Carmel
De Mme Martin à son frère Isidore Guérin CF 41 – octobre 1868.

DE  
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin
À 
GUÉRIN Isidore

01/10/1868

 
Lettre de Mme Martin à son frère Isidore CF 41
octobre 1868.
J'arrive du cimetière ; c'est là ma promenade de tous les dimanches. Mon père me suit partout, il me semble le voir souffrir. J'ai offert pour lui toutes les oeuvres satisfactoires que je pourrais accomplir pendant ma vie et toutes mes souffrances; j'ai même fait le voeu héroïque en sa faveur; pour moi, quand je serai en Purgatoire, je ferai mon temps.
Je pense donc que le violent mal de dents dont je souffre depuis plusieurs jours va le soulager. Mon Dieu ! que je suis cependant ennuyée de souffrir ! Je n'ai point de courage pour un centime. Je m'impatiente contre tout le monde, en voilà de belles satisfaction pour mon cher père!
Je suis accablée d'ouvrage en ce moment. J'ai vendu de beaux métrages et reçu plus de quarante mètres de commande. J'ai, entre autres, une commande de vingt mètres très difficile à faire, c'est un dessin de cent quatre-vingts francs le mètre, à livrer pour le 25 décembre.
Ma bonne étant malade, j'ai été obligée de prendre quel­qu'un pour la remplacer. Voilà cinq jours que cette personne est là, elle me vole, je la renvoie ce soir. Je suis donc très embarrassée. (C'est la jeune fille de dix‑neuf ans que je voulais vous envoyer, j'ai bien fait de l'essayer). Je vais rester huit jours toute seule, c'est‑à‑dire sans domestique; la mienne va aller se reposer chez ses parents. Je crois que je serai obligée d'en choisir une autre. Cela m'afflige; les personnes sûres sont si rares, même comme la mienne qui n'a pas toutes les qualités; enfin, j'espère qu'elle ira  mieux !
Je crains bien que tous ces détails ne t'intéressent guère, il n'y a pas de quoi non plus; mais moi, ils me préoccupent et c'est pourquoi je t'en parle.
Quand tu m'écriras, tu me feras plaisir et beaucoup, c'est l'une de mes meilleures joies sur la terre. J'ai perdu une partie de ceux que j'aimais et, ceux qui sont loin et avec qui je ne puis m'entretenir que par lettres, me consolent par leurs nouvelles.
As‑tu emporté l'image que ma soeur avait envoyée à mon père, quinze jours avant sa mort, où elle avait écrit: « Cher père, la mort est un sommeil » (Voici le texte complet écrit par Soeur Marie‑Dosithée sur cette image: « Cher Père, la mort est un sommeil, c'est la fin du jour où l'âme va recevoir le prix de son travail, c'est la fin de l'exil où l'enfant retrouve un Père tendrement aimé. »). Si tu l'as prise, tu n'es pas gêné, je l'ai cherchée partout. I1 fallait donc me le dire. Si tu l'as, garde‑la ou envoie‑m'en la moitié ! Si tu ne l'as pas, dis‑le moi, pour que je la cherche encore.

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