Carmel
De Mme Martin à son frère Isidore Guérin CF 42 – 1er novembre 1868.

DE  
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin
À 
GUÉRIN Isidore

01/11/1868

 
 Lettre de Mme Martin à son frère Isidore CF 42
1er novembre 1868.
Je voudrais que tu puisses venir le 15, mais je vois que cela ne sera pas, tu attendras sans doute pour le baptême d'un nouvel enfant, car, quoique tu en dises, il nous en viendra encore un ! Cela est certain, ou bien il m'arrivera malheur avant. Mais si le bon Dieu veut encore me prendre celui‑là, je lui demande qu'il ne meure pas sans baptême, que j'aie au moins la consolation d'avoir trois anges au Ciel. J'espère qu'il en sera ainsi, car je n'ai pas dans l'idée que j'élèverai cet enfant plus que les deux autres...
Je ne suis pas si attristée que dimanche dernier. Je ne souffre pas autant, bien que je continue à avoir mal à la gorge, à la tête et toujours aux dents, mais c'est très suppor­table. J'ai bon appétit; seulement, je ne dors pas bien, c'est la nuit que je souffre le plus. J'ai le sang porté à la tête et j'ai, dit‑on, une mine à faire peur. Beaucoup de personnes croient que je n'en ai pas pour longtemps à vivre. Je souhaite qu'elles se trompent, car je n'ai pas le temps de mourir, j'ai trop d'ouvrage pour le moment.
J'ai demandé aux Clarisses de prier pour mon père
Je laisse ma lettre pour aller au cimetière, je la terminerai au retour. La pierre a dû être placée cette semaine. Je n'ai pas acheté de couronne; il y en a beaucoup qui n'en ont pas. S'il faut en mettre une, tu me le diras, moi, j'aime mieux faire dire plus de messes.
Souvent, je désire que tu sois là pour me parler de mon père. Comme il est mort saintement, ce pauvre père !...
Te rappelles‑tu quand il nous serrait la main, la veille de sa mort ? Comme il avait l'air d'un saint ! Si le bon Dieu m'écoutait, il le mettrait aujourd'hui dans son Paradis; si c'était moi, je l'y mettrais bien ! Ce bon père, il n'était pas habitué à souffrir; moi, je ne suis pas effrayée d'aller en Purgatoire, ça me semble tout naturel de souffrir. Si le bon Dieu voulait, je passerais tout de suite le marché de faire le Purgatoire de mon père et le mien, je serais si contente de le savoir heureux !
Je reviens du cimetière. La tombe est prête; cela fait bien, mais la croix qui est au‑dessus, et pour laquelle nous avons payé plus cher, n'est pas à mon idée. Elle est beaucoup moins belle que celle de mon petit Joseph. C'est de l'argent perdu.

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