Carmel

Biographie de Soeur St Vincent de Paul

Zoé-Adèle Alaterre   1841-1905

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Brave et courageuse

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Une orpheline

Zoé-Adèle Alaterre est née le 13 août 1841 à 10 heures du soir, rue de la Poudrière à Cherbourg. Son père, 25 ans, tailleur de pierres, avait épousé Désirée Maurouard de six ans plus âgée que lui. Zoé est la deuxième des six enfants qui, de 1839 à 1848, viennent égayer ce foyer laborieux. Trois d'entre eux mourront avant d'avoir deux ans.

Baptisée le jour de l'Assomption (1841) dans la belle église de la Trinité, Zoé se révèle une enfant pleine de vie, insouciante, espiègle et insubordonnée. Elle préfère les jeux au sérieux de la prière en famille. Hélas, le malheur ne va pas tarder à s'abattre sur elle. Depuis 1832, en effet, le choléra a fait son apparition en Normandie, en 1849 Cherbourg est atteinte et les victimes ne se comptent plus. La famille Alaterre n'échappe pas au fléau. Une tante de la petite fille meurt devant elle foudroyée en quelques minutes par le terrible mal et le lendemain sa mère est également touchée et meurt à l'aube du 18 septembre dans les bras de Zoé qui s'aggrippe à son cou. Moins de quarante-huit heures plus tard son père décède à son tour, laissant quatre orphelins. La petite fille a huit ans. Le temps du bonheur familial est révolu. Zoé et sa jeune soeur Ernestine, âgée de trois ans, sont d'abord confiées à une «horrible femme » avant d'être envoyées à Caen chez les Soeurs de Saint-Vincent-de-Paul. L'épreuve a changé profondément le caractère exubérant de la fillette, elle est devenue timide et tranquille. Après sa communion, elle retrouve un peu de sa joie de vivre, elle aime rire et chanter, souvent même elle danse. Ce qui ne l'empêche pas de rêver de solitude et de pénitence au point qu'elle décide d'être Carmélite.

Elle est toujours chez les Soeurs de Saint-Vincent-de-Paul, à l'orphelinat de la rue de Bayeux, et y remplit les fonctions de sacristine et d'infirmière quand le 25 mars 1863 sa compagne d'infortune, sa soeur Ernestine, âgée de 16 ans, meurt après lui avoir dit : «Ne pleure pas, quand je vais être au Ciel, tu entreras au Carmel, je te le promets!» Moins d'un an après, le 2 février 1864, Zoé franchit la clôture du Carmel de Lisieux. Elle a vingt-deux ans et demi.

Au Carmel

Elle y est admise pour suppléer Sœur Marie de l'Incarnation converse trop malade pour pouvoir remplir son office et elle reçoit le nom de Sœur Saint Vincent de Paul. Ses débuts en communauté sont pénibles. Elle regrettait sa communion quotidienne, elle pleurait devant le grand rideau du chœur qui lui voilait le Tabernacle, objet de son amour. C'est une femme de très petite taille (peut-être moins de 1,50 m), de santé fragile, mais très énergique et ne s'écoutant pas.

Peu experte dans les travaux ménagers, elle excelle cependant dans tous les genres d'ouvrages manuels et est, en particulier, une excellente brodeuse. En plus des tâches habituellement réservées aux sœurs du voile blanc: cuisine, lessive, ménage, jardinage, elle sera chargée de la confection et de la réparation des alpargates.

Les témoignages de ses sœurs du Carmel nous permettent de mieux la connaître. Sœur Marie des Anges la décrit ainsi, non sans une pointe d'humour : « Toujours vaillante et courageuse en dépit de la souffrance, et docteur de Sorbonne apprécié du Carmel! Quelle que soit la question, théologie ou politique, mystique ou littéraire, mathématique ou astronomie, vous trouvez là une encyclopédie qui vous résoudra toute question.»  La plume de Sœur Geneviève ajoute : «Elle était fine et maligne. Et elle aimait beaucoup la Sainte Vierge.» Ajoutons qu'elle aimait bien causer.

Voici donc située Sœur Saint-Vincent de Paul qui prend l'habit le 8 décembre 1864 en même temps que Sœur Thérèse du Sacré-Cœur. C'est le Supérieur du Carmel, alors l'abbé Cagniard, qui donne le sermon de circonstance. Mais la santé de notre petite sœur lui permettra-t-elle de rester carmélite? A quelque temps de là, elle vomit le sang. Le médecin recommande de ne pas s'inquiéter : il semble qu'il ne s 'agisse que de la rupture d'un vaisseau. Et cependant chaque année ces hémorragies se renouvelleront, au point qu'elle passera des nuits entières assise à terre, ne pouvant restée allongée. Le lendemain, elle reprend toujours son travail comme si de rien n'était.

Elle fait profession le 14 décembre 1865. La jeune moniale exprime trois souhaits dans cette première période de sa vie religieuse : obtenir une vraie contrition de ses péchés, être humble, devenir plus charitable envers ses sœurs et plus fervente envers l'Eucharistie, alors qu'elle édifie son entourage par les longs moments qu'elle passe dans le recueillement au pied du tabernacle.

Avec Thérèse

Les rapports de Soeur Saint-Vincent de Paul avec Thérèse ne seront jamais banals. En schématisant on pourrait les caractériser ainsi :
— trois années de mise à l'épreuve (1888-1891),
— trois années de mise à contribution (1894-1897),
— la mise sur les autels (1897-1906).

Mise à l'épreuve (1888-1891)

Les relations entre la pauvre orpheline et la petite bourgeoise Thérèse Martin s'établiront difficilement! Thérèse écrit à Mère Agnès le 7 janvier 1889 : «Ce matin j'ai eu de la peine chez ma Soeur Saint-Vincent de Paul, je me suis en allée le coeur bien gros. » Elle raconte encore, en juillet 1897, comment peu de temps après sa prise d'habit, Soeur Saint-Vincent de Paul s'écrie en la rencontrant : «Oh! Quelle figure de prospérité! Est-elle forte cette grande fille! Est-elle grosse!. » Et Thérèse ajoute : «Je m'en allais tout humiliée du compliment... » C'est alors qu'elle rencontre une autre soeur qui s'inquiète de sa pauvre mine : « Vous maigrissez à vue d'oeil! » Et Thérèse conclut : «Depuis ce moment je n'ai plus du tout attaché d'importance à l'opinion des créatures.»

Un incident montre bien la difficulté de relation qui existait entre Thérèse et Soeur Saint-Vincent de Paul. C'est à l'occasion du décès de la fondatrice du Carmel, la vénérée Mère Geneviève (5 décembre 1891). Les familles des soeurs, les amis, les ouvriers avaient envoyé de nombreux bouquets de fleurs que Thérèse disposait de son mieux auprès du cercueil. Soeur Saint Vincent de Paul qui l'observait s'écria soudain: «Vous savez bien mettre au premier rang les couronnes envoyées par votre famille et vous mettez en arrière les bouquets des pauvres. » Peut-être parmi ces humbles bouquets avait-elle vu celui offert par son frère aîné, Louis, qui semble avoir travaillé à la construction de la maison du Tour à cette époque? Soeur Thérèse répond doucement : «Je vous remercie, ma soeur, vous avez raison, je vais mettre en avant la croix de mousse envoyée par les ouvriers, c'est là qu'elle va bien faire, je n'y pensais pas.» Soeur Saint Vincent de Paul avoua plus tard que c'est à partir de ce jour qu'elle regarda Thérèse comme une sainte.

Mise à contribution (1894-1897)

Sœur Saint-Vincent de Paul reconnaît par ailleurs les dons poétiques de Thérèse, au point qu'elle lui demande quatre poésies. Elle est donc l'une des meilleures clientes de Thérèse versificatrice. Ces poésies (L'atome du Sacré-Cœur (1894), L'atome de Jésus-Hostie (1895), Mes désirs auprès de Jésus caché dans sa prison d'amour (1895), Mon ciel à moi (1896) ont un thème principalement eucharistique, ce qui concorde bien avec la dévotion de la sœur pour le «Saint Sacrement». Que pensait Saint-Vincent de Paul de ces poésies? Ce qui témoigne de son appréciation est qu'elle en redemande.

C'est encore à Sœur Saint-Vincent de Paul que l'on doit le propos bien connu, rapporté par Sœur Geneviève : «C'est une gentille petite sœur, mais que pourra-t-on dire d'elle après sa mort? Elle n'a rien fait... » Mère Agnès rapporte les paroles de la sœur de la façon suivante: «Je me demande ce que notre mère prieure pourra bien écrire de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus. Que voulez-vous dire d'une personne qui a été tout le temps choyée et qui n'a pas acquis la vertu comme nous au prix de luttes et de souffrances? Elle est douce et bonne, mais c'est naturel chez elle.»

Fin juillet 1897, Thérèse fut prise d'un dégoût insurmontable pour la nourriture. Sœur Saint-Vincent de Paul vint un jour lui présenter une tasse de jus de viande. La malade refusa, faute d'appétit et parce que cette nourriture ne lui était pas ordonnée par la mère Prieure; et Sœur Saint-Vincent de Paul rentra à la cuisine froissée en affirmant : « Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus non seulement n'est pas une sainte mais elle n'est même pas une bonne religieuse. » Et Thérèse mise au courant se réjouit : « Entendre dire sur mon lit de mort que je ne suis pas une bonne religieuse, quelle joie! rien ne pouvait me faire plus de plaisir.» Elle apprécia moins le reproche qui lui était fait de n'avoir connu ni les souffrances ni les humiliations : « Et moi qui ai tant souffert dès ma plus tendre enfance! Ah! que cela me fait de bien de voir l'opinion des créatures, au moment de la mort!» 

La « mise sur les autels » (1897-1905)

L'opinion de Saint-Vincent de Paul va changer radicalement dès la mort de Thérèse. Car le 30 septembre ou le 1er octobre, l'audacieuse St Vincent de Paul demanda la guérison de l'anémie cérébrale qui l'affligeait depuis longtemps. Appuyant alors sa tête sur les pieds de l'angélique enfant elle lui demanda pardon de ses offenses et dit avoir obtenu dès lors sa complète et immédiate guérison! Elle vient même trouver toutes les sœurs l'une après l'autre pour raconter l'acte d'humilité qu'avait fait la Thérèse au sujet des fleurs ornant le cercueil de Mère Geneviève, déclare Sœur Geneviève au cours du Procès Apostolique.

Ensuite on la voit ramasser partout des rebuts de photographies représentant Thérèse, s'empresser à garder ses souvenirs et ses portraits. Elle dira à Sœur Geneviève dès 1898 : « Vous pouvez bien vous flatter et être bien glorieuse d'avoir été la sœur d'une sainte! »

Mais l'âge venait. À partir de 1900 des hémorragies plus graves que les précédentes se multiplièrent, elle n'était plus que l'ombre d'elle-même et ses souffrances étaient très vives : « Je n'en puis plus, s'écriait-elle, Mon Dieu, mon Tout! Mon Dieu, Mon Tout! » Elle répétait des heures entières ces mêmes paroles. «Oh! Qu'il change toutes mes plaintes en actes d'amour», disait-elle encore. Enfin, le jeudi 13 avril 1905 à 2 h 30 du matin, elle retrouvait auprès de Dieu celle qu'elle avait si mal comprise sur la terre avant de lui porter une fervente admiration.

P. Gires