Carmel
De soeur Marie de l’Eucharistie à Mr. Guérin. 31 juillet 1897.

DE  
GUÉRIN Marie, Soeur Marie de l'Eucharistie
À 
GUÉRIN Isidore

31/07/1897

 
31 Juillet 97
Mon cher petit Père,
Je t'écris deux mots simplement pour te donner des nouvelles de petite Reine. Elles sont toujours bien mauvaises; cependant
aujourd'hui elle a un peu moins craché le sang, mais hier nous croyions bien qu'elle ne passerait pas la nuit. M' de Cornière lui-même le craignait, car lorsqu'à sa visite de 4 heures il a vu que le sang n'avait pas arrêté depuis la veille, il a dit à notre Mère de ne pas attendre au lendemain pour lui faire donner l'Extrême-Onction.
Notre Père est arrivé à 6 heures, il lui a administré l'Ex­trême Onction et après il lui a apporté le bon Dieu... C'était bien touchant, je t'assure, de voir notre petite malade toujours avec son air calme et pur ; lorsqu'elle a demandé pardon à toute la Communauté, plus d'une a fondu en larmes. Hier soir elle a encore craché le sang ; cette nuit aussi, la nuit n'a pas été bonne mais pas aussi mauvaise qu'on aurait pu le supposer d'après la journée. La matinée a été passable; pas de crachement de sang jusqu'à 3 heures cet après-midi où il y en a eu un. Elle est tou­jours aussi brûlante de fièvre et souffre d'oppression et de dou­leurs dans le côté; enfin elle est bien bien malade et je crois qu'il est préférable que vous retardiez votre voyage à Vichy, car elle ne peut aller bien des jours comme cela surtout si elle a des journées semblables à hier.
Il est impossible de se figurer son bonheur de mourir, c'est comme un petit enfant qui désire de tout son coeur aller retrouver son Père, jamais on n'a vu mourir avec tant de calme. « Que voulez-vous, nous dit-elle, pourquoi la mort me ferait-elle peur, je n'ai jamais agi que pour le bon Dieu... » Et lorsqu'on lui dit : « Vous mourrez peut-être le jour de telle fête... - Je n'ai pas besoin de choisir un jour de fête pour mourir, nous répond-elle, le jour de ma mort sera le plus grand de tous les jours de fête pour moi'...» Aujourd'hui comme elle crachait un peu moins le sang et que dans son crachoir il n'y avait que quelques cra­chats depuis le matin, elle ne faisait que de les regarder d'un air navré... « Si peu, faisait-elle, pour souffrir tant » et puis : « Si peu ah ! cela ne va donc pas être aujourd'hui... je ne sais pas mourir... Je pense qu'il faut que je sois bien mignonne mainte nant, et que j'attende le « Voleur » bien gentiment. »
Comme l'on craignait beaucoup hier qu'elle ne passe pas la nuit on avait apprêté dans l'appartement à côté un cierge bénit et de l'eau bénite ; elle regarde tout le temps ces deux objets du coin de l'oeil d'un air de complaisance et nous dit : « Voyez- vous ce cierge-là, quand le voleur m'emportera on me le mettra dans la main, mais faudra pas me donner le chandelier il est trop laid »; puis elle s'amuse à nous parler de tout ce qui arrivera après sa mort. De la manière dont elle nous raconte cela, là où l'on devrait pleurer on rit aux éclats tellement elle est amusante... Elle passe tout en revue, c'est son bonheur et nous en fait part dans des termes qui nous font bien rire. Je crois qu'elle mourra en riant tellement elle est gaie.
J'avais interrompu ma lettre ayant entendu sonner Mr de Cornière. Après la journée d'aujourd'hui il est bien embarrassé, voyant que tous ces crachements de sang ne l'affaiblissent pas de manière à la faire passer dans une grande faiblesse. Il dit qu'à son âge il y a tant de vie qu'on ne saurait trop dire si cela peut aller peu de jours ou longtemps.
Je vous écrirai tous les jours et puisque le départ de la Musse est retardé vous saurez peut-être à la fin de la semaine à quoi vous en tenir pour votre voyage de Vichy. Peut-être aurez-vous le temps de le faire. Tout cela est problématique.
Mr l'Abbé (Youf)  est arrivé en bonne santé et heureux, heureux de sa réception et de son voyage. Auguste ne l'est pas moins. Merci, merci mon cher petit Père.
Merci à maman pour tout ce qu'elle nous envoie, herbes et fleurs tout fait le plus grand plaisir.
Je t'envoie mon plus gros baiser du coeur ainsi qu'à ma chère petite Mère. - Que je vous aime donc tous les deux ! !... C'est impossible que vous puissiez le savoir sur la terre. Petite Reine vous envoie toute son affection à tous.
Ta petite fille qui te chérit Marie de l'Eucharistie r.c.i.
J'espère que l'indisposition de maman ne va pas avoir de suites fâcheuses. Il ne faut pas que tout le monde soit malade. Je suis bien contente des bonnes nouvelles de la santé de papa, qu'il continue ainsi. Petit Paulin vous embrasse bien fort et vous fait dire qu'il ne va pas tomber malade. - Toutes les petites filles embrassent Oncle, Tante, frère et soeur.

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