! Jamais je n'aurais cru pouvoir souffrir autant. Et pourtant je crois que je ne suis pas au bout de mes peines ; mais Il ne m'abandonnera pas.

2

Vous avez chanté à la Ste Vierge :

« Tout ce qu'il m'a donné, Jésus peut le reprendre,

Dis-lui de ne jamais se gêner avec moi. »

Elle l'a dit et il vous prend au mot.

J'en suis contente et je ne me repens pas.

3

... Non, le bon Dieu ne me fait pas pressentir une mort prochaine, mais des souffrances beaucoup plus grandes... Mais je ne me tourmente pas, je ne veux penser qu'au moment présent.

4

Je lui disais qu'on m'avait donné une grande couverture pour l'hiver, qu'elle était vraiment trop grande.

Oh ! mais non, on n'a jamais trop chaud l'hiver.

... Vous aurez froid, quand moi j'aurai pas froid ! Ça me fait pitié.

5

Baisez-moi sur le front.

A Sr Geneviève :

Priez bien la Sainte Vierge pour moi, vous qui êtes ma petite infirmière, car si vous étiez malade, je prierais tant pour vous ! Mais quand c'est pour soi, on n'ose pas.

6

Elle avait offert ses souffrances pour M.l'Abbé de Cornières, alors séminariste, et très tenté. Il l'avait appris et écrivit une lettre des plus humbles et des plus touchantes.

Oh ! que cette lettre m'a apporté de consolation ! J'ai vu que mes petites souffrances portaient du fruit. Avez-vous remarqué les sentiments d'humilité qu'elle exprime ? C'est justement cela que je désirais.

... Et que cela me fait de bien de voir comme en si peu de temps on peut avoir tant d'amour et de reconnaissance pour une âme qui vous a fait du bien et que vous ne connaissiez pas jusque là. Qu'est-ce que ce sera donc au Ciel quand les âmes connaîtront celles qui les auront sauvées ? !

7

Au milieu de ses souuffrances si grandes :

Ma petite Mère !... Ma petite Mère !... Oh !... Oh !... Oui !... Maman ! maman ! maman !...

8

... Quand on a prié la Sainte Vierge et qu'elle ne nous exauce pas, c'est signe qu'elle ne veut pas. Alors il faut la laisser faire à son idée et ne pas se tourmenter.

9

Elle me disait que tout ce qu'elle avait entendu prêcher sur la Sainte Vierge ne l'avait pas touchée.

Que les prêtres nous montrent donc des vertus pratiquables ! C'est bien de parler de ses prérogatives, mais il faut surtout qu'on puisse l'imiter. Elle aime mieux l'imitation que l'admiration, et sa vie a été si simple ! Quelque beau que soit un sermon sur la Sainte Vierge, si l'on est obligé tout le temps de faire : Ah !... Ah !... on en a assez.

Que j'aime à lui chanter :
L'étroit chemin du Ciel tu l'as rendu visible (Elle disait : facile)
En pratiquant toujours les plus humbles vertus.

10

... Maman !... Ah ! je me plains toujours !... Voyons, mais !... Je veux bien pourtant être malade... mais c'est quand je tousse tout le temps et que je ne peux pas...

(On a cessé aujourd'hui le régime du lait)

J'ai caressé son front après matines :

Oh ! que c'est doux !

Le 24 août

1

Êtes-vous découragée ?

Non !... pourtant tout est pour le pire ! à chaque respiration je souffre violemment. Enfin ce n'est pas encore à crier.

I(Ce matin-là, elle avait un air particulièrement doux et paisible).

2

... Je voudrais si bien vous parler !... Quelle mortification !... Allez ! ça me coûte.

3

... Ma petite Mère, voulez-vous que je vous parle tout de même ?

(Je la gardais depuis longtemps en silence.)

Une demi-heure après, pendant la récréation :

Ma petite Mère !... ah ! moi qui vous aime tant !

En se réveillant pendant Matines :

... Hélas ! depuis le temps que je vous parle ! Et je vois que vous n'en savez pas le premier mot !

(Elle m'avait expliqué son mal dans un cauchemar)

... Et maintenant, je sens la toux menaçante ! Enfin !...

- Tout est pour le pire, n'est-ce pas ?

- Non, pour le mieux.

4

Je l'avais plainte, et sur la réflexion de Sr Geneviève que ça n'avançait pas à grand'chose :

Mais si ! c'est justement ce qui soulage les malades.

Le 25 août

1

Je lui disais mon désir de connaître la date de sa mort.

Ah ! moi je ne le désire pas ! Dans quelle paix je suis ! Ça ne m'inquiète guère.

La porte de l'infirmerie était ouverte pendant le silence et Sr St Jean de la Croix entrait tous les soirs, et se mettant au pied du lit, la regardait en riant pendant assez longtemps.

- Que cette visite est indiscrète et comme elle doit vous fatiguer !

- Mais oui, c'est très pénible d'être regardée en riant quand on souffre. Mais je pense que Notre Seigneur sur la croix a bien été regardé ainsi au milieu de ses souffrances. C'était encore bien pire, car on se moquait vraiment de lui ; n'est-il pas dit dans l'Evangile qu'on le regardait en branlant la tête ? Cette pensée m'aide à lui offrir de bon coeur ce sacrifice.

2

Comme vous souffrez ! Oh ! que c'est dur ! Etes-vous triste ?

- Oh ! non, je ne suis pas du tout malheureuse. Le bon Dieu me donne juste ce que je peux supporter.

3

On lui avait apporté de la part de ma tante de jolies branches de myosotis artificiels. On les mit à orner ses images.

Pendant le silence, d'un petit air enfantin et si gracieux :

J'avais envie qu'on me donne quéque chose, je ne m'analysais pas trop quoi ni pourquoi ; mais j'avais envie, puis, on m'a donné ça.

4

Hélas ma pauvre petite fille, vous pouvez bien dire : « Que mon exil est long ! »

- Mais, je ne le trouve pas long, moi ; c'est pas parce que je souffre qu'il est plus long.

5

Elle gémissait doucement :

... Oh ! comme je me plains ! pourtant je ne voudrais pas moins souffrir.

6

Elle nous conjurait de prier et de faire prier pour elle :

... Oh ! comme il faut prier pour les agonisants ! Si l'on savait !

Je crois que le démon a demandé au bon Dieu la permission de me tenter par une extrême souffrance, pour me faire manquer de patience et de foi.

C'est à Sr M. du Sacré Coeur qu'elle a parlé de l'hymne de Complies à propos des tentations de l'esprit de ténèbres et des fantômes de la nuit..

7

C'était la fête de St Louis, elle avait fait une prière fervente à papa, et sans être exaucée.

... Malgré ce que j'ai ressenti au premier moment, j'ai répété au bon Dieu que je l'aimais davantage et tous les saints aussi.

8

Je lui faisais part de ma tristesse en pensant à ce qu'elle aurait à souffrir encore :

Je suis prête à tout... Vous voyez pourtant que, jusqu'ici, je n'en ai pas eu au dessus de mes forces.

... Il faut s'abandonner. Je voudrais que vous vous réjouissiez.

9

... Oh ! oui, je veux bien ! oui ! mais c'est bien cela !...

Quoi donc ?

- J'étoufferai !

Le 26 août

1

On lui avait laissé toute la nuit le cierge bénit allumé.

C'est à cause du cierge bénit que je n'ai pas passé une trop mauvaise nuit.

2

A Notre Mère, pendant l'oraison :

Je suis bien contente de n'avoir rien demandé au bon Dieu ; comme cela, il est forcé de me donner du courage.

3

Je lui disais qu'elle était faite pour beaucoup souffrir, que son âme était d'une trempe à cela :

Ah ! souffrir de l'âme, oui, je puis beaucoup... mais pour la souffrance du corps, je suis comme un petit enfant, tout petit. Je suis sans pensée, je souffre de minute en minute.

4

Elle devait se confesser :

Ma petite Mère, j'aurais bien à vous parler, si je pouvais. Je ne sais pas s'il faut dire à Mr Youf que j'ai eu des pensées de gourmandise, parce que j'ai pensé à des choses que j'aime, mais je les offre au bon Dieu.

5

Elle étouffait.

... Ah ! j'étoufferai !... Oui !...

(d'une voix douce et plaintive, le « oui » était comme un petit cri.)

6

Pendant Matines je lui disais de remuer à son aise pour trouver un petit soulagement.

... Que c'est difficile avec ce que j'ai de trouver du soulagement !

7

Un point s'était défait dans le linge qui garnissait sa tunique, j'essayais de le refaire mais c'était très difficile et je m'y prenais mal, je la fatiguais beaucoup, elle n'en pouvait plus et me dit ensuite :

O ma petite mère, comme il ne faut pas s'étonner qu'une pauvre infirmière se fâche quelquefois avec ses malades. Vous voyez comme je suis difficile ! Que je vous aime !... Vous êtes bien douce. Je vous suis bien reconnaissante, j'en pleurerais bien !

8

Qu'elle est longue votre maladie, ma pauvre petite !

Oh ! non, je ne la trouve pas longue. Quand ce sera fini, vous verrez que ça ne vous paraîtra pas long.

9

O ma petite Mère, comme il faut que le bon Dieu aide quand on souffre tant !

Le 27 août

1

Oh ! qu'on est malheureux quand on est malade !

- Mais non, on n'est pas malheureux quand c'est pour mourir. Hélas ! comme c'est drôle d'avoir peur de mourir !

... Enfin, quand on est marié, qu'on a un mari et des enfants, ça se comprend ; mais moi qui n'ai rien !...

2

... Que je voudrais bien que Monseigneur ne vienne pas me voir... Enfin, c'est une grâce que la bénédiction d'un Évêque.

En riant :

Si c'était seulement St Nicolas qui a ressuscité trois petits enfants !

(Mgr Hugonin était à Lisieux.)

3

Est-ce que vous n'êtes pas étonnée, ma petite Mère, de la manière dont je souffre ?

... Enfin, j'ai une grande paix au fond.

4

Vous n'avez rien pris depuis ce matin.

- Rien pris ! mais j'ai pris deux tasses de lait, je suis bourrée. Je suis une bourrée, y a pas besoin d'en acheter.

5

Je fais passer des nuits blanches à cette pauvre petite Sr Geneviève !

6

Pendant la récréation de midi :

Vous m'avez dit ce matin que n'aviez rien, et vous avez des petites soeurs, une petite Mère.

- Non, je n'ai rien, parce que je ne les quitte pas, elles !

D'un petit air malin :

Tiens ! si je pensais que je les quitte !

7

Hélas ! si vous alliez être malade jusqu'au printemps prochain ! J'en ai peur,et que diriez-vous?

- Eh bien je dirais tant mieux !

8

Elle eut un moment de grand soulagement dans l'après-midi et nous fit toutes sortes de gentillesses.

9

Elle souffrait continuellement de la soif. Sr Marie du Sacré Coeur lui dit : Voulez-vous de l'eau glacée ?

- Oh ! j'en ai bien envie !

- Notre Mère vous a obligée de demander tout ce qui vous est nécessaire.

- Je demande en effet tout ce dont j'ai besoin.

- Vous ne demandez que le nécessaire ? jamais ce qui peut vous soulager ?

- Non, le nécessaire seulement. Ainsi quand je n'ai pas de raisin je n'en demande pas.

Quelque temps après avoir bu elle regardait son verre d'eau glacée :

- Buvez encore un peu, lui dit-on.

- Non, je n'ai pas la langue assez desséchée.

Le 28 août

1

On a tourné le lit vers la fenêtre.

Oh ! que je suis contente !

Mettez-vous en face, ma petite Mère, pour que je vous voie bien.

2

Notre Mère et d'autres soeurs disaient qu'elle était jolie, on lui rapportait cela.

Ah ! qu'est-ce que ça me fait ! Ça me fait moins que rien, ça m'ennuie. Quand on est si près de la mort, on ne peut pas avoir de joie de cela.

3

Pendant le silence de midi :

Tenez, voyez-vous là-bas le trou noir (sous les marronniers près du cimetière) où l'on ne distingue plus rien ; c'est dans un trou comme cela que je suis pour l'âme et pour le corps. Ah ! oui, quelles ténèbres ! Mais j'y suis dans la paix.

4

Elle n'en pouvait plus et gémissait.

Je crois que le bon Dieu serait plus content si je ne disais rien.

5

Ma petite Mère, prenez-moi cette folie petite affaire blanche.

- Qu'est-ce que c'est ?

- C'est parti ! C'est une jolie petite chose qui vole pendant l'été.

(une graine)

6

Regardant par une petite fente du rideau la statue de la Sainte Vierge en face d'elle.

Tiens ! elle me guette !

7

J'aime beaucoup les fleurs, les roses, les fleurs rouges et les belles marguerites roses.

8

Quand elle toussait et faisait le moindre mouvement dans son lit, les branches de myosotis remuaient autour de ses images.

Les petites fleurs tremblent avec moi, ça me plaît.

9

... Ma bonne Sainte Vierge, voilà ce qui me donne envie de m'en aller : Je fatigue trop mes petites soeurs, et puis je leur fais de la peine en étant si malade... Oui, je voudrais m'en aller !

10

Après Matines :

O ma bonne Sainte Vierge, ayez pitié de moi... «de cette fois!»

Le 29 août

1

Je lui lisais l'Evangile du dimanche : la parabole du Samaritain.

... Je suis comme ce pauvre voyageur «semivivo», à moitié morte, à moitié vivante.

2

C'est bien dur de souffrir sans aucune consolation intérieure.

- Oui mais c'est une souffrance sans inquiétude. Je suis contente de souffrir puisque le bon Dieu le veut.

3

Ma petite Mère ?

(Elle m'appelait)

Qu'est-ce que vous voulez ?

Je viens de compter 9 poires au poirier près de la fenêtre. Il doit y en avoir bien d'autres. Je suis contente, vous en mangerez. C'est si bon, les fruits !

4

Elle nous a donné ce soir un petit baiser.

Le 30 août

1

Elle a passé la nuit très paisiblement comme la nuit du 6 Août ; très heureuse de penser qu'elle allait peut-être mourir.

... Je joignais les mains bien gentiment attendant la mort.

2

Seriez-vous contente si l'on vous annonçait que vous mourrez sûrement dans quelques jours au plus tard ? Vous aimeriez mieux cela tout de même que d'être avertie que vous souffrirez de plus en plus pendant des mois et des années ?

Oh ! non, je ne serais pas du tout plus contente. Ce qui me contente uniquement c'est de faire la volonté du bon Dieu.

3

On l'a mise sur le lit pliant et roulée jusqu'à la porte du choeur qui donne sous le cloître. On l'a laissée là toute seule assez longtemps. Elle priait avec un regard si profond vers la grille. Ensuite elle y a jeté des pétales de rose.

On l'a photographiée avant de rentrer.

Le docteur La Néele est venu et lui a dit : « C'est pour bientôt, ma petite soeur, j'en suis sûr. » Alors elle l'a regardé avec un sourire de bonheur.

  1. Youf est venu aussi et lui a dit ces paroles qu'elle m'a rapportées :

«Vous avez plus souffert que vous ne souffrirez maintenant.» ... Nous finissons ensemble notre ministère, vous comme carmélite, moi comme prêtre. »

Le 31 août

1

Nouvelle visite du Dr La Néele.

2

Si vous mouriez demain, n'auriez-vous pas un peu peur, ce serait si près !

- Ah ! même ce soir, je n'aurais nulle peur, je n'aurais que de la joie.

3

Quel courage il me faut pour faire un signe de croix !

... Ah ! mes petites soeurs ! Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! ... Mon Dieu, ayez pitié de moi !... Je n'ai plus que cela à dire.

4

Bientôt ce lit où nous vous voyons sera vide, quelle douleur pour nous !

- Ah ! à votre place, que je serais content !

5

... J'ai de l'appétit pour toute ma vie. J'ai toujours mangé comme une martyre, et maintenant je dévorerais tout. Il me semble que je meurs de faim.

... Que Ste Véronique à dû souffrir !

(Elle avait lu que cette sainte était morte de faim.)

6

L'une de nous disait : »Comme elle est oppressée ! Elle pourrait très bien mourir aujourd'hui. »

Qué bonheur !

7

Dans l'après-midi - On me disait qu'elle dormait ; elle ouvrit les yeux et me dit :

Mais non, avancez-vous, ça me fait tant de plaisir de vous voir !

8

Que j'ai besoin de voir les merveilles du Ciel ! rien ne me touche sur la terre.

9

Pendant Matines.

Ah ! c'est incroyable comme toutes mes espérances se sont réalisées. Quand je lisais St Jean de la Croix, je suppliais le bon Dieu d'opérer en moi ce qu'il dit, c'est à dire la même chose que si je vivais très vieille ; enfin de me consommer rapidement dans l'amour, et je suis exaucée !

10

Après avoir regardé longuement la staue de la Sainte Vierge :

... Qui est-ce qui aurait pu inventer la Sainte Vierge ?

11

A moi :

... Ah ! si vous m'aimez, que je vous aime moi aussi !

12

Elle me raconta qu'autrefois pour se mortifier, elle pensait à des choses sales en mangeant.

... Mais après, j'ai trouvé cela plus simple d'offrir au bon Dieu ce que je trouvais à mon goût.

13

... Tantôt j'ai voulu faire un vrai dîner, alors j'ai pris un grain de raisin puis une petite gorgée de vin que j'ai offerts à la Sainte Vierge. Ensuite j'ai fait la même chose pour l'Enfant Jésus, et mon petit dîner a été fini.

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