Carmel
De Mme Martin à son frère Isidore Guérin CF 14 – 27 juin 1865.

DE  
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin
À 
GUÉRIN Isidore

27/06/1865

Lettre de Mme Martin à son frère Isidore CF 14
27 juin 1865.
Mon beau‑père est mort, hier, à une heure de l'après­-midi. Il a reçu les sacrements jeudi dernier. Il est mort comme un saint: telle vie, telle fin. Je n'aurais jamais cru que cela pût me faire autant d'effet: je suis atterrée.
Ma pauvre belle‑mère a passé des nuits à le soigner pendant deux mois et demi, sans qu'elle ait accepté personne pour l'aider; c'est elle qui l'a enseveli et qui le garde mort jour et nuit. Enfin, elle a un courage extraordinaire et de bien belles qualités.
Je te l'avoue, la mort m'épouvante. Je viens de voir mon beau‑père, il a les bras si raides et le visage si froid ! Et dire que je verrai les miens comme cela ou qu'ils m'y verront !... Si tu es habitué à voir la mort, moi je ne l'avais jamais vue d'aussi près.
Je ne sais pas ce que Louis a depuis quelque temps, il ne fait que parler de toi, il voudrait que tu viennes, il sent le besoin de te voir [M. Martin s'inquiétait, sans doute, de la santé de sa femme].  Je t'avoue (entre nous soit dit) que cela m'étonne de sa part; s'il était malade, je croirais qu'il se meurt, mais Dieu merci, il n'en est pas là, s'il va à l'âge de son père. Écris-nous donc le plus tôt possible, dis‑nous quand tu viendras pour contenter Louis et nous tous.
Pauline était dimanche à la procession, en blanc, ainsi que Marie. Toutes deux étaient frisées, avec une couronne dans les cheveux. Pauline était belle comme un ange et avait des manières si gentilles ! Elle se fait aimer davantage que sa sœur : elle a tout pour elle. Marie est jolie, mais trop timide, cela lui fait tort, car elle n'est pas du tout méchante et a grand peur d'offenser le bon Dieu. Elle ressemble à ma sœur du Mans qui pleurait étant toute petite lorsqu'on lui parlait de mariage. Marie en ferait bien autant.
Léonie est bien mignonne et pas mal forte. Il est un fait certain, c'est qu'elle n'a jamais été malade depuis que la neuvaine a été faite par ma sœur à la Bienheureuse Margue­rite‑Marie, béatifiée au mois de septembre. Quand Mme D est venue, elle était dans un état pitoyable et cela depuis sa naissance; elle avait des battements de cœur continuels et une inflammation d'intestins qu'elle avait apportée en naissant, enfin, je l'ai vue entre la vie et la mort pendant seize mois.
Je me souviens qu'à cette époque j'ai voulu la poser sur ses jambes, sans pouvoir y réussir; aussitôt après la neuvaine, elle courait comme un petit lapin. Elle est d'une agilité incroyable.
Mon père se porte bien, ainsi que la petite Hélène. Je te le répète, c'est une enfant ravissante, mais elle est grosse comme rien; à sept mois, elle ne pesait que quatorze livres Cela n'empêche pas qu'elle vient bien et qu'elle est fraîche comme une rose du matin.
Je suis allée voir la sainte fille [Sœur Marie‑Dosithée, sa sœur Visitandine], il y a huit jours ; elle m'a dit de belles choses qui m'ont fait du bien au cœur. Quand tu lui écriras, envoie‑lui des timbres pour les lettres qu'elle t'écrit, moi, je lui fournis les miens Elle m'a demandé de l'argent pour faire des fleurs à son saint Joseph. Je lui en ai donné avec beaucoup de plaisir et je lui en donnerai toutes les fois qu'elle en voudra.
Bien des amitiés de ma part et de toute la famille à mon oncle et à ma tante. Mon père serait presque décidé à aller à Paris et à emmener Marie ; moi, je ne veux pas l'embar­rasser d'une enfant aussi jeune, je craindrais qu'il ne regrette une fois parti.

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