Carmel
De Mme Martin à son frère Isidore Guérin CF 17 – 10 décembre 1865.

DE  
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin
À 
GUÉRIN Isidore

10/12/1865

 
Lettre de Mme Martin à son frère Isidore CF 17
10 décembre 1865.
Nous avons reçu ta lettre qui nous a fait le plus grand plaisir. Je ne te croyais pas aussi bon, aussi j'ai fait des rêves impossibles que je n'ose pas relater ici, tu te moquerais de moi ! Je te les dirai, s'ils se réalisent.
Mon père a une sensibilité que j'étais loin de soupçonner; mon mari lui a donné ta lettre à lire; il pleurait. Nous avons fait semblant de ne pas nous en apercevoir, afin de ne pas le gêner; enfin nous étions tous dans l'enthousiasme, notre coeur débordait d'amitié les uns pour les autres.
Tu sais que mon père a, depuis longtemps, l'intention de quitter la maison qu'il habite auprès de nous, pour occuper la sienne, rue St‑Blaise (Il en avait fait l'acquisition en 1843. Elle était située au n° 34, actuellement le 42. C'est là que devait naître Thérèse, sept ans plus tard). Cela me causait de très grands soucis, car ce pauvre père ne sait pas s'arranger tout seul; il faut que je le soigne, afin de prolonger ses jours, sinon, je serais dans une continuelle inquiétude.
Probablement qu'il aura prévenu son propriétaire, car, hier, des personnes sont venues visiter la maison; elle allait être louée, je n'avais pas un seul instant à perdre. Mais comment faire ? Par malheur, celle de la rue St‑Blaise est vacante et je n'espérais pas pouvoir le décider à se mettre deux logements sur les bras. J'avais cependant prié la Sainte Vierge pour qu'il reste ici.
Quand je lui ai parlé de cela, il a jeté feu et flamme, mais je lui ai représenté que je ne pouvais me passer de lui, qu'il me rendait de très grands services, enfin, je l'ai conjuré de rester; mon mari s'est joint à moi, il a fini par s'ébranler, il ne répondait plus, je le tenais. Figure‑toi donc, le voir seul jusqu'à la fin de ses jours, dans cette maison de la rue St‑Blaise, pas à proximité de tout ce dont il a besoin ! N'est‑ce pas que j'ai bien fait ?
J'ai encore avancé une autre affaire. J'espère que tu ne seras pas fâché. Eh bien ! je lui ai dit que nous nous charge­rions du loyer de son habitation actuelle pendant cette année, que nous en paierions chacun la moitié, lorsque tu serais établi, mais il ne veut pas de cela. Enfin, las et vaincu par mon déluge de paroles, il est sorti, je l'ai suivi pas à pas jusque chez lui. Je voulais un consentement. Je ne l'ai pas eu à haute voix, il s'est contenté de dire faiblement: « Laisse-­moi la paix », et il s'est mis à sourire.
Je n'en ai pas demandé davantage, je suis allée refaire un bail de trois ans; maintenant, je suis heureuse, j'ai l'esprit tranquille, tu ne saurais croire quel fardeau j'ai de moins sur les épaules ! Mais je vais écrire à « la sainte du Mans » [sa soeur Marie-Dosithée] pour qu'elle prie le bon Dieu afin que la maison de la rue St‑Blaise soit louée, car mon père se tourmenterait plus d'une fois si elle ne l'était pas. Je vais la faire afficher par toute la ville.
Ma petite Hélène n'a plus de fièvre, Léonie va aussi beaucoup mieux.

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