Carmel
De soeur Marie‑Dosithée Guérin à sa soeur Mme Martin – le 22 octobre 1868

DE  
GUÉRIN Marie-Louise, Sr Marie-Dosithée
À 
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin

22/10/1868

De soeur Marie‑Dosithée Guérin à sa soeur Mme Martin.
 
V. + J.
                                                                                         De notre Monastère du Mans
                                                                                      le 22 octobre 1868
 
Ma chère Soeur, 
Je vais commencer par te gronder bien fort; j'aime mieux avoir tes enfants (Marie et Pauline, en pension depuis la rentrée d'octobre) à diriger que toi, elles sont beaucoup plus faciles; pour toi, il n'y a pas moyen de t'empêcher de te tourmenter, quand c'est fini d'un côté, tu commences de l'autre.  Marie est parfaitement habituée, est gaie, joyeuse et gentille, si tu ne veux pas me croire demande-le à Mlle Romet (Pauline Romet, marraine de Pauline) qui l'a vue. Je crois qu'on en fera une bonne fille, je ne lui trouve pas un mauvais caractère, mais une humeur mélancolique que j'espère bien corriger parce que je sais comment m'y prendre avec elle, J'en ai fait l'expérience la semaine dernière elle pleurait et voulait te voir; après l'avoir beaucoup caressée voyant que cela ne cessait pas je résolus de m'y prendre autrement lorsque je quittai la classe où nous faisions une surveillance elle vint comme d'habitude pour m'embrasser, je m'y refusai; elle se mit à jeter les hauts cris [1v°] je ne cédai pas et m'en allai je revins quelques minutes après avec une feuille de papier à lettres en lui disant de t'écrire de venir la chercher et moi j'avais le coeur si gros et si triste que je me mis à pleurer dans la classe; cette pauvre Marie me dit en criant de toutes ses forces que jamais elle ne recommencerait elle a tenu parole jusqu'à lundi dernier que je fus la voir et il me sembla voir encore des traces de pleurs Je lui en demandai la raison elle me dit qu'elle n'avait pas bien fait son devoir, je refusai encore de l'embrasser en lui disant qu'on ne devait pas pleurer pour si peu de chose, maintenant elle me ravit, elle est gaie et ouverte me dit qu'elle est parfaitement habituée elle aime ses maîtresses et certes elles seraient bien ingrates si elles ne le faisaient pas car ce sont de vraies mères pour elles; leurs petites compagnes sont comme de petites soeurs, ces pauvres petites filles avaient tant de peine quand elles la voyaient triste, elles faisaient tout ce qu'elles pouvaient pour la consoler; c'est vraiment plaisir de les voir quand j'arrive à la classe de voir l'empressement qu'elles ont à les en avertir et comme elles paraissaient prendre part à leur bonheur; aussi la marraine de Pauline lui a apporté des gâteaux et des bonbons, J'ai voulu qu'elles partagent les gâteaux avec leurs compagnes du reste elles le voulaient elles-mêmes me disant [2 r°] que leurs compagnes leur donnaient bien de leur affaires. Pour les bonbons, je les garde et le leur distribuerai selon qu'elles en auront besoin et seront sages.
Pauline est un petit bijou d'enfant gaie comme un pinçon (sic), studieuse et faisant tout de son petit mieux. Tu vois donc chère soeur que tout va parfaitement bien et pour moi je suis ravie de voir mes deux petites colombes dans l'arche sainte, J'espère qu'elles y conserveront la blancheur de leur beau plumage dans toute sa pureté; il était grand temps qu'elles y viennent sans quoi le souffle impur du monde les aurait bien vite souillées.
Elles ont assez de linge pour un mois; ne leur fais pas faire de guimpes blanches, ma Sr Marie-Paul qui s'occupe de la lingerie aime mieux les noires. Je désirerais si tu avais de vieux gants qui ne soient plus en état de servir de les envoyer, on couperait le bout des doigts et l'hiver elles les mettraient en classe.
La soeur chargée de les peigner est habituée maintenant à leur faire des tresses, les peignes (peignes d'ornement) ne serviront pas, et on ne leur coupera pas les cheveux, mais il l'aurait fallu, sans aucun doute, qu'on n'aurait pas fait entrer un perruquier pour cela, mais nous l'aurions fait nous même; moi je le répète si Marie était ma fille, je ne balancerais pas à les lui couper ras, elle n'en a pas beaucoup et encore le peu tombe; mais l'entrée de l'hiver n'est pas favorable pour cela.
C'est certainement Marie qui écrit ses lettres et comme elle l'entend, la pauvre enfant était bien embarassée (sic) comment s'y prendre, elle est allée demander à la maîtresse qui gardait comment la faire; on lui a répondu d'écrire comme si elle parlait à sa mère [2v°] du reste c'est bien facile de voir que c'est elle car c'est drôlement tourné et plein de fautes d'orthographe .
Adieu chère amie ne te tourmente pas tu penses bien que je ne voudrais pas faire de mensonge pour te consoler et que si Marie n'était pas habituée je n'irai pas te dire qu'elle 1'est, moi-même il me serait impossible de la garder si je la voyais triste, je t'écrirais de venir la chercher.
Je t'embrasse ainsi que mon beau-frère et les petites (Léonie et Hélène, qui ont alors cinq ans et demi et quatre ans).
Ta soeur affectionnée.
Sr Marie Dosithée Guérin
de la Von Ste Marie
         D. S. B.
Il y a assez de deux poches.
Envoie-moi deux petites cravates.  
 
231*

Retour à la liste