Carmel

Dernières paroles à Céline

Juillet 1897

12 Juillet

1

Au milieu d'une conversation, ma petite Thérèse s'interrom­pit tout-à-coup en me regardant avec compassion et tendresse. Elle dit:

« Ah !.. c'est ma petite soeur Geneviève qui sentira le plus mon départ, certainement c'est elle que je trouve le plus à plaindre, parce qu'aussitôt qu'elle a de la peine elle vient me trouver et elle n'aura plus personne....

.... Oui, mais le bon Dieu lui donnera la force... et puis, je reviendrai ! »

et s'adressant à moi :

« Je viendrai vous chercher le plus tôt possible et je mettrai Papa de la partie, vous savez bien qu'il était toujours pressé... »

2

Plus tard, tandis que je faisais autour d'elle mon office d'infirmière en parlant comme toujours de la séparation prochaine, elle fredonna, en me substituant à elle, ce couplet qu'elle composait en chantant: (air du Cantique « est à moi.»)

« Elle est à moi celle que le Ciel même
« Le ciel entier est venu me ravir
« Elle est à moi, je l'aime, oh ! oui je l'aime
« Rien ne pourra jamais nous désunir. »

3

Je lui disais - « Le bon Dieu ne pourra me prendre aussitôt après votre mort, car je n'aurai pas eu le temps d'être bonne ». Elle reprit :

« Cela ne fait rien, rappelez-vous St. Joseph de Cupertino, son intelligence était médiocre, il était ignorant et ne connaissait à fond que cet Evangile : Beatus venter qui te portavit. Interrogé juste sur ce sujet, il répondit si bien que tous furent dans l'admiration et il fût reçu avec grands hon­neurs pour la prêtrise, avec ses trois compagnons, sans aucun autre examen. - Car on jugea d'après ses sublimes réponses que ses compagnons devaient en savoir aussi long que lui. - Ainsi, je répondrai pour vous et le bon Dieu vous donnera gratis tout ce qu'il m'aura donné. »

4

Ce même jour, tandis que j'allais et venais dans l'infirmerie, elle dit en me regardant :

« Mon petit Valérien... »

(Elle comparait quelquefois notre union à celle de Ste Cécile et de Valérien.)

 

Juillet

1

Des réflexions comme celles-ci jaillissaient spontanément, en me regardant :

«Nous serons comme deux petits canards, vous savez comme ils se suivent de près ! »

«Que j'aurais de chagrin si je voyais n'importe qui sur l'autre genou du bon Dieu, je pleurerais toute la journée !.. »

Ma petite Thérèse avait été frappée du passage de l'Evan­gile où Jésus refuse aux fils de Zébédée d'être, au ciel, à sa droite et à sa gauche et elle disait : « Je me figure que le bon Dieu a réservé ces places à de petits enfants.» Elle espérait alors que ces deux enfants privilégiés étaient elle et moi... (C'est ce qui explique mes questions réitérées révélant la crainte, fondée hélas ! de ne jamais être digne de cette faveur.) –

La grâce de l'Haec facta est mihi survenue environ 3 semai­nes après sa mort était la réponse à cette interrogation intime formulée tout à coup pendant l'Office de Tierce : - «Ma Thérèse ne m'a pas dit qu'elle avait la place espérée : être sur les genoux du bon Dieu ?... » - A ce moment précis le choeur disait : Haec facta est mihi, je ne comprenais pas ces paroles dont je cherchai la traduction dès l'Office terminé : Haec facta est mihi... Ceci m'a été fait.

2

J'avais dit qu'en la perdant, je deviendrais folle. Elle reprit :

«Si vous êtes folle, bobonne, le "Bon Sauveur" viendra vous chercher !.. » (« Bobonne » était un surnom qu'elle me donnait, avec la permission de notre Mère, parce que je la servais et, qu'ayant constamment besoin de m'appeler, ce lui était moins fatigant à prononcer que mon nom.)

3

Voyant Mère Agnès de Jésus écrivant toutes les belles paro­les de notre Ange, moi ne relevant hâtivement que celles m'étant tout à fait personnelles je témoignai ainsi du regret de ne pouvoir tout écrire :

-          « Moi, je ne fais pas comme les autres, je ne prends point note de ce que vous dites », elle reprit aussitôt :

-          « Vous n'en avez pas besoin, je viendrai vous chercher... »

Avant d'être descendue à l'infirmerie, c'était au mois de Juin, un jour où elle me voyait désolée à la perspective de son départ prochain, elle s'adressa à l'Enfant Jésus et, d'un geste charmant, dressant son doigt, elle lui parla comme en faisant la leçon :

« Mon petit Jésus, si vous m'emmenez, il faudra aussi emmener Mademoiselle Lili (petit surnom familier qui datait de notre enfance et qu'elle me donnait dans l'intimité. Il avait été inspiré par une histoire pour les bébés : « M. Toto et Mlle Lili » - elle était M. Toto, moi Mlle Lili). C'est là ma condition, ainsi réfléchissez bien à ce que vous allez faire... Pas de milieu, c'est à prendre où à laisser ! »

4

Le 22 Juillet, j'écrivais à ma Tante Mme Guérin : ... L'autre jour, assise près de la fenêtre, je lisais à ma petite malade un passage sur la béatitude du ciel, elle m'a interrompue pour me dire :

« Ce n'est pas cela qui m'attire...
- Quoi donc ai-je repris ?
« Oh! c'est l'Amour ! Aimer, être aimée et revenir sur la terre.»

5

Elle avait craché le sang la nuit. Toute joyeuse, avec ses manières enfantines, elle me montrait le plat de temps en temps. Souvent elle désignait le bord avec un petit air triste qui voulait dire : j'en voudrais jusque là !

Je lui répondis tristement, moi aussi :

-          « Oh ! cela n'importe pas qu'il y en ait peu ou beaucoup, le fait même est un signe de votre mort... »

Puis, j'ajoutai : - « Hélas ! vous êtes plus heureuse que moi, car je n'ai pas de signe pour la mienne ! »

Elle reprit aussitôt :

-          « Oh ! si, vous avez un signe ! Ma mort est un signe de la vôtre !... »

 

21 Juillet

Tandis que je remplissais mon office à l'infirmerie, mettant de l'ordre dans la pièce, elle me suivait des yeux et rompit tout à coup le silence par une parole que rien n'avait provo­quée :

« Au ciel, vous prendrez séance à côté de moi ! »

Et plus tard, en citant un passage d'une belle poésie sur Louis XVII:

« Vous viendrez bientôt avec moi bercer l'enfant qui pleure
Et, dans leur brûlante demeure d'un souffle lumineux rajeunir les soleils...

puis, je vous mettrai les ailes d'azur d'un chérubin vermeil... je les attacherai moi-même, car vous ne sauriez pas, vous les mettriez ou trop bas, ou trop haut ! »

 

24 Juillet

1

Elle connaissait une foule d'histoires et avait retenu quantité de traits dont elle se servait à l'occasion, ce qui rendait sa conversation imagée et piquante.

« Vous êtes une âme de bonne volonté, me dit-elle, ne crai­gnez rien, vous avez une petite "chienne" qui vous sauvera de tous les périls... »

(allusion à cet aveu que le démon avait fait au P. Surin, dans un exorcisme : « Je viens à bout de tout, il n'y a que cette chienne de bonne volonté contre laquelle je ne puis rien. »)

Je lui disais : « Vous êtes mon idéal, et cet idéal je ne puis pas l'atteindre, oh ! que c'est cruel ! Il me semble que je n'ai pas ce qu'il faut pour cela, je suis comme un petit enfant qui n'a pas conscience des distances : sur le bras de sa mère, il étend sa petite main pour saisir le rideau, un objet... il ne se rend pas compte qu'il en est très loin ! »

- « Oui, mais au dernier jour, le bon Jésus approchera sa petite Céline de tout ce qu'elle aura désiré, et alors elle saisira tout. »

Août

3 Août

«Vous êtes toute petite rappelez-vous ça et quand on est tout petit on n'a pas de belles pensées...»

 

4 Août

l

Mes premières années de vie religieuse me firent assister à une véritable destruction de ma nature, je ne voyais autour de moi que des ruines, aussi je me lamentais bien souvent. Dans l'une de ces circonstances je l'entendis chanter, sur l'air de ces deux dernières lignes d'un cantique à St Joseph : « Joseph inconnu sur la terre «Que vous êtes grand dans les Cieux !» Le 1er couplet de ce cantique commençait ainsi : Un noble sang circulait dans vos veines... et la 1ère ligne du refrain : La gloire humaine est passagère:

« Bobonne, imparfaite sur la terre. Vous serez parfaite dans les Cieux ! »

2

Pour soulager une douleur très vive que ma chère petite soeur éprouvait dans l'épaule et le bras droits, j'avais imaginé, attaché au ciel de son lit, un large ruban fait avec du linge plié, dans lequel son bras restait suspendu dans le vide. Ce soulagement ne put servir longtemps, elle en fut néanmoins très reconnaissante et me dit avec tendresse :

« Le bon Dieu fera aussi des pendaisons à bobonne ! »

3

Interrompant une conversation je m'exclamai tristement en songeant à sa mort :

-  « Moi, je ne saurai pas vivre sans elle !

« Vous avez bien raison, reprit-elle vivement, aussi je vous en apporterai deux... » (ailes)

4

Quand je fus seule avec ma Thérèse je lui dis : - « Vous voulez que d'un oeuf de moineau éclose un petit oiseau déli­cieux comme vous, c'est impossible ! »

- « Oui, mais" ! je ferai un tour de physique pour amuser tous les saints. Je prendrai le petit oeuf et je dirai aux saints : Regardez bien je vais faire un tour de passe-passe :
« Voici un petit oeuf de moineau, eh bien ! je fais en faire sortir un joli petit oiseau comme moi !
« Alors, je dirai tout bas au bon Dieu en lui présentant mon petit oeuf, mais tout bas, tout bas : "Changez la nature du petit oiseau en soufflant dessus..." Puis, quand il me l'aura rendu je le donnerai à la Ste Vierge et je lui demanderai de le baiser... Ensuite, je le confierai à St Joseph et je le prierai de le cares­ser... Enfin, je dirai bien haut à tous les Saints :
- "Dites tous que vous aimez autant que moi le petit oiseau qui va sortir du petit oeuf !"
« Aussitôt tous les Saints s'écrieront : - Nous aimons autant que toi le petit oiseau qui va sortir du petit oeuf !
« Alors, d'un air triomphant, je casserai le petit oeuf et un joli petit oiseau viendra se mettre à côté de moi sur les genoux du bon Dieu, et tous les saints seront dans une liesse que je ne puis décrire, en entendant chanter les deux petits oiseaux"... »

 

5 Août

1

Sur ce passage de l'Evangile : « Deux femmes moudront ensemble, on prendra l'une et on laissera l'autre?... »

- « Nous faisons notre petit commerce ensemble, je verrai bien que vous ne pouvez pas moudre le blé toute seule, alors je viendrai vous chercher... Veillez donc, car vous ne savez pas à quelle heure doit venir votre Seigneur". »

Elle me rappelait souvent que nous étions comme deux associés. Qu'importe que l'un soit incapable ? Du moment qu'ils ne se séparent pas ils auront part un jour aux mêmes bénéfices.

Dans sa comparaison du petit oiseau sur le bord du cloître attendant l'Aigle Divin et ne cessant de le regarder en l'aimant, ma chère petite Thérèse me disait toujours qu'elle ne se figurait pas être seule, mais qu'il y avait deux petits oiseaux?...

2

Elle s'efforçait de m'inculquer la pauvreté d'esprit et de coeur par des paroles comme celle-ci :

« Bobonne, il faut qu'elle se tienne dans sa position, qu'elle n'essaie pas d'être grande dame, jamais ! »

Et comme il me restait à réciter une Petite Heure de mon Office, elle dit d'un ton enfantin :

- « Allez dire None. Et rappelez-vous que vous êtes une toute petite none, la dernière des nones ! »

3

-  Vous allez donc me quitter !

« Oh ! pas d'une semelle ! »

Et, reprenant mon thème favori : - « Croyez-vous que je puis encore espérer être avec vous au Ciel ? Cela me semble impossible, c'est comme si on faisait concourir un petit manchot pour attraper ce qui se trouve au haut d'un mât de cocagne... »
- « Oui, mais ! s'il se trouve là un géant qui prend le petit manchot sur son bras, l'élève bien haut et lui donne lui-même l'objet désiré !
           C'est comme cela que le bon Dieu fera avec vous, mais il ne faut pas vous en occuper, il faut dire au bon Dieu : "Je sais bien que je ne serai jamais digne de ce que j'espère, mais je vous tends la main comme une petite mendiante et je suis sûre que vous m'exaucerez pleinement, car vous êtes si bon !...»

 

8 Août

-  Si, quand vous serez partie on écrit votre petite vie, moi je voudrais bien m'en aller avant... le croyez-vous ?

« Oui, je le crois, mais il ne faudra pas perdre patience... regardez, moi, comme je suis mignonne, il faudra que vous fassiez comme cela. »

 

Août

1

Ma chère petite soeur s'efforçait en toute rencontre de me détacher de moi-même et comparait notre course à celle des deux petits enfants que représente une image. Elle, s'en allait dégagée de tout, ne portant qu'une seule tunique, n'ayant rien à ses mains, sinon sa petite soeur qu'elle entraîne. - Celle-ci fait résistance, il lui faut cueillir des fleurs, s'embar­rasser d'un gros bouquet sans laisser libre une seule de ses mains.

2

Un jour elle me conta cette histoire allégorique :

« Il y avait une fois une demoiselle possédant des riches­ses qui rendent injuste et auxquelles elle attachait beaucoup de prix.

« Elle avait un petit frère qui ne possédait rien, et cependant était dans l'abondance. Ce petit enfant tomba malade et dit à sa soeur : - Demoiselle, si vous vouliez vous jetteriez au feu toutes vos richesses qui ne servent qu'à vous inquiéter, vous deviendriez ma bobonne, rejetant votre titre de "demoiselle" et moi, quand je serai dans le pays enchanteur où je dois bientôt aller, je reviendrai vous chercher parce que vous aurez vécu pauvre comme moi sans vous inquiéter du lendemain.

« La demoiselle comprit que son petit frère avait raison, elle devint pauvre comme lui, se fit sa bobonne et plus jamais ne fut tourmentée par le souci des richesses périssables qu'elle avait jetées au feu...

« Son petit frère tint parole, il vint la chercher quand il fût dans le pays enchanteur où le bon Dieu est le Roi, la S Vierge la Reine et tous les deux vivront éternellement sur les genoux du bon Dieu, c'est la place qu'ils ont choisie, parce qu'étant trop pauvres, ils n'avaient pu mériter de trônes.»

3

Une autre fois, faisant allusion encore à l'image des deux enfants et, de plus, à une maîtresse de maison à laquelle il ne manque rien dans toutes ses armoires, elle dit :

« Demoiselle trop riche : plusieurs boutons de rose, plu­sieurs oiseaux à chanter à son oreille \ un jupon, une batterie de cuisine, de petits paquets... »

reprise d'un passage qu'elle avait lu, où l'auteur louait ainsi son héros Théophane Vénard : « Il avait un bouton de rose sur les lèvres et un oiseau à chanter à son oreille. »

4

Un soir qu'elle me voyait me déshabiller elle fut prise de pitié devant la misère de nos vêtements et, se servant d'une expression comique qu'elle avait entendue, elle s'exclama :

- « Pauvre Pauvre ! comme vous êtes torée ! mais vous ne serez pas toujours comme cela, c'est moi qui vous le dis ! »

5

« Quand je serai au Ciel, j'irai puiser dans les trésors du bon Dieu et je dirai :
« Voilà pour Marie, voilà pour Pauline, voilà pour Léonie, voilà pour la toute petite Céline... Et, faisant signe à Papa : - C'est la plus petite maintenant, il faut se dépêcher d'aller la chercher ! »

6

Elle me raconta ce rêve qu'elle avait eu peu de temps avant sa maladie :

« Vous étiez au bord de la mer avec deux personnes que je ne connaissais pas. Il y en eut une qui proposa de faire une promenade, mais elle et sa compagne étaient très avares, elles dirent qu'il fallait louer un agneau au lieu d'un âne, pour monter toutes les trois dessus, ensemble. Mais quand vous l'avez vu chargé de ces deux personnes, vous avez dit que vous alliez aller à pied.

« Le pauvre agneau s'en allait tout le long des haies n'en pouvant plus et bientôt il tomba épuisé sous son fardeau.

« Alors, au détour d'une route se présenta devant vous un ravissant petit agneau tout blanc qui s'offrait à vous. Vous avez compris alors qu'il vous soutiendrait pendant le voyage de la vie ; puis le petit agneau ajouta : "Tu sais, je veux aussi palpiter en toi..."

- « Après, j'ai compris que c'était la récompense de la charité que vous aviez eue pour ces deux personnes, les ayant sup­portées sans vous plaindre. C'est pour cela que Jésus lui-même est venu se donner à vous. »

 

16 Août

M'étant levée de grand matin, je trouvai ma chère petite soeur pâle et défigurée par la souffrance et l'angoisse. Elle me dit : « Le démon est autour de moi, je ne le vois pas, mais je le sens... il me tourmente, il me tient comme avec une main de fer pour m'empêcher de prendre le plus petit soulagement, il augmente mes maux afin que je me désespère. Et je ne puis pas prier ! Je puis seulement regarder la S Vierge et dire : Jésus ! Combien elle est nécessaire la prière de Complies" : "Délivrez-nous des fantômes de la nuit!"

« J'éprouve quelque chose de mystérieux. Jusqu'ici, je souffrais surtout dans le côté droit, mais le bon Dieu m'a demandé si je voulais souffrir pour vous, j'ai répondu aussitôt que je le voulais bien... Au même instant, le côté gauche s'est pris avec une intensité incroyable. Je souffre pour vous et le démon ne veut pas ! » Vivement impressionnée j'allumai un cierge bénit et peu après le calme lui était rendu sans toutefois que sa nouvelle souffrance physique lui fût enlevée.

Depuis, elle appelait son côté droit : « le côté de Thérèse » et son côté gauche : « le côté de Céline ».

 

20 Août

« Oh ! oui, je viendrai vous chercher parce que vous n'avez pas des yeux à vivre quand vous êtes mignonne. »

 

21 Août

« Quand je dirai : "Je souffre", vous répondrez "tant mieux" ! - Je n'ai pas la force, alors c'est vous qui achèverez ce que je voudrais dire". »

L'oppression à ce moment était très forte, et, pour s'aider à respirer, elle disait comme en égrenant un chapelet : « Je souffre, je souffre... » mais bientôt elle se le reprocha comme si c'eût été une plainte et me dit ce que je viens d'écrire.

 

22 Août

« Ma petite Demoiselle ? je vous aime beaucoup et cela m'est bien doux d'être soignée par vous. »

Elle m'avait appelée pour me dire cela.

 

24 Août

Nous parlions ensemble une sorte de langage enfantin que les autres ne pouvaient pas saisir. Sr St. Stanislas, la 1ère infir­mière dit d'un ton admiratif : « Qu'elles sont gentilles ces deux petites filles-là avec leur jargon inintelligible* ! »

Un peu plus tard je dis à ma Thérèse : - « Oui, que nous sommes gentilles toutes les deux ! mais vous, vous êtes gen­tille toute seule, moi je ne suis gentille qu'avec vous ! » Elle reprit vivement :

- « C'est pour cela que je viendrai vous cri ! » [vous chercher]

 

31 Août

« Bobonne, je vous aime beaucoup ! »

Septembre

3 Septembre

l

J'étais devant la cheminée de l'infirmerie allant et venant pour faire le ménage et je me tourmentais d'une chose qui n'allait pas comme je voulais. Elle me dit :

« Bobonne, pas d'inquiétude d'esprit ! »

2

Ce même jour, mais non dans la même circonstance je lui fis cette réflexion : - « Les créatures ne sauront pas que nous nous sommes tant aimées.... » Elle reprit :

« Ce n'est pas la peine de désirer que les créatures le croient, le principal c'est que cela soit...

Et, prenant un ton d'assurance :

« Oui, mais ! puisque nous serons toutes les deux sur les genoux du bon Dieu ! »

(Elle avait une façon délicieuse de dire ce « oui, mais ! » locution qui lui était particulière.)

 

5 Septembre

1

« Je vous protégerai !... »

2

J'étais très avare de mes dimanches, temps libre où il m'était permis de relever les notes prises à la hâte sur des papiers. informes. Je dis :

-          « Aujourd'hui, c'est un Dimanche nul, je n'ai rien écrit dans notre petit écritoire. »

Elle reprit :

-          « C'est la mesure de Lili, mais pas de Jésus ! »

 

11 Septembre

l

«Ma bobonne, vous n'êtes plus bobonne vous êtes ma nourrice... et vous soignez un bébé qui est à la mort. »

Se tournant vers l'image représentant son cher petit Théophane, elle dit en lui parlant :

« Bobonne me soigne très bien, aussi dès que je serai là-haut, nous viendrons la chercher tous les deux, spas ? » [n'est-ce pas]

2

« J'aime beaucoup ma bobonne, mais beaucoup... aussi, quand je serai partie, je viendrai la chercher pour la remercier de m'avoir si bien soignée. »

3

Me regardant avec tendresse :

«... Mais, je vous reverrai et votre coeur sera dans la joie et personne ne vous ravira votre joie ! »

 

16 Septembre

l

Je venais de commettre une imperfection quand elle me dit avec des yeux qu'elle fit tout ronds :

« Vous y serez tout de même à côté de moi ! »

2

Touchée aux larmes des soins que je lui donnais elle s'exclama :

« Oh ! que je vous ai de reconnaissance ma paup'tite bobonne ! Vous verrez tout ce que je vous ferai ! »

3

Je craignais qu'elle eût froid et je dis :

- « Je vais aller chercher une petite "consolation. » Mais elle reprit vivement :

- « Non : c'est vous qui êtes ma petite consolation... »

(Les « consolations » sont de simples morceaux de laine que la robière donne avec les vêtements d'hiver.)

 

19 Septembre

« Ma bobonne, elle est douce, elle me soigne très bien... Je lui revaudrai cela ! »

 

21 Septembre

« Pour vous aimer, c'est moi... et pour ne pas vous aimer, ce n'est pas le bon Dieu ! c'est le diable. »

 

23 Septembre

«Vous n'avez pas besoin de comprendre, vous êtes trop petite... »

(comprendre ce que le bon Dieu fait en moi.)

 

25 Septembre

« Je vais mourir, c'est certain... je ne sais pas quand, mais c'est certain ! »

 

Septembre

l

Je lui dis un jour : « Vous nous regarderez du haut du ciel, n'est-ce pas ? » - Elle répondit alors spontanément :

- « Non, je descendrai ! »

2

Je me levais plusieurs fois la nuit, malgré ses instances. En l'une de ces visites je trouvai ma chère petite soeurs les mains jointes et les yeux levés au ciel :

« Que faites-vous donc ainsi ? lui dis-je, il faudrait essayer de dormir. »

- « Je ne puis pas, je souffre trop, alors je prie... »

- « Et que dites-vous à Jésus ? »

- « Je ne lui dis rien, je l'aime ! »

3

L'un des derniers jours de sa vie, dans un moment de grande souffrance, elle me supplia ainsi :

« Oh ! ma petite Soeur Geneviève, priez pour moi la S Vier­ge, je la prierais tant si vous étiez malade ! soi-même on n'ose pas demander.... »

(« on n'ose pas demander pour soi »... tel est le sens.)

Elle soupirait encore, s'adressant à moi :

« Oh ! comme il faut prier pour les Agonisants, si l'on savait ! »

("Cette parole et la plupart des autres écrites au fur et à mesure par Mère Agnès de Jésus, je les ai entendues et c'est parce que je voyais qu'elles étaient relevées que je ne les écrivais pas". J'ai été témoin de toutes, sauf celles prononcées pendant les Heures d'Office, Mère Agnès de Jésus restant alors seule auprès d'elle.) Pour plus de détails voir aussi ma Déposition manuscrite.

 

27 Septembre

« O ma bobonne ! j'ai pour vous une grande tendresse dans le coeur !... »

 

30 Septembre

dernier jour d'exil de ma chère Petite Thérèse...

Le jour de sa mort, dans l'après-midi, Mère Agnès de Jésus et moi étant seules auprès d'elle, notre chère petite Sainte tremblante et défaite, nous appela à son secours... Elle souf­frait extrêmement dans tous les muscles et, posant un de ses bras sur l'épaule de Mère Agnès de Jésus et l'autre bras sur la mienne, elle resta ainsi les bras en Croix. A ce moment-là, même, 3 heures sonnèrent et la pensée de Jésus en Croix se présenta à notre esprit : notre pauvre petite martyre n'en était elle pas la vivante image ?

Sur notre demande : « Pour qui serait son dernier re­gard ?... » Elle avait répondu quelques jours avant de mourir : - « Si le bon Dieu me laisse libre, ce sera pour notre Mère » (Mère Marie de Gonzague).

Or, pendant son agonie, quelques minutes seulement avant qu'elle expirât, je passais sur ses lèvres brûlantes un petit morceau de glace ; quand, à ce moment, elle leva les yeux sur moi et me regarda avec une insistance prophétique. Son regard était rempli de tendresse, il avait en même temps une expression surhumaine faite d'encouragement et de promesses, comme si elle m'eût dit : « Va, va ! ma Céline, je serai avec toi !... »

(Le bon Dieu lui révéla-t-il alors la longue et laborieuse carrière que je devais, à cause d'elle, suivre ici bas et voulut-il par la me consoler de mon exil ? Car le souvenir de ce dernier regard, si désiré par toutes, et qui fût pour moi, ce souvenir me soutient toujours et m'est une force indicible.)

La Communauté présente était comme en suspens devant ce spectacle grandiose ; mais soudain notre chère petite Sainte baissa les yeux pour chercher notre Mère qui était à genoux a ses cotes, tandis que son regard voilé reprenait l'expression de souffrance qu'il avait auparavant.

 

Dernières Paroles de notre chère petite Thérèse

30 Septembre

Oh ! c'est bien la souffrance pure parce qu'il n'y a pas de consolation. Non, pas une !

O mon Dieu ! ! ! je l'aime pourtant le bon Dieu... O ma bonne Sainte Vierge venez à mon secours !

Si c'est là l'agonie, qu'est-ce que c'est que la mort ?...

O ma Mère ! je vous assure que le vase est plein jusqu'au bord !

Oui, mon Dieu, tant que vous voudrez.... mais ayez pitié de moi ! Mes petites soeurs... mes petites soeurs... Mon Dieu, mon Dieu ayez pitié de moi ! Je ne peux plus... je ne peux plus ! et pourtant il faut bien que je dure..... Je suis... je suis réduite... Non, je n'aurais jamais cru qu'on pouvait tant souffrir... jamais, jamais !

O ma Mère, je ne crois plus à la mort pour moi... je ne crois plus qu'à la souffrance !

Demain, ce sera encore pire ! Enfin, tant mieux !

Le Soir

(Notre Mère venait de renvoyer la Communauté en disant que l'agonie allait encore se prolonger, la Sainte petite malade reprit aussitôt : )

Eh bien, allons ! allons ! oh ! je ne voudrais pas moins souffrir !....

Oh ! je l'aime....

« Mon Dieu... je... vous aime ! »

Varia 1

boire lentement.
Oh ! je vois bien...
(que dans 3 jours

je ne pourrai plus
me remuer !)
sourire ineffable
votre volonté

15 septembre

Varia 2

(...) un jour pendant sa maladie je lui exprimai la joie que je ressentais que ce soit elle plutôt que moi qui soit la gloire de la famille et que sa propre élévation me rendait plus heureuse que la mienne. Je me réjouissais alors de la voir plus parfaite que moi et même procurant plus de gloire au bon Dieu. Elle me regarda et après un instant de silence elle me dit, avec l'accent d'une âme qui souffre des ténèbres intérieures en proie à la plus grande amertume, mais en même temps avec un accent de vérité qui me pénétra :

« Les autres jouissent souvent plus que ceux qui possèdent.... »

- C'est parce que tout-à-l'heure vous êtes dans l'épreuve, lui répondis-je, mais au Ciel vous jouirez - Alors elle reprit, mais il me sembla que c'était une voix Céleste :

« Vous verrez que ce sera encore la même chose. »

Je ne lui en demandai pas davantage, mais j'étais loin de comprendre cette admirable Communion des Saints qui faisait ses délices et son : « Tout est à moi, tout est pour moi» qui la ravissait de joie et d'espérance.

Varia 3

1

La nourriture était quelque chose à laquelle je ne pouvais pas penser, cela me soulevait le cœur, et maintenant j'ai des désirs d'animal je dévorerais tout ce qu'on me donnerait, et cela m'humilie beaucoup.

Août

2

Oh ! priez la Sainte Vierge ma petite Sœur Geneviève, moi je la prierais tant si vous étiez malade, soi-même on n'ose pas demander !

Septembre

3

Je regarde à ma droite et à ma gauche et je cherche des yeux et il n'y a personne qui me connaisse.... il n'y a que le Voleur et II est caché !

4

Je ne puis plus regarder la Ste Vierge sans pleurer.

Juillet

5

Ça devient déjà squelette, voilà ce qui m'agrée !

(en regardant ses mains)

6

Vous avez de la peine que je m'en aille, pourquoi ? je devrais alors en avoir de vous quitter, ce serait logique ; mais je sais que je ne vous quitte pas, au contraire je serai plus près de vous.

7

Toute ma vie rien ne ma tenu aux mains, ce n'est pas au moment de la mort que je garderai quelque chose pour moi.

- Une sœur lui disait qu'elle pourrait avoir une heure de crainte avant de mourir pour expier ses péchés.

- « La crainte de la mort pour expier mes péchés.. ? cela n'aurait pas plus de force que de l'eau bourbeuse ! Aussi, si je les ai ces craintes je les offrirai au bon Dieu pour les pécheurs et comme ce sera un acte de charité, cette souffrance deviendra pour les autres beaucoup plus forte que de l'eau. - Pour moi la seule chose qui me purifie c'est le feu de l'Amour Divin. »

12 Juillet

8

(À propos du petit panier d'acacias et comme elle me demandait de le retirer) :

- J'ai vu les beautés de la terre, et mon âme a rêvé les Cieux.

9

(Alors vous croyez que vous sauverez plus d'âmes au Ciel ?

- « Oui, je le crois, la preuve c'est que le bon Dieu me fait mourir moi qui désire tant Lui sauver des âmes... »

10

(Un jour après sa communion)

C'était comme si on avait mis deux petits enfants ensemble et les petits enfants ne se disent rien ; pourtant moi je Lui ai dit quelques petites choses, mais II ne m'a pas répondu, sans doute qu'il dormait.

11

Quand je pense que je meurs dans un lit ! j'aurais voulu mourir dans une arène....

12

Quand je serai morte je ne dirai rien, je ne donnerai aucun conseil. Si on me met à droite ou a gauche je n'aiderai pas. On dira : elle est mieux de ce côté-ci ; on pourra même mettre le feu à côté de moi, je ne dirai rien.

13

Le bon Dieu, Il a des jardins qu'il confie à des propriétaires et ordinairement II ne cueille jamais de fruits sans leur per­mission ; mais le bon Dieu a si grande envie d'une petite grappe que le propriétaire ne veut pas Lui donner qu'il va la voler.

12 Juillet

(C'était à propos de sa mort, parce que notre Mère ne pou­vait se résigner à lui en donner la permission, c'est depuis qu'elle appela Jésus : le Voleur)

14

(La fête à Bébé.... Elle disait qu'il faudrait lui faire tou­jours des cadeaux...)

15

Quand je serai partie faites bien attention à ne pas mener la vie de famille, à ne rien vous raconter des parloirs sans permission et encore n'en demander la permission que quand ce sont des choses utiles et non pas amusantes.

16

(Un jour qu'elle se trouvait en face d'une bibliothèque)

- Oh ! que je serais marrie d'avoir lu tout ces livres là !

- Pourquoi donc puisqu'ils seraient lus ce serait un bien acquis, je comprendrais regretter de les lire mais pas de les avoir lus.

« Si je les avais lus je me serais cassé la tête, j'aurais perdu un temps précieux que j'aurais pu employer tout simplement à aimer le bon Dieu... »

17

Je compte bien ne pas rester inactive au Ciel, mon désir est de travailler pour l'Église et les âmes, je le demande au bon Dieu et je suis certaine qu'il m'exaucera, les Anges ne sont-ils pas continuellement occupés de nous sans jamais cesser de voir la Face divine, de se perdre dans l'Océan sans rivage de l'Amour. Pourquoi Jésus ne me permettrait-Il pas de les imiter ? Vous voyez que si je quitte déjà le champ de bataille ce n'est pas avec le désir égoïste de me reposer ; la pensée de la béatitude éternelle fait à peine tressaillir mon cœur, depuis longtemps la souffrance est devenue mon Ciel ici-bas et j'ai du mal à concevoir comment je pourrai m'acclimater dans un pays où la joie règne sans aucun mélange de tristesse, il faudra que Jésus transforme mon âme et lui donne la faculté de jouir, autrement je ne pourrais supporter les délices éternelles.

(Extrait d'une lettre)

18

J'avais, disait-elle, une très grande capacité pour souffrir et une très petite pour jouir, je ne pouvais supporter la joie. La joie, par exemple m'enlevait tout appétit tandis que les jours où j'avais beaucoup de peine je mangeais comme quatre. C'était le contraire de tout le monde.

19

Je suis dans une disposition d'esprit où il me semble que je ne pense plus.

- Ça ne fait rien le bon Dieu connaît vos intentions, tant que vous serez humble tant que vous serez heureuse.

20

Une fois que l'heure sonnait et que je ne me dérangeais pas assez vite elle me dit :

« Allez à votre petit devoir ! »

et se reprenant :

« non, à votre petit amour ! »

Et une autre fois je disais : il faut que je travaille parce que Jésus serait triste, elle reprit :

« Mais non, c'est vs qui seriez triste, il ne peut pas être triste avec nos arrangements, mais quel chagrin pr nous de ne pas lui donner autant que nous le pouvons ! »

Varia 4

Au courant de l'année 1897, sœur Thérèse de l'Enfant Jésus me dit, bien avant d'être malade, qu'elle s'attendait bien à mourir cette année ; en voici la raison qu'elle me donna au mois de Juin : quand elle se vit prise d'une tuberculose pul­monaire :

« Voyez-vous, me dit-elle, le bon Dieu va me prendre à un âge où je n'aurais pas eu le temps d'être prêtre si j'avais pu être prêtre, ce serait à ce mois de Juin, à cette ordination que j'aurais reçu les saints Ordres. Eh ! bien, afin que je ne regrette rien, le bon Dieu permet que je sois malade, je n'aurais donc pas pu m'y rendre et je mourrais avant d'avoir exercé mon ministère. »

Varia 5

Lorsque survenaient des hémorragies, elle se réjouissait, pensant qu'elle versait son sang pour le bon Dieu :

« Il ne pouvait en être autrement, disait-elle, et je savais bien que j'aurais cette consolation de voir mon sang répandu puisque je meurs martyre d'amour. »