Carmel
De soeur Marie-Dosithée Guérin à Mme Martin – le 15 Février 1867

DE  
GUÉRIN Marie-Louise, Sr Marie-Dosithée
À 
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin

15/02/1867

De soeur Marie-Dosithée Guérin à Mme Martin.
 
V + J
                                                                                           De notre Monastère du Mans
                                                                                            le 15 Février 1867
 
Chère petite Soeur,
J'ai reçu ta dépêche hier au soir à 5 heures et demie, notre petit ange (Joseph) était déjà au Ciel. Chère Soeur, comment te consolerai-je ? J'ai besoin moi-même de consolation, je suis toute tremblante et pourtant bien résignée à la Volonté de Dieu. Il nous l'a donné, Il nous l'a ôté, son saint nom soit béni!
Je te dirai que, depuis sa naissance, j'ai toujours eu le pressentiment de ce qui est arrivé; il a été demandé dans des conditions telles que, dans le siècle où nous vivons, on ne peut guère les réaliser qu'en mourant à l'âge où il est mort.
Pauvre petit enfant il est au ciel, sans avoir passé par les souffrances de la vie, il n'a pas offensé Dieu, il va présenter à son Créateur sa robe baptismale sans aucune tache, il va être le protecteur de sa famille. Maintenant, je m'adresserai toujours à lui pour obtenir des grâces, car, chère Soeur, crois-le bien, les habitants du ciel ont la charité bien ordonnée et ils s'intéressent premièrement à leur famille et à ceux qui leur ont fait du bien ici-bas.
Ce matin, à la Ste Communion, comme je priais Notre-Seigneur de nous le laisser (Soeur Marie-Dosithée avait seulement reçu la dépêche du 14 et pas encore la lettre lui apprenant la mort du petit Joseph), que du reste, nous ne voulions l'élever que pour sa gloire et pour la conquête des pauvres âmes, il m'a semblé intérieurement entendre cette réponse qu' « Il voulait les  prémices et te donnerait plus  tard un autre enfant qui serait tel que nous le désirons ».
Encore un motif de consolation : ces petits anges n'ont pas tous la même béatitude, mais leur gloire est plus grande selon qu'ils ont été plus conformes à Jésus-Christ, par la souffrance. Ainsi, puisque ton pauvre petit Joseph a beaucoup souffert, ses souffrances bien qu'inconscientes lui ont mérité un poids immense de gloire.
Tu me demandes si ton enfant t'aime, s'il te reconnaîtra au Ciel, si tu le reverras ? Je n'ai qu'une chose à te dire, c'est qu'il n'y a pas l'ombre d'un doute à ce sujet. Pour moi, au milieu de ma douleur, j'éprouve une joie sensible en pensant à cette âme bienheureuse qui nous protège et nous regarde avec une tendre affection.
Je crois ma bonne petite Zélie, que tu ferais bien de venir me voir, nous nous consolerions ensemble; mais surtout écris-moi aussi souvent que tu le voudras, je tâcherai de te donner toutes les consolations qui sont en mon pouvoir.
Si tu savais comme la communauté est bonne !. . . Hier soir je t'ai fait recommander aux prières, toutes nos soeurs m'ont donné de telles marques de sympathie en cette circonstance que je leur en garde une bien grande reconnaissance. Tantôt notre bonne Mère m'a fait sortir de l'oraison pour me consoler et me dire de t'écrire, elle a toutes les délicatesses de la sainte charité, aussi je prie le bon Dieu de lui rendre au centuple tout ce qu'elle fait pour nous.
Et ton pauvre mari, comme il doit être désolé ! Dis-lui que cette lettre et tous les sentiments que j'y exprime sont aussi pour lui. 

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