Carmel
De soeur Marie‑Dosithée à Marie – 14 novembre 1875.

DE  
GUÉRIN Marie-Louise, Sr Marie-Dosithée
À 
MARTIN Marie, Soeur Marie du Sacré-Coeur

14/11/1875

 
De soeur Marie‑Dosithée à Marie. 14 novembre 1875.
 
V. + J.
De notre Mère du Mans
                                                                      le 14 novembre 75
                      Chère Marie
           Tu vas peut-être être surprise de recevoir une lettre aujourd'hui mais dans 15 jours nous serons dans l'avent et tu sais que nous ne devons pas écrire pendant ce temps. Je ne te demandes, pas une réponse dimanche, il faudra écrire à Pauline. Si vous faisiez donc comme beaucoup de monde ; quand on a plusieurs lettres à faire on les écrit sur du papier mousseline et alors on en met 3 ou 4, ce papier ne pèse pas. On encore, j'ai vu une lettre trop chargée affranchie avec un timbre de 25ces et un de 5ces, dans ce cas-là je pense qu'on la fait affranchir à la poste afin de savoir au juste ce qu'il faut.
Je vois ma Marie que tu es tout de même une bonne fille, que le bon Dieu te comble de grâces ; il y faut répondre, ma chère enfant, et porter son joug dès ton adolescence. C'est un bon Maître qu'on ne sert jamais trop tôt et si Jacob pour avoir Rachel servit son beau-père Laban 7 ans et puis 7 autres années encore et ce temps ne lui parut rien à cause de l'affection qu'il portait à la belle Rachel (Gn 29, 15‑30), combien l'amour que nous devons à notre Dieu doit-il nous faire trouver légers les sacrifices [1v°] qui se rencontrent à son service. Tu n'as pas compris, ma chère enfant, la tristesse et la consolation. Il y a 5 mauvais effets de la tristesse et 2 bons seulement; or, la tristesse qui donne le repentir de ses péchés, mais un repentir doux et rempli de confiance en la miséricorde de Dieu est bonne ; mais celle qui nous accable et nous décourage au service de Dieu, pensant que nous ne ferons jamais rien de bon est immanquablement mauvaise. Pour la joie, c'est la joie du St Esprit ; et non, pas une joie grossière et extravagante que la nature et les sens nous donnent quelquefois ; elle n'est certainement pas bonne : tu le comprends assez, je n'ai pas besoin d'en dire davantage.
Revenons à la méditation et aux prières vocales. Ton attrait pour regarder l'autel et le tabernacle est bon et très bon, ce n'est pas avoir la vue égarée de regarder là et tout pendant que tu peux t'occuper de cette manière fais-le, quand tu ne le peux pas tâche de réveiller ta dévotion d'une autre manière, soit en priant vocalement, ou des aspirations ou élans vers Dieu. Pour la messe, surtout celle du dimanche, il faut lire les oraisons, épîtres et évangiles, la prière liturgique a une grâce particulière. Sais-tu, mon enfant, que le Seigneur te fait un don bien précieux par le don d'oraison, mais il n'est encore qu'à l'état de semence, il faut le cultiver, c'est le talent que Dieu te confie, ne va pas l'envelopper et le cacher en terre comme le serviteur [2r°l de l'évangile (Mt 25, 14‑30), quoiqu'il rendît ce qu'on lui avait confié, il fut cependant jeté dans. les ténèbres éternelles, parce que nous sommes obligés à faire valoir les dons de Dieu. Je trouve une petite contradiction dans ce que tu me dis que tu n'as pas le temps de faire tes prières et que tu les fais pendant la messe, et qu'alors la méditation reste de côté. Cependant, c'est elle qui doit avoir la préférence, et laisser les prières vocales qui ne sont pas d'obligation ; oui même le chapelet, quoique je t'avoue que cela me déplaise fort de ne pas offrir ce petit tribut à la Ste Vierge, et qu'après tout, tu n'es en ce monde que pour glorifier Dieu et le servir, c'est là ton unique affaire. Je ne comprends pas, à te dire vrai, que des personnes qui ont leur vie gagnée ne trouvent pas assez de temps pour faire leurs dévotions; au dernier jour, nous serons confondues par de pauvres ouvrières qui auront bien trouvé le temps de prier, quoiqu'elles n'aient pour toute ressource que leur travail.
Tu veux avoir une méthode pour l'oraison, en voici une, tirée de l'Introduction (Introduction à la vie dévote, par saint François de Sales) que tu possèdes. Cela me ferait bien plaisir que tu y ferais tes lectures, c'est un livre qui a peuplé le ciel de Saints.
1° Se mettre en la présence de Dieu, mais une véritable présence, et non une routine, penser que Dieu te voit et que tu es devant son adorable majesté devant qui les plus hauts Séraphins sont anéantis ; et comment nous, si misérables pourrons-nous paraître distraits et préoccupés de futilité devant le Très‑Haut ! 2° Humilité se reconnaissant indigne de paraître devant Lui, et cependant sachant que le Seigneur le veut, lui demander la grâce de le bien servir et adorer [2v°] dans cette méditation ; le remercier de tous les biens dont il nous a comblés, lui demander pardon de tous nos péchés, lui demander la grâce du Saint-Esprit pour la bien faire et réciter à cette intention le Veni Sancte; se recommander à la Ste Vierge, St Joseph, son bon ange, aux Sts de sa dévotion ; ensuite entrer dans ton point que tu as dû préparer et faire des considérations afin d'émouvoir tes affections en Dieu et aux choses divines, et puis passer aux affections le plus tôt possible ; avoir un ou deux points de préparés, crainte d'en man­quer ; à la fin, prendre un bouquet spirituel bien précis et circonstancié de la vertu à pratiquer, comme par exemple la douceur ; se proposant dans ses rapports avec ses soeurs de leur parler d'une manière affectueuse, ne point les reprendre avec vivacité, recevoir les observations paisiblement, etc. etc. et afin de se les rappeler prendre une parole de la Ste Ecriture qui nous servira d'inspiration comme « Jésus doux et humble de coeur » etc. . . ensuite remercier Dieu des grâces qu'il nous a faites pendant cette Oraison, lui demander pardon des fautes que nous y avons faites, le prier d'en être le réparateur, mettre nos résolutions sous la protection de la Sainte Vierge, etc. ...
J'ai beau écrire serré, je ne pourrai pas tout te dire ; sois douce avec ta petite élève ; comment veux-tu la former à la vertu, si tu ne la pratique pas? Si elle est étourdie, ne l'as-tu pas été toi-même ? Cependant quand elle ne fera pas attention il faut lui donner une petite pénitence.
Dis à ta Mère qu'elle ne se chagrine pas au sujet de ce qu'elle a fait pour la petite fille (Armandine) ; car elle ne l'a fait uniquement que, poussée de la gloire de Dieu et le bien de cette enfant, et encore après avoir pris conseil : certainement elle en sera récompensée dans l'autre vie, surtout si elle ne l'est pas dans celle-ci ; à présent, qu'elle voie ce qu'il reste à faire. Si cela ne te déplaît pas ma petite Marie, je serais [2v°tv] bien aise que tu donnerais ta lettre à lire à ta Mère ; à cause de toi je ne puis plus écrire et cela me fait de la peine ; embrasse-la bien pour moi. Pauline a toujours le tableau d'honneur, elle n'a pas encore manqué.
Je t'embrasse bien tendrement.
Sr M. Dosithée
De la Von Ste Marie
D.S.B.
[1r°tv] Si tu voyais la maison, tu dirais une ville prise d'assaut des brèches de tous côtés ! pendant le dernier ouragan beaucoup de Soeurs ont été obligées de veiller pour vider l'eau qui entrait de tous côtés.
[1v°tv] Pauline est une petite folâtre qui prétend que sa tante est bien vieille, bien vieille, elle a 60 ans (Soeur Marie‑Dosithée en a 46) et a toujours demeuré à la Visita­tion ; nous n'avons que 53 ans de fondation, ainsi j'aurais été ici 7 ans avant les autres.

Retour à la liste