Carmel
De Mme Martin à son frère Isidore Guérin CF 19 – 18 novembre 1866.

DE  
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin
À 
GUÉRIN Isidore

18/11/1866

 
Lettre de Mme Martin à son frère Isidore CF 19
18 novembre 1866.
J'ai reçu ta lettre qui s'est fait longtemps attendre, mon mari regrettait que tu n'écrives pas; moi, je trouvais comme toi qu'il valait mieux retarder pour avoir du nouveau à dire.
Cela me fait de la peine que tu penses toujours aux petites chicanes que nous avons eues ensemble. Ce n'est rien que tout cela, il y a longtemps que je l'ai oublié. Je te connais de vieille date et je sais que tu m'aimes et que tu as bon coeur. Si j'avais besoin de toi, je suis sûre que tu ne me ferais pas défaut. Notre amitié est sincère; elle ne consiste pas en de belles paroles, il est vrai, mais elle n'en est pas moins solide et bâtie sur la pierre; ni le temps, ni les hommes, ni même la mort ne la détruiront jamais.
Le mariage ne doit pas mettre une distance entre les coeurs et je suis bien persuadée que ton affection pour moi est toujours la même. Quant à la mienne, elle est doublée, je t'aime toujours beaucoup et ma petite belle-soeur autant que toi (M. Isidore Guérin venait d'épouser le 11 septembre Mlle Céline Fournet, fille du pharmacien auquel il succédait). Tu ne sais pas combien je suis heureuse de penser que tu as fait un si bon choix. Avant ton mariage, j'avais, je te l'ai dit bien des fois, beaucoup d'inquiétude sur ton avenir, maintenant, je trouve que ton bonheur est assuré. Je pense, comme le répète notre chère soeur du Mans, que  tu as toujours eu de la chance et que le bon Dieu t'a sans cesse protégé d'une manière visible.
Je me demande si jamais mon projet d'aller vous voir pourra se réaliser, je rencontre tant d'obstacles que j'en rêve la nuit. Ainsi, une fois, je partais et je voyais mon mari qui faisait grise mine, disant que je le laissais dans l'embarras. Le lendemain, je lui faisais part de mon rêve, il m'a répondu que j'avais rêvé la vérité. Il n'avait pas besoin de me le dire, je le savais bien. Il est vrai aussi qu'il n'est pas facile que je m'absente, surtout à cause de mon com­merce de dentelles, et puis, quand il faut laisser quatre enfants pendant quinze jours, c'est un peu long. J'ai cependant bien envie de m'échapper, mais je ne sais comment faire; si je pouvais aller et revenir dans la même journée, ce serait déjà exécuté.
Je reviens de voir mon petit Joseph (Marie‑Joseph‑Louis était né le 20 septembre 1866. L'enfant fut mis en nourrice chez une fermière de Semallé, Rose Taillé, dite la « Petite Rose » qui, plus tard, éleva aussi Thérèse). Oh ! le beau petit garçon, qu'il est grand et fort ! C'est impossible de désirer mieux; je n'ai jamais eu d'enfant qui vienne si bien, à part Marie. Ah ! si tu savais comme je l'aime mon petit Joseph ! Je crois ma fortune faite !
Embrasse pour moi ma belle-soeur. Dis‑lui que je l'aime sincèrement. Le plus tôt possible, une petite lettre me ferait tant de plaisir !

Retour à la liste