Carmel
De soeur Marie‑Dosithée à Mme Guérin – 4 avril 1875.

DE  
GUÉRIN Marie-Louise, Sr Marie-Dosithée
À 
GUÉRIN Céline née FOURNET

04/04/1875

 
De soeur Marie‑Dosithée à Mme Guérin. 4 avril 1875.
 
           Vive + Jésus                                                 
           De notre Mère du Mans
                                                                       le 4 Avril 75
                     Ma chère soeur,
           Votre chère lettre m'a fait grand plaisir comme toujours; et c'est pour moi comme pour vous une bonne mortification de n'en pas recevoir plus souvent; ma consolation est que N. S. le sait et que bientôt dans l'éternité il n'y aura plus de séparation. J'aurais bien voulu quelques lignes d'Isidore; c'est peut-être de l'immortification et c'est sans doute pour cela que N. S. ne l'a pas permis; il me tardait d'apprendre s'il se tracassait encore, je voudrais bien que non, car l'inquiétude est nuisible à l'âme
et au corps; je ne pense pas être indiscrète en le demandant, car entre nous, les biens et les maux tant de l'âme que du corps sont communs; grâce à Dieu dans notre famille nous ne faisons vraiment qu' un; nous avons nos défauts mais il y a une telle affection et unité que cela répare tout
Je suis peinée mais je le dis du fin fond du coeur que ce bon Mr. Fournet ne revienne pas au bon Dieu ! Il ne serait pourtant [1 v°] pas trop tôt de donner au bon Dieu le déclin d'une vie qui ne lui avait été donnée que pour lui; il a été pendant sa longue carrière comblé des bénédictions du Ciel ! il a reçu une épouse et des enfants qui ont fait le bonheur de sa vie, il a été béni dans sa fortune, dans sa réputation; et n'est-ce pas la moindre chose en reconnaissance de revenir à l'auteur de tant de biens ! et, s'il y a des sacrifices à faire pour cela, et bien tant mieux c'est le besoin d'une âme grande et noble de prouver sa reconnaissance par le sacrifice, et encore ce sacrifice sera bien récompensé dès ici-bas par la paix de l'âme et la joie d'avoir rempli un devoir. Pardonnez-moi ma chère soeur d'ajouter encore à votre peine mais j'avais besoin de m'épancher un peu avec vous, et de vous engager à prier de plus en plus, cette grâce ne vous sera accordée que par la prière, il n'y a que Dieu qui puisse toucher les coeurs, c'est un sanctuaire inaccessible à tout autre qu'à lui, nos paroles ne peuvent retentir qu'aux oreilles 23. C'est au Seigneur de les rendre efficaces par sa grâce.
Je m'aperçois que j'ai écrit sur une demi-feuille de papier à lettre; je pense que vous ne serez pas fâchée si je ne recommence pas cette lettre; nos moments de loisir sont courts.
[2r°] je suis enchantée de tout ce que vous me dites de votre petite Jeanne, je crois qu'elle fera quelque chose de bon, il y a toujours une grande ressource dans les bons coeurs; quant à votre petite Marie, vous avez bien raison de ne pas vous étonner de ses défauts, elle est si jeune et avec une bonne direction tout cela disparaîtra avec l'âge.
Marie et Pauline vont bien, leur santé est très bonne Pauline s'est étonnamment fortifiée, elle a une mine prospère, quoique sujette à de fréquentes migraines; seulement elle ne grandit guère, elle sera petite (elle ne dépassera pas 1 m 54, comme sa mère), ce qui ne lui plait guère. J'en suis contente c'est une bonne petite fille qui a un coeur d'or, elle a pourtant bien des petits défauts que je voudrais voir disparaître, il faut espérer que cela viendra. Marie est une grande demoiselle belle et bien faite, qui n'a plus que quelques mois à rester à la Visitation à son grand regret... ; mais je trouve qu'il est temps qu'elle s'en aille, tant pour aider sa mère que pour se former au ménage et à tous les devoirs d'une bonne mère de famille. C'est une très bonne fille mais ses parents la voudraient plus pieuse, j'espère que ça viendra chez elle où elle n'aura que de bons exemples elle se formera plus facilement à les suivre.
[2 v°]Vous voulez des nouvelles de ma santé, elle est très bonne je vous assure, j'ai passé mon Carême assez traînante, j'ai eu la grippe ainsi que presque toute la Communauté ; j'ai été bien malade, cela a réveillé toutes mes anciennes misères (pulmonaires), j'étais si faible qu'à peine pouvais-je me soutenir ; trois semaines encore après, il me semblait, que j'allais tomber en défaillances et avec cela de fréquentes palpitations, à présent je suis revenue à mon état ordinaire; cela m'a procuré un avantage : le repos et la transpiration m'ont fait désenfler le pied et depuis ce temps je marche bien comme par le passé, quoique pourtant mon pied ne soit pas entièrement guéri.
J'ai eu une belle petite visite le lundi de Pâques (le 29 mars 1875), à laquelle je ne m'attendais pas : Zélie m'a amené sa petite Thérèse elle a pensé que cela me ferait plaisir de la voir ; c'est une petite fille qui est très mignonne et d'une obéissance rare, elle a fait tout ce qu'on lui dit sans se faire prier et a été si tranquille qu'on l'aurait fait rester toute la journée assise sans bouger, j'ai été très contente de la voir.
Embrassez bien Isidore pour moi, je suis très contente de le voir s'occuper de bonnes oeuvres, pourtant qu'il ne se tue pas ! Il avait raison de dire que le bon Dieu ferait ses affaires puisqu'il s'occupait des siennes, mais il avait tort de tant se tourmenter. Recommandez-lui bien le calme et la tranquillité.
Embrassez bien pour moi mes chères petites nièces [2 v° tv] et dites à Jeanne que sa tante du Mans a été bien contente d'apprendre qu'elle était sage et obéissante
Chère soeur je vous embrasse de tout mon coeur
Sr Marie-Dosithée Guérin
de la Von Ste Marie
D. S. B.

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