Carmel
Sr Marie de l’Eucharistie à ses parents – 15 août 1898

DE  
GUÉRIN Marie, Soeur Marie de l'Eucharistie
À 
GUÉRIN Isidore
GUÉRIN Céline née FOURNET

15/08/1898

Marie Guérin à son Père et à sa Mère
                                                            J.M.J.T.                                       15 Août 98
+ Jésus !
                                       Mon cher petit Père
                                   et ma chère petite Mère,
   Quelles jolies lettres vous m'avez écrites ! J'en suis encore tout embaumée. Ah ! qu'il est rare d'avoir des parents aussi chrétiens, aussi saints. C'est un don, un vrai don du bon Dieu dont il faut profiter, car il est certain qu'il me sera plus demandé qu'à d'autres, ayant reçu un pareil don.
   Vos deux lettres m'ont tellement touchée que je n'ai pu retenir mes larmes en les lisant. Que je suis heureuse de voir ma petite Mère comprendre ainsi la grâce de ma vocation ; oh ! oui, elle n'a qu'une prière à faire pour moi, c'est de demander au bon Dieu que je devienne une sainte Carmélite. Il ne faut pas de demi-mesure, et je sens que le divin Epoux de mon âme n'en acceptera pas non plus, il faut une mesure pleine, surabondante . C'est beau à dire, plus difficile dans la pratique, il faudra piocher, travailler ferme et dur, avec la grâce de Dieu on y arrivera.
   Un des plus beaux cadeaux de fête a été la lettre de mon cher petit Père. Depuis longtemps j'en désirais une ardemment, mais je ne voulais pas la demander de crainte d'abord de la fatigue que cela pourrait lui occasionner, puis parce que le bon Dieu m'en demandait le sacrifice. Je la désirais trop vivement pour la demander. Eh ! bien  elle m'est arrivée au moment où je n'en attendais plus, je comptais sur la lettre de maman, mais je ne pensais pas en avoir deux. Aussi la surprise et le bonheur ont-ils été doublement grands.
   Ah ! mon cher petit Père, que ta lettre est donc belle, elle a fait le sujet de mon oraison ainsi que le lettre de maman. Mais ne crois pas que ma vie soit si pénitente, c'est vrai qu'elle l'est au fond, mais on a une grâce si grande pour la supporter qu'on en éprouve que de la douceur, c'est pourquoi il ne faut pas que ton coeur si paternel souffre de voir ainsi ton enfant bien-aimée au milieu des peines et des sacrifices de la vie du Carmel. Le bon Dieu ne m'en donne pas au-dessus de mes forces, au contraire, Il me traite en enfant gâtée. Il me donne des douceurs, des bonbons pour m'aider à marcher. Je t'assure que ta vie de souffrances est bien plus pénible que la mienne, tu verras, au ciel, tu seras tout étonné de te voir bien plus haut placé que bien des Carmélites. Si seulement ta petite fille pouvait arriver à n'être pas trop loin de toi.
   Dans ta dernière lettre il y a une phrase qui a été pour moi une source de consolations. Tu me dis que je ne t'ai jamais causé de peines véritables et qu'en tout cas un seul de mes sourires suffit pour les effacer. Ces quelques mots ont été pour moi une vraie lumière au sujet de la miséricorde du bon Dieu. Puisque sur la terre le sourire d'un enfant fait tout oublier au coeur d'un père, qu'est-ce donc du bon Dieu, d'un Père dont la bonté est infinie. Aussi maintenant je prodigue mes sourires à Jésus par mon amour, ma confiance, ma générosité, pour effacer non seulement mes fautes, mais celles aussi des pauvres pécheurs. Et c'est toi, mon cher petit Père qui as été l'instrument de cette grâce de Jésus et tu seras largement récompensé par Lui puisqu'Il couronne ses propres dons.
   Il y a trois ans aujourd'hui que le Ciel entier se réunissait pour contempler un père et une mère offrant leur enfant à Jésus. Ah ! oui les Anges en ce jour enviaient votre sort d'avoir été choisis pour donner votre plus cher trésor à Jésus l'Epoux des Vierges, ils enviaient votre souffrance, mais ils enviaient encore plus l'honneur qui vous étaient fait, mes Parents chéris. Et moi je ne savais pas où je posais le pied, je ne savais pas que dans ce Carmel béni je trouverais tout ce qui pouvait contenter les aspirations de mon âme, mais maintenant je le sais, et si le coup était encore à faire, je ne marcherais pas, je volerais, mais c'est un coup qui ne se renouvelle pas tous les jours heureusement, car la pauvre nature y succomberait.
   Je vois que je vous écris une lettre toute mystique, en voici la cause : aujourd'hui pour ma fête je me suis enfoncée dans la solitude profonde de la retraite, puis, depuis deux jours le St Sacrement est exposé, cette nuit nous avons eu Adoration nocturne, et c'est là que j'ai prié avec ferveur pour tous ceux que j'aime. Je demandais au bon Dieu qu'il fasse passer une bonne nuit à mon cher petit Père, puisque par amour pour Lui je me privais de sommeil.
   J'ai eu une fête sans pareille, de tous côtés j'ai reçu des souhaits et des cadeaux, je me vois à la tête de neuf lettres de remerciements. Vous ne savez pas ce que cela me touche de me voir tant aimée. Bonne-Maman m'a envoyé une affectueuse petite carte et un pot de fleurs. Melle Pigeon aussi, ma petite Jeanne une lettre ravissante, et de rafraîchissants cantaloups. Les tomates, abricots, petits gâteaux étaient délicieux, surtout venant de la part de Papa et Maman. L'hortensia est de toute beauté. Merci. merci. J'ai reçu jusqu'à une lettre de Navarre pour ma fête, ce n'était pas le moindre des cadeaux, accompagnée d'une ravissante image peinte par l'artiste. Enfin, je suis comblée. Cette dernière lettre m'a beaucoup touchée et je vais m'empresser d'écrire pour remercier. Enfin je suis comblée. N.D. du Mt Carmel est splendide par sa parure, tout le monde s'arrête devant elle et me dit bas à l'oreille : : « enfant gâtée » ! Je ne sais pas pourquoi l'on me gâte ainsi. J'en suis vraiment toute émue. Dans la Communauté il n'y en a pas une qui soit ainsi fêtée, les larmes me venaient aux yeux devant tant de témoignages d'affection. Même dans la Communauté les Soeurs m'ont fêtée et mes filles m'ont apporté chacune une belle image avec un petit mot du coeur. Mère Agnès de Jésus m'a donné le cadeau des cadeaux, c'est un petit morceau d'un linge imbibé des dernières larmes de ma Sr Th. de l'Enf. Jésus que lui ont fait verser l'amour et la confiance pour le bon Dieu. Elle pleurait d'amour... Depuis que j'ai cette précieuse relique, je me sens toute transformée en amour et confiance.
   Je me hâte de vous quitter, mes Parents bien-aimés, en vous envoyant tout mon coeur. Je vous aime à la folie mais bien en Jésus.
   Votre petite Marie de l'Eucharistie.
Que Léonie me pardonne, sa petite lettre m'a bien touchée, je lui répondrai d'ici peu. J'espère que mon petit Père va aller mieux et que son indisposition ne va pas avoir de suite.

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