Carmel

Paroles retrouvées

Le 6 avril 1897

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Ah ! comme il ne faut rien juger sur la terre. Voilà ce qui m'est arrivé en récréation, il y a quelques mois. C'est un rien, mais qui m'a appris beaucoup :

On sonnait deux coups, et la Dépositaire étant absente, il fallait une tierce à ma Sr Thérèse de St Augustin. Ordinairement, c'est ennuyeux de servir de tierce, mais cette fois cela me tentait plutôt, parce qu'on devait ouvrir la porte pour recevoir les branches d'arbre pour la crèche.

Sr Marie de S. Joseph était à côté de moi et je devinais qu'elle partageait mon désir enfantin. - «Qui est-ce qui va me servir de tierce?» dit ma Sr Thérèse de St Augustin. -

Aussitôt, je défais notre tablier, mais lentement, afin que ma Sr Marie de St Joseph soit prête avant moi et prenne la place, ce qui arriva. Alors, Sr Thérèse de St Augustin dit en riant et me regardant : « Eh! bien c'est ma Sr M. de St J. qui va avoir cette perle à sa couronne. Vous alliez trop lentement. » Je ne répondis que par un sourire et me remis à l'ouvrage, me disant en moi-même : «O mon Dieu que vos jugements sont différents de ceux des hommes! C'est ainsi que nous nous trompons souvent sur la terre, prenant pour imperfection dans nos soeurs ce qui est mérite devant vous! »

Du 21 au 26 mai

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J'étais un peu triste ce soir, me demandant si le bon Dieu était vraiment content de moi. Je pensais à ce que chacune des soeurs dirait de moi, si elle était interrogée. Telle dirait : «C'est une bonne petite âme, elle peut devenir une sainte.» - Une autre : «Elle est bien douce, bien pieuse, mais ceci... mais cela...» - D'autres auraient encore des pensées différentes ; plusieurs me trouveraient bien imparfaite, ce qui est vrai... Pour ma petite Mère, elle m'aime tant, cela l'aveugle, alors, je ne puis la croire. Oh ! ce que le bon Dieu pense, qui me le dira ? J'étais dans ces réflexions, quand votre petit mot m'est arrivé. Vous me disiez que tout en moi vous plaisait, que j'étais chérie particulièrement du bon Dieu, qu'il ne m'avait pas fait monter comme les autres le rude escalier de la perfection, mais qu'il m'avait mise dans un ascenseur pour que je sois plus vite rendue à Lui. Déjà, j'étais touchée, mais toujours la pensée que votre amour vous faisait voir ce qui n'est pas, m'empêchait de jouir pleinement ; alors, j'ai pris mon petit Evangile, demandant au bon Dieu de me consoler, de me répondre lui-même... et voilà que je suis tombée sur ce passage que je n'avais jamais remarqué : «Celui que Dieu a envoyé dit les mêmes choses que Dieu, parce qu'il ne lui a pas communiqué son Esprit avec mesure.» Oh ! alors, j'ai versé des larmes de joie, et ce matin, en me réveillant, j'étais encore tout embaumée. C'est vous, ma petite Mère, que Dieu a envoyée pour moi, c'est vous qui m'avez élevée, qui m'avez fait entrer au Carmel ; toutes les grandes grâces de ma vie, je les aie reçues par vous ; aussi, vous dites les mêmes choses que Dieu, et maintenant, je crois que le bon Dieu est très content de moi, puisque vous me le dites

Le 8 juin

Nous avions parlé des longues maladies qui souvent fatiguent les infirmières, ce qui est une grande souffrance pour les malades qui s'en aperçoivent.

Je veux bien rester comme cela jusqu'à la fin d'une très longue vie ; si cela plaît au bon Dieu, je veux même bien être «prise en grippe.»

Le 19 juin

Notre cousine, la Mère Marguerite (Supre Gleà Paris des religieuses Auxiliatrices de l'I..C. garde-malades) m'avait envoyé une jolie corbeille remplie de lys artificiels, pour le 21, fête de Mère Marie de Gonzague. Je lui apportai cette corbeille en disant toute joyeuse : » C'est la Supérieure Générale des Auxiliatrices qui m'envoie cela ! »

Elle me répondit tout à coup avec élan et affection :

Eh ! bien, c'est vous qui êtes la Supérieure Générale de mon coeur.

Que j'aurais donc bien voulu être prêtre pour prêcher sur la Sainte Vierge ! Une seule fois m'aurait suffi pour dire tout ce que je pense à ce sujet.

J'aurais d'abord fait comprendre à quel point on connaît peu sa vie.

Il ne faudrait pas dire des choses invraisemblables ou qu'on ne sait pas ; par exemple que, toute petite, à trois ans, la Sainte Vierge est allée au Temple s'offrir à Dieu avec des sentiments brûlants d'amour et tout à fait extraordinaires ; tandis qu'elle y est peut-être allée tout simplement pour obéir à ses parents.

Pourquoi dire encore, à propos des paroles prophétiques du vieillard Siméon, que la Sainte Vierge, à partir de ce moment-là a eu constamment devant les yeux la passion de Jésus ? «Un glaive de douleur transpercera votre âme» avait dit le vieillard. Ce n'était donc pas pour le présent, vous voyez bien, ma petite Mère ; c'était une prédiction générale pour l'avenir.

Pour qu'un sermon sur la Ste Vierge me plaise et me fasse du bien, il faut que je voie sa vie réelle, pas sa vie supposée ; et je suis sûre que sa vie réelle devait être toute simple. On la montre inabordable, il faudrait la montrer imitable, faire ressortir ses vertus, dire qu'elle vivait de foi comme nous, en donner des preuves par l'Evangile où nous lisons : «Ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait.» Et cette autre, non moins mystérieuse : Cette admiration suppose un certain étonnement, ne trouvez-vous pas, ma petite Mère ?

On sait bien que la Sainte Vierge est la Reine du Ciel et de la terre, mais elle est plus Mère que reine, et il ne faut pas dire à cause de ses prérogatives qu'elle éclipse la gloire de tous les saints, comme le soleil à son lever fait disparaître les étoiles. Mon Dieu ! que cela est étrange ! Une Mère qui fait disparaître la gloire de ses enfants ! Moi je pense tout le contraire, je crois qu'elle augmentera de beaucoup la splendeur des élus.

C'est bien de parler de ses prérogatives, mais il ne faut pas dire que cela, et si, dans un sermon, on est obligé du Commencement à la fin de s'exclamer et de faire Ah ! Ah ! on en a assez ! Qui sait si quelque âme n'irait pas même jusqu'à sentir alors un certain éloignement pour une créature tellement supérieure et ne se dirait pas : «Si c'est cela, autant aller briller comme on pourra dans un petit coin!»

Ce que la Sainte Vierge a de plus que nous, c'est qu'elle ne pouvait pas pécher, qu'elle était exempte de la tache originelle, mais d'autre part, elle a eu bien moins de chance que nous, puisqu'elle n'a pas eu de Sainte Vierge à aimer ; et c'est une telle douceur de plus pour nous, et une telle douceur de moins pour elle !

Enfin j'ai dit dans mon Cantique : «Pourquoi je t'aime, ô Marie!» tout ce que je prêcherais sur elle.

Le 30 septembre

... Tous mes petits désirs ont été réalisés... Alors ce grand (mourir d'amour) devra l'être !

Dans l'après-midi :

Ah ! que j'ai de force aujourd'hui !... J'en ai pour des mois ! Et demain, tous les jours, ce sera encore pire !...

... Eh bien ! tant mieux !

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Je ne peux pas respirer, je ne peux pas mourir !...

... Je ne saurai jamais mourir !.......................

... Oui, mon Dieu !... Oui !.............

... Je veux bien encore souffrir....................

Vers 5 heures, Mère Marie de Gonzague fit tomber ses reliques du B. Théophane et de la Mère Anne de Jésus qui étaient épinglées sur son rideau, à droite. On les releva et elle leur fit une petite caresse.

Remarque importante

Quand ma sainte petite Thérèse m'a dit, le 16 Juillet 1897 : « Vous connaissez tous les replis de ma petite âme, vous seule... » je suis sûre que, dans sa pensée, elle n'excluait pas de cette connaissance complète de son âme, Sr Marie du Sacré-Coeur et Sr Geneviève de la Ste Face. Sr Marie du Sacré Coeur à qui elle devait le sourire de la Sainte Vierge, et qui l'avait préparée à sa première Communion, à qui l'on doit encore la réponse merveilleuse de sa filleule, le 17 Sept. 1896. Sr Geneviève de la Sainte Face, sa Céline qu'elle appelait si suavement : « le doux écho de mon âme. »

Mais elle était inspirée par le bon Dieu de me dire cela à moi très particulièrement, afin que, plus tard, à cause de l'autorité qui me serait donnée, on pût se fier entièrement à ce que je dirais et écrirais à son sujet.

Sr Agnès de Jésus
c.d.i.

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