Carmel
De Mme Martin à son frère Isidore Guérin CF 13 – 23 avril 1865

DE  
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin
À 
GUÉRIN Isidore

23/04/1865

 
Lettre de Mme Martin à son frère Isidore CF 13
23 avril 1865
A la hâte, je te trace deux mots, car je suis incapable d'écrire une longue lettre, j'ai un violent mal de tête et suis en butte à des tracasseries incessantes. De plus, nous avons mon beau‑père qui est presque mourant, je ne pense pas qu'il soit en vie dans quinze jours; il meurt de vieillesse. il a déjà la moitié du corps paralysée (Le capitaine Pierre‑François Martin était alors dans sa quatre-vingt-neuvième année).
Nous avons reçu ta lettre, je ne me souviens pas de tout ce qu'elle contenait. Je sais que tu as réussi dans tes examens, que tu as reçu l'argent que nous t'avons envoyé, que l'oncle et la tante se portent bien, qu'il faut que mon père aille à Paris, ce qu'il ne fera pas. I1 a eu, la semaine dernière, la jambe enflée et a été plusieurs jours sans pouvoir sortir; il va mieux maintenant, mais le membre est encore raide, je crains toujours une attaque de paralysie. Il a vu le médecin qui lui a dit de se mettre à la diète, ce qu'il n'a pas envie de faire, car il a bon appétit. Il a eu chez lui, pendant quelques jours, son neveu, le fils de G. Guérin. C'est un petit « tripotot », qui ressemble plutôt à une femme de ménage qu'à un étudiant...
La petite Léonie se porte bien maintenant, ainsi que les trois autres. Je suis allée voir, il y a quinze jours, celle qui est en nourrice; je ne me souviens pas d'avoir jamais éprouvé un saisissement de bonheur tel qu'au moment où je l'ai prise dans mes bras, et où elle m'a souri si gracieu­sement, que je croyais voir un ange; enfin, c'est inexpri­mable pour moi; je crois que l'on n'a pas vu encore et qu'on ne verra jamais une petite fille aussi charmante. Ma petite Hélène, quand donc aurai‑je le bonheur de la posséder entièrement ? Je ne puis me figurer que j'ai l'honneur d'être la mère d'une créature aussi délicieuse !... Oh ! va, je ne me repens pas de m'être mariée. Si tu avais vu les deux aînées aujourd'hui, comme elles étaient bien toilettées, tout le monde les admirait et on ne pouvait en détourner les yeux. Et moi, j'étais là rayonnante, je me disais: « C'est à moi ! J'en ai encore deux autres qui ne sont pas là, une belle et une moins belle que j'aime autant que les autres, mais elle ne me fera pas tant d'honneur. »
Parlons d'autres choses plus sérieuses. Tu sais qu'étant jeune fille, je me suis donné un coup dans la poitrine, à l'angle d'une table. On n'y fit pas alors attention, mais aujour­d'hui, j'ai une glande au sein qui me cause de l'inquiétude, surtout depuis qu'elle me fait un peu souffrir. Cependant, quand j'y touche, elle ne me fait aucun mal, bien que je sente tous les jours et plusieurs fois par jour, des engour­dissements, enfin, je ne saurais pas trop dire quoi, mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle me fait souffrir.
Qu'y a‑t‑il à faire à cela ? Je suis assez embarrassée. Ce n'est pas devant une opération que je reculerais, non, j'y suis toute disposée, mais je n'ai qu'une demi‑confiance dans les médecins d'ici. Je voudrais bien profiter de ton séjour à Paris, parce que tu m'aiderais beaucoup dans cette circonstance. Il n'y a qu'une chose qui me retienne, comment fera mon mari pendant ce temps ? Je n'en sais rien, aie donc l'obligeance de me dire le plus tôt possible ce que tu penses à ce sujet.
Louis te fait bien des amitiés et puisque tu ne veux pas poursuivre tes études en vue du doctorat, il te désire une pharmacie comme celle de M. R. (Vital Romet), celle‑là même, si cela se pouvait. Rien autre chose à t'apprendre, mais en voilà déjà assez, moi qui comptais ne t'écrire que deux lignes.

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