Carmel
De Mme Martin à ses filles, Marie et Pauline CF 110 – 1er novembre 1873.

DE  
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin
À 
MARTIN Marie, Soeur Marie du Sacré-Coeur
MARTIN Pauline, Mère Agnès de Jésus

01/11/1873

 
Lettre de Mme Martin CF 110
 
A ses filles, Marie et Pauline
1er novembre 1873.
Mes chères petite filles,
J'ai reçu vos lettres, mercredi dernier, je les attendais avec anxiété. Je suis bien heureuse que Marie se soit bien réhabituée et qu'elle ait de si bonnes intentions de bien faire. J'espère que vous aurez communié aujourd'hui, fête de la Toussaint et que vous le ferez encore demain, jour des Morts.
Il y avait ici, pour la fête, une belle cérémonie. C'était Monseigneur l'Évêque d'Autun qui officiait. Nous aurons tous les soirs, pendant neuf jours, un Salut solennel du Très Saint Sacrement, pour la France.
Votre onde et votre tante de Lisieux m'ont écrit cette semaine. Votre oncle parle d'une comète rouge, énorme, qui s'avance vers nous et qui est déjà visible, à quatre heures du matin. Elle est signalée dans les journaux et bientôt nous la verrons. En attendant, il faut bien servir le bon Dieu, mes chères petites filles, et tâcher de mériter d'être un jour du nombre des saints dont nous célébrons aujourd'hui la fête.
Je n'ai pas vu la petite Thérèse depuis le jour où nous sommes allés ensemble à Semallé. J'en suis bien privée; il faudra pourtant que je me décide à m'y rendre, mais cela me coûte beaucoup, c'est si loin ! Heureusement qu'elle n'a plus longtemps à y rester.
Votre père est allé faire l'Adoration nocturne la nuit dernière (Membre assidu de l'Adoration nocturne, M. Martin s'efforça avec 1'aide de M. Guérin,d'organiser cette Œuvre), bien qu'il se trouvât très fatigué, quand il nous a quittés, à neuf heures du soir.
Pendant que tous les adorateurs étaient devant le Saint Sacrement, pour faire les prières d'usage, M. Tessier est allé allumer le poêle dans la chambre située au‑dessus de la sacristie, et où ces messieurs se reposent à tour de rôle. Les prières faites, ils se sont rendus dans la sacristie, pour tirer les numéros des heures d'adoration de chacun.
Comme cela demande un certain temps, votre père dit à M. de Morel de tirer pour lui, car il était bien fatigué. Il est donc monté pour se reposer un peu, mais en arrivant dans la chambre, il a senti une fumée suffocante, qui l'a empêché d'aller plus loin. Il a crié: au feu ! Tous ont laissé leur loterie et se sont précipités dans l'appartement: il y avait deux lits en flammes. On s'est empressé de jeter les matelas par les fenêtres; enfin, on est parvenu à éteindre l'incendie.
Si votre père n'était pas monté si tôt, on n'aurait pu se rendre maître du feu. Il y avait là une trentaine de lits et tous en boiserie. La sacristie aurait été brûlée et peut‑être l'incendie aurait‑il atteint l'église. Aussi, ces messieurs ont‑ils regardé cela comme providentiel, et, à toutes les heures, chaque adorateur récitait un Pater et un Ave, pour remercier le bon Dieu de cette préservation
M. Tessier n'avait pas fait attention que deux lits tou­chaient au poêle et c'est ainsi que le feu a pris.
Je vous envoie une lettre(?) de Céline; elle commence à écrire et trace des bâtons, nous en ferons bientôt une savante ! C'est la bonne qui lui a fait écrire sa lettre: j'ai voulu la lire, mais je n'ai pu déchiffrer ces hiéroglyphes !
L'autre jour, cette pauvre petite avait bien mal aux dents. Louise lui a donné pour la distraire, le beau ménage de porcelaine de Marie, mais elle souffrait tant qu'elle n'a pas pu s'amuser. Le jouet est resté contre les fenêtres du jardin quand, dans l'après‑midi, en courant, elle a donné un coup de pied dedans et tout s'est renversé. Léonie a jeté un cri et la petite a été prise d'une telle peur qu'elle s'est sauvée je ne sais où.
J'ai ramassé le ménage et vérifié s'il n'y avait rien de cassé; heureusement, il n'y avait aucun mal. Puis, je me suis mise à la recherche de Céline, puisqu'elle ne reparaissait pas.
Je l'avais vue se diriger du côté du hangar; j'y vais, rien... Alors, je commençai à m'inquiéter et j'appelais... Point de réponse ! Enfin, je retourne au jardin, pour la troi­sième fois, je regarde encore sous le hangar et je l'aperçois, blottie entre deux bourrées, dans un si petit coin, que je me demandais comment elle avait pu faire pour y entrer: il y avait juste le passage d'un chat ! On a eu bien du mal à l'en faire sortir, je vous assure qu'elle ne faisait pas de bruit !
I1 faut, mes chères petites filles, que je me rende aux Vêpres, pour prier à l'intention de nos chers parents défunts. I1 viendra un jour où vous vous y rendrez pour moi, mais il faut que je fasse en sorte de ne pas avoir trop grand besoin de vos prières. Je veux devenir une sainte, ce ne sera pas facile, il y a bien à bûcher et le bois est dur comme une pierre. I1 eût mieux valu m'y prendre plus tôt, pendant que c'était moins difficile, mais enfin  « mieux vaut tard que jamais. »
J'espère que Marie va être bien raisonnable, et puis, mes enfants, habituez‑vous à bien parler; j'aurais vraiment trop de chagrin si vous vous laissiez aller sur ce point, comme pendant les dernières vacances, après avoir passé tant d'années en pension. Je souhaite aussi que Marie soit enfant de la Sainte Vierge cette année, il le faut absolument, mais surtout, qu'elle s'efforce de mériter ce beau titre.
Votre père me charge de vous faire mille amitiés, et moi, je vous embrasse comme je vous aime.

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