Carmel
De Mme Martin à son frère Isidore Guérin CF 12 – 5 mars 1865.

DE  
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin
À 
GUÉRIN Isidore

05/03/1865

 
Lettre de Mme Martin à son frère Isidore CF 12
5 mars 1865.
Tu dois être bien fâché contre moi d'avoir été si longtemps sans répondre à ta lettre, qui nous a cependant bien amusés. Louis a ri de tout son coeur de ta comparaison du Père Loth ; moi, je n'ai pas ri, je dois être changée d'ici peu en momie et cela n'est pas régalant, pourtant je m'en console en pensant que tu n'es pas prophète.
Je devais t'écrire dimanche dernier, mais voilà que Mme X. est venue m'inviter à aller passer la soirée chez elle avec mon mari, ce que nous avons fait à contrecoeur et tout simplement pour ne pas leur être désagréables. Voici le personnel de la soirée: moi, en première ligne ! mon mari, M. D., vicaire à Notre‑Dame, un maître pianiste de Séez, professeur de ces demoiselles, M. Guérin, père (M. Guérin, fils, étant absent, il fallait bien que son père le remplaçât), Mme X., son père, ses filles et sa tante, enfin le petit toutou dont je ne me rappelle plus le nom. Ils ont chanté tous depuis huit heures jusqu'à onze heures moins le quart, après quoi, chacun est allé se coucher.
Maintenant, parlons d'autre chose: ma petite Léonie a, depuis deux mois, une sorte d'eczéma purulent sur tout le corps et le mal s'aggrave de jour en jour. Je suis désolée et le docteur n'y connaît rien. I1 m'a dit de lui faire prendre du sirop antiscorbutique, ce que j'ai fait, mais le mal n'en continue pas moins ses ravages; il paraît que ces sortes de maux sont presque inguérissables. Donne‑moi, je t'en prie, ton avis et dis‑moi ce que je dois faire. Peut‑être connais‑tu des spécialistes célèbres qui pourront t'indiquer des remèdes efficaces; tu ne saurais croire combien je souffre de voir ma pauvre petite fille dans cet état. Je viens d'écrire à notre soeur Élise de faire une neuvaine pour elle Je ne te demande pas de prières à toi, je n'ai pas assez confiance en tes reliques.
Je suis allée voir, mardi dernier, ma petite Hélène. Je suis partie seule (M. Martin, retenu par l'ouverture de sa bijouterie dont il assurait seul la garde, ne pouvait pas toujours l'accompagner) à 7 heures du matin, par la pluie et le vent qui m'ont menée et ramenée. Imagine‑toi ma fatigue le long du chemin, mais j'étais soutenue par la pensée que j'allais bientôt tenir dans mes bras l'objet de mon amour. C'est un gentil bijou que la petite Hélène, elle est belle à ravir.
Je ne sais plus quoi te dire. Si tu voyais cependant la lettre que j'ai écrite à ma soeur du Mans (Marie-Dosithée), tu serais jaloux, il y a cinq pages. Mais à elle, je lui dis des choses que je ne te dis pas (Cette correspondance n'a pas été conservée).  Nous nous entretenons ensemble d'un monde
mystérieux, angélique; à toi, il faut parler de la boue de la terre. Je sais pourtant une belle affaire. Faut‑il te la dire ? J'hésite, c'est une perle perdue, enfin, risquons‑la.
Voilà donc que, dernièrement, on a inhumé une reli­gieuse aux Clarisses et, en creusant sa tombe, le fossoyeur a rencontré un cercueil qu'il a brisé. C'était celui d'une Soeur, morte depuis trente‑six ans, et elle était parfaitement conservée. En donnant son coup de pioche, il lui a même entamé un bras d'où le sang a jailli en assez grande abon­dance, puisqu'il put ramasser de la terre imbibée de ce sang. Je ne l'ai pas vu, je l'ai su d'une personne digne de foi, mais on ne veut pas ébruiter ces faits. Maintenant, crois‑le si tu veux, moi, je le crois comme si je le voyais, car je sais que, parmi ces religieuses, il y a de vraies saintes.

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