Carmel
De Mme Martin à sa fille Pauline CF 160 – 21 mai 1876.

DE  
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin
À 
MARTIN Pauline, Mère Agnès de Jésus

21/05/1876

 
Lettre de Mme Martin CF 160
 
A sa fille Pauline
Ma chère Pauline,
21 mai 1876.
Je suis bien fatiguée ce soir, nous sommes parties à midi et demi pour aller au cimetière; il faisait une chaleur étouf­fante .La petite Thérèse ne pouvait plus marcher et j'ai été obligée de la porter en revenant. Je l'ai couchée, elle a fait un bon somme de deux heures, ainsi que Céline. Pendant ce temps, j'ai été aux vêpres tandis que ton père les gardait.
Léonie sera confirmée demain matin. Pour son Renou­vellement, elle a prié avec beaucoup de piété pendant la Messe.
I1 est bientôt neuf heures. Nous revenons d'une longue promenade pour laquelle nous étions partis à six heures et demie, il faisait bien meilleur que tantôt.
Demain après‑midi, les enfants iront encore se promener avec leur père, mais je ne les accompagnerai pas, car, j'ai un envoi de dentelle à faire pour mardi, et je n'ai pas de temps à perdre.
Marie est en train de t'écrire. Je lui dis toujours de s'occuper de ses lettres le samedi, mais elle ne m'écoute pas, cela va la forcer à veiller bien tard. Les dimanches d'été, on a peu de loisirs à la maison; toute la journée se passe à l'église ou en promenade; et si j'avais du temps libre en semaine, je ne garderais pas mes correspondances pour ce jour‑là.
Ta soeur ne voulait pas sortir oe soir afin d'écrire, mais je n'ai pas voulu qu'elle reste toute seule. Elle est curieuse: toute la semaine, elle gémit de ce qu'on n'a jamais de plaisir, qu'il faut toujours être enfermés et, quand le dimanche arrive, elle le redoute. Nous sommes tous un peu comme cela, à désirer ce que nous ne pouvons avoir, et quand nous le tenons, nous nous montrons blasés.
J'ai été bien attristée des décès que tu m'as annoncés, surtout celui de la bonne Mère Supérieure que j'aimais beaucoup. J'ai une image d'elle que je garde comme un précieux souvenir; elle me l'a donnée, il y a sept ans, et elle est signée de sa main.
J'ai reçu, vendredi, une boîte de bonbons de Lisieux, venant du baptême de la petite Hélène Maudelonde. C'est Thérèse qui était heureuse; il fallait la voir sauter et battre des mains. Hier soir, nous parlions d'un riche propriétaire, et Louise qui envie toujours les riches, disait: « Si j'avais donc cela, moi ! » Mais la petite a bien vite déclaré qu'elle aimait bien mieux la boîte de bonbons que tout cela. Qu'on est donc heureux à cet âge ! C'est dommage d'en sortir !
Marie aime beaucoup sa petite soeur, elle la trouve bien mignonne, elle serait bien difficile, car cette pauvre petite a grand'peur de lui faire de la peine. Hier j'ai voulu lui donner une rose sachant que cela la rend heureuse, mais elle s'est mise à me supplier de ne pas la couper, Marie l'avait défendu, elle était rouge d'émotion, malgré cela je lui en ai donné deux, elle n'osait plus paraître à la maison.  J'avais beau lui dire que les roses étaient à moi, « mais non,
disait‑elle, c'est à Marie.. ». C'est une enfant qui s'émotionne bien facilement. Dès qu'elle a fait un petit malheur, il faut que tout le monde le sache. Hier, ayant fait tomber sans le
vouloir un petit coin de la tapisserie, elle était dans un état à faire pitié, puis il fallait bien vite le dire à son père; il est arrivé quatre heures après, on n'y pensait plus, mais elle est bien vite venue dire à Marie:  « Dis vite à Papa que j'ai  déchiré le papier. » Elle est là comme un criminel qui attend sa condamnation, mais elle a dans sa petite idée qu'on va lui pardonner plus facilement si elle s'accuse.
J'ai été enchantée de tes lettres, ma chère Pauline, elles sont pleines de coeur, je suis bien consolée de te voir de si bons sentiments, tu fais ma joie.
Je ne sais pas si c'est moi qui conduirai Marie à la retraite, mais j'irai certainement la chercher et j'espère bien te faire sortir. Je suis contente que ta soeur aille faire cette retraite et qu'elle ait le bonheur de passer quelques jours avec sa bonne tante, cela lui fera beaucoup de bien; elle aime tant sa chère Visitation et ne lui trouve aucune pension comparable.
Adieu, ma Pauline, ne sois pas longtemps sans m'écrire. Tu me diras s'il y a une autre Supérieure. Embrasse bien ta tante pour moi.

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