Carmel
De soeur Marie‑Dosithée à M. Guérin – 6 janvier 1875.

DE  
GUÉRIN Marie-Louise, Sr Marie-Dosithée
À 
GUÉRIN Isidore

06/01/1875

De soeur Marie‑Dosithée à M. Guérin. 6 janvier 1875.
 
Vive Jésus.                                                                
De notre Mère du Mans
                                                                       le 6 janvier 75
Mon bien aimé et très cher Frère
Je t'écris plutôt (sic) que je ne l'avais projeté parce qu'il m'a semblé que tu avais de la peine; tu te tracasses d'une manière incroyable, du reste c'est de famille, mais cependant on peut s'en corriger comme d'un autre défaut. Je te dirai bien franchement que je suis fâchée de te voir cette droguerie (VT janvier 1972, lettre 203, n. 1), tu aurais assez de ta Pharmacie, il est certain que tu ne peux pas bonnement y réussir comme tu le ferais si tu n'avais que cela; pouvant fort peu t'en occuper, tu es obligé d'y mettre d'autres personnes qu'il faut payer fort cher et qui par conséquent absorbent tout ou presque tout le bénéfice et encore qui font moins bien que tu ne le ferais. Il est vrai que tu as Mr Maudelonde, mais ce [l v°] Monsieur n'est plus jeune (il a 41 ans;) et n'a pas été habitué au commerce, il me semblerait qu'il aurait par là plus de difficultés à réussir. Enfin je serais contente que tu trouverais à t'en défaire avantageusement (de la droguerie) il est vrai que ce n'est pas le moment, les choses ne vont pas assez bien. Je ne vois tout de même pas que tu aies sujet de te tourmenter puisque tu ne perds pas et qu'au contraire tu as du bénéfice. Je suis enchantée de ce que tu as établi St Joseph ton économe, aie confiance et tu verras tes affaires prospérer, le Seigneur ne refuse rien à une confiance persévérante, et j'ai vu tant de merveilles opérées par St Joseph; des secours et des ressources, arrivées si providentiellement que je te félicite et crois que cette inspiration vient de Dieu.
Venons au 2e point de ta lettre qui est le plus intime et qui n'est pas le moindre de tes tourments. Ta considération augmente, tu t'entends vanter et tu crains d'avoir de l'orgueil.
Ne t'inquiète pas de cela, aujourd'hui le monde t'approuve et te vante et [2r°] demain peut être pour les mêmes oeuvres et pour de plus grandes et meilleures, il te dénigrera, te honnira, et voudrait pour ainsi dire t'exterminer. Vois-le en la personne de N. S., il courait au-devant de lui en disant : « Hosanna au fils de David » (Marc 11, 9‑10) et six jours après : « Crucifiez-le, crucifiez-le (Marc 15, 13). » Mon cher frère ne t'occupe pas du qu'en dira-t-on ni en bien ni en mal, Dieu seul nous jugera, ne faisons nos oeuvres que pour lui, sans égard à la bonne ou mauvaise renommée, et comme tu n'as pas fait le bien pour être approuvé (Le 4/3/1874, M. Guérin a participé à la fondation de la Conférence de Saint Vincent-de-Paul; le 12/4/1874, il est nommé au Conseil de Fabrique de la paroisse Saint Pierre; en octobre, il participera à la fondation du Cercle Catholique), ne le quitte pas non plus pour cela, et au lieu de disputer avec tes pensées de vanité, laisse-les tomber avec mépris tu en auras bien vite raison; quand elles te viendront élève ton coeur à Dieu et dis à ces pensées de vaine complaisance : «Je n'ai pas commencé pour vous, je ne cesserai pas non plus pour vous ». Tu comprends que si les gens de bien avaient un peu plus d'énergie pour vaincre et combattre le mal, la société ne serait pas dans l'état où elle est; les mauvais font plus que puissance pour faire le mal et malheureuse­ment les bons font peu d'efforts pour leur résister, ils se tiennent tranquilles dans leur justice [2v°] et les mauvais ont le dessus. Fais hardiment le plus de bien que tu pourras, et si cela te met en considération, tant mieux, non pour toi, mais pour la gloire de Dieu, il est nécessaire quelquefois d'être dans les honneurs, les bonnes oeuvres ont par là beaucoup plus de poids et donnent meilleur exemple, le tout est d'en référer toute la gloire à Dieu, et de ne s'attribuer à soi que ce qui vient de nous c'est‑à-dire la malice et la corruption profonde de notre nature : hélas quand je considère ce que tu es et ce que tu devrais être je n'en reviens pas; car tu devrais n'être rien de bon, et tu es bon! à qui la gloire ? à Dieu seul ! Aussi je ne taris pas en actions de grâces, car il a tout fait.
Pour toi c'est sagesse de craindre la vanité car aussi elle fait beaucoup de maux et si ces grands et saints personnages: Lamennais, Hyacinthe (F. de Lamennais et Hyacinthe Loyson), etc. s'étaient tenus dans l'humilité ils n'auraient pas fait ces effroyables chutes, et pourtant pour se garantir de l'orgueil il ne faut pas éviter de faire le bien, mais craindre sa faiblesse et se confier en Dieu, une âme qui se confie en lui ne sera jamais perdue; il est encore bon quand on est dans le calme de faire de profondes réflexions sur sa misère et son néant et demander à Dieu de nous préserver du péché et de l'orgueil. Je dis dans le calme, car il me semble et c'est vrai que quand les tentations d'orgueil sont là. Il ne faut pas faire trop de considérations, mais les mépriser et les rejeter, car si on entre en dispute avec elles on [2v° tv] n'en peut pas sortir. Voilà cher frère des avis qui me semblent bons, maintenant il nous faut prier car la vie spirituelle est pleine de tentations et la victoire est pour ceux qui suivent le conseil de N. S. de veiller et prier (Matthieu 26, 41) !
[1r° tv]. Veille aussi à ne pas te tracasser, cela est très mauvais pour la santé de l'âme et du corps, comment veux-tu arriver à la perfection avec tout ce tumulte et cette inquiétude d'affaires; je comprends que tu as bien des sujets de sollicitude; mais crois-moi, jette tes inquiétudes dans le sein du Seigneur et il aura soin de toi (Ps 54, 23).
[1 v° tv] J'ai trouvé la lettre de ma belle soeur si gentille et pleine d'affection qu'elle m'a été au coeur : Dis-lui que je la remercie bien des étrennes qu'elle a données en mon nom aux petites filles et l'embrasse ainsi qu'elles pour moi.
[2r°tv] J'ai pensé cher frère te faire plaisir en t'envoyant cette image; elle me plaît beaucoup, je pense que nous avons les mêmes goûts. Je t'embrasse de tout mon coeur et te prie d'être plus calme et de t'abandonner tout de bon aux soins paternels de N. S. il a été si bon pour toi que ce serait une grande ingratitude de ne le pas faire.
Ta soeur dévouée
Sr M. Dosithée Guérin
De la Von Ste Marie.
D. S. B.

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