Carmel

Récit de l'abbé Huet

Pèlerinage diocésain à Rome
Lettres de M. l'abbé Huet, vicaire de Saint-Étienne de Caen,
à la direction de la Semaine Religieuse de Bayeux

Première lettre

Mardi, 8 novembre, à midi.

Monsieur le Directeur,

Je ne veux pas attendre notre arrivée à Rome, et je m'em­presse de tenir la promesse que je vous ai faite. Quelques notes écrites au jour le jour eu wagon et suivant les impres­sions du moment, permettront aux lecteurs de la Semaine religieuse de s'unir à noire pèlerinage.

Partis samedi et dimanche de Coutances et de Caen, par les express du matin, les pèlerins arrivèrent à Paris, les premiers sous la direction de Mgr l'Evêque de Coutances, les autres sous la conduite de M. l'abbé Révérony, vicaire général.

Dimanche 6. — Rendez-vous avait été donné pour dimanche main au premier groupe de pèlerins à l'église du Vœu na­tional. Cent d'entre eux se pressaient donc autour de l'autel, lorsque Mgr Germain commença la messe de 9 heures. Après avoir donné la sainte Communion, se tournant vers le peuple, il montra, avec le zèle et l'ardeur qui le caractérisent, dans quel esprit devait s'accomplir le voyage au tombeau des Saints Apôtres. La foi, la pénitence et l'amour, a-t-il dit, sont les trois grandes pensées qui doivent nous animer.

 

Après le discours, suivi de la bénédiction, les pèlerins ont visité la crypte de la basilique en ordre de procession et au chant du Magnificat, et Monseigneur a bénit une pierre commémorative du pèlerinage à Rome.

Lundi 7. — Mis ainsi sous la garde du Sacré-Cœur nous partons gaiement par un train spécial à 6 h. 35. Le temps plu­vieux au départ se lève bientôt et le soleil vient de temps à autre essayer de réjouir les vastes plaines que nous traver­sons. Nous chantons et récitons le Rosaire avant d'arriver à Troyes.

De cette ville à Bar-sur-Aube, dont la situation est char­mante au pied de collines boisées, le paysage est plus riant et devient de plus en plus beau jusqu'à Chaumont, où nous attend le plus magnifique spectacle. Du haut du viaduc long de 600 mètres et haut de 50, construit sur la vallée de la Suize le panorama est splendide.

A Vesoul, une partie des pèlerins profitent de quelques mi­nutes d'arrêt pour parcourir la ville et visiter l'église

Inutile de dire que pendant le trajet, la piété a sa part dans la vie des pèlerins. Chacun d'eux possède un petit manuel de prières et de méditations pour son voyage personnel, et des chants retentissent dans les compartiments.

Vers 5 heures, nous nous trouvons en face de Belfort la ville du courage et de l'héroïsme, et nous saluons avec bonheur cette cité des forts. Une heure plus tard, nous étions au territoire Suisse.

Malheureusement la nuit était tombée cachant à nos regards les magnificences du pays. Dans plusieurs gares des groupes de curieux étaient venus assister à notre passage. À Délémont au moment du départ, ils nous crièrent adieu.

À Bâle, le dîner était préparé au buffet de la gare lorsque nous arrivâmes à 8 heures 1/2. Le matin, nous avions déjeuné en wagon. A minuit et demi, nous étions à Lucerne (Lucerna) l'heure du repos était venue.

Mardi 8. — A 6 heures, réveil général. Pendant les trois quarts d'heure qui précèdent le déjeuner, nous parcourons la ville, visitant l'église collégiale de Saint-Léger avec ses magni­fiques boiseries, le Lion de Lucerne à l'expression si noble et surmonté de l'inscription : Hetvetiorum fidei et virtuti, le musée historique (extérieur), le pont de bois qui traverse le lac et sous la toiture duquel est peinte l'histoire civile et religieuse de la Suisse.

Nous quittons Lucerne à 8 heures. Cette fois, nous pouvons jouir des splendeurs de la Suisse.

A 8 heures 1/2, lac de Lowers. A ce moment, nous aperce­vons la neige pour la première fois. Les cîmes des montagnes qui entourent le lac en sont couvertes. Au-dessous de gros nuages blancs rendent l'effet encore plus pittoresque.

Des deux côtés de la ligne, les paysages se succèdent avec une variété infinie ; chaque vallée, chaque village avec ses chalets d'aspect différent.

Quelques kilomètres plus loin, à Steinen, la neige couvre les montagnes, les bords du lue sont gelés. Les deux grands pics du Mythen, haute de 1, 900 mètres, rendent la situation de Schwyz exceptionnellement belle.

A 9 heures, nous sommes suries bords du lac d'Uri. Entre une série de petits tunnels que nous traversons, nous admi­rons les rochers illustrés par la présence de Guillaume Tell s'échappant de la barque de Gessler. Auprès de Burglen, où naquit le libérateur de la Suisse, le sommet de la montagne disparaît dans les nuages à plus de 3, 000 mètres de hauteur.

Je m'arrête dans toutes mes descriptions, car je ne saurais plus de quels termes me servir. D'un bout à l'autre des wa­gons, il n'y a qu'un cri: « Oh! que c'est beau! » Nous n'avons pas assez d'yeux pour regarder. Grâce à l'arrangement des wa­gons, nous allons d'un côté à l'autre, regrettant de ne pouvoir tout contempler et plus encore de ne pouvoir tout retenir.

A 10 heures, nous commençons à gravir les rampes du Saint- Gothard.

Rien de grandiose comme le spectacle que nous avons à partir d'Amstaeg, qui est déjà à 600 mètres au-dessous de nos pieds. Plus nous avançons, plus la nature sauvage nous ravit ; les cascades qui partent des montagnes aux flancs escarpés les précipices immenses que nous franchissons à des centaines de mètres au-dessus ; les gorges, les torrents que nous avons en face de nous ne peuvent que s'indiquer. Mirabilis in altis de minus !

Le chemin de fer est accroché aux flancs de la montagne que nous contournons. À la gare de Gurtuellen, nous sommes à 700 mètres d'altitude ; à la gare suivante (Wasen) à 931 mè­tres. Entre ces deux points, nous passons trois tunnels en spi­rale, qui font monter la ligne de 25, 30 et 35 mètres ; à nos pieds, la ligne que nous avons parcourue une demi-heure au­paravant ; au-dessus de nos têtes et, en face, des cabanes de pasteurs, quelques chèvres suspendues aux rochers.

À Wasen, un train se croise avec le nôtre ; nous apercevons à cent mètres au moins au-dessus de nous la voie que nous allons atteindre. En sortant de la gare, nous franchissons un précipice, nous montons toujours et nous avons, bientôt après, deux lignes au-dessous de nous. Tout au fond, le charmant village de Wasen, avec son église assise sur un rocher au mi­lieu des maisons.

A 11 heures, nous sommes à Goeschenen, à l'entrée du Saint-Gothard. Nous avons de la neige à notre portée. Par curiosité, nous nous plaisons à en ramasser quelque peu dans nos mains.

Pendant les 22 ou 23 minutes que nous mettons à traverser Je tunnel du Saint-Gothard, l'admiration générale est suffisam­ment suspendue pour nous permettre un instant de repos et de calme et de nous préparer à de nouveaux transports.

A la sortie du tunnel, nous sommes entourés de neige- la terre est complètement couverte ; il y en a de 10 à 15 centi­mètres. Nous avons atteint une hauteur de 1, 200 mètres

En redescendant, la nature est un peu moins sauvage. Nous voyons une église au sommet d'un immense rocher : qui donc habite à une telle hauteur ! Est-ce un monastère ou une petite paroisse? Nous l'ignorons.

Après les gorges du Tessin et une série de tunnels entre lesquels s'ouvrent les plus charmantes éclaircies, nous arri­vons à Faido, d'où je m'empresse de vous envoyer des pre­mières notes.

Tous les pèlerins sont dans le ravissement et se portent à merveille.

Je vous enverrai ma seconde lettre en arrivant à Rome.

Votre tout dévoué en Notre-Seigneur.

L. Huet, vicaire de Saint-Etienne de Caen.

 

Deuxième lettre

Monsieur le Directeur,

Mardi 8, à midi. — De Lavorzo, où j'ai confié au chef de gare la première lettre que je vous ai adressée, et que j'avais terminée à la station précédente, nous arrivons à Giornico avec sa vieille église et son clocher lombard. Les stations du Che­min de Croix sont autour du cimetière. Plus loin, de beaux châtaigniers croissent dans les rochers, de belles vignes en treille sont plantées dans les champs.

Suivant les contrées que nous traversons, les clochers et les églises sont semblables. Quelle différence avec les monuments de notre Normandie ! Basses et laides en Champagne, avec une petite flèche, les églises du Tessin que nous quittons sont plus élevées mais généralement sans style ; les clochers sans flèche sont plus soignés et percés de chaque côté du corps carré de deux ou quatre fenêtres se rapprochant du roman, et superposées une à une ou deux à deux.

De ce côté des Alpes, les cascades se précipitent en très- grand nombre du sommet des montagnes. À Claro, le couvent de Santa-Maria se trouve sur un petit plateau à mi-côte, dont la situation magnifique le cède cependant à la magnificence du site occupé par trois châteaux forts qui dominent Bellinzona et défendent de ce côté l'entrée de la Suisse. C'est dans cette ville qu'on nous sert en wagon notre repas.

Jusqu'à Lugano, sans être aussi grandiose, le spectacle ne laisse pas d'être ravissant. Dans cette station, nous avons le temps de sortir sur la terrasse qui se trouve devant la gare, et de laquelle nous pouvons contempler cette charmante ville au fond de la vallée dans laquelle s'étend, tout entouré de vil­lages et de très beaux chalets, le lac du même nom. Tout autour, des montagnes baignent leur pied dans des eaux qui viennent parfois jusqu'au bord de la ligne.

Enfin, après différents villages plus pittoresquement assis les uns que les autres au flanc des montagnes ou au fond des vallées, nous arrivons à Chiasso, où la présence des douaniers pour visiter nos bagages nous apprend que nous avons quitté la Suisse et que nous sommes en Italie.

La nuit nous surprend sur les bords du lac de Côme, nous laissant toutefois le temps d'admirer la cité et les gracieuses collines qui l'entourent. Le champ des morts, encadré de ga­leries entre les arcades desquelles de nombreuses petites lampes brillent, attestent tout le culte des habitants pour leurs chers défunts.

Après l'arrivée à Milan et le dîner que chaque groupe prend dans l'hôtel qui lui a été assigné, nous faisons le soir une promenade aux superbes galeries de Victor-Emmanuel, afin de jouir de l'illumination. La foule qui s'y presse est énorme. Nous faisons ensuite le tour de l'immense Cathédrale. L'im­pression qui nous reste du simple coup-d'œil que nous jetons sur ses murailles tout en marbre profondément sculpté, orné de bas-reliefs et de statues, nous fait vivement désirer de pénétrer à l'intérieur.

Mercredi 9. — À 7 heures, tous les pèlerins se réunissent dans la crypte autour du tombeau de saint Charles. Monsei­gneur de Coutances célèbre la sainte Messe en présence du corps de saint Charles, et donne la communion, après laquelle nous vénérons le corps du bienheureux que nous avons le bonheur de pouvoir contempler. L'âme est saisie d'admiration en pénétrant dans l'immense basilique. Cette forêt de colonnes, de statues sans nombre, ces verrières magnifiques, enfin tout l'ensemble grandiose du monument que nous visitons en dé­tail au dedans et au dehors, font à saint Charles un monument digne de lui et de la reconnaissance que lui doivent les Mila­nais.

La matinée se passe à visiter les principales curiosités de la ville : le Campo Santo, l'Arc du Simplon, la vieille église de Saint-Ambroise avec la porte que l'illustre Evêque ferma à l'empereur Théodose, le sarcophage du saint et les autres antiquités conservées dans l'église et sous les vieilles galeries qui la précèdent; enfin l'église de Saint-Alexandre avec ses belles peintures. — Nous ne faisons que passer de­vant les colonnes corinthiennes qui précèdent l'atrium de San- Lorenzo, église remarquable visitée seulement par quelques groupes. Très peu de pèlerins ont pu voir l'amphithéâtre de l'Arène.

C'est assez dire que toute la matinée a été parfaitement remplie. Nous n'avons que des louanges à faire aux adminis­trateurs de notre pèlerinage.

A 3 heures nous quittons Milan, faisant route pour Venise. Le soleil qui nous avait refusé ses clartés en traversant la Suisse, éclaire les Alpes que nous commençons à voir avant d'arriver à Bergame.

Pour ne pas allonger mon récit, je ne dirai rien des vastes plaines bien plantées et fertiles de la Lombardie que nous tra­versons. Il ne suffit pas d'admirer les œuvres de Dieu, il faut l'en remercier. Nous nous mettons à le prier avant que la nuit nous surprenne. J'ai fini pour aujourd'hui ; à demain d'autres notes.

Jeudi 10. — Il était 10 heures lorsque nous arrivâmes à Venise, hier soir. Aussitôt nous nous embarquons pour nos hôtels respectifs, par groupes de quatre sur chaque gondole. Au bout d'une demi-heure, nous étions à destination.

Aujourd'hui, pour la première fois, nous jouissons du beau ciel de l'Italie. Le temps, nuageux jusqu'à ce jour, s'est com­plètement éclairci. Le soleil est resplendissant.

Après une messe à l'église Saint-Marc et le déjeuner, nous visitons la partie de la ville que l'on parcourt à pied, les prin­cipaux monuments, entre autres le palais incomparable des Doges. Quelle magnificence! Quelle profusion de peintures de grands maîtres, du Tintoret, de Véronèse et de toute l'école vénitienne!

Après avoir joui du coup d'oeil général de la ville, du haut de la tour Saint-Marc, nous descendons à la basilique de l'apôtre commencée au IXe siècle avec les matériaux apportés de Ste-Sophie de Constantinople. Gomme il faudrait des jours pour énumérer ses richesses, je n'entrerai pas dans le détail. La magnificence de ses marbres, des mosaïques qui décorer t les voûtes et les cinq dômes, de ses tableaux, ne peut que s'in­diquer.

Après le repas du midi, nous partons par groupes de 30 per­sonnes sous la conduite d'un guide, pour visiter les principales églises et jouir du spectacle que Venise peut seule nous offrir • la promenade en barque dans ses rues.

Nous voyons successivement Saint-Alexandre, avec ses marbres noirs et blancs et le tableau des disciples d'Emmaüs, Saint-Jean et Saint-Paul, le Panthéon de Venise avec tous ses mausolées ; les ruines de la chapelle du Rosaire construite après la bataille de Lépante ; l'église des Jésuites avec ses mo­saïques très belles mais un peu lourdes et chargées, sa chaire ornée de draperies de marbre d'une finesse de travail incompa­rable, et ses tableaux du Tintoret (Assomption) et du Titien (martyre de Saint Laurent) ; l'église Sainte-Marie-des-Frères, renfermant les tombeaux de Ganova et du Titien et de plu­sieurs doges ou gouverneurs de Venise, et surtout des stalles du XIV" siècle, sur trois rangs de chaque côté du choeur d'un travail admirablement fini. En nous rendant à Sainte-Marie- della-Salute, élevée au XVIe siècle en action de grâces de la cessation de la peste, par les Vénitiens qui reviennent chaque année, le 21 novembre, la visiter en foule i, nous entrons dans une fabrique de verreries. Le soir, avant notre repos, nous allons jouir du magnifique spectacle de la place Saint-Marc dont les galeries nous rappellent un peu celles du Palais-Royal de Paris.

Vendredi 11. — Le départ de Venise s'est effectué à 9 heures, des hôtels. Embarqués sur un bateau-mouche, nous avons pu admirer une dernière fois, pendant une demi-heure, les ma­gnifiques palais qui bordent le Canal Saint-Marc. Après une visite à l'église surchargée de marbres des Pères Carmes qui se trouve près de la gare, nous partons en pèlerinage pour Padoue.

Notre arrivée dans cette ville de 50, 000 habitants a été tout un événement. Une foule énorme et sympathique se pressait sous les portiques qui se trouvent de chaque côté des rues, pour voir passer les 50 voitures nous conduisant à l'hôtel et aux églises.

La première visite que nous avons faite a été pour Saint- Antoine. Après avoir parcouru cette vaste église, admiré les bas-reliefs représentant les principaux miracles de la vie du saint et son portrait, nous avons été admis à baiser le reli­quaire qui renferme la langue du bienheureux.

De là, nous sommes allés en pèlerinage au tombeau de sainte Justine qui se trouve sous le maître-autel dans l'église de ce nom. Son martyre a été peint par Véronèse, sur un tableau placé à l'abside. Bans les transepts, les sarcophages des apôtres saint Mathieu et saint Luc. Cette église qui est- à trois nefs avec des chapelles dans toute sa longueur, pos­sède également des stalles d'une très riche sculpture sur les­quelles sont représentées les principales scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament.

A 3 heures, le chemin de fer nous emporte vers Bologne. A notre arrivée, une foule énorme nous attend à la gare, et as­siste à notre départ en omnibus.

Samedi 12. — Nous avons trois heures à passer dans la ville pour faire nos pèlerinages. Après avoir célébré la sainte messe dans les églises les plus rapprochées de nos hôtels, nous nous réunissons à l'immense église San-Patronéo pour aller visiter l'église Sainte-Catherine.

Nous sommes admis à vénérer le corps de la sainte et à baiser ses pieds et ses mains. La Bienheureuse est assise sur un fauteuil dans le petit oratoire qui lui est consacré. Son corps est admirablement conservé, ses membres sont flexibles, la sueur de sang qui coula lorsqu'on la tira du tombeau, dix- huit jours après sa mort, pour la mettre à la place qu'elle oc­cupe sans aucun soutien, est restée très liquide. Qu'elle prie pour nous pendant notre voyage, et qu'elle nous donne à tous un peu de cet amour qu'elle avait pour l'Enfant-Jésus, qui bai­gna lui donner un baiser dont la place est restée marquée sur le visage de la sainte.

Le temps nous a manqué pour aller au tombeau de saint Dominique. Un groupe s'y est rendu, tandis que les autres sont allés aux tombeaux de saint Pétrone, patron de la ville,

de saint Vital et de saint Agricole, qui se trouvent dans la vieille église Saint-Étienne, formée de sept églises unies les unes aux autres par des galeries et bâties sur un temple d'Isis dont les colonnes servent à la première église.

Toutes ces courses à pied nous permettent de jeter un coup d'oeil sur la cité dont les rues et les galeries sont beaucoup plus vastes qu'à Padoue, avec de beaux quartiers. Comme églises, je ne puis citer que celle de Saint-Barthélémy auprès des tours penchées dont l'ornementation et les peintures ne laissent rien à désirer comme goût richesse et ornementation.

Notre départ pour Lorette s'effectue vers 11 heures. Le trajet est de 6 heures. Partout nous voyons comme au temps de Virgile la vigne mariée à l'ormeau. Les campagnes sont riches, l'horizon est varié. Nous saluons en passant Imola, l'ancien évêché de Pie IX, Rimini, la patrie de sainte Fran­çoise, sur les bords de l'Adriatique, Ancone et Castelfidardo ou Lamoricière et ses braves soldats firent des prodiges de valeur pour conserver au Pontife suprême sa puissance temporelle.

A 5 heures, nous gravissons la colline de Lorette. Avec quel bonheur nous avons pénétré dans la Santa-Casa, et récité les Ave du chapelet dans cette maison bénie de Nazareth où l'ar­change Gabriel apparut à la Vierge et que les Anges ont trans­portée dans cet endroit fortuné de la terre. Oui, c'est de tout coeur qu'avant d'aller prendre notre repos, nous avons chanté le Magnificat et l'invocation à chacun des membres de la Sainte Famille.

Dimanche 13. — A 4 heures, les messes commencent dans la basilique. Le sort a désigné les heureux qui pourront la célébrer dans la Santa-Casa ou bien au grand autel adossé à la mainte Maison. Les autres se consolent en pensant qu'ils sont sous le toit qui l'abrite, et c'est avec la plus grande consolation qu ils exposent a la Vierge bénie toutes leurs demandes pour les personnes si nombreuses qui se sent recommandées à eux. Monseigneur l'Evêque de Coutances célèbre, à 8 heures la messe de communion.

La première partie de notre matinée devait être consacrée à notre pèlerinage. Pendant tout ce temps, nous nous succédons aux pieds de la statue miraculeuse sculptée par saint Luc, faisant bénir nos objets de piété et déposer dans l'écuelle de la Très Sainte Vierge. Nous n'avons eu qu'un regret : celui de céder trop vite notre place à la foule qui commençait à arriver des campagnes voisines.

En quittant Lorette, nous voyageons pour Rome. Le ciel est sans nuages, la température est chaude lorsque nous tra­versons l'Ombrie avec ses petites villes fortifiées, assises sur le haut des collines comme dans la Romagne, les belles vallées formées par les Apennins dont les pics les plus élevés semblent couverts de neige. La nuit nous surprend en arri­vant à Spolète et va par conséquent nous empêcher de voir la campagne romaine et de saluer longtemps avant notre arrivée la Ville éternelle.

Lundi 14. — A la fin de notre première journée de séjour à Rome, je ne sais comment vous rendre compte de notre temps pour n'être ni long ni ennuyant pour ceux qui parcourront ces lignes. Nous avons fait une vraie course au clocher, Tout d'abord Mgr Germain a célébré la messe à Saint-Louis des Français pour les pèlerins. Le grand orgue n'a cessé de jouer pendant tout le temps qu'elle a duré et pendant la com­munion.

Pour la visite des monuments, les pèlerins sont partagés en cinq groupes. Celui de l'hôtel de Milan, composé d'une cin­quantaine de personnes du diocèse de Bayeux, n'avait aujour­d'hui aucune des merveilles de Rome à voir.

De Sainte-Marie in Via lata où saint Paul fut jeté en prison et fit jaillir une source d'eau vive— à laquelle nous avons eu le bonheur de boire — pour baptiser la famille de saint Martial, nous nous rendons à l'église des Saints Apôtres, construite par Constantin. Nous invoquons les apôtres saint Philippe et saint Jacques-le-Majeur, qui y ont été enterrés. Les reliques du premier y sont seules conservées dans l'église souterraine ouverte en avant du sanctuaire

Passant près de la colonne Trajane et de la trop célèbre tour de Néron, près de laquelle se trouvent encore quelques ruines datant de Romulus, nous arrivons au Quirinal, ancien palais d'été des papes, usurpé par le roi d'Italie.

Les deux églises les plus rapprochées sont fermées lorsque nous passons, nous ne pouvons donc les visiter. Nous regret­tons vivement cet usage d'Italie qui empêche de pénétrer dans le lieu saint peu de temps après la célébration des masses.

Après la visite de Sainte-Suzanne, nous arrivons à Sainte- Marie-des-Anges, bâtie sur les anciens thermes de Dioclétien. La vaste salle de bibliothèque de cet édifice sert actuellement. d'église transversale, l'abside et l'entrée sont l'oeuvre de Michel-Ange.

Franchissant ensuite la porte Pia, nous nous dirigeons vers l'église Sainte Agnès, oeuvre de Constantin dans tout son entier. Après une prière à cette enfant courageuse qui repose dans l'au. el, nous remontons de l'église qui est à 8 mètres au- dessous du sol actuel pour prier au tombeau de sainte Cons­tance dans le baptistère voisin que le premier empereur chrétien fit élever pour le baptême de sa fille et qu'il choisit pour sépulture de sa famille.

A Sainte-Marie-de-la-Victoire, desservie par les Pères Fran­ciscains-, nous vénérons le corps de Sainte Victoire, et admi­rons en passant le Songe de Saint-Joseph du Guide et l'extase de Sainte-Thérèse de Bernini. A la voûte sont suspendus les drapeaux enlevés par les Chrétiens aux Musulmans dans différentes batailles.

Nous ne pouvons que déplorer le mauvais goût qui préside à l'ornementation des églises pour les solennités. A Sainte-Marie-de-la-Victoire, comme dans plusieurs autres, les mar­bres et autres chefs-d'œuvre sont cachés par des draperies voyantes et sans valeur qui entourent les piliers en partant du commencement des voûtes.

Au couvent des Capucins, si nous vénérons avec respect le corps absolument intact du bienheureux Crispini et si nous admirons dans l'église le Saint-Michel du Guide, le Saint- François du Dominiquin, nous sommes loin d'être remplis d'enthousiasme pour cet immense ossuaire qu'on nous fait ensuite visiter.

De la Trinité-des-Monts près de laquelle se trouve la villa Médici, séjour des artistes français qui viennent 'à Rome pour se perfectionner dans les beaux-arts, nous faisons une promenade au Pincio pour jouir du panorama de Rome, et re­descendons sur la place du Peuple pour contempler le magni­fique obélisque qui se trouve au centre et visiter Sainte-Marie-du-Peuple où les pontifes romains venaient, chaque année, le 8 septembre, vénérer la madone miraculeuse.

De cette église qui renferme les plus anciens vitraux de Rome et plusieurs chefs-d'oeuvre de sculpture dus au ciseau de Raphaël, nous nous rendons à Saint-Charles. Malheureuse­ment nous ne pouvons vénérer le coeur du bienheureux, con­servé dans l'église, ni voir son célèbre portrait, caché par les tentures dont nous avons parlé.

Enfin, notre journée se termine par le pèlerinage à Saint- Laurent et à Saint André-delle-Fratte. Dans la première, nous vénérons le gril sur lequel Saint Laurent subit le martyre et admirons le beau Christ du Guide, et nous nous prosternons dans la seconde devant le tableau miraculeux où la Vierge fit descendre la foi dans l'âme de R. P. Ratisbonne.

Avant que la nuit soit complètement tombée, nous rentrons en passant au pied de l'obélisque élevé par Pie IX, en souve­nir du dogme de l'Immaculée-Conception, et devant l'immense et imposante fontaine de Trévi.

Nous sommes à la fin de notre première semaine de pèleri­nage. Tout continue de bien marcher; les santés sont excellentes.

Nous ne savons encore le jour de l'audience pontificale. Les pèlerins de Nantes qui accompagnent Mgr Le Coq, se réuni­ront à nous pour la circonstance.

Veuillez agréer, cher Monsieur le Directeur, l'assurance de mon entier dévouement en Notre-Seigneur.

L. Huet, Vicaire de Saint-Etienne de Caen.

Troisième lettre

Rome, le 20 novembre 1887.

Monsieur le Directeur,

Avant de recommencer mon petit journal, je ne puis m'empêcher de faire une ou deux réflexions et d'établir une com­paraison entre Rome et les autres villes de l'Italie que nous avons traversées. Il semble que l'on est plus chez soi dans la Ville-Eternelle. Le peuple ne paraît nullement surpris de nous voir; il y a, ce me semble, quelque chose de sympathique dans sa tenue lorsque nous traversons la cité. Est-ce réel? Je laisse à d'autres la liberté de penser autrement.

Quelle différence également dans le genre des personnes et dans l'habillement ! Le ton général est beaucoup plus sérieux et de meilleur goût. Les gens du peuple ne sont pas négligés comme à Milan, à Bologne et surtout à Venise. Dans cette classe de la société, les femmes sont parfois vêtues de leur costume national assez gracieux, beaucoup plus que celui des femmes qui se pressaient à notre départ dans la basilique de Lorette.

Quant à la ville elle-même, sauf certains quartiers nouvelle­ment percés, les rues de l'intérieur de Rome sont d'une lar­geur ordinaire comme dans nos villes de province, mais sans trottoirs. Proportions gardées, les rues étroites sont beaucoup plus nombreuses. De tous côtés, hors les murs, de nouvelles rues, d'immenses maisons sont en construction.

Revenons maintenant au récit quotidien de nos pérégrina­tions.

Mardi 15 novembre. — Le temps pluvieux au départ n'est guère favorable pour voyager en voiture découverte. Nous partons cependant, l'un assis près du cocher sous son grand parapluie vert ou brun, et les autres abrités par la capote de la voiture. L'eau n'a duré qu'une heure environ. Notre visite d'hier était un peu fatigante, n'ayant aucuns des grands monuments de Rome à visiter. Aujourd'hui, nous sommes complètement dédommagés. Que de saintes émotions produites par la vue de ces reliques insignes que tout monde ne peut voir, et que nous sommes admis à vénérer, grâce aux démarches de Mgr de Coutances et à notre titre de pèlerins !

Nous commençons par Saint-Pierre-ès-liens. Nous descendons à la confession pour contempler les chaînes de l'Apôtre, le tombeau renfermant les cendres des sept frères Macchabées, et après un coup d'oeil rapide aux peintures de l'abside et de la sacristie rappelant le miracle de la délivrance du Chef des Apôtres, après quelques minutes d'admiration devant le Moïse de Michel-Ange, nous descendons au Colysée.

Quel spectacle encore que ces ruines grandioses où mou­rurent tant de milliers de martyrs pour la confession de leur foi ! Pourquoi donc a-t-il fallu que les envahisseurs de Rome enlevassent la Croix et le cachet religieux que les Papes y avaient imprimés dans les stations du Via Crucis, pour lui rendre son cachet païen? Pour nous, les souvenirs ne s'ef­facent point ; une terre imbibée du sang des chrétiens ne peut qu'augmenter la foi lorsqu'on s'y agenouille.

De l'arc de Constantin qui est tout proche, nous nous ren­dons à Saint-Jean-de-Latran. Cette fois nous sommes sur le sol pontifical. Après la visite du palais et de ses musées, nous nous rendons à la Scala Santa. Avec quelle joie religieuse, nous montons à genoux les vingt-huit degrés de l'escalier gravi par Notre-Seigneur pour aller au prétoire de Pilate ! Avec quel bonheur nous baisons les trois endroits où sont restées les traces de son sang divin !

Nous entrons ensuite dans la grande et superbe basilique, passant près de la porte murée que l'on appelle la Porte Sainte et qui ne s'ouvre qu'à l'époque des Jubilés. Là sont conservés et vénérés la table de la Cène, les chefs de S. Pierre et de S. Paul. Tout près un cloître charmant, en style byzantin du XIIIe siècle, véritable musée chrétien au centre duquel se trouve le puits que l'on dit être celui de la Samaritaine.

Tout à côté de l'église, le baptistère de Constantin, de forme octogonale, avec de belles mosaïques du IVe siècle. Les pèlerins seuls visitent la petite chapelle Saint-Jean-Baptiste; les dames ne peuvent entrer, à cause, disent les guides, du crime d'Hérodiade qui demanda la tête du Précurseur.

De là, par un chemin affreux, longeant l'intérieur des mu­railles de la ville, nous nous dirigeons directement vers la basi­lique de Sainte-Croix en Jérusalem (cette basilique tire son nom de la terre apportée de Jérusalem et mise dans les fondations. ). Comme son nom l'indique, tout doit y rappeler la Passion du Sauveur. Nous sommes donc admis à vénérer : trois morceaux assez considérables de la vraie Croix, l'un des clous qui fixèrent Jésus au bois de son supplice et deux des épines qui déchirèrent son front. Le gradin de l'autel renferme le bois transversal de la croix du bon lar­ron et mesure près de 2 mètres de longueur. Enfin, après avoir vénéré le doigt que S. Thomas mit dans les plaies du Sauveur, nous prions S. Césaire et S. Anastase, dont les restes sont renfermés dans le maître-autel, d'intercéder pour nous. L'entrée de la chapelle souterraine, construite par Ste Hélène, est encore interdite aux femmes, sous peine d'excommunication.

Franchissant la Porta Maggiore, après avoir fait deux kilo­mètres dans la campagne, nous arrivons à Saint-Laurent-hors-les-Murs. Là est enterré Pie IX de sainte et illustre mémoire. Son sarcophage est simple ; mais les fidèles ornent encore aujourd'hui de magnifiques mosaïques la chapelle qui le ren­ferme. —En face de son tombeau se trouve la pierre dans la­quelle était fixé le gril sur lequel fut rôti S. Laurent. — Son histoire et celle de S. Étienne est peinte sur les murs de la nef.

Je ne parle pas des colonnes anciennes, qui servent de piliers dans la presque totalité des églises. Elles viennent presque toutes des temples ou des thermes de la Rome païenne. Chaque jour disparaissent peu à peu les traces de la cité de Romulus ; nous n'en rencontrons que deux ou trois beaux spécimens en nous rendant à Ste Marie-Majeure.

La nuit commençant à tomber nous empêche d'admirer en détail les richesses de la basilique. La clarté plus grande des transepts nous permet seulement de contempler la chapelle du Saint-Sacrement avec son immense tabernacle soutenu par quatre anges, et les tombeaux de Pie V et de Sixte V. Nous sommes obligés de remettre à plus tard la vénération de la Crèche et du tableau qui rappelle le miracle à l'occasion du­quel fut construite la basilique de Notre-Dame-des-Neiges.

En rentrant, nous passons par la petite église Ste Praxède, si riche en souvenirs. N'est-ce pas là qu'est, en effet, con­servé le corps de la sainte, le puits dans lequel elle déposait le sang des martyrs qu'elle avait pu recueillir avec Ste Pudentienne au Colysée, et la table de marbre sur laquelle elle re­posait? N'est-ce pas aussi dans l'une de ses chapelles que l'on conserve la colonne à laquelle fut attaché le Sauveur pendant sa flagellation?

L'obscurité ne nous permet de rien distinguer à St-Martin-des-Monts. A Ste-Marie-des-Monts, où nous nous proposions de clore notre pèlerinage de la journée en visitant les reliques de S. Benoît-Labre, le grand pèlerin de France, le sermon que l'on donne nous empêche de réaliser notre projet. A 5 heures, nous rentrons à l'hôtel.

Au dîner du soir, nous apprenons avec bonheur que le Saint-Père nous admet à sa Messe dimanche, et que l'au­dience la suivra.

 

Mercredi 16. — Aujourd'hui a lieu la rentrée des Cham­bres italiennes. Le Parlement est situé sur la même place que notre hôtel. Nous voyons, avant notre départ, les préparatifs pour la réception du Roi, la place est occupée par la gendar­merie pour maintenir la foule. Comme nous ne sommes pas venus à Rome pour voir ce souverain, nous partons à l'heure accoutumée.

La variété la plus grande se trouvait dans le programme qui nous était assigné. Une chose cependant ne variait pas : le mauvais état des chemins à suivre pendant tout le trajet. Par la suite, nous n'avons pu visiter st-Paul-aux-trois-fontaines.

La première partie de la journée était pour la visite des mo­numents profanes, sauf le petit arrêt que nous avons fait à saint-Etienne-le-Rond, église originale et curieuse, d'une tonne ronde comme son nom l'indique, dans l'autel de la­quelle se trouvent les corps de St Prime et de Ste Félicité. Tout autour sont peintes les différentes espèces de martyre endurés par les chrétiens.

A quelque distance, les ruines colossales des thermes de Caracalla, aussi considérables que celles du Colysée. Comme elles représentent bien la puissance du génie des Romains !

Plus loin nous pénétrons dans un « columbarium », petit édi­fice dans lequel les anciens plaçaient les urnes renfermant les cendres de leurs morts. Quatre ou cinq cents petits enfonce­ments cintrés comme sont les trous des colombiers indi­quent l'endroit où elles étaient déposées.

Passant ensuite par la porte Saint-Sébastien, flanquée de deux grosses tours carrées et sans descendre à la chapelle ou S Pierre dit à Notre-Seigneur: "Domine, quo vadis? Seigneur, où allez-vous? ", nous arrivons aux Catacombes de S. Calixte.

Un enfant du diocèse, le R. P. Marie-Bernard, nous y fait l'accueil le plus gracieux. Nous nous partageons en deux groupes pour mieux voir, et visitons successivement la plus importante des galeries. Il faudrait des heures pour parcourir les cinq ou six étages dont la longueur totale est de 16 kilo­mètres et nous n'avons qu'une heure à y consacrer. Avec quelle rapidité cette heure s'écoule ! Comme nous chantons avec amour: « Omnes sancti Martyres, orate pro nobis, » en sortant de la chapelle de Ste Cécile, de celle des Papes mar­tyrs et de tous ces généreux chrétiens qui moururent pour le Christ ! Comme la foi s'affermit en contemplant les sacrements et les mystères peints sur les murs des chambres souterraines à l'origine du Christianisme!... Mais, passons.

Des Catacombes, nous allons à Saint-Sébastien vénérer le saint à son tombeau, l'une des flèches qui lui donna la mort et la colonne où il fut attaché. Là encore on conserve la pierre sur laquelle Notre-Seigneur a laissé l'empreinte de ses pieds, lors de son apparition au chef des Apôtres et la croix devant laquelle S Philippe de Néri venait souvent prier. Dans la cha­pelle papale, en descendant vingt marches, se trouvent le puits où les premiers chrétiens cachèrent les corps de S. Pierre et de S. Paul, et la place du siège sur lequel le pape S. Etienne Ier fut mis à mort.

Enfin pour terminer notre pèlerinage, la plus merveilleuse des surprises nous était réservée. Saint-Paul-hors-les-Murs avec ses cinq nefs, ses immenses colonnes, ses splendides mo­saïques à l'abside, ses superbes autels en malachite, ses por­traits des papes également en mosaïque et ses colossales sta­tues de S Pierre et de S. Paul, font sur tous nos esprits la plus profonde impression. Le cœur et la piété trouvent éga­lement leur compte dans cette visite : n'est-ce pas là que sont les reliques insignes des deux grands Apôtres et les chaînes de S Paul. Quand le portail sera terminé, l'extérieur ne sera pas moins imposant que l'intérieur, à en juger par l'atrium et les mosaïques incomparables qui tapissent les murs du portail.

Pour la première fois, depuis que nous sommes a Rome, nous rencontrons le Tibre avec ses eaux sales et fangeuses, lorsque nous revenons à notre domicile.

Jeudi 17 — Nous avions notre matinée libre. Chacun l'a employée suivant son bon plaisir. Pour ma part, malgré tous

ip, frais de rhétorique employés par notre guide pour nous convaincre qu'il valait mieux terminer par Saint-Pierre de Rome, je me suis rendu à la basilique, et je suis revenu bien convaincu que ce n'est pas deux ou trois fois qu'il faut la visi­ter. mais cent fois.

À midi nos visites de groupes ont recommence. Flanqués de huit agents de police en civil, deux en tête et deux en queue et les autres espacés le long du groupe pour nous épar­gner toute manifestation fâcheuse (dans nos courses en voiture, nous n'avions ordinairement que deux ou trois agents. Jamais nous n'avons eu besoin de leur intervention), nous avons fait nos cour­ses à pied, les monuments à visiter n'étant pas très éloignés les uns des autres.

Longeant les ruines imposantes du théâtre de Marcellus, qui ont servi de modèle au Colysée, nous arrivons au por­tique d'Octavie, et nous nous trouvons non plus dans le Ghetto où les Juifs étaient retirés, mais au milieu des décombres de ce quartier que l'on détruit.

Par des rues excessivement étroites et tortueuses, nous dé­bouchons auprès des anciens temples de la Fortune Virile (au­jourd'hui Ste Marie-l'Egyptienne), de Vesta (temple circulaire dédié à S. Etienne, patron des cochers de Rome), et nous nous trouvons en face du temple de Céres devenue l'église Ste Marie- in Cosmedin ou la Belle, qui mérite d'être vue. Sous le portique, la « bouche de la Vérité » dans laquelle les Romains plaçaient leur main pour affirmer la vérité. S'ils mentaient, la bouche se refermait, disait-on; mais on ajoutait aussi qu'il y avait plus de mains coupables que coupées dans la circonstance. Les colonnes de l'église proviennent en partie de l'ancien temple ; au fond de l'abside, se trouve une chaire sur laquelle S. Au­gustin se serait assis. Tout auprès, la chambre du bienheu­reux J. -B. de Rossi que nous n'avons pas visitée.

Le mont Palatin avec tous ses souvenirs et ses ruines nous retient pendant près de deux heures. De la grotte où se te­nait, dit l'histoire, la louve qui nourrit Romulus et Rémus, et passant devant le temple de Vesta, élevé à la place du figuier sous lequel elle les aurait allaités et qui sert aujourd'hui de sépulcre à S. Théodore, nous parcourons les immenses ruines du palais de Caligula, la charmante maison de Livie, mère de Tibère, avec ses fresques d'une fraîcheur incroyable, les diver­ses basiliques ou tribunaux des empereurs, puis nous redes­cendons à l'arc de Titus, au forum des empereurs, à celui des Romains, au collège des Vestales. Nous faisons un vrai cours d'histoire romaine que nous terminons à la place du Capitole et à la roche Tarpéïenne.

Nous rentrons ensuite au sein des plus touchants souvenirs du Christianisme. Quel horrible cachot que cette prison Mamertine où furent enfermés S. Pierre et S. Paul avec 47 autres prisonniers ! Avec quelle joie nous buvons de cette eau mira­culeuse que le chef des Apôtres fit sortir du rocher pour bap­tiser ses geôliers Processe et Martinien ! Là encore se trouve

la colonne à laquelle fut attaché l'Apôtre. Dans la chapelle supérieure, le peuple ne cesse devenir prier devant le Crucifix miraculeux qui s'y trouve.

Montant ensuite à l'église de l'Ara Coeli, nous vénérons les cendres de Ste Hélène et le Bambino ou statue miraculeuse de l'Enfant-Jésus, si chère aux Romains.

En terminant, nous nous rendons à l'église du Gesu, l'une des plus riches de Rome. Pour nous, on baisse la toile qui re­couvre le groupe merveilleux de richesse et de beauté qui représente l'apothéose de S. Ignace, que l'on ne découvre qu'aux grandes fêtes, et nous vénérons son corps. En face, nous allons prier S. François Xavier, l'apôtre des Indes dont le bras et la main sont exposés à nos hommages. Une visite à la chambre de S. Ignace met le complément aux pèlerinages de la journée.

Vendredi 18. — C'est la journée des artistes. Quelle magni­fique solennité que cette fête aujourd'hui célébrée de la Dédi­cace de la basilique de Saint-Pierre ! Ayant la bonne fortune de nous trouver à Rome, nous ne pouvons la laisser échapper.

Le cardinal Howard pontifiait à la grand'messe, et un arche­vêque aux vêpres. La grande maîtrise se faisait entendre dans la chapelle Clémentine. Quelles voix puissantes et harmo­nieuses comme basse, ténor ou soprano ! L'on était suspendu aux lèvres des artistes chantant les solos ou les duos. L'âme était saisie lorsque toute la maîtrise et les deux orgues, Munis­sant dans les forte, faisaient retentir l'immense basilique de leurs sublimes accords. A la fin de la messe et des vêpres, du haut de la tribune où sont conservées les Reliques majeures, trois bénédictions avec la vraie Croix, la lance et le linge dont se servit Ste Véronique pour essuyer la face du Sauveur, ont été données à l'assistance.

Entre les offices, notre temps a été consacre a visiter les musées du Vatican : celui peu considérable mais choisi des peintures de grands maîtres, et celui de sculpture, le plus beau et le plus précieux du monde entier ; enfin la chapelle Sixtine, décorée par Michel-Ange, et la bibliothèque superbe, surtout dans la partie nommée la grande Salle, où sont expo­sés quelques-uns des objets magnifiques offerts aux derniers papes par différents monarques.

N'avais-je pas raison d'appeler cette journée la journée des artistes en musique, en peinture et en statuaire?

Samedi 19 —Nous n'avions pu, mardi, vénérer la Crèche de l'Enfant Jésus à Ste-Marie-Majeure. Celte faveur est aujour­d'hui accordée aux cinq groupes du pèlerinage qui se dispersent ensuite aux quatre coins de la ville.

Nous faisons différentes stations en nous rendant a St-Pierre que nous devons étudier plus en détail. La première est à Ste-Marie-du-Transtevere érigée en 224 par le pape saint Calixte reconstruite comme presque toutes les églises de Rome au XVIIe siècle, et restaurée par Pie IX. Une multitude de reliques, venant du cimetière portant le nom du saint Pape, y sont conservées, ainsi que la pierre qu'on lui mit au cou en le jetant dans un puits, et la fontaine d'huile qui coula lors de la naissance du Sauveur.

Que dire de l'église Ste-Cécile? Le souvenir de la sainte dont est embaumé le sanctuaire qu'elle habita, et dans lequel elle repose, ne peut que réjouir le coeur des chrétiens. Ses vertus ne sont-elles pas aussi perpétuées par les deux com­munautés de Clarisses et de Bénédictines, qui redisent après elle la gloire du Très-Haut? Mardi prochain, fête de la sainte, tous les artistes de Rome se donneront rendez-vous autour de son glorieux sépulcre.

Passant de là près du couvent qu'habita S. François d'As­sise, nous ne pouvions omettre de visiter sa chambre, et les reliques insignes de tous les bienheureux de l'ordre Séraphique que l'on y conserve.

Nous gravissons ensuite le mont Janicule. Sur cette mon­tagne S. Pierre fut crucifié ; nous nous prosternons auprès du trou béant dans lequel fut plantée sa croix, et après un coup d'oeil rapide sur le magnifique panorama de Rome et une visite à la superbe fontaine Pauline, près de laquelle se trouve la porte Saint-Pancrace par laquelle les Français entrèrent à Rome en 1849, nous arrivons à Saint-Pierre.

Je n'en ferai aucun détail. Tout le monde connaît la pre­mière église du monde catholique. Nous nous arrêtons quel­ques minutes à chaque chef-d'oeuvre qu'elle renferme, et nous descendons à la Confession pour rendre aux apôtres S. Pierre et S. Paul l'hommage que leur doit toute âme chrétienne. Qu'ils soient toujours nos guides dans la foi, et nos modèles dans la vertu !

Après Saint-Pierre, nous n'avions plus qu'à terminer nos courses. Nous nous contentons donc, après avoir longé le châ­teau et franchi le pont Saint-Ange, d'entrer au couvent et à l'église Saint-Onuphre pour visiter la chambre et le tombeau du Tasse, de voir rapidement la superbe cour carrée de la chancellerie romaine où fut assassiné Rossi, le palais Farnèse habité par l'ambassadeur de France auprès du Quirinal et par notre consul, et nous rentrons. Nos visites avec l'inter­prète sont terminées. Chacun les complétera suivant ses goûts.

Dimanche 20. — C'est l'âme remplie de la plus vive émotion que nous rentrons de l'audience du Saint-Père. Quels moments précieux nous avons passés pendant cette matinée inoubliable du 20 novembre 1887 !

A 7 heures 1/2, nous étions tous dans la chapelle pontifi­cale. Nosseigneurs de Coutances, de Nantes, de Séez et de Vannes avaient pris place dans le sanctuaire. Lorsqu'à 8 heures Léon XIII a fait son entrée, nous sommes tombés à genoux et il nous a bénis. Qu'il était beau à voir ce saint vieillard, faisant dans le sanctuaire sa préparation ! Et lorsqu'il a eu gravi les degrés de l'autel, avec quelle piété il a célébré la sainte messe, et surtout avec quelle onction pénétrante il a récité les prières qui la suivent ! Oui, c'était avec attendrissement que nous, petite partie de son troupeau, nous l'entendions réciter l'Evan­gile : Nolite timere, pusillus grex. — Quelle crainte avoir, lors­qu'on est appuyé sur le roc de saint Pierre, et lorsqu'on est guidé par le Pontife de Rome ?

Après la messe d'action de grâces, l'audience commence par le pèlerinage de Coutances. Celui de Bayeux vient ensuite, et nous sommes suivis par les pèlerins de Nantes.

Les larmes viennent aux yeux en pensant à la douce effusion avec laquelle le Saint Père nous reçoit. Il nous parle à tous et non content de nous permettre de baiser son pied, il nous prend la main, dit à chacun une parole tout à fait paternelle, puis nous nous relirons avec sa bénédiction et en emportant comme souvenir une médaille qu'il nous fait aussitôt remettre.

En nous introduisant, M. l'abbé Révérony avait remis au Souverain Pontife l'offrande du diocèse, lui exprimant le re­gret qu'avait éprouvé Mgr Hugonin de n'avoir pu, à cause de sa santé, venir avec ses diocésains présenter au successeur de Pierre ses hommages, ceux de son Chapitre, du clergé et de tous les fidèles qui lui sont confiés. Au nom de Sa Grandeur, M. le Vicaire général a prié le Saint Père d'étendre ses béné­dictions sur les absents qui nous accompagnent de leurs voeux, et en particulier sur tous les enfants qui fréquentent les écoles chrétiennes.

A la vue du Rochet, Léon XIII l'a pris dans ses mains, a examiné l'une après l'autre les armoiries des villes, et se tour­nant vers ceux qui l'entouraient, il a recommandé par trois fois de donner à cette magnifique oeuvre d'art une place d'hon­neur dans l'Exposition vaticane, et de réserver une vitrine spé­ciale pour la renfermer.

Lorsque le défilé des dames et du clergé a été terminé, M. Félix Benoît, ancien magistrat ", et président des Œuvres ouvrières, s'est approché du trône pontifical :

« Très Saint Père, a-t-il dit, les Œuvres ouvrières de la ville de Caen, du diocèse de Bayeux, m'ont confié la pieuse mission et délégué l'insigne honneur de déposer aux pieds de Votre Sainteté les modestes présents qui sont le produit du travail des différents corps de métier.

Parmi ces humbles offrandes de l'industrie chrétienne, nos ouvriers vous prient, Très Saint Père, de daigner agréer l'hom­mage d'un livre imprimé par la corporation des typographes et dédié à Votre Sainteté.

Ce livre renferme le compte-rendu de l'état de nos Œuvres ouvrières et le texte d'une Conférence faite à Caen par M. Chesnelong, sénateur, pour favoriser le développement des Ecoles libres catholiques et des Institutions corporatives établies dans notre Diocèse depuis quelques années.

Nos Œuvres d'enseignement et de travail s'unissent, se pros­ternent aux pieds de Votre Sainteté et, humblement, elles osent solliciter pour leurs efforts une bénédiction pour leurs entreprises. »

Après avoir feuilleté le superbe volume (ce volume sort des presses de l'imprimerie de Mme veuve Domin, c'est un chef-d'oeuvre de typographie) qui lui était offert, le Souverain Pontife a répondu qu'il était tout particulièrement, touché de cette offrande des ouvriers, et surtout du choix que l'on avait fait d'un discours de M. Chesnelong ; qu'il bénissait les Œuvres et tous ceux qui s'en occupaient.

Là se termine notre audience à laquelle assistaient les Evêques dont nous avons parlé.

Pour clore dignement cette journée à jamais mémorable, Mgr de Coutances nous a tous réunis le soir dans l'église St-Eustache. Le moment n'était-il pas propice pour nous re­dire à tous « quelle foi vive nous devions avoir en un pontife si docte et si zélé — quelle confiance dans sa sagesse et son bon droit — quel amour pour celui dont la bonté nous a paru si grande, et dont la sainteté doit nous porter au bien. » Mgr l'Evêque de Séez a donné ensuite la bénédiction du Très- Saint Sacrement, en présence de Mgr Bécel, qui avait assisté à cette touchante réunion.

Une seule chose manquait à la cérémonie de ce matin : un beau soleil pour fêter notre entrée au Vatican. La pluie n'a pas cessé de tomber jusqu'à midi. Estimons-nous cependant heu­reux ; tous les autres jours de la semaine nous avons eu un temps relativement beau, avec une chaleur un peu humide, mais sans pluie.

Demain nous partons pour Pompéï et Naples. — Le nombre de ceux qui restent à Rome pendant ces deux jours est très minime. Personne n'y reste par maladie ; les santés sont ex­cellentes.

Veuillez agréer, cher Monsieur le Directeur, l'assurance de mon entier dévouement.

Quatrième lettre

Nice, le 28 novembre 1887.

Cher Monsieur le Directeur,

Lundi 21. — A partir d'aujourd'hui lundi, nous commen­çons à décompter les jours de notre pèlerinage.

Hier, nous étions au sommet de cette montagne sainte qui aboutit au Vatican. Nous avions mis 13 jours à la gravir, ne quittant point des yeux ce nouveau Thabor. Pendant les 13 jours qui nous restent, souvent, par la pensée, nous nous y re­porterons, n'ayant pu, comme les Apôtres, y fixer notre tente.

Nous traversons en ce moment le pays de S. Thomas. Nous sommes à Aquin lorsque je commence mon compte-rendu de la journée. Nous n'arrêtons pas, et quelques minutes plus tard, aux pieds du Mont-Cassin nous avons juste le temps de contempler l'immense monastère de S. Benoît, les belles ruines de l'amphithéâtre, le superbe paysage que présente la ville et les montagnes voisines.

Plus nous descendons vers le midi de l'Italie, plus le temps est froid et pluvieux. Bien que nous soyons au payes de l'amandier et de l'oranger, nous nous croirions à l'un des jours d'automne de notre Normandie.

Sous une pluie battante, nous parcourons pendant deux heures les rues fort curieuses de Pompéï, visitant les maisons retrouvant çà et là les enseignes et les ustensiles des diverses professions de sculpteurs, boulangers, marchands de vin, pharmaciens de cette cité détruite. Les colonnes des temples et des palais, les fresques nombreuses et bien conservées le confortable des thermes ou salles de bains, l'amphithéâtre, attestent l'opulence des anciens habitants. Le musée qui se trouve à l'entrée est également curieux a voir.

Vers 3 heures, le ciel commence à s'éclaircir. Le Vésuve envoie sa fumée dans notre direction. A celte vue, notre guide nous promet beau temps pour demain. Est-ce pour nous consoler ? Nous aimons mieux penser le contraire et, confiants dans ce pronostic, nous nous dirigeons vers Naples.

Mardi 22. Au début de la journée, nous avons cru que notre cicérone avait raison. Par une chaleur de 18 degrés nous nous mettons en route à 10 heures du matin.

Nous ne devons à peu près rien visiter Après deux ou trois minutes d'arrêt devant le palais royal et l'église St-François-de-Paul avec ses colonnades copiées sur St-Pierre de Rome et une course assez longue dans la belle et commerçante rue de Rome, rendue si pittoresque par tous ces attelages aux boutons argentés ou dorés, nous arrivons par diverses autres petites rues à l'église cathédrale de St-Janvier, de style ogival.

Tous les groupes étant réunis, le nombre des visiteurs en­lève une grande partie de l'intérêt que nous pourrions trouver à vénérer tranquillement les reliques du Saint, et a contem­plé les chapelles ou les peintures. Il en est de même au mo­nastère de San-Martino, si admirablement place sur une haute colline dominant toute la ville.

Quel beau coup d'œil nous avions aussi en redescendant les lacets de cette montagne ! Nous jouissions avec délices de a vue du golfe et de la ville bâtie en amphithéâtre, lorsque le pluie a de nouveau fait son apparition. Elle ne nous a pas ce­pendant empêchés d'aller aux grottes de Pausilippe avant le repas qui précède notre départ. A minuit, nous étions de re­tour à Rome, médiocrement édifiés de la propreté des Napo­litains.

Mercredi 23. Notre dernière journée à Rome a été saluée par un soleil radieux. Nous avons eu un vrai jour d'été avec 15 et 16 degrés de chaleur pour faire nos promenades parti­culières. La seule visite générale a été à la galerie Borghèse, si riche en tableaux de grands maîtres.

Libre de mon temps, j'avais désir de faire deux pèlerinages chers à tout cœur français et chrétien et que nous avions été obligés d'omettre. Plusieurs ensemble, nous nous sommes rendus à la Madone des Monts, au tombeau de saint B.-J. Labre et à la chambre si remplie de souvenirs et de reliques, où il rendit à Dieu l'âme qu'il en avait reçue.

Au commencement de l'après-midi, nous étions, à St-Paul-Trois-Fontaines, reçus à bras ouverts par l'un de nos compa­triotes le bon Père Ernest, mieux connu des Caennais sous le nom de Liégard. Lui-même s'est fait notre cicérone aux trois sanctuaires de l'abbaye : à la Scala Coeli, où saint Bernard vit, pendant la sainte Messe les âmes du Purgatoire monter aux cieux ; (là se trouve également la dernière prison de saint Paul et l'entrée de la catacombe renfermant les corps de saint Zénon et des 10, 000 chrétiens mis à mort sous Dioclétien) ; — à l'église de St-Paul-Trois-Fontaines où le grand apôtre fut décapité sur la pierre milliaire laissée à la même place et au pied de laquelle jaillirent trois fontaines à l'endroit où sa tête bondit par trois fois ; — enfin, à l'église du monastère, si simple dans son architecture, mais offrant aussi à la vénération des pèlerins les corps de saint Vincent et de saint Anastase, et le portrait miraculeux de la tête de ce dernier, qui servit à confondre les Iconoclastes au deuxième Concile de Nicée en faisant des mi­racles. Après une courte visite à la salie du Chapitre, autrefois présidé parle célèbre abbé de Clairvaux, au vieux cloître et au réfectoire, nous revenons à Rome pour passer notre der­nière soirée.

Elle a été charmante. Nous avions été invités à la passer chez Mgr Marini, camérier secret et intime du Souverain Pontife. Des artistes romains et un chœur de jeunes filles ont exécuté plusieurs morceaux de grands maîtres, et nous ont donné les prémices d'une hymne au Saint-Père, que nous avons fort applaudie.

Jusqu'ici, Léon XIII nous avait traités en enfants de prédi­lection. Avant que nous nous séparions, il porte la tendresse jusqu'à la gâterie. Non content de nous envoyer ses vœux et une nouvelle bénédiction, il nous a fait tenir à ce moment un plateau de gâteaux et du vin. Mille actions de grâces lui soient rendues.

Quant à Mgr Germain qui nous a valu toutes ces attentions et procuré tant de douces émotions, nous lui avons remis cette adresse couverte de toutes nos signatures :

A Sa Grandeur Monseigneur Abel Germain, Evêque de Coutances et Avranches
Monseigneur,
Sur le point de quitter Rome, les pèlerins des diocèses de Coutances et de Bayeux éprouvent le besoin d'exprimer à Votre Grandeur leur profonde gratitude.
grâce à vous qu'ils ont pu, à l'occasion du Jubilé sacerdotal de Sa Sainteté Léon XIII, déposer aux pieds de l'illustre Pontife qui gouverne si glorieusement l'Eglise, l'hom­mage de leur vénération et de leur amour filial et recevoir du Vicaire de Jésus-Christ des faveurs très rarement accordées.
C'est grâce à vous qu'il leur a été donné de retremper leur foi et leur piété, à la vue de ces lieux arrosés du sang de tant de martyrs, dans ces sanctuaires augustes de Rome, second berceau du Christianisme, et dans cette maison bénie de Lorette où s'est accompli le mystère de l'Incarnation.
Tous, prêtres et fidèles, garderont précieusement le souve­nir de ces jours heureux, si vite écoulés, pendant lesquels vous avez été leur guide et leur exemple.
Daignez agréer, Monseigneur, l'hommage de leur très respectueuse et inaltérable reconnaissance.
Rome, le 23 Novembre 1887.

Jeudi 24. — Nous quittons Rome à 0 heures du matin. Que de choses nous n'avons pas vues et combien d'autres nous désirerions revoir ! Mais il ne saurait y avoir de bonheur par­fait ni de satisfactions complètes ici-bas ; nous repartons à petites journées pour notre beau pays de Normandie.

Notre premier pèlerinage au retour a été pour Assise, à St-François et à Ste-Claire; nous gravissons en voiture la colline pittoresque sur laquelle la ville est bâtie, pour visiter successivement les trois églises superposées des Pères Con­ventuels et vénérer le tombeau de St-François, la bénédiction écrite de sa main et les linges qui lui servirent pendant sa dernière maladie, puis le voile de la Très Sainte Vierge et la croix donnée par S. Louis à S. Bonaventure.

Continuant à pied notre ascension, nous nous rendons au tombeau de la fondatrice des Clarisses. Comme Ste Catherine de Bologne, elle est exposée à la vue des visiteurs ; seulement, la vitrine qui l'entoure, en empêche le contact.

Revenant ensuite sur nos pas, à l'église bâtie sur la maison de S. François, nous prions dans le sanctuaire où tut sa cham­bre, et traversant une petite chapelle ayant pour portes celles de la maison du bienheureux, nous venons nous prosterner près de la grotte où son père l'avait enfermé après la vision de Notre-Seigneur.

Près de la gare, la vaste église de la Portioncule nous rap­pelle les grandes phases de la vie du saint patriarche : sa vision de N. -D. des Anges, dans la petite chapelle conservée sous le dôme de la nouvelle, sa tentation dans le plan de rosiers toujours conservé, sa mort dans la chambre égale­ment placée dans l'église.

Au point de vue architectural, le plus remarquable de ces différents sanctuaires est sans contredit la première basilique, en beau style du XIIIe siècle, avec des fresques sur les murs, rappelant toute la vie de saint François. Un dernier souvenir s'y rattache: là se trouve la chaire dans laquelle prêcha saint Bernardin de Sienne.

Tout émus de ces souvenirs, nous remontons dans le train pour n'arriver à Florence qu'à 9 heures 45. Le dîner nous at­tend et il est temps ensuite de prendre un repos bien mérité.

Vendredi 25. — Malgré un temps détestable, Florence la belle nous paraît, comparativement aux autres villes de l'Italie, justifier son nom. Son aspect de propreté, ses rues bien pavées ses trottoirs, la bonne tenue t'es habitants font sur tous nos esprits un contraste que personne ne peut s'empêcher de constater.

Comme toujours, la visite des églises occupe la plus grande place dans les différentes stations du voyage. Ce n'est plus le même style que nous rencontrons. L'ogive plaît davantage aux florentins. Sauf l'Annonciation, les marbres, les dorures sont relégués au second plan. Tout l'ensemble est plus sévère et se rapproche davantage de nos belles églises normandes gothiques. Ainsi à Santa-Maria-Novella, à la Cathédrale et Santa-Croce, la même idée, avec des modifications sensibles des architectes. Tandis que l'une, par exemple la Cathédrale, aura des voûtes comme les nôtres, avec des rosaces pour éclairer la nef, Sainte-Croix laissera voir les poutres et les chevrons de la charpente; les fenêtres de la nef seront à lancettes. Il est une autre merveille que nous n'avons rencontrée qu a Florence : ce sont d'immenses portes en bronze d'un travail fini, avec des sujets admirablement représentés. A San Lorenzo, elles nous donneront toute la vie de saint Laurent, au baptistère octogonal de Saint-Jean-Baptiste, celle que Michel-Ange appelait la Porte du Paradis, tellement elle l'avait frappé, rappellera les scènes de l'Ancien Testament, une autre, la vie du Sauveur, une troisième avec un encadrement superbe en bronze, celle de saint Jean-Baptiste.

Peu de villes ont autant de vitraux anciens et si bien con­serves. — Les quatre verrières du bas de la Cathédrale sont en mosaïque de verre d'un travail plus récent.

L effet est saisissant lorsqu'on est en face du portail de ce dernier monument. La richesse et la variété de ses marbres, les mosaïques qui décorent la façade éblouissent les yeux, et procurent au visiteur une sorte de désillusion lorsqu'il pénètre à l'intérieur aussi sobre que l'extérieur est brillant. Nous pouvons cependant nous empêcher d'admirer la superbe coupole de laquelle Michel-Ange disait: « Il est difficile de faire aussi bien, il est impossible de faire mieux. » Elle est octogonale et précède immédiatement l'abside. Il n'y a point de chœur.

Comme souvenirs de Sainte-Croix qui est le Panthéon de Florence, nous signalerons seulement les monuments élevés à Michel-Ange, au Dante, à Machiavel, à Donatello, le célèbre sculpteur florentin, le tombeau de Galilée, et la belle chaire en marbre du XIVe siècle.

A San-Lorenzo, lieu de sépulture des Médicis, nous ne pouvons visiter la nouvelle sacristie renfermant leurs tombeaux ; peut-être demain serons-nous plus heureux. Deux magnifiques chaires en bronze avec sculptures de Donatello, représentant la vie de Notre-Seigneur, se trouvent dans l'église. Le portail sans fenêtres de ce monument est très ancien. Les arcades sont en plein-cintre avec des voûtes plates.

Après ces visites, et malgré la pluie, les uns se rendent aux environs de la ville pour jouir de son panorama, les autres se dispersent dans les musées. Demain, nous en reparlerons.

Samedi 26. — Les musées de Florence sont sans contredit les plus beaux de l'Italie. Nous ne devions partir qu'à 2 heures : notre matinée a été consacrée à la visite du palais des Uffizi et du palais Pitti. Impossible de dépeindre toutes les merveilles de peinture exposées dans ces musées. Tous les grands artistes des nations de l'Europe y sont dignement représentés : chaque école a une ou deux salles particulières.

Ainsi en est-il encore à l'Académie des beaux-arts, que plu­sieurs pèlerins ont parcourue, pour y admirer les tableaux religieux qui sont en grande majorité. Fra Angelico y a élu domicile, comme Raphaël, Michel-Ange, Véronèse, Rubens et une multitude d'autres au musée Pitti.

Le musée national, bien qu'il soit moins riche que celui du Vatican, ne laisse pas d'être fort curieux. Ils se complètent mutuellement. Les magnifiques collections d'armes, de faïences, d'ivoires et de tapisseries demanderaient une étude beaucoup plus prolongée que celle que nous avons pu leur consacrer.

Notre dernière visite a été pour la chapelle des Médicis et les tombeaux sculptés par Michel-Ange. Ceux-ci sont restés inachevés, mais la première jouit d'une réputation que lui ont justement value la richesse et la variété de ses marbres.

En quittant Florence, l'horizon qui s'est développé au regard de ceux qui n'ont pu se rendre à la Promenade favo­rite des Florentins et à la place Michel-Ange, leur a fait un peu oublier leur chagrin.

A 4 heures et demie nous étions à Pise, ayant juste le temps de traverser la ville à pied ou en tramway pour en avoir une idée. L'impression n'a pas été mauvaise. Comme ce soir tous les pèlerins de Bayeux étaient logés au même hôtel, nous en avons profité pour offrir à notre vénérable président, M. Révérony, un petit souvenir de notre pèlerinage. En lui remettant une mosaïque représentant Saint-Pierre de Rome, M. le pré­sident Hain s'est fait l'interprète de tous r. os sentiments de vive gratitude. Après y avoir répondu avec la simplicité, l'à- propos et le cœur qui le caractérisent, M. le Doyen a porté un toast au Pontife Suprême, à Mgr l'Evêque de Bayeux, à toutes les personnes présentes, à leurs familles et à leurs paroisses, et nous nous sommes séparés heureux de cette union des esprits et des cœurs qui n'a cessé de tous nous animer.

Dimanche 27. — Hier et aujourd'hui, nous avons eu deux magnifiques journées d'été. — Le temps très clair nous a permis de jouir d'une superbe vue, du haut de la tour penchée de Pise.

Monseigneur de Coutances a célébré la sainte Messe à la cathédrale, le plus beau monument religieux que nous ayons rencontré avec Saint-Pierre de Rome et les cathédrales de Milan et de Venise.

Située à l'extrémité de la ville opposée à la gare, le long des fortifications, elle forme avec le baptistère qui se trouve en face du portail et le célèbre Campanile placé à l'abside, un tout fort remarquable par l'harmonie qui règne dans le style et dans les proportions. Signalons seulement au baptistère la chaire du XIII« siècle par Nicolas de Pise, et à la cathédrale, les magnifiques portes en bronze, les mosaïques des absides, l'autel, les marqueteries des stalles, les bronzes nombreux de J. de Bologne et les tableaux d'Andréa del Sarto, enfin les mar­ches en marbre si finement sculptées de la chaire.

Tout près de ces monuments, le Campo Santo, consacré par les Pisans aux grands hommes de leur cité, est plus remar­quable par ses galeries, elles-mêmes si élégantes, que par les peintures, très détériorées, et les tombeaux ou les statues dis­poses le long des portiques.

L'Arno, qui traverse la ville, coulait hier à pleins bords ; ce matin, il était moins élevé. Certaines campagnes étaient cepen­dant encore couvertes d'eau lorsque nous les avons traversées pour gagner Gênes. Depuis près de deux mois, parait-il, la pluie n'avait cessé de tomber.

Quel singulier trajet en chemin de fer avons-nous fait cette après-midi, depuis la Spezia jusqu'à Gênes ! Pendant plus de deux heures, nous n'avons cessé de passer d'un tunnel sous un autre, avec de courtes et charmantes échappées sur la Méditerranée. Elles sont bien loin cependant de valoir celles de la Suisse, et de procurer les mêmes émotions.

Enfin, pour terminer mon récit du jour, l'impression qui reste de la manière de sanctifier le dimanche, en Italie, est celle-ci : nos offices français et bayeusains portent infiniment plus à la piété et au recueillement et sont aussi fréquentés, s ils ne le sont pas davantage. Par contre, nous avons remar­que- moins de travailleurs, et surtout une plus grande sobriété que dans notre pays de Normandie.

Lundi 28. — Les deux grandes curiosités de Gênes sont le Campo-Santo et la promenade de la Circonvallation. Nous ne pouvions manquer de faire notre pèlerinage au premier, pour nous rendre compte de sa réputation. Assurément, elle est méritée ; la statuaire s'y étale dans toute sa beauté. Mais n'y a-t-il pas un peu d'ostentation à vouloir être ainsi rangé sous ces galeries qui réclament de superbes mausolées? La simplicité qui disperse à Milan les magnifiques monuments funèbres à travers le cimetière, me paraît porter le cachet d'une douleur plus vraie.

La cathédrale n'a rien de remarquable, pas plus que les autres églises. Les beaux palais sont nombreux. La rue de Rome, la galerie Mancini, la place Victor-Emmanuel, sont intéressantes à voir, mais c'est avec une satisfaction plus grande que du haut des Cours qui dominent la ville, nous contemplons la cité et les nombreux vaisseaux entassés dans son port.

Dans toutes ces Promenades le temps s'écoule avec rapidité ; nous n'avons que le temps de regagner nos hôtels pour prendre nos bagages et partir.

La même série de tunnels nous attend, au grand désespoir des lecteurs et des écrivains. Cependant les éclaircies plus longues et plus nombreuses sur les montagnes et les villages avec leurs clochers élevés et couronnés uniformément de dômes, nous procurent une jouissance plus grande qu'hier. Les orangers couverts de leurs fruits, les oliviers avec leur verdure payent la campagne. A gauche de la ligne, la mer azurée, les barques, les voiliers venant s'abriter dans les nom­breux petits ports delà côte que nous traversons sont d'un magnifique coup d'œil.

A 4 heures et demie, nous étions en France. La douane faisait l'inspection de nos bagages à Vintimille et nous nous dirigions vers Nice.

Entre ces deux stations, la plage, que nous n'avons pas quittée un seul instant, avait un aspect féerique. Toutes ces lumières qui s'étageaient le long des collines ou sur le bord de la mer à Menton, à Monte-Carlo, à Monaco, étaient char­mantes à voir. En quittant cette dernière gare, un accident qui aurait pu avoir des suites plus graves, est arrivé au contrô­leur des billets. Pendant qu'il passait d'un compartiment à l'autre, le train en marche, la portière à laquelle il se trouvait s'est ouverte et refermée brusquement, et lui a cassé le bras.

Par une soirée superbe et un magnifique clair de lune, nous avons parcouru la ville avec ses quais et ses boulevards. Si tous les agréments imaginables suffisaient pour rendre la santé aux malades qui viennent y séjourner l'hiver, il n'y aurait point de deuils dans les familles, car c'est un véritable paradis de délices. Demain matin, nous en repartirons dès 7 heures.

Comme nous serons de retour presque au moment où ces lignes paraîtront, il est inutile de continuer davantage une correspondance qui ne pouvait avoir d'intérêt que par l'éloignement des personnes connues ou aimées qui faisaient partie de ce lointain pèlerinage. Elles pourront compléter de vive- voix les renseignements que j'ai certainement omis en grand nombre. J'ai fait un résumé de mes impressions, elles ont con­signé les leurs. En les comparant, une plus grande lumière jaillira dans leur esprit, et leur permettra de mieux faire com­prendre que je ne l'ai fait, aux personnes qui les entourent, les joies d'un voyage si riche en souvenirs et si consolant pour toute âme chrétienne.

Je termine, cher Monsieur le Directeur, en vous signalant un bruit qui circule dans le train : M. l'abbé Révérony aurait été nommé chanoine de la basilique de Lorette.

Demain, nous serons à Marseille. Mercredi, nous prierons Notre-Dame de Fourvières, à Lyon, de nous bénir et de bénir la France. Après un très court séjour à Paris, nous rentrerons samedi au milieu des nôtres.

En attendant le plaisir de vous revoir, je vous prie, cher Monsieur le Directeur, de me croire toujours tout à vous d'es­prit et de cœur,

L. Huet, Vicaire de Saint-Étienne de Caen.

Un dernier écho du pèlerinage de Bayeux à Rome

Je pensais avoir terminé mon récit du pèlerinage en mettant le pied sur le sol de France. Quelques bienveillantes réclama­tions m'ont demandé de le continuer jusqu'à notre séparation définitive. Je le ferai brièvement, après une rectification et deux réponses à des questions posées par des personnes étrangères au pèlerinage.

Tout d'abord c'est à tort que le titre de sainte a été donné, dans la seconde lettre, à Françoise de Rimini. L'immortalité dont elle est en partie redevable au poème du Dante et à la tragédie de Silvio Pellico lui est plus que suffisante.

Quelqu'un nous a ensuite demandé s'il était possible aux 70 ou 80 prêtres du pèlerinage de célébrer chaque jour la sainte Messe ? — En voyage, lorsque le départ n'était pas trop matinal, ils ont toujours eu ce bonheur. A Rome, ils avaient toute facilité d'offrir le Saint Sacrifice dans l'une des églises si nombreuses qui entouraient les hôtels où ils étaient descen­dus. Nous n'avons rien dit, dans nos lettres, de ces églises du centre de la ville que nous voyions chaque jour et que nous n'avons pas visitées en groupes. De ce nombre sont : la Minerve, St-Augustin, St-Sylvestre, Ste- Marie in Aquiro, etc... Le Panthéon était aussi un des monuments devant lequel nous passions souvent. Presque tous sont aussi allés, au moins une fois, célé­brer la Messe à Saint-Pierre, et dans les sanctuaires les plus en honneur, comme sont les tombeaux ou les chambres de S. Ignace, de S. Louis de Gonzague, de S. B. -J. Labre, du bienheureux Berchmans, etc.

La dernière question qui nous a été faite est celle-ci : Dans quel état sont les corps de S. Charles, de Ste Catherine, de Ste Claire, du bienheureux Crispini, que vous avez contemplés? — A l'exception de ce dernier, qui est mort il y a un siècle et demi et dont la chair a gardé sa blancheur, les autres sont un peu momifiés, d'une couleur presque noire. Seule, comme nous l'avons déjà dit, la Ste Bolonaise porte une tache blan­che sur son visage, à l'endroit où le divin Enfant-Jésus lui donna un baiser.

Hâtons-nous maintenant de terminer le récit de notre pèle­rinage.

Nous ne croyions pas rencontrer de plus charmants rivages que ceux des lacs de la Suisse. La baie d'Antibes, la ville de Cannes et les autres stations d'hiver échelonnées depuis Nice jusqu'à Fréjus sur les bords de la Méditerranée, nous auraient procuré une satisfaction aussi vive, si nous n'étions un peu blasés avec les merveilles de la nature. La jouissance a cepen­dant été grande.

A Marseille, rendez vous nous était donné pour 3 heures et demie à Notre-Dame de la Garde. Par un chemin montant, ro­cailleux, malaisé, faisant de petits arrêts pour nous reposer et jouir du splendide panorama de la ville, nous parvenons au sanctuaire béni.

Que la Vierge nous garde, comme son titre l'indique ; qu'elle garde Notre Pontife Suprême, l'Eglise, la France avec ses gloires et son caractère, la Normandie avec ses traditions de foi, telle a été l'allocution de Sa Grandeur Mgr Germain, avant la bénédiction solennelle du Très Saint Sacrement. Soutenus et protégés par Celle que nous saluons dans nos différents diocèses sous le vocable de N. -D. de La Délivrande, de N.-D.-sur-Vire et de l'Immaculée-Conception, notre vie sera sainte, notre route sans écueil, Jésus sera notre partage dans le temps et dans l'éternité.

La Cannebière était dans tout son éclat lorsque nous som­mes redescendus de la colline. Fidèles à leur tradition, les Marseillais encombraient la rue et les vastes trottoirs, jouis­sant seuls dans la cité du privilège de l'éclairage à l'électri­cité.     ..

Dès 6 heures du matin, mercredi, nous quittions Marseille par un temps aussi triste que la presque totalité des pays que nous avons traversés. Le palais des Papes à Avignon et le châ­teau du roi René à Tarascon, sont les deux principales curio­sités que nous ayons aperçues en passant dans le train.

Pour la dernière fois, les pèlerins de Bayeux se trouvaient réunis, le soir, au grand Hôtel Continental Collet, pour parta­ger leurs agapes fraternelles et prendre leur repos. Le moment était venu de témoigner à M. l'abbé Legoux, Vicaire général de Coutances, qui s'était tout entier dépensé, depuis plusieurs mois, à l'organisation du pèlerinage, notre sincère gratitude.

C'est donc aux applaudissements de tous que M. l'abbé Révérony nous donne lecture de l'Adresse que nous devons tous signer, et de laquelle je ne détacherai qu'une phrase ré­sumant nos pensées :

« Qu'il soit permis aux pèlerins du diocèse de Bayeux, Mon­sieur et vénéré Directeur, de vous dire que parmi les souve­nirs de pèlerinage dans lequel Monseigneur de Coutances leur a fait un si gracieux accueil, ils conserveront comme un des plus précieux, celui du dévouement aimable autant qu'infati­gable, du zèle délicat autant que généreux qui leur a procuré de si ravissantes, de si pieuses jouissances. — Que Dieu vous conserve longtemps des forces si largement dépensées pour sa gloire!.... »

Il ne nous restait plus qu'à chanter le Magnificat d'action de grâces. C'est à Fourvières que Mgr l'Evêque de Coutances, empruntant les paroles de la Vierge Marie, a glorifié Dieu de l'assistance particulière qu'il n'avait cessé de nous accorder. Gloire à Dieu qui nous a conduits comme par la main, de l'église du Sacré-Cœur aux tombeaux de S. Charles et de S. Ambroise à Milan, à S. Marc de Venise, à S. Antoine de Padoue, puis aux pieds de Ste Catherine de Bologne, enfin dans cette mai­son bénie de Lorette, témoin de l'Incarnation du Verbe! — Gloire à Dieu, nous permettant de parcourir la Ville Eternelle, ses sanctuaires, son Colysée, ses Catacombes, et de nous prosterner aux pieds du Pontife qui règne au Vatican!—Enfin, gloire à Dieu qui de Rome nous réunit à Fourvières après avoir vénéré S. François et Ste Catherine, Ste Madeleine et la Vierge de la Garde ! Reconnaissance et amour ; soyons chré­tiens et catholiques : tout se trouve résumé dans ces mots.

Après avoir été admis à visiter la nouvelle chapelle de Four­vières et la crypte dont les sculptures et les peintures laissent déjà entrevoir la future magnificence, nous reprenons le che­min de fer funiculaire pour rentrer dans la ville.

Pourquoi faut-il que le temps soit si court, et nous empêche d'aller aux pèlerinages si chers aux Lyonnais : à St-Irénée, à St-Pothin et à Ste-Blandine ! Les seuls souvenirs qui resteront gravés dans notre esprit de notre passage à Lyon seront, avec le panorama splendide de la ville, la Cathédrale, la place Bellecour et deux ou trois belles rues que nous avons eu l'occa­sion de traverser.

Vers 10 heures et demie, nous nous mettions en route pour Paris. Les belles plaines fécondées par la Saône, les vignobles les plus renommés de la Bourgogne se succèdent rapidement à nos yeux. Nous franchissons les gares et les villes; à 6 heures et demie, nous dînons au buffet de Tonnerre ; vers 1 heure du matin, nous arrivons enfin à Paris.

A partir de ce moment, la dispersion des pèlerins com­mence. Quelques-uns, plus pressés de rentrer, partent dès le vendredi. Les autres attendent le départ du groupe fixé au samedi matin pour jouir de la réduction promise par la Com­pagnie de l'Ouest, et pour satisfaire leur piété. — La matin du vendredi, sans que le mot d'ordre ait été donné, une grande partie des prêtres et des laïques du pèlerinage se rencontrèrent aux pieds du Sacré-Cœur à Montmartre : les premiers pour y célébrer la sainte Messe, les seconds pour y communier, tous pour se donner à Jésus et lui confier leurs intérêts les plus chers.

Combien, dans l'après-midi, ne sont pas venus également à Notre-Dame des Victoires ! Comme aux deux précédents sanc­tuaires de la Vierge bénie, nous n'y étions pas réunis tous en­semble, mais nous lui avons formé une garde d'honneur se relevant d'heure en heure. Puissions-nous toujours être ses bons et loyaux serviteurs !

Aujourd'hui samedi, le train express de Paris rendait tous les pèlerins à leurs paroisses ou à leurs familles. Pendant un mois, ils en avaient été séparés pour vivre d'une vie nouvelle, et aller planter leur tente de-ci de-là, comme autrefois les pa­triarches, où leur âme pouvait trouver quelque aliment pour ranimer sa foi. Le temps est venu du repos. De retour chez eux, les 125 pèlerins de Coutances, les 73 de Bayeux n'ou­blieront jamais les heureux moments passés dans ces jours si vite écoulés. Le cœur, l'esprit et la mémoire conserveront toujours à leurs souvenirs la fraîcheur et la suavité des pre­mières impressions. C'est au moins le rêve, qu'en terminant, nous nous plaisons à caresser.

L. Huet, Vicaire de Saint-Étienne de Caen.

ERRATA Page 2, ligne 21, au lieu de voyage personnel, lire usage per­sonnel. Ligne 51, au lieu de avec ses chalets, lire à ses chalets. Page 4, ligne 7, au lieu de des premières notes, lire ces pre­mières notes. Page 5, ligne 36, on a omis à l'impression le passage suivant, qui n'avait pu probablement être déchiffré sur la copie écrite au crayon : « Le Campo Santo qui est un vrai musée des statues de la dou­leur sous toutes ses formes.... » Page 8, ligne 16, supprimer le mot Sainte devant Françoise de Rimini. Ligne 29, au lieu de disigné, lire désigné. Page 15, ligne 21, au lieu de devenue, lire devenu. Caen, Impr. Veuve A. Domin.