Carmel
Sr Marie de l’Eucharistie à son père – 3 avril 1898

DE  
GUÉRIN Marie, Soeur Marie de l'Eucharistie
À 
GUÉRIN Isidore

03/04/1898

Marie Guérin à son père
+ Jésus !                                 J.M.J.T.                                         sans date [3 avril 1898]
                                     Vive St Isidore !!!
                                   Mon cher petit Père ,
   Ton petit Benjamin arrive avec tout son coeur te souhaiter la meilleure des fêtes. Il espère que le mieux qui a tant réjoui son coeur se continue, et que si la semaine est encore malgré tout une vraie Semaine Sainte, une Semaine de souffrance avec notre bon Jésus, à Pâques tout sera renouvelé, mon cher petit Père verra une vraie résurrection en lui et spirituellement et corporellement, et il pourra venir voir son petit benjamin.
   Ah ! tu sais combien je t'aime... aussi je n'essaierai pas de le répéter. C'est trop profond ces sentiments-là pour être mis au grand jour, c'est dans le secret du coeur qu'ils se passent.
   Un jour pendant ma retraite, avant la Communion je pensais à toi et je me disais : « Oh ! que le bon Dieu doit aimer mon cher petit Père, comme il devra le récompenser... » Et aussitôt, plus vite que je ne saurais l'exprimer il se fit une lumière vive dans mon âme, je compris en un instant que le bon Dieu n'avait pas attendu à te prouver son amour et sa reconnaissance et, que, outre les récompenses célestes, qui dépassent tout ce que l'on peut concevoir, Il t'avait récompensé sur la terre en te demandant pour épouse ta chère petite fille. Puis le bon Dieu me fit comprendre, car c'est bien Lui seul qui, en cet instant, parlait à mon âme, que le choix de mon nom : « Marie de l'Eucharistie » était un choix d'amour et de reconnaissance. Il m'a fait voir qu'autrefois les rois de la terre, lorsqu'un de leurs sujets avaient (sic) combattu pour la défense d'un pays, d'un royaume avaient l'habitude de le récompenser en lui donnant pour titre de noblesse le nom du fief, du royaume qu'ils avaient conquis. C'est ainsi que le bon Jésus a agi avec toi, mon cher petit Père... N'as-tu pas combattu, travaillé, souffert pour la gloire et la défense de l'Eucharistie eh ! bien les mystères ce sont les royaumes de Jésus, et « l'Eucharistie » est son royaume de prédilection, son royaume le plus aimé. Pour te remercier de la gloire que tu lui as procurée et que tu lui procures encore Il a donné par un choix éternel et divin le nom de son royaume aimé à ta chère petite fille. Et ce beau nom de l'Eucharistie dont je découvre de jour en jour les beautés c'est à toi que je le dois mon cher petit Père... Du reste le jour où sur la terre l'on choisissait mon nom était un jour enveloppé de mystères. C'était avant le mariage de Jeanne pendant votre voyage de Paris, je m'étais bien souvent demandé comment je m'appellerais au Carmel et je me disais : Ah ! je n'ai aucun désir, je n'aime d'un amour particulier dans le Ciel que la Ste Vierge et l'Eucharistie est mon seul bonheur sur la terre. Je ne pensais pas du tout que l'on puisse porter ce beau nom de l'Eucharistie aussi je ne pouvais en avoir le désir. Quand un jour au parloir Mère Agnès de Jésus cherchait comment on m'appellerait et aussitôt elle ajoute : Marie de l'Eucharistie. – Je n'ai rien dit, j'étais trop émue ; c'était une des grandes grâces de ma vie, je succombais sous le poids de l'émotion et de la bonté du bon Dieu !! Moi qui avais reçu toutes les grandes grâces de ma vie auprès de l'Eucharistie, grâces de vocation, etc., moi qui, lorsque le St Sacrement était exposé ne pouvais retenir mes larmes et mon émotion, je recevais toujours en ces occasions un océan de grâces et je me rappelle cela dès ma plus tendre jeunesse, je me voyais donner le nom de ce mystère qui avait été pour moi plein de grâces et de miséricorde. – Je ne puis jamais y penser sans essayer d'approfondir la grâce et l'amour cachés sous ce nom et je sens qu'il n'y a qu'au Ciel que je pourrai en mesurer la profondeur.
   Ah ! mon cher petit Père ce que je t'écris là je l'ai senti et compris en un instant, je ne puis dire autrement c'était un éclair qui a passé dans mon esprit, le bon Dieu me faisait voir la source de ce beau nom de « l' Eucharistie » et toute ma vie cette grâce-là restera gravée dans mon coeur maintenant je ne doute plus que ce soit un gage d'amour et de reconnaissance à mon cher petit Père...
En voilà bien long, mon cher petit Père, mais je crois que cette pensée du bon Dieu est le plus beau bouquet de fête que je puisse t'offrir, c'et Lui qui m'a dit de t'annoncer cette grande chose, cette grande grâce.
   Bonne fête et bons baisers de la part de toutes les Carmélites particulièrement les Soeurs de la Cuisine qui ont fourni les fleurs du petit bouquet.
   Pour notre petit cadeau, la photographie de ta petite fille n'est qu'un avant-coureur, on ne peut mieux réussir tout de suite à cause du mauvais jour, on recommencera cet été, celle-là est pour faire patienter mon cher petit Père en attendant mieux.
   On a collé la photographie de ma Sr Thérèse de l'Enf. Jésus sur une carte album pour que tu puisses la mettre dans un cadre sur ton bureau si cela te fait plaisir
                         Ta petite fille qui te mange de baisers
                               Marie de l'Eucharistie
                                         r.c.i.
Embrasse bien pour moi maman, ma petite Jeanne et Francis.
Notre Mère a bien ri devant le cadeau de Francis, je crois que mon cher grand frère a pensé au poisson d'Avril en m'envoyant cela. Je le remercie, il nous a bien amusées.

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