Carmel
De soeur Marie de l’Eucharistie à Mr. Guérin. 9 juillet 1897.

DE  
GUÉRIN Marie, Soeur Marie de l'Eucharistie
À 
GUÉRIN Isidore

09/07/1897

 
9 Juillet 1897
Les nouvelles sont un peu plus rassurantes aujourd'hui ; voilà deux jours qu'elle n'a vomi le sang ni même craché. Mr de Cornière est plus content ce matin ; on lui a parlé de lui donner l'Extrême-Onction et il a répondu : « Oh ! mais heureusement elle n'en est pas encore là, il pourrait même lui arriver encore quelques accidents de vomir le sang, sans qu'elle soit entièrement per­due. » - Si elle s'alimente, si elle digère le lait elle pourra se remettre un peu, c'est la faiblesse qui inquiète le plus. Enfin après la journée d'épreuve d'hier, on recouvre un peu d'espoir. Hier elle a pu garder au moins 7 tasses de lait, mais sans la glace qu'on lui donne après, je crois qu'elle les rendrait toutes.
Je t'ai bien inquiété hier, mon cher petit Père, mais nous l'étions nous-mêmes et Mr de Cornière aussi. Si tu voyais notre chère petite malade, tu ne pourrais t'empêcher de rire ; il faut toujours qu'elle dise quelque chose d'amusant. Depuis qu'elle croit mourir elle est gaie comme un pinson. Il y a des moments où l'on paierait sa place pour être auprès d'elle. Tout à coup ce matin elle se met à dire : « Si j'allais être l'une des deux, hein ! !... » - Nous nous regardions et nous demandions ce que cela voulait dire, elle nous reprend : « Oui, l'une des deux sur les 100, ça serait-il malheureux... » Tout simplement parce que notre Mère lui avait raconté que Mr de Cornière disait que : d'après son état il n'en réchapperait que 2 sur 100. Et elle avait peur d'être une de celles qui peuvent être sauvées.
C'est quelque chose d'amusant de voir son rire et son regard malin en nous disant tout cela. Comme je lui annonçais que j'allais vous écrire pour vous rassurer un peu : - « Dites-leur que je les aime à la folie et que je suis une petite fille de contra­diction ; on me croit mourante, je ne tourne pas encore de l'oeil... on me croit vivante, je suis presque à la mort, je suis pure con­tradiction ; mais dites-leur surtout que je les aime tous beaucoup, beaucoup... »
Notre Père (le chanoine Maupas, supérieur du Carmel) est venu la voir ce matin et il s'est écrié : « Oh ! mais, vous voulez nous en faire accroire, vous n'êtes pas à la mort et bientôt vous courrez dans le jardin, vous n'avez pas une figure de mourante. Vous donner l'Extrême-Onction ? mais le sacrement ne serait pas valide, vous n'êtes pas assez malade.» Notre Père a été un peu dur, mais je crois qu'il l'a fait exprès, car en sortant il était bien édifié de voir une enfant si jeune avoir un tel désir de la mort et la voir arriver avec tant de bonheur.
Quand il a été parti, la petite malade était courroucée contre lui de n'avoir pas voulu lui donner les sacrements et elle a dit : « Une autre fois je ne me mettrai pas tant en peine ; pour être polie je me suis assise sur notre lit, j'ai fait l'aimable, je lui ai fait la cour et il me refuse ce que je lui demande ! Une autre fois j'userai de feintise, je prendrai une tasse de lait avant son arrivée, parce que j'ai toujours bien plus mauvaise mine après, puis je lui répondrai à peine en lui disant que j'agonise » - (et elle nous jouait positivement la comédie). « Oui, je vois bien que je connais pas mon métier, je ne sais pas m'y prendre. »
C'est une bien gentille petite malade et bien amusante, elle ne sait que faire rire, mais cela lui est défendu de parler pour ne pas se fatiguer.

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