Carmel
De Mme Martin à sa fille Pauline CF 156 – 12 mars 1876.

DE  
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin
À 
MARTIN Pauline, Mère Agnès de Jésus

12/03/1876

 
Lettre de Mme Martin CF 156
A sa fille Pauline
12 mars 1876.
Ma chère Pauline,
Nous avons reçu ta lettre lundi dernier, j'ai été heureuse de voir que tu es encore au Tableau d'Honneur; je remercie, chaque jour, la Sainte Vierge de m'avoir donné une si bonne petite fille.
Tu sais que nous sommes en Carême, ma Pauline, aussi je ne vais pas t'écrire une longue lettre, puis je n'ai rien de nouveau à te dire. Marie va sans doute te parler des gentilles toilettes que Mlle G. fait à tes petites soeurs ; je l'ai eue toute la semaine dernière et elle viendra encore celle‑ci.
Je ne manque toujours pas de couturières, j'en occupe trois en ce moment, j'ai repris Mlle Irma, qui m'a rencontrée mercredi, en sortant de chez M. Romet, où je venais d'acheter l'étoffe pour les robes des petites. Cette pauvre demoiselle a pleuré, m'a demandé pardon, elle me serrait les mains avec tant d'affection que je n'ai pu résister ; il en faut beaucoup moins que cela pour me défâcher, aussi, tout de suite, nous nous sommes réconciliées.
Mlle G. a été bien contrariée et Marie n'en est pas très contente non plus, parce que la nouvelle a plus de goût que, l'ancienne. Mais que faire ? Contrister autant une personne qui travaille pour moi depuis bientôt dix‑huit ans, je ne puis m'y résigner.
Il nous vient, demain, un jardinier; les enfants s'en réjouissent, car ce bonhomme leur plaît beaucoup. Marie l'a pris en affection. Il raconte des histoires curieuses sur sa bonne femme qui, après sa mort, est venue le glacer, le « navrer » comme il dit et qui lui a demandé de fermer la porte. Quand la petite Thérèse le voit, elle répète, à sa façon, les paroles du bonhomme : « Tu m'nabre, ma bonne femme, tu m'nabre. » On est obligé de la faire taire !
Voilà Marie qui m'apporte une chaufferette ; je lui dis que je ne vais pas en écrire plus long, elle me supplie de remplir les quatre pages, parce que cette pauvre Pauline va avoir trop de chagrin. « Cette pauvre Pauline », elle en aura bien d'autres dans sa vie !
Mlle X. est venue me donner de tes nouvelles ; il paraît qu'elle t'a vue mercredi; elle m'a dit que tu avais beaucoup grandi, cela m'a fait bien plaisir.
C'est une bien bonne personne que cette demoiselle, c'est dommage qu'elle ait des idées si libérales. Je crois, qu'un jour, elle changera d'avis, car elle est trop charitable pour que le bon Dieu permette qu'elle ait toujours un voile aussi épais sur les yeux. Son frère nous disait, l'autre jour, que « Dieu ne s'occupait pas de nous » ; il le verra si le bon Dieu ne s'en occupe pas, et je crois que ce sera bientôt !
Cela me fait du chagrin que de si bons amis aient de pareils sentiments. Moi, je sais que le bon Dieu s'occupe de moi, je m'en suis aperçue déjà bien des fois dans ma vie, et combien j'ai de souvenirs à ce sujet, qui ne s'effaceront jamais de ma mémoire.
N'est‑ce pas, ma Pauline, que ma lettre est peu intéressante ? Il y a des jours où l'on n'a point d'idées ; je n'en ai jamais beaucoup, mais aujourd'hui c'est pire que d'habitude. Toute la journée en a été. Ce matin, je dormais en m'habillant, je dormais presque en marchant, je dormais à la première Messe, à genoux, debout, assise, en priant ; enfin, j'ai été absorbée toute la journée. Maintenant, je suis bien éveillée ; c'est toujours ainsi le soir où je ne suis jamais endormie!
Il faut pourtant que je finisse ma lettre, car il est déjà bien tard et je me lève de bonne heure, à cinq heures et demie tous les matins. C'est dur pour moi, avec le jeûne du Carême, j'aspire à Pâques ; enfin, cela viendra, j'aurai double joie, même triple: d'abord, à cause de la belle fête de Pâques ; puis, ma Pauline que j'irai chercher le lendemain, et enfin, ma soeur que je verrai. Cela fera bien des joies, dont je jouis à l'avance. Je n'ai plus que cinq semaines à les attendre, elles seront vite passées.
Céline va assez bien maintenant ; la petite Thérèse, elle, va tout à fait bien. Elle est toujours très mignonne et me disait, ce matin, qu'elle voulait aller au Ciel, et que, pour cela, elle allait être mignonne comme un petit ange.
Adieu, ma Pauline, voici tout de même mes quatre pages remplies, sans m'en apercevoir.
Je t'embrasse comme je t'aime. Ta mère.

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