Carmel
Sr Marie de l’Eucharistie à Mme Pottier – mars 1898 ?

DE  
GUÉRIN Marie, Soeur Marie de l'Eucharistie
À 
MAUDELONDE Céline, Mme Pottier

01/03/1898

Marie Guérin à Céline Pottier s.d. [avant Pâques, mars 98 ? ]
Carmel de Lisieux                 J.M.J.T.
+ Jésus
                         Ma chère petite Céline,
Puisque tu veux bien avoir toujours confiance en ta pauvre Marie, c'est avec le plus grand bonheur qu'elle te donne son affection si grande, tout son coeur, en un mot et ses pauvres petits conseils. Elle n'oserait jamais le faire si tu ne lui en avais témoigné le désir, et si elle ne sentais pas que Jésus lui-même l'inspire et lui montre la voie que doit suivre sa petite Céline chérie.
Ta confiance me touche, ma chérie, car je n'en suis pas digne, aussi je t'admire beaucoup de vouloir bien la donner à une aussi misérable créature que moi.
Je ne suis pas étonnée que tu aies un peu de mal à t'acclimater dans ton nouveau pays, mais tu as bien raison, j'aime beaucoup cette réflexion de ta lettre : « Avec le bon Dieu on est bien partout. » Oh ! oui, c'est vrai. Quand on possède Jésus, on possède tout, et quand on est loin de Jésus, la vie ressemble à un insupportable enfer. Jésus il est partout, lorsqu'on ne peut pas aller le chercher au tabernacle de l'autel, il habite un autre tabernacle plus proche de nous où à tout instant, si nous le voulons, nous pouvons lui conter nos peines, nos soucis, nos angoisses, et où en prêtant l'oreille de notre coeur, nous entendons toujours sa divine réponse ; mais Jésus aime à se faire entendre dans le silence ; Il n'est pas question du silence extérieur, oh ! non, Jésus appelle quelquefois les âmes, ou bien leur fait sentir sa présence au milieu du plus grand tumulte, mais il est question du silence intérieur. Il est très difficile de faire la paix en son coeur. S'il arrive une contrariété, un ennui, un contre-temps, tout de suite on se laisse aller aux sentiments de la nature : on s'irrite, ou on murmure, on se laisse aller à la contrariété. Si au lieu de cela on rentrait en soi-même et on priait Jésus, si on lui demandait conseil, la réponse ne se ferait pas attendre ; la lumière divine inonderait l'âme et on verrait clairement ce qu'il y a à faire dans les petites ou graves circonstances de la vie, Jésus est le Maître de tous les événements de la vie, et lorsqu'Il voit une âme s'abandonner à Lui, Il fait agir les secrets ressorts de son amour et les plus grandes difficultés s'évanouissent. Si je te donne tous ces conseils ce n'est pas que je crois que tu ne les suis pas, mais parce qu'ils se présentent à mon esprit.
Je comprends, ma chérie, l'appréhension que tu avais de trouver un bon confesseur, mieux que tout autre je comprends ces petites misères et y compatis sincèrement.
Je prie le bon Dieu pour qu'Il t'aie bien guidée dans ce choix si difficile, et pour que ton âme soit libre et heureuse, et avance dans la perfection. Tu avais été un peu gâtée à Fervaques, car d'après ce que tu me disais tu avais trouvé plus qu'un confesseur, mais un directeur, aussi il se pourra que pour commencer tu sentes un peu de privation de ce côté, mais sois tranquille le bon Dieu viendra à ton secours. Tout ce que je te recommande, c'est autant que possible de continuer tous tes exercices de piété comme à Fervaques. Le bon Dieu t'a fait sentir le vide que l'on éprouve à être privée de Lui et le bonheur que l'on goûte à le recevoir. C'est une grâce qu'il ne faut pas négliger. Communie le plus souvent que tu pourras, Jésus ne descend sur l'autel que par un grand désir de se donner aux âmes. Mais bien des âmes s'en abstiennent pour bien des raisons : d'abord parce qu'elles n'en sont pas dignes. Oh ! ma Céline chérie ne me tiens jamais ce langage que l'on tient si fréquemment dans le monde. N'être pas digne de recevoir Jésus ! dis-moi connais-tu une âme quelque sainte qu'elle puisse être qui soit digne de recevoir Jésus ! Personne n'en est digne, les plus grands saints ne sont pas dignes de ce mystère d'amour, mais Jésus n'a-t-il pas dit : « Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs. » Et dans la parabole du festin de l'Evangile Jésus n'invita-t-il pas au festin les pauvres, les aveugles, les boiteux etc.. Donc ma petite Céline sois fidèle à tes communions, le seul moyen de se rendre digne de la communion, c'est de communier souvent parce que Jésus seul peut nous rendre dignes, saintes, parce que Lui seul donne la force de pratiquer la vertu, je te donne un conseil : ne diminue jamais le nombre de tes communions, vise plutôt à les augmenter progressivement, tu es dans une position libre ; remercies-en le bon Dieu et mets cette grâce à profit. La seconde raison que donne le monde au sujet de la fréquente communion c'est celle-ci : Ah ! je ne puis trop aller à l'église, cela nuirait à mon mari, à ses affaires qui ne prospérereient pas. . Pauvres sots !!! a-t-on jamais vu une famille dans laquelle Jésus tient la première place qui soit devenue pauvre à cause de sa piété. Notre Seigneur a dit à une sainte âme : « Pense à moi, je penserai pour toi. » Oui c'est bien vrai, aimons le bon Dieu, ne nous privons pas de nos pratiques de piété à cause du jugement du monde, et Jésus dirigera lui-même notre barque, nos affaires prospéreront plus que si on avait voulu garder une trop sage mesure. Jésus, dans la société moderne, il faut qu'il soit éliminé il faut qu'il ne tienne qu'une faible place, qu'il ne se laisse pas trop apercevoir ou sans cela paraît-il les affaires sont perdues. Eh ! bien ma petite Céline, je viens te mettre en garde contre ce jugement du monde que tu pourrais quelquefois être portée à partager. Ne crains pas de montrer tes opinions, ta piété, si je te donne ce conseil c'est parce que je sais que tu ne seras jamais portée à l'excès. On respecte malgré soi, les chrétiens qui montrent leurs opinions. Je vais te citer un passage d'une lettre qu'un vénérable chrétien écrivait à son fils à son entrée à l'Ecole Polytechnique : « Arbore ton drapeau de catholique pratiquant tout de suite afin que l'on sache qui tu es. Il faut qu'après 48 heures aucun de tes camarades n'ait un doute à ton sujet, et n'ait à te demander ce que tu penses. C'est l'unique moyen d'éviter les fausses positions. Sois chrétien simplement, mais franchement. Parler comme on croit, et agir comme on parle, voilà la meilleure logique du monde, et celle qui produit toujours grand effet. Pas de faiblesse surtout, car quand on a l'honneur d'être chrétien, il ne s'agit pas de se faire pardonner ou tolérer, mais bien de se faire respecter. N'aie pas peur de passer pour singulier. Voilà plus de quarante ans pour ma part que je suis très singulier, et ni Dieu ni les hommes ne m'en ont encore puni. » Je ne te dirai pas ma petite Céline de paraître « singulière » oh ! non, loin de toi la singularité, mais je te dirai de ne pas craindre de paraître chrétienne, franchement, simplement. Regarde dans une famille, une femme se fait toujours respecter de son mari quand elle est convaincue dans ses opinions, tandis que celles qui ont peur de montrer leur religion, leurs opinions, elles se font moquer d'elles et de leur religion, ce qui fait dire aux maris impies : « ah ! voyez comme la religion chrétienne n'est bien qu'une imagination, quelle faiblesse dans les croyances des chrétiens. Toi, ma petite Céline, tu as le bonheur d'avoir un mari chrétien, remercies-en le bon Dieu et profites-en pour le bien servir et aimer. Ne crains jamais d'ennuyer ton mari par tes petites pratiques de piété, sois convaincue qu'au contraire il te respecte davantage. Puisqu'il te comprend parle-lui q.q. f. de tes sentiments, de ton bonheur en recevant le bon Dieu, en sentant qu'Il est tout pour toi, cela ne pourra que l'édifier. Oh ! oui, que Jésus règne au milieu de vous, vous devez l'aimer de plus en plus puisqu'Il vous a conservé votre cher trésor.
Pour les cheveux, ma petite Céline, cela te gênerait-il d'attendre jusqu'à Pâques, on ne peut s'en occuper en ce moment. Cependant si tu es pressée ou que tu le désirerais pour une fête quelconque, dis-le nous je t'en prie, nous ferions plutôt l'impossible pour te les donner. Ne crains pas de nous déranger, dis-nous le franchement. Je te quitte ; que vas-tu penser de mon sermon ? J'éprouvais le besoin de te dire tout cela depuis longtemps et j'en ai profité au moment de ton arrivée à Bernay. Je demanderai à Maman de te prêter la vie du Colonel Saqueray. C'est très intéressant, ce n'est pas une vie de saint, tu feras bien de le faire lire à ton mari. C'est la vie d'un chrétien et d'un père de famille modèle. Vous verrez comme la religion est belle et unit une famille.
   Mille et mille baisers de ta petite soeur qui t'aime toujours de plus en plus. Je ne puis te dire combien je sens mon âme unie à la tienne. Quelle affection profonde règne entre nous deux ?                  
                     Marie de l'Eucharistie
                                                 r.c.i.
Mon souvenir à ton mari. Mes plus tendres baisers à Bébé.

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