Carmel
De Mme Martin à son frère Isidore Guérin CF 71 – 17 octobre 1871

DE  
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin
À 
GUÉRIN Isidore

17/10/1871

 
Lettre de Mme Martin CF 71
A son frère Isidore Guérin
17 octobre 1871
(La veille, 16 octobre, M. et Mme Guérin avaient eu un fils, Paul, qui mourut à la naissance).
...Je suis dans la désolation, j'ai le coeur aussi serré que lorsque j'ai perdu mes enfants. Je vous vois tous dans les larmes, auprès de ce cher petit être, mort dans des condi­tions si fâcheuses et, cependant, le bon Dieu vous a encore accordé une grande grâce, puisqu'il a eu le temps de recevoir le Baptême. Enfin, mon cher ami, il faut du courage et je pense que tu n'en manques pas, tu as assez d'énergie et de foi pour supporter les afflictions de la vie.
J'ai reçu ta lettre au moment de me mettre à table en société, car nous avions du monde. Je t'assure que ce que j'ai mangé ne m'a pas fait mal, je n'ai pu rien prendre, j'avais le coeur tellement gonflé que j'en étouffais. Si je pouvais seulement pleurer quand je me trouve ainsi, mais non, ce soulagement m'est refusé, quand j'ai de grandes peines, je ne puis pas.
Je devais être marraine et je m'en réjouissais tant ! Eh bien ! il est dit que toutes mes fêtes tourneront comme cela...
Je ne sais pourquoi, j'avais un pressentiment confus de quelque malheur. Samedi soir, en recevant la toilette que j'avais fait préparer pour la circonstance, je me disais : « Je me réjouis trop, il pourrait bien arriver un malheur. »
Je me suis pas trompée. Si l'enfant était mort au bout de quelques jours, j'aurais eu moins de peine; mais de la façon dont les choses se sont passées, je me figure que c'est de la faute du médecin.
Comme tu le vois, mon cher ami, je te donne de singu­lières consolations, mais je ne sais plus ce que je fais; je ne puis te consoler, car j'aurais besoin moi-même de l'être. Quand je voyais nos invités, pendant le déjeuner, s'amuser comme si rien de fâcheux n'était arrivé, j'en éprouvais bien de l'amertume. Ne crois pas toutefois que ce soit Louis, car il a été très sensible à ta peine et en parle sans cesse.
Nous repassons dans notre mémoire toutes les souffrances et tous les ennuis que ta pauvre femme a dû subir depuis six mois et nous gémissons sur le triste dénouement. Oui, cela est bien dur. Cependant, mon cher ami, ne murmurons pas, le bon Dieu est le Maître, il peut nous laisser, pour notre bien, souffrir tant et plus, mais jamais son secours et sa grâce ne nous feront défaut.
J'ai reçu, hier, à la même heure, une lettre de notre tante, Mme Frédéric Guérin, qui m'annonce la mort de son mari (Frère de leur père), foudroyé par une attaque d'apoplexie, mardi dernier. Elle nous invite au service qui aura lieu jeudi; elle ne me donne aucun détail, je ne sais s'il a eu le temps de voir un prêtre. Cela m'a affligée, mais pas à beaucoup près autant que la nouvelle que tu m'as apprise.
Si tu peux écrire une fois avant que j'aille vous voir, tu me feras plaisir, et dis‑moi, surtout, si l'enfant vivait quand il a reçu le Baptême. Le médecin aurait bien dû le baptiser avant sa naissance. Quand on voit un enfant en danger, c'est toujours par là qu'on commence.
En attendant une lettre de toi, je t'embrasse de tout mon coeur.

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