Carmel
De soeur Marie‑Dosithée à M. et Mme Guérin – 27 juin 1875.

DE  
GUÉRIN Marie-Louise, Sr Marie-Dosithée
À 
GUÉRIN Isidore
GUÉRIN Céline née FOURNET

27/06/1875

De soeur Marie‑Dosithée à M. et Mme Guérin. 27 juin 1875.
 
Vive + Jésus                                                             
De notre Mère du Mans
                                                                       le 27 juin 1875
Mon cher Frère et ma chère Soeur.
Je vous écris selon votre désir. Je ne comprends pas quel bien et quel charme vous pouvez trouver dans mes lettres qui sont pour l'ordinaire si insignifiantes et qui n'ont d'autre mérite que l'affection que je vous porte et que vous me portez; pour ce qui est de vous écrire plus souvent, notre bonne Mère le veut bien et je vous ai toujours dit que je vous répondrais à chaque lettre que je recevrais, vous pensez bien que je ne puis pas vous écrire sans sujet et sans savoir que dire, il faut pour cela que vous me mettiez au courant de vos petites affaires.
Tu as grand tort cher frère d'être jaloux de Zélie, je ne lui écris pas comme tu le crois; tous les 15 jours, quelques lignes seulement pour lui demander ou lui faire quelques observations au sujet des enfants au lieu que je t'envoie de longues lettres et plus [l v°] intimes ce qui te dédommage même des visites fréquentes que tu ne peux faire et qu'elle fait.
Ta lettre m'a fait de la peine. Tu souffres donc bien moralement que tu dis que le moral est le plus malade? pourquoi donc se tracasser de la sorte? il n'y a donc pas moyen d'être heureux ici‑bas? pourtant ta position est belle il faut savoir se contenter et il n'est pas nécessaire de faire des affaires si brillantes; moi je trouve que tu en fais d'assez bonnes comme cela; à quoi donc te servirait de devenir si riche ? va tu n'en serais pas plus heureux, ni tes enfants non plus ! J'ai toujours trouvé que le bonheur était dans la médiocrité, je désirerais bien que tu partagerais ma manière de voir. Au lieu de te faire de la peine tu devrais être dans la jubilation : être par la miséricorde très grande de Dieu retiré de la foule de ceux qui ne semblent sur la terre que pour blasphémer et injurier leur Créateur et Père et au lieu de cela être mis au nombre de ses bons et fidèles enfants et serviteurs n'est-ce pas le bonheur des bonheurs ? et outre cela avoir une femme bonne et vertueuse qui t'aime plus qu'elle-­même ! et tes charmantes petites filles ! et tes soeurs qui te sont si dévouées et ressentent si vivement le bien et le mal qui t'arrivent! Ce n'est pas encore tout, avec cela une bonne renommée ! Il faut absolument [2r°j rejeter cette humeur mélancolique et jouir des biens que le Seigneur t'a donnés : je t'en prie, qu'il ne soit plus question de toutes ces tracasseries.
Ta santé c'est autre chose, cela me fait de la peine de te voir tant souffrir, car ce doit être horrible: j'y prends une si grande part que tes douleurs deviennent miennes. Aussi dans ton pèlerinage de N. D. de Lourdes (du 30 août au 3 septembre 1875, selon la Semaine Religieuse de Bayeux), il faut demander ta guérison et pas timidement, et te plonger dans la piscine; il n'est pas question pour obtenir un miracle d'être digne : les plus indignes sont souvent les mieux exaucés et qui donc est digne ici-bas ? Ce sont les plus misérables mais qui ont le plus de confiance, à ceux-là toutes les grâces. Cependant il est sûr qu'il faut soumettre sa volonté à celle de Dieu et ne vouloir que ce qu'il veut, mais aller à coeur large et ouvert recourir à sa bonté, il faut être enfant à son égard, mais un enfant confiant.
Je t'en dis bien long et ce n'est rien de ce que j'ai dans le coeur; moi je suis heureuse et je voudrais que ceux que j'aime le fussent aussi, je vais à Dieu comme à mon Père et avec cela je ne m'embarrasse de rien, il fera de moi dans le temps et dans l'éternité ce [2v°l qu'il voudra je n'en ai pas de souci, c'est son affaire et non la mienne; et crois-tu que j'aurai à me repentir d'agir de la sorte et que je trouverai mon Dieu moins généreux que je l'ai cru ? non, tu ne le crois pas!. . .
Puisque tu désires tant Léonie, il faudra bien qu'elle aille j'en ai écrit à sa mère dimanche dernier, il n'y a pas grande considération à faire là-dessus. Tu crois que si tu l'avais tu réussirais, s'il en était ainsi,
tu ferais une grande charité de t'en charger, pour moi je trouve cette éducation difficile.
Ma chère soeur tous les détails que vous me donnez me plaisent extrêmement et me font vivre en famille, ne croyez pas qu'ils soient insignifiants et dites bien à ma petite Marie que j'ai été bien contente d'apprendre qu'elle couchait seule dans une chambre, c'est signe qu'elle est bien sage et bien obéissante. Pour votre petite Jeanne veillez-y, je crains que vous ne l'éleviez pas.
J'ai prié aujourd'hui pour notre cher petit neveu (un petit Maudelonde, soit Ernest (né le 17/9/1862) soit Henry (né le 4/9/1864) ; peut-être à l'occasion d'une première communion, en ce dernier dimanche de juin) et notre bonne Mère l'a recommandé aux prières de la communauté.
Je me porte mieux, même je ne suis pas du tout malade quoique je tousse pas mal.
Je vous prie d'excuser ce griffonnage, je ne sais ce que j'ai je ne puis écrire aujourd'hui.
Je vous embrasse de tout mon coeur ainsi que les petites filles.
Votre soeur toute dévouée.
Sr M. Dosithée Guérin
De la Von Ste Marie.
D. S. B.
 
[1r°tv] Ainsi mon cher frère ne te gêne pas de m'écrire quand tu auras besoin de consolation, je te répondrai toujours ; il est bien sûr que je ne pourrais pas écrire fréquemment pour des choses inutiles et de simple politesse, mais pour ta consolation et la nécessité, c'est charité et je le ferai toujours.
 

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