Carmel
De soeur Marie‑Dosithée à Mme Martin – 21 septembre 1876.

DE  
GUÉRIN Marie-Louise, Sr Marie-Dosithée
À 
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin

21/09/1876

De soeur Marie‑Dosithée à Mme Martin. 21 septembre 1876.
 
V. + J.
De notre Mère du Mans
                                                                         le 21 septembre 1876
Ma Chère soeur,
Tu ne t'attends pas à recevoir de mes nouvelles aujourd'hui mais je tenais, avant la rentrée à te mettre parfaitement au courant de ma santé, afin que tu réfléchisses à ce que tu as à faire au sujet de Pauline.
Depuis une dizaine de jours, je me trouve moins bien; la fièvre a augmenté et ne cède ni le jour, ni la nuit, aussi ai-je une figure enluminée qui ferait croire à la meilleure santé ; les nuits très mauvaises se passant à tousser et à être assise sur son lit qui est devenu ma meilleure croix, et cependant je me couche d'assez bonne heure, mes pauvres pieds enflés le réclament impérieusement. Voilà ma véritable position, et cependant allant et venant partout; tous les jours, une de nos bonnes soeurs infirmières a la charité de me promener au jardin, ce qui me fatigue beaucoup, mais enfin, il le faut, je dois prendre l'air.
[lv°] Voyant cet état de chose, et le médecin qui ne m'ordonnait plus rien et me regardait comme perdue, j'ai demandé permission à N. T. H. Mère d'avoir un vésicatoire afin de me dégager un peu et d'avoir au moins quelques nuits un peu moins mauvaises, jusqu‘ici ce remède m'ayant toujours soulagée. Je l'ai obtenu aussitôt, et quoique le résultat ait été prodigieux et même inouï, cela n'a servi qu'à m'affaiblir et augmenter la fièvre; ainsi il faut pour toujours y renoncer, il n'y a plus de remède possible. Ma vie donc n'est plus qu'une question de temps, mais personne ni le médecin ne sauraient le préciser, non pas même à 6 mois près. Ce qu'il y a de certain, c'est que nous avons l'hiver en perspective, et que je ne pourrai qu'être très souffrante. Est-il donc à propos que Pauline avec un coeur comme le sien, rentre à la Visitation où elle pourra rarement me voir, me saura très malade : la crois-tu assez remise pour soutenir cela ? La pauvre enfant sera malheureuse et moi aussi, nous souffrirons toutes les deux. De plus, elle change de première maîtresse, elle perd ma Sr M. Aloyais qu'elle aimait tant. Je vous prie, réfléchissez à tout cela, vous pensez que je serai toujours très heureuse de la revoir mais je ne vois que peines et tristesses pour elle et pour moi.
 
Si vous prenez le parti de la garder, vous viendrez [2 r°] me voir toutes les trois : dans ce cas-là, ne venez donc qu'après la Toussaint, seulement avant les grands froids, il y a peu de temps que nous ne nous sommes vues, et en vous en allant, vous emporterez les affaires de Pauline.
Maintenant ma chère soeur, il me reste à te dire toute la reconnaissance que je dois à notre bonne Mère, pour tous les soins et la bonté qu'elle a pour moi : j'ai reçu l'obéissance de demander ce que je désirais manger et qui me ferait le plus plaisir; mes désirs ne sont pas très variés, je ne désire à peu près rien, nos bonnes soeurs aussi sont pleines de charité pour moi, je l'ai déjà entendu dire par des soeurs qui venaient d'autres monastères, la charité est la vertu dominante de la maison ; ainsi maintenant et quand je ne serai plus, aimez toujours bien mon cher couvent.
Et vous, mes chères petites filles, vous allez bien prier pour votre pauvre tante, afin que toute cette longue maladie, avec ses souffrances et ennuis sans fin, soit rapportée à la gloire de Dieu, c'est là le but que nous devons avoir dans toutes nos actions. Tous les jours je vous consacre une heure pour vous et vos parents, faites m'en autant, non pas que vous vous retiriez dans votre chambre pour prier, mais pendant votre travail; travaillez solidement à la correction de défauts, la vie ne vous est donnée que pour cela.
Je suis honteuse d'un pareil griffonnage, mais je ne puis plus écrire. Je vous embrasse tous et particulièrement Céline qui aime bien sa tante.
Votre Sr Dévouée
Sr M. Dosithée Guérin
De la Von Ste Marie
D. S. B.
Je comprends ma chère soeur, que tu désires avoir souvent de mes nouvelles; tu comprends aussi que je ne puis pas t'en donner si souvent. J'ai pensé que M. Vital (Romet) venait encore assez souvent au Mans, alors, il pourrait envoyer une domestique en demander à nos Srs Tourières, et vous, vous iriez chez lui à son retour pour avoir la réponse.

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