Carmel
Sr Marie de l’Eucharistie à son père – 29 mars 1898

DE  
GUÉRIN Marie, Soeur Marie de l'Eucharistie
À 
GUÉRIN Isidore

29/03/1898

Marie Guérin à son père
                                                                   J.M.J.T.                                 29 Mars 1898
+ Jésus !                                
                                                   Mon cher petit Père,
   Notre bonne Mère ne veut pas encore que je sorte de ma solitude sans aller te dire un petit bonjour. Je dis « bonne » et si je trouvais un mot qui dise encore mieux la bonté de notre Mère pour toutes tes petites filles, je m'empresserais de l'écrire. Elle ne cherche qu'une chose : tâcher de donner à mon cher petit Père, toutes les consolations possibles, elle prie et fait prier avec ferveur. Nous avons commencé la neuvaine à la Ste Face, toute la Communauté s'y unit de grand coeur, comme elle l'avait fait du reste pour celle à N. D. de Séez . Une petite lampe brûlera dans notre petit Carmel, devant la Ste Face, pendant la neuvaine. Pendant celle à N.D. de Séez, j'en mettais aussi une tous les jours à la Ste Vierge dont je suis chargée au choeur. Tant de prières ne pourront ne pas être exaucées. Si le bon Dieu ne les exauce pas dans le sens que nous voulons, je me réjouis à la pensée qu'Il se répandra sur ton âme un flot de grâces célestes. Eh ! bien, mon cher petit Père, c'est avec toi que je viens passer ma dernière récréation de solitaire, aussi est-elle bien douce. Je regrette ma solitude, je m'y trouvais très heureuse. Une retraite au Carmel peut se comparer à ce que dans le monde on appelle « les vacances ». pendant les vacances on se repose, on voyage, j'ai fait tout cela, j'ai voyagé dans les contrées du Ciel et j'y ai vu de bien belles choses. Oh ! que de fois dans mes voyages n'ai-je pas chanté à ma petite Thérèse ce couplet composé par elle à son Ange Gardien :
O Toi qui traverses l'espace
Plus promptement que les éclairs                                
Je t'en supplie vole à ma place
Auprès de ceux qui me sont chers
De ton aile, sèche leurs larmes
Chante combien Jésus est bon
Chante que souffrir a des charmes
Et tout bas murmure mon nom
   A ce dernier vers mon petit coeur fléchissait, les larmes mouillaient mes yeux car je sais l'affection profonde dont je suis entourée et je sais en effet que mon nom résonne doucement, joyeusement à vos coeurs.
   Entre mes oraisons je coupais des pains d'autel, dans la petite cellule auprès de l'infirmerie, d'où notre cher petit ange est parti pour le Ciel, tout me portait donc vers le Ciel, et là je chantais de toutes mes forces. Jamais je n'avais autant donné ma pleine voix depuis que je suis au Carmel. Je me sentais seule, personne pour m'écouter, sauf les voisins, ah ! s'ils étaient dans leur jardin ils ont pu entendre mon concert. Mais ceux qui étaient heureux de m'entendre, c'étaient les petits oiseaux, ils venaient en foule dans les arbres en face la fenêtre et faisaient aussi leurs roulades, c'était à qui chanterait le plus fort. Plus j'allais haut, plus ils chantaient, ils cherchaient à m'imiter, jusqu'au merle qui venait aussi mêler sa belle voix. C'était un concert qui ravissait mon coeur. J'écoutais mais lorsque je ne chantais plus, les petits oiseaux cessaient aussi alors je recommençais de plus belle. Hélas ! mon cher petit Père, puisque pour le bon Dieu tu t'es privé d'entendre les roulades de ton petit oiseau, je pense qu'au Ciel tu jouiras d'autant plus d'entendre ta petite fille chanter le Cantique nouveau, le cantique des Vierges. Ah ! dans ce temps-là que nous serons heureux plus de séparation, un éternel bonheur, une éternelle union... Mais nous n'en sommes pas encore là, il faut que nous fassions encore bien des petits pas avant de faire ce grand pas de l'éternité et nous avons encore tout le temps et tout le loisir de nous prouver notre affection sur la terre. Le petit Médecin du Carmel rédige ainsi son ordonnance : Beaucoup de repos d'esprit et de corps jusqu'à complet rétablissement...
Beaucoup de ... ? de lait. Il a passé par une maladie de ce genre et il trouve que le principal remède c'est une bonne dose de patience.
   Ta petite fille qui te chérit ainsi que ma petite Mère et sa petite soeur.
                                         Marie de l'Eucharistie
   Les autres petites filles mangent de baisers leur Oncle chéri.

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