Carmel

A Lisieux: les récits anciens des deux exhumations

Soeur Thérèse a été inhumée au cimetière de Lisieux le 4 octobre 1897.

A partir de 1910, on a instruit son Procès diocésain en vue de la Béatification, et selon le cours normal du procès, il a été terminé le 6 Septembre 1910 par l'exhumation des restes déposés au cimetiè­re: on a alors remis ces restes – i.e. tous les ossements, car il ne restait rien d'autre sinon quelques débris de chair et vêtements – dans un nouveau cercueil pour en assurer une meilleure conservation.

En 1915 a eu lieu le Procès Apostolique, suivi d'une nouvelle exhumation qui eut lieu les 9 et 10 août 1917. Du cercueil de chêne et de plomb mis en terre en 1910 à l'abri d'un simple caveau briqué, on procéda alors, dans le dépositoire du cimetière de Lisieux, à la réelle reconnaissance des restes qui furent nettoyés de la terre déposée sur eux (entre 1897 et 1910) et soigneusement enveloppés de linge fin pour être à nouveau transférés dans un petit réceptacle de chêne sculpté (1m 20 X 0,40 X 0,30), lui-même déposé dans un nouveau cercueil de palissandre plombé, le tout remis en terre dans un caveau de brique, dans le même cimetière. Ce ne fut que lorsque la Béatification fut officellement annoncée qu'eut lieu la solennelle et défi­nitive translation des restes mortels de Soeur Thérèse, le 26 Mars 1923.

Il n'y a donc plus rien au cimetière de Lisieux. Les restes mortels de Thérèse, solennellement reconnus selon un procès-verbal détaillé et officiel, étaient dès lors destinés à reposer dans la Chapelle du Carmel de Lisieux, où des transformations avaient eu lieu en prévision de la Béatification, notamment la construction d'une petite chapelle sur un bas-côté nommée "CHAPELLE DE LA CHASSE", qui renfermait une châsse d'orfèvrerie montrant une statue de sainte Thérèse endormie dans la mort, nommée le Corps Saint : dans une excavation de cette statue, on a placé tous les ossements des côtes de la Sainte.

Dans une excavation prati­quée sous la châsse dont l'accès est par l'arrière, se trouvent tout le reste des ossements renfermé dans une petite châsse de vermeil (offerte par les devôts du Brésil, d'où son nom de Châs­se du Brésil).

Etant donné la dévotion populaire à sainte Thérèse et à ses reliques, cer­tains ossements ont été donnés dès 1923 (au Saint Père, à l'Evêque de Bayeux), et on a prélevé une relique insigne dès que les travaux pour la construc­tion d'une Basilique ont dûs être entrepris: c'est ainsi qu'à la Basilique, (première pierre en 1929 et consécration en 1954), on conserve et on vénè­re dans un reliquaire approprié les ossements de l'avant-bras droit, considéré comme ayant été « l'instrument humain » de l'Histoire d'une Ame.

Autre composante de cette histoire: l'ostention des reliques qui se fait tous les ans aux fêtes de fin septembre, au cours d'une pro­cession allant du Carmel à la Basilique. La petite châsse dite "du Brésil" y est transportée solennellement pour une veillée de prières à la Basilique, puis Messe et célébration pontificale le lendemain, soit le dernier dimanche de septembre. Au cours de l'après-midi, la petite châsse est portée de la Basilique à la Cathédrale de Lisieux, avant d'être rapportée au Carmel. Peut-être le terme d'ostention est-il impropre, car il ne s'agit nullement d'exposer les reliques, mais seulement la châsse qui les renferme.

À l'occasion de la proclamation de sainte Thérèse comme « Patronne de la France », une ostension de ce reliquaire a eu lieu en 1945 à Paris, et en 1947 en divers lieux de France.

Pour l'année 1997, centenaire de la mort de sainte Thérèse, on a demandé à nouveau que le reliquaire puisse voyager: Paris, Lyon, Marseille, villes que Thérèse elle-même avait parcourues à l'occasion de son pèlerinage à Rome en 1887. Ces visites ont eu un impact et des suites tout à fait imprévues, les reliques ont été sollicitées dans de nombreux périples sillonnant la France, la Belgique...

Alors les demandes ont afflué de l'étranger et ce fut l'occasion de réfléchir à ce qu'il y avait lieu de faire, compte tenu du risque que comportaient de tels voyages pour l'intégrité même des reliques: une année entière au Brésil, 6 mois en Italie, 4 mois aux USA, 3 mois Philippines à et Hong-kong, etc... Il ne s'agissait plus d'envoyer la totalité des reliques, mais une partie, qui fut transférée avec l'accord et sous la surveillance du Vatican dans un reliquaire de bois précieux, répli­que exacte de la "châsse du Brésil" aux mêmes dimensions, mais non en orfèvre­rie.

Bien entendu, des reliques nous sont par ailleurs constamment demandées: prêtres, églises, autels, fidèles veulent posséder une moindre parcelle d'ossement (données de plus en plus rarement, car on ne peut pas entamer les grands ossements) cheveux, vêtements, etc ... C'est à peu près continuel, venant du monde entier. Les reliques, au sens canonique, sont les restes du corps des saints. Les souvenirs, objets ou autres, ne sont pas à proprement parler des "reliques". On doit aussi mettre à part les " écrits" tous publiés, mais dont les originaux sont conser­vés scupuleusement dans nos Archives et n'en sortent jamais.

Première exhumation

Le 6 septembre 1910 au Cimetière de Lisieux

Extrait de : Appendice sur l'exhumation pp. 103-109, in Quelques-unes des grâces et guérisons attribuées à l'intercession de la Servante de Dieu Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus, Pluies de Roses, 1911.

 

Bien des fois durant sa dernière maladie, Soeur Thérèse de l'Enfant Jésus avait annoncé qu'on ne retrouverait d'elle, selon son désir, que des ossements.

« Vous avez trop aimé le bon Dieu, il fera pour vous des merveilles, nous retrouverons votre corps sans corruption », lui disait une novice peu de temps avant sa mort. – Oh non ! répondit-elle, pas cette merveille-là ! ce serait sortir de ma petite voie d'humilité, il faut que les petites âmes ne puissent rien m'envier. »

L'exhumation des restes de la Servante de Dieu, faite dans le but d'assurer leur conservation et non de les exposer déjà à la vénération des fidèles, eut lieu le 6 septembre 1910.

On avait essayé de tenir la chose secrète, mais elle fut cepen­dant assez connue pour permettre à plusieurs centaines de personnes d'accourir au cimetière.

Mgr Lemonnier, évêque de Bayeux et Lisieux, Mgr de Teil vice-postulateur de la cause, MM. les chanoines Quirié et Dubosq, vicaires généraux, et beaucoup de prêtres parmi lesquels tous les membres du Tribunal chargé d'instruire le Procès de Béatification, étaient présents.

 

Le travail de l'exhumation offrait de grandes difficultés, le cercueil se trouvant placé à une profondeur de 3 m. 50, et dans un très mauvais état. Un expert en ces sortes de manoeuvres dirigeait celle-ci. Il fit glisser des planches sous le cercueil, pour faire un fond artificiel destiné à soutenir l'autre qui menaçait de s'effondrer; puis on enveloppa le tout de fortes toiles maintenues par de solides courroies. Avec bien du temps et des anxiétés, on parvint ainsi à remonter le cercueil sans accident. Lorsqu'il apparut à ses regards, le Pontife entonna d'une voix émue le chant de David louant le Seigneur qui «tire l'humble de la poussière pour le faire asseoir avec les princes de son peuple. » Et tandis que les prêtres psalmodiaient le Laudate pueri Dominum, on aperçut au travers des planches disjointes, toute verte et fraîche comme au premier jour, la palme que le 4 octobre 1897, on avait placée sur la dépouille virginale de la Servante de Dieu. N'était-ce point le symbole de la palme immortelle qu'elle avait remportée par le martyre du coeur ? ce martyre au sujet duquel elle avait écrit : « A tout prix je veux cueillir la palme d'Agnès; si ce n'est par le sang il faut que ce soit par l'Amour. »

 

On ouvrit alors le cercueil. Deux ouvriers, le père et le fils, se tenaient près de là; ils sentirent à ce moment un suave et fort parfum de violettes qu'aucune cause naturelle ne pouvait expliquer et qui les émut profondément. L'un de ces ouvriers est le menuisier qui a fait les cercueils.

Les vêtements apparurent en ordre; ils semblaient aussi conservés, mais ce n'était qu'une apparence. Les voiles et la guimpe n'existaient plus, la grosse bure des carmélites avait perdu toute consistance et se déchirait sans effort. Enfin, comme l'humble enfant l'avait souhaité, on ne retrouvait d'elle que des ossements !

Un des médecins présents voulut en offrir une parcelle à Mgr Lemonnier, mais Sa Grandeur s'y opposa et défendit qu'on en emportât la moindre partie. Il accepta seulement la petite croix de buis qui avait été placée dans les mains de la Servante de Dieu.

L'ancien cercueil fut alors déposé dans une bière de plomb disposée dans un cercueil de chêne. Puis on recouvrit le corps de vêtements neufs qui avaient été préparés, et la tête d'un voile que l'on entoura de roses, les dernières cueillies à ces mêmes rosiers du Carmel dont tant de fois l'angélique Thérèse avait jeté les fleurs au pied du Calvaire.

 

A ce moment, sur l'ordre de Mgr Lemonnier, pour con­tenter la foule qui stationnait dans le cimetière, silencieuse et recueillie, on écarta les toiles qui dérobaient aux regards le petit enclos des Carmélites et le cercueil fut placé sur des tréteaux devant la porte grillée.

Pendant trois quarts d'heure, on ne cessa de défiler, de prier, de faire toucher des objets de piété. Monseigneur l'évêque de Bayeux avait été le premier à faire toucher aux ossements des morceaux de soie violette apportés par lui à cette intention. On vit des ouvriers approcher leur alliance de mariage; tous ceux qui avaient travaillé à l'exhumation semblaient pénétrés de respect. On estima à plus de cinq cents personnes celles qui vénérèrent les restes, après trois heures d'attente.

 

Une impression extraordinaire de surnaturel, une émotion dont ils n'étaient pas maîtres envahissait les assistants. L'âme de Soeur Thérèse planait sans doute auprès de sa dépouille mortelle, heureuse d'offrir à son Créateur l'anéantissement de son être physique... On sentait qu'il se passait quelque chose de grand, de solennel. Malgré les réalités lugubres et humiliantes du tombeau, les âmes, au lieu d'être décon­certées, troublées, refroidies dans leur foi et leur amour, sen­taient croître au contraire la ferveur et la tendresse de leur vénération.

Quand le défilé eut pris fin, un procès-verbal, écrit sur parchemin timbré aux armes de Mgr Lemonnier, fut ren­fermé dans un tube de métal et déposé dans le cercueil de plomb. Puis on ferma celui-ci, sur la couverture duquel est soudée une plaque avec l'inscription :

Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face.

Marie-Françoise-Thérèse Martin.

1873-1897­

Le même texte se lit sur une plaque de cuivre fixée sur le cercueil de chêne. Deux empreintes de chacun des cachets de Mgr Lemonnier et de Mgr de Teil furent apposées sur la sou­dure aux quatre angles du cercueil de plomb. Il ne restait plus qu'à fixer le couvercle en bois de chêne.

A quelques pas de la première tombe, on en avait creusé une nouvelle, de deux mètres de profondeur, où l'on avait préparé un caveau en briques, aux dimensions du cercueil. Mgr Lemonnier l'avait bénite en arrivant, et c'est là que fut descendue la précieuse dépouille.

Le soir, les planches enlevées au cercueil, quelques frag­ments des vêtements et la palme, que la dévotion indiscrète des ouvriers avait mise en lambeaux, furent rapportés au Carmel et la soeur chargée de les ramasser sentit par deux fois un parfum de roses. Des parcelles des vêtements et du cercueil exhalèrent ailleurs un parfum d'encens.

Une autre planche, détachée de la tête du cercueil et qui n'avait pu être retrouvée le jour même, fut également, huit jours après, rapportée au monastère. La soeur tourière qui l'avait découverte, doutant un peu de son authenticité, supplia Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus de la manifester par un signe sen­sible. Elle fut exaucée, car plusieurs soeurs, qui n'avaient point été averties, furent embaumées d'un merveilleux parfum d'encens qui s'exhalait de cette planche et que l'une d'elles sentit à une assez grande distance.

Mais le coeur si tendre de Soeur Thérèse voulait encore consoler ceux qui l'aiment en leur donnant une image saisis­sante de la plénitude de vie dont elle jouit dans le Ciel. Une des âmes qu'elle a favorisées en cette circonstance de ses célestes communications, et qui est fort estimée de prêtres pieux et éclairés, a attesté sous la foi du serment la vérité du récit qu'on va lire.

Cette personne souhaitait vivement assister à l'exhumation et avait projeté de s'informer de l'époque où elle aurait lieu, mais elle la croyait fort éloignée encore. Le fait suivant s'est passé dans la nuit même qui suivit l'exhumation, du 6 au 7 septembre 1910.

Dans sa vision, elle aperçut d'abord une grande foule qu'elle prit à la fois pour un cortège triomphal et un enterrement très solennel. « Puis, dit-elle, je vis une jeune vierge resplendis­sante de lumière. Son vêtement de neige et d'or étincelait de toute part. Je ne distinguais pas ses traits, tant ils étaient imprégnés de lumière. A demi couchée, elle se souleva, paraissant sortir d'un suaire lumineux. Avec une candeur et un sourire d'enfant, elle m'entoura de ses bras et me donna un baiser. A ce céleste contact il me sembla que j'étais dans un océan de pureté et que je buvais à la source des joies éternelles. Je n'ai point de mots pour exprimer l'intensité de vie qui émanait de tout son être. Tout en elle disait sans parole, par un rayonnement inexprimable de tendresse, comment, en Dieu, foyer de l'amour infini, les bienheureux aiment au Ciel..»

Ignorant ce qui se passait à Lisieux, l'heureuse privilégiée se demandait quelle était cette jeune vierge et pourquoi elle lui était apparue couchée et sortant d'un suaire. Trois jours après, lisant dans La Croix le récit de l'exhumation, elle eut aussitôt la certitude que c'était Soeur Thérèse qui était venue l'avertir de l'événement, et elle partit immédiatement pour l'en remer­cier sur sa tombe.

Mais ce n'était pas assez pour la Servante de Dieu d'avoir donné aux siens cette preuve d'affection, de leur avoir dit comme l'ange à Madeleine : « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celle qui est pleine de vie ? » elle voulut encore leur faire des promesses pour l'avenir.

 

Le 5 septembre, veille de l'exhumation, elle était apparue à la révérende Mère Prieure d'un Carmel étranger, et lui annon­çant que le lendemain on ne retrouverait d'elle que des ossements, « à peine des ossements », elle lui avait fait pres­sentir les merveilles qu'elle doit opérer dans la suite. La révé­rende Mère les résume ainsi : « Ces ossements bénis feront des miracles éclatants et seront des armes puissantes contre le démon. »

Quelques semaines plus tard, le résultat de l'exhumation parvenait à la connaissance d'un professeur de l'Université de X., homme d'une grande valeur intellectuelle, d'une émi­nente piété et, de plus, très favorisé par la Servante de Dieu de grâces de tout genre, depuis plus de dix ans qu'il la connaît. Il s'attrista d'abord de ce que l'angélique vierge avait été sou­mise à la loi commune, et comme il se laissait aller à ces pensées mélancoliques, il entendit une voix intérieure lui répondre : « C'était la robe de mes jours de travail que j'ai déposée; j'attends la robe du dimanche éternel : peu m'importe ce qui arrivera à l'autre. »

« Et alors, dit-il, j'eus une lumière qui me consola, je compris que cette dissolution répandra des atomes de son corps en tous lieux, de façon que non seulement son âme, mais encore quelque chose de son corps pourra être présent et faire du bien sur la terre.

Il me semble, en effet, que tout ce qui a réellement appar­tenu au corps d'un saint est une relique, et s'il en est ainsi, non seulement ses os, mais encore les molécules invisibles de matière peuvent porter en elles la grâce des reliques. »

N'est-ce pas la réponse à ce désir si poétiquement exprimé :
« Seigneur, sur tes autels, plus d'une fraîche rose aime à briller,
Elle se donne à toi... mais je rêve autre chose ; c'est m'effeuiller... »

Deuxième exhumation

Les 9 et 10 août 1917

 

Deuxième exhumation et reconnaissance des restes de la Servante de Dieu Thérèse de l'Enfant-Jésus

in Souvenir de la deuxième exhumation et de la clôture du Procès Aposolique de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, dans le Diocèse de Bayeux, non paginé.

 

La première exhumation, du 6 septembre 1910, avait été faite sous la seule inspiration de Sa Grandeur Monseigneur Lemonnier, évêque de Bayeux et Lisieux ; elle avait consisté uniquement à remettre telle quelle la précieuse dépouille dans un nouveau cercueil, en vue d'une meilleure conservation. Mais avant de clôturer le Procès Apostolique de la Cause de Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus l'on devait, pour répondre aux règles de l'Eglise, procéder à une reconnaissance anatomique des ossements par des docteurs assermentés.

A cet effet, Monseigneur l'Evêque de Bayeux, accompagné de Monseigneur de Teil, Vice-postulateur, et des Membres du Tribunal ecclésiastique en habit de choeur, se rendit au cimetière de la ville, dans l'après-midi du 9 août 1917. Il s'agissait d'abord de retirer du petit caveau, construit en 1910, le cercueil de chêne et de plomb qui y avait été déposé à cette époque, et de le transporter dans la chapelle du cimetière, mise avec bienveillance par la Municipalité à la disposition des prêtres et des docteurs.

Cette translation ne s'est pas faite au Monastère du Carmel pour éviter une trop grande affluence sur le parcours, affluence qui eût pu paraître une glorification anticipée de la Ser­vante de Dieu. Dans le même but, on avait le plus possible tenu secrète la cérémonie; sinon la ville entière, a-t-on dit le lendemain, aurait été sur pied. Néanmoins, la nouvelle parvint à se faire jour, témoin cette parole des blessés d'une ambulance établie chez des religieuses « Comment, ma soeur, vous ne nous disiez pas ce qui va se passer là-haut? Eh bien ! sachez que toutes les béquilles y seront ! »

 

C'est ainsi que 3,000 personnes environ stationnèrent près de deux jours entiers au cimetière, où le petit enclos des Carmélites s'étage modestement sur la colline. « C'est incroyable ! s'écriait naïvement un ouvrier lexovien, est-ce que Lisieux va devenir la capitale du monde ? »

Cependant un barrage avait été dressé pour maintenir la foule à une distance respec­tueuse. Le Directeur de la Maison Henri de Borniol, dont l'habile initiative avait assuré l'heureuse réussite de l'exhumation de 1910, devait diriger, cette fois encore, la manoeuvre délicate de ses meilleurs ouvriers.

Dès que parut à fleur de sol, le grand cercueil de chêne noirci et détérioré, Monseigneur l'Evêque, cédant à la même inspiration d'il y a sept ans, commença le psaume Laudate pueri Dominum, qui fut continué par les assistants. Ensuite, au milieu d'un silence impressionnant, le Pontife, au nom de la Sainte Eglise, prononça l'excommunication contre toute per­sonne qui oserait dérober le moindre fragment du corps, des vêtements, ou du cercueil de la Servante de Dieu, Thérèse de l'Enfant-Jésus.

 

Puis un cortège se forma dans l'ordre le plus parfait pour accompagner le char funèbre de première classe jusqu'au dépositoire du cimetière. C'est à ce moment précis, qu'au témoi­gnage de quelques privilégiés, là comme au Monastère du Carmel, se répandirent tout à coup de mystérieux parfums. Sur le drap blanc qui recouvrait le cercueil, les Carmélites avaient fait étendre le grand scapulaire de bure, rappelant la chère et austère livrée de l'humble vierge Thérèse.

Le service de surveillance établi arrêtait les élans enthousiastes qui auraient pu éclater, lorsqu'un brave soldat, s'élançant vers le char, fit toucher son casque au cercueil et le baisa pieusement.

Il était près de six heures du soir, quand la chapelle du cimetière, abritant la dépouille vénérée, fut fermée des sceaux de Monseigneur l'Evêque et du Commissaire de police pour en défendre rigoureusement l'accès, et bientôt une veille de quatre hommes de bonne volonté, en plus de la faction civile, s'organisa dans la tente dressée en prolongement de la chapelle ; parmi ceux-ci, deux permissionnaires, arrivant du front, tinrent à honneur de s'offrir pour cette nuit touchante de garde volontaire.

 

Le lendemain 10 août, dès 3 heures ¼ du matin, Sa Grandeur Mgr Lemonnier, Mgr de Teil, les autres ecclésiastiques préposés et les docteurs, arrivèrent au cimetière. Une cinquième voiture y amena, à leur suite, deux religieuses du Carmel, autorisées par Monseigneur à sortir de la clôture, pour disposer elles-mêmes les ossements précieux, une fois reconnus. La plus jeune soeur de la Servante de Dieu eut ainsi l'occasion de lui rendre ce dernier témoignage de sa tendresse, devenue une vénération.

 

L'enveloppe de plomb étant ouverte, on constata que les vêtements étendus il y a sept ans, sur les restes mortels de Soeur Thérèse, n'avaient guère plus de consistance que les anciens, tombés en charpie, ce qui fit paraître plus remarquable la parfaite conservation d'un large ruban de soie blanche, portant encore brillantes ces inscriptions, d'or: « Je veux passer mon ciel a faire du bien sur la terre. Après ma mort, je ferai tomber une pluie de roses. » Cette banderole garnissait un bouquet de fleurs déposé sur la tombe de Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus, à la fin d'août 1910, et les Carmélites s'en étaient servies pour nouer les quelques roses cueillies dans leur jardin, et placées, le 6 septembre suivant, dans le cercueil. N'y a-t-il pas lieu de voir dans ce fait comme une survivance de l'esprit de Soeur Thérèse? Sa dépouille virginale ne devait pas, dans les desseins de la sagesse divine, être exemptée de la corruption, mais cette double prophétie, qui résume sa vocation céleste, se gardait intacte, comme un gage d'espérance pour ceux qui implorent son secours.

Qu'il était touchant de voir les deux prélats, et les autres prêtres de la Commission, élite du Clergé diocésain, penchés sur ce pauvre cercueil, et y prendre avec un soin jaloux

pour les présenter aux médecins, les moindres parcelles de ces ossements desséchés. Après les avoir presque totalement retrouvés, des mains fraternelles s'employèrent, avec quel reli­gieux empressement ! à les débarrasser de leur partie terreuse, comme on le fait pour un diamant de prix, et les enveloppèrent successivement dans des linges de fin lin ouvragé, liés par des rubans de soie. Ils furent ensuite déposés dans un coffret de chêne sculpté et capitonné de satin blanc.

 

Avant l'apposition des scellés de l'Evêque de Bayeux et de la Municipalité, le Pontife voulut montrer aux assistants le couvercle de ce joli cercueil, où se voyait, au milieu de la croix enlacée d'une couronne d'épines en relief, l'effigie de la Sainte-Face, et les divers instruments de la Passion, ainsi que l'écusson du Carmel. Le sous-officier permissionnaire, qui avait passé la nuit près de la chapelle, s'empara de ce couvercle, et, visiblement ému, le fit circuler dans les rangs pressés des spectateurs. Bien des larmes coulèrent eu baisant l'image du Sauveur, et aussi le scapulaire de bure dont il a été question. Le sacristain du Carmel, à lui seul, évalue à plus de 12,000 le nombre des objets que cette foule croyante le supplia de faire toucher, pour elle, aux ossements de l'angélique Servante de Dieu.

 

Le coffret, long de 1m 20, large de 40 centimètres et haut de 30, fut placé dans un cercueil de plomb tapissé de drap blanc, et renfermé lui-même dans un sarcophage de palissandre, orné de quatre poignées finement ciselées et argentées, et de quatorze vis tire-fonds, du même métal. Ce travail de grande valeur, était offert au Carmel et à Soeur Thérèse, par la Maison Henri de Borniol. Sur la partie supérieure, scellée aux armoiries épiscopales, ou pouvait lire cette inscription gravée artistement

HIC

OSSA ANCILLAE DEI

THERESIAE A PUERO JESU

DEPOSITA SUNT

DIE DECIMA AUGUSTI

MCMXVII

 

[En 2008, nous avons réintroduit dans ce coffret vide conservé aux archives le tube de plomb – ouvert - qui contenait une attestation des ossements de TH, signé par tous les participants de l'exhumation, incluant Sr Geneviève et Sr Madeleine de Jésus.]

 

Bien que le char funèbre ait été retenu, les employés, en livrée de cérémonie, réclamèrent l'honneur de reporter le cercueil sur leurs épaules jusqu'au lieu de la sépulture. Les gerbes de fleurs surgissaient de tous côtés à la suite du cortège, qui s'avançait majestueux, sous le soleil couchant de cette belle journée d'été.

Le même ordre et la piété sympathique constatés la veille, gardaient à cette manifestation un caractère privé et plein d'un calme recueilli. Pour ne point lui ôter cet aspect, exigé d'ail­leurs par les règles de l'Eglise, Monseigneur Lemonnier s'abstint de traduire à haute voix ses sentiments qui étaient ceux de tous, et les porteurs déposèrent leur précieux fardeau en silence, dans le loculus de briques, à l'ombre de la croix blanche, recouverte d'inscriptions et de suppliques.

Ces restes bénis attendent maintenant le jugement de la Sainte Eglise, et, d'ici-là, ne continueront-ils pas d'opérer dans le mystère leur action bienfaisante? L'Evangile du 10 août nous le rappelait avec douceur dans cette parole si consolante de Jésus : « Si le grain de blé étant tombé à terre vient à mourir, il porte beaucoup de fruits. »

 

Quelques incidents, glanés ça et là au cours de ces journées, contribuèrent encore à les rendre plus émouvantes. Tel ce fait des parfums déjà signalés, qu'un aumônier militaire, entre autres, perçut le vendredi, autour du dépositoire. Citons maintenant ce mot recueilli sur la bouche de plusieurs et résumant le sentiment général : « Sans doute, ces longues heures d'attente devant une chapelle fermée sont pénibles, mais qu'importe, si nous ajoutons par cette fatigue à la gloire de la petite sainte! » Et encore ce cri échappé à une pauvre mère qu'un fossoyeur voulait empêcher d'atteindre une planche détachée du cercueil : « On voit bien, vous, que vous n'avez pas un fils au front! »

Pourquoi ne pas mentionner aussi cette exclamation d'un employé de la gare de Lisieux, en apercevant le coffre de palissandre : « Rien ne sera jamais trop beau pour la Soeur Thérèse! »

Lorsque tout se trouva terminé au cimetière, Mgr Lemonnier, accompagné du Tribunal ecclésiastique, se rendit au Monastère des Carmélites, où, devant la Communauté réunie, il fut donné lecture du rapport des événements des 9 et 10 août. Puis on apposa les scellés sur les réserves de la chevelure ou autres fragments du corps de la Servante de Dieu, et même des anciens cercueils confiés à la garde discrète des religieuses. Désormais, il ne sera donc plus permis de distribuer de ces souvenirs intimes, tant qu'une décision du Saint-Siège ne leur aura pas attribué le caractère propre de reliques, leur donnant droit au culte des fidèles. Soucieuse, en effet, d'assurer la conservation, autant que possible intégrale, de ce qui reste du corps de ses saints, l'Eglise, comme une Mère pleine de prudence, s'en reconnaît, par cette mesure, seule propriétaire, et en interdit la distribution prématurée.

Cette défense sera peut-être matière à de vrais sacrifices pour plusieurs dévots de Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus, mais qu'ils se rappellent qu'un simple élan de foi attire sa protec­tion, et que d'espérer beaucoup de sa bonté compatissante est toujours le meilleur moyen de la prendre par le coeur ».

 

PERMIS D'IMPRIMER : Bayeux, 15 août 1917. THOMAS, évêque de Bayeux et Lisieux