Carmel
Sr Marie de l’Eucharistie à sa mère – juin-juillet 1898

DE  
GUÉRIN Marie, Soeur Marie de l'Eucharistie
À 
GUÉRIN Céline née FOURNET

01/06/1898

Marie Guérin à sa Mère
+ Jésus !                               J.M.J.T.                                     Juin - Juillet 1898
                                                                                             en vacance à La Musse
                               Ma chère petite Mère,
   Me voilà au fidèle rendez-vous du dimanche que je pense toujours, non à la Musse, mais avec ses chers habitants. Tu ne m'en veux pas n'est ce pas de ne t'écrire que ce jour-là car tu sais que par amour pour toi, j'abandonnerais bien tous mes repos du silence. Ce n'est pas par paresse que je ne les abandonne pas, mais par raison, attendu que cette heure quotidienne de silence je l'emploie fidèlement à faire dodo et que je n'en perds pas une minute et que, si je ne l'avais pas, j'aurais du mal à faire bien ma règle, cette année plus que tout autre, car je suis dans un emploi où la fatigue ne fait pas défaut, plus qu'on en voudrait quelquefois, le samedi surtout, il m'arrive souvent d'avoir à balayer cinq appartements plus un escalier, et tout cela en plus de mon petite ménage de tous les jours. Et dans ces cinq appartements il y en a un qui compte bien pour deux et même trois il est à peu près de la grandeur du salon et du billard réunis et deux fois plus large. Et tous les lits de mes malades à faire ! Ah ! je ne manque pas d'ouvrage sois tranquille, je ne suis pas venue au Carmel pour manger mon pain dans l'oisiveté, aussi c'est pour cela qu'il me profite si bien et que j'ai si bonne mine. Aussi le Dimanche je suis comme un petit saint de bois, je ne bouge pas, je reste tranquillement assise toutes les heures que j'ai de libre, car ce jour-là encore je n'ai pas vacance toute la journée, je travaille, il y a de l'ouvrage auprès des malades. Ce n'est pas dans ma nature de rester longtemps sans remuer, car au Carmel je suis de la même nature que dans le monde et l'on m'y a donné, sans le savoir, les mêmes noms. L'on m'appelle souvent le petit lutin, le petit furet, noms que vous aimiez à me donner.
Ma chère petite Mère, je t'aime, je t'aime ; ce sont ces deux mots que je voudrais écrire tout le long de ma lettre, et encore cela n'arriverait pas à contenter mon coeur. Au Carmel, j'ai appris à bien aimer le bon Dieu, mais j'ai aussi appris à bien aimer ceux que j'aimais déjà tant, et surtout à apprécier leur amour et leur dévouement. Les enfants qui restent dans le monde ne connaissent pas le coeur de leurs parents comme ceux qui se donnent à Jésus. Une pauvre petite carmélite aime à contempler, à admirer l'insondable abîme d'amour que Dieu met dans le coeur des parents. Elle en apprécie toute la grandeur et surtout sait reconnaître tout ce qu'ils font pour leurs enfants, surtout quand c'est une enfant qui a donné bien du mal comme l'enfant qui t'écrit, ma chère petite Mère, ah ! oui, pour cela, la reconnaissance, et dans le silence de ma petite cellule, mon petit coeur devient bien gros de chagrin en pensant que j'ai quelquefois fait des petites peines à ceux que j'aime tant, et j'ai pour me consoler une belle lettre de mon cher petit Père et de ma chère petite Mère que je conserve comme un trésor. Cette belle lettre m'a été écrite qq. jours avant ma profession et dans cette lettre j'y lis un pardon absolu. Je ne puis la lire sans verser des larmes bien douces, mon petit Père chéri, m'y montre la beauté de ma vocation et me donne à Jésus avec un si grand coeur , un si grand amour que cela me redonne du courage et de l'ardeur pour la vertu. Ah ! que le bon Dieu est bon de m'avoir donné de si bons parents !...
C'est une de mes grandes consolations en récitant le saint Office de penser que je chante les louanges du bon Dieu en mon nom et au nom de tous ceux que j'aime, cela me donne de la ferveur, et cela me montre aussi combien je dois être vertueuse et fervente pour représenter tant d'âmes si chères et si saintes.
   Maintenant, ma petite Mère chérie, tu me demandes ce que je désire pour ma fête. Ce que je désire, ce serait des vases à fleurs pour N.D. du Mt Carmel dont je suis chargée, mais ce sera pour quand tu seras de retour à Lisieux parce qu'il faut que je te fasse toutes mes explications, il y a beaucoup de conditions. Ce qui ferait plaisir pour la Communauté ce serait des cantaloups mais il faut pour cela qu'ils ne coûtent pas cher, même rien du tout, et que s'ils ne coûtent rien du tout, il faut aussi qu'ils ne privent personne. Sans ces conditions ils seront indigestes. Puis ce qui ferait plaisir aussi ce sont des tomates. Et si tu ne veux rien nous donner nous serons très contentes tout de même. Je dis plusieurs choses parce que je sais que ma petite Jeanne voudra aussi me donner q.q. chose alors je la préviens. Ma Sr Gene. a reçu une charmante lettre d'elle. Puis, si quelquefois, on voulait me donner des fleurs ce serait des hortensias roses... qui me feraient plaisir, parce qu'ils me serviraient pour l'oratoire quand le St Sacrement est exposé. Comme ce jour-là je suis toujours comblée de fleurs, il n'y en a pas une seule dans la Communauté qui soit aussi gâtée le jour de sa fête, je reçois des cadeaux de tous les côtés, d'abord tous mes parents ne sont pas ordinaires, et je ne sais pourquoi j'ai toujours été aussi gâtée. Le bon Dieu a été bon pour moi de m'entourer ainsi d'affection. Ma tante Clémence m'envoie aussi souvent des fleurs qui sentent fort et je suis obligée de m'en priver, si j'avais des hortensias je serais bien contente mais il faut qu'ils soient roses.
   Quel journal, ma chère petite Mère et dire que je ne devais t'écrire qu'une fois par mois, notre Mère est vraiment gâteau pour vous... Je suis bien contente que le voyage d'Uriage soit abandonné, restez à la Musse le plus longtemps possible et surtout ne le vendez pas. Toutes les petite Carmélites vous en supplient, moi le coeur ne me fait pas tic tac quand j'en entends parler, mais je pleurerais de bon coeur. C'est à vos petites Carmélites que vous imposerez le plus grand sacrifice en le vendant. C'est un lieu de doux souvenirs pour nous, nous vous y suivons quand vous y êtes, oh ! j'avoue que ce sera un grand sacrifice pour moi. Ne le vendez pas, attendez encore je vous en supplie. C'est un don qui vous a été fait conservez-le en mémoire de celui qui vous l'a donné, et puis la Musse est nécessaire à vos santés, si vous ne l'aviez pas, il faudrait sûrement que vous alliez passer l'été dans q.q. ville d'eau l'année prochaine, notre Mère veut y envoyer Papa dès le mois de Mai afin qu'il y passe plusieurs mois pour se fortifier, et elle a bien raison. Si vous vous ennuyez trop de vos petites Carmélites, eh ! bien vous viendrez les voir une fois pendant votre séjour. Ce n'est pas du tout le cas de le vendre pendant que vous êtes malades comme cela. Arrêtez toutes les ventes et que l'on n'en entende plus parler. Rien que d'y penser, cela me renouvelle toutes les émotions, du départ d'il y a trois ans lorsque j'ai dit adieu à ma belle Musse, plus même et bien plus car en ce temps-là c'était bien la moindre des séparations, il y en avait d'autres plus coûteuses et plus dures au coeur qui auront leur récompense dans le beau ciel.
   Oh ! que je serai contente quand on m'apprendra qu'il n'est plus question de vendre je suis peu généreuse, mais je ne me sens pas le courage de faire ce sacrifice là parce que je sens qu'il n'est pas nécessaire au contraire. Notre Mère voulait écrire à ce sujet pour intercéder en faveur de la Musse qu'elle ne veut pas que l'on vende non plus.
   Je te quitte ma chère petite Mère après ce long griffonnage en t'envoyant mes plus tendres baisers ainsi qu'à Papa et à Léonie.
                 Ta petite fille chérie
                   Marie de l'Eucharistie
                                 r.c.i.
   Notre Mère est un peu souffrante depuis q.q. jours, elle ne peut écrire à Papa elle me charge d'être son interprète auprès de vous en vous envoyant ses plus religieux sentiments.
Mère Agnès de Jésus remercie, elle est dans le ravissement de tout ce qui a été envoyé, elle écrira dans la semaine ne pouvant le faire aujourd'hui, elle envoie ses plus tendres baisers à ses chers parents, Mme Besnier étant forcée de s'absenter, elle ne pourra envoyer les épreuves que dans 4 jours.

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