Carmel
Sr Marie de l’Eucharistie à Mme Pottier – 12 février 1899

DE  
GUÉRIN Marie, Soeur Marie de l'Eucharistie
À 
MAUDELONDE Céline, Mme Pottier

12/02/1899

Marie Guérin à Céline Pottier
                                                                 J.M.J.T.                                 12 fév. 99
+ Jésus
                                         Ma chère petite Céline,
   Il y a bien longtemps que je dois t'adresser un petit mot du coeur, je le désirais surtout au moment où tu avais quelques inquiétudes au sujet de ta petite Germaine.
   Dieu soit béni ! La voilà en bonne voie je l'espère maintenant, mais une autre fois il ne faudra pas que la petite mère fasse si fort la sourde oreille à la voie de sa petite Carmélite qui n'a pas grâce d'état, mais qui dans la circonstance y voyait plus clair, malgré l'éloignement, que la petite mère de l'enfant aimé.
Que deviens-tu ? J'ai appris que tu avais fait dernièrement une petite apparition à Lisieux, cela m'a fait plaisir, c'était un signe que ta santé se remettait progressivement. Ah ! que veux-tu nous sommes sur la terre pour mériter le Ciel, pas pour autre chose et plus nous souffrirons, et plus nous aurons une belle place et une belle couronne dans le Ciel.
Je l'avoue, les croix ne te sont pas épargnées comme à un enfant bien aimé du bon Dieu, j'en suis heureuse et fière. D'ordinaire on ne fait pas de cadeau à ceux qui ne savent pas les apprécier ou qui les reçoivent comme des injures. On les fait à ceux qui en sont dignes. On ne donnerait pas une fortune à celui qui la dissiperait, mais à celui qui saurait la faire valoir. Médite à ce sujet le passage de l'Evangile sur les talents confiés au bon serviteur. Comme il avait été fidèle, le Maître l'a établi sur tous ses biens. C'est l'image de l'âme qui sait profiter des croix, des misères de la vie. A son entrée dans l'éternité, le Divin Maître lui dira comme au bon serviteur : Puisque tu as été fidèle je t'établis sur tous mes biens, je te donne mon royaume, plus même je me donne moi-même à toi. Mais malheur par ex. à ceux qui auront enfoui leur talent.
   Ah ! ma petite Céline, pour être une sainte la formule est bien courte : « Aimer et se sacrifier ». Aimer Jésus par-dessus tout, et accepter tout ce qui arrive dans la vie, bonheur ou douleur.
Je le sais bien, dans les peines un peu sérieuses de la vie, on oublie, ou plutôt on semble oublier Jésus, on ne le prie pas, on n'en a pas la force. Mais tu sais, ma chérie, « qui souffre, prie ». Pour bien prier il suffit le matin de ces jours ténébreux de dire au bon Dieu : Fiat !!! Fiat pour toute ma journée, je l'accepte par amour » et puis c'est tout. La journée se continue, par ce seul acte, dans une prière fervente sans que l'on s'en doute. Voilà la prière, un simple regard vers Jésus, un simple mot : Jésus... Je vous aime. Voilà les plus belles prières, plus belles que celles que tous les livres peuvent formuler, et celles qui ravissent et font violence au coeur du bon Maître. Jésus n'est pas un tyran, c'est un Père plein de tendresse, et le plus petit soupir du coeur montant vers Lui est une excellente prière ; Il est là qui l'écoute, et à peine est-il formé dans le coeur qu'Il s'en empare dans un amour indicible et le fait servir à la couronne de l'âme qu'Il aime d'un amour si grand. Que vas-tu penser de tout ce sermon. Ah ! lis et relis la vie de notre petite Thérèse, là tu apprendras à aimer. Le bon Dieu t'apprendra à être toujours heureuse. Tout le monde nous parle de cet Ange bien aimé qui fait tant de bien par son écrit. Les prêtres la comparent à Ste Thérèse et disent qu'elle a ouvert aux âmes une voie toute nouvelle, la voie de l'amour. Ils en sont tous dans l'enthousiasme, non seulement autour de nous mais dans toute la France, dans la plupart de leurs sermons ils citent des passages inspirés de son manuscrit. Il y a même des hommes du monde que la piété n'étouffe guère qui en sont dans l'enthousiasme et en font leur lecture favorite.
Ah ! ma petite Céline, nous avons dans cette petite sainte, nous plus que tout autre, une protectrice au ciel. Invoque-la dans tous tes besoins, tu verras qu'elle te portera secours, au moment de la peine elle viendra adoucir, aplanir les voies.
Je te quitte en te disant tout mon coeur qui est plein d'affection pour toi. Tu as peut-être su que j'étais un peu souffrante d'un état muqueux. Ce n'est rien, je vais mieux, et espère me remettre bientôt à la nourriture du Carmel, car en ce moment je suis toujours au régime lacté
                                                                                       Ta petite Soeur
                                                                                 Marie de l'Eucharistie
                                                                                         r.c.i.  
Rappelle-moi au bon souvenir de ton mari. Tendres baisers aux bébés.
Je t'en ai écrit assez long mais vois-tu d'ici Pâques je ne te fatiguerai plus.

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