Carmel
De Mme Martin à Mme Guérin CF 180 – 31 décembre 1876

DE  
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin
À 
GUÉRIN Céline née FOURNET

31/12/1876

 
Lettre de Mme Martin CF 180
 
 A sa Belle‑Soeur 3I décembre 1876. Voilà donc encore une année passée... Pour moi, je ne la regrette pas, j'attends avec impatience la fin de la prochaine; je n'ai cependant guère sujet de me réjouir de voir le temps s'avancer, mais je suis comme les enfants qui ne s'inquiètent pas du lendemain, j'espère toujours du bonheur. J'ai pensé bien des fois à vous depuis que je vous ai quittés, je vous vois encore m'entourer de tous les soins possibles. Vraiment, si j'étais longtemps chez vous, vous me gâteriez tout à fait. Savez‑vous que cela paraît dur après de se remettre au travail et aux misères de toutes sortes ? Je m'habituerais bien vite à la douce vie que vous m'avez faite pendant trois jours. Je crois que je suis guérie ou en voie de guérison car, depuis jeudi, je n'ai pas ressenti la plus petite douleur; en tout cas, je pourrai aller très longtemps comme cela. I1 n'en sera pas de même pour ma soeur, nous n'attendons plus que de très tristes nouvelles, tristes pour nous, mais non pour elle, car je la trouve bien heureuse de s'être préparée une aussi sainte mort. Moi, j'essaie de me convertir; mais je ne puis en venir à bout; il est bien vrai qu'on meurt comme on a vécu, on ne peut pas remonter le courant quand on le veut. Je vous assure que je m'en aperçois bien, parfois je m'en décourage. On dit pourtant qu'il ne faut qu'un moment pour faire d'un réprouvé un saint, mais je crois que ce n'est qu'un tout petit saint ! Enfin, il faut qu'il y en ait de toutes les sortes. Malgré mon désir de cacher ma maladie à Pauline, elle en a déjà trop entendu parler; elle m'a demandé ce matin ce que tout cela voulait dire. Je lui ai répondu que je pouvais vivre quinze à vingt ans comme cela; elle en est très rassurée, cela lui paraît une éternité; c'est ainsi, quand on est jeune; on ne s'inquiète pas de si loin. C'est donc mercredi que je la reconduis à la Visitation; je crains bien qu'il n'arrive malheur à ma soeur d'ici‑là, je ne sais, en ce cas, si j'aurais le courage de retourner au Mans. I1 faut que je termine, voilà l'heure de la poste. Je vous souhaite bien du bonheur pour cette nouvelle année. Si le bon Dieu exauce mes voeux, vous serez aussi heureux qu'Adam et Eve au Paradis terrestre. Ils auraient bien fait d'y rester et de ne pas nous jeter dans la misère comme ils l'ont fait. Je ne leur sais pas bon gré de cela. Je vous embrasse tous avec l'affection dont je suis capable et je vous remercie mille et mille fois de toutes vos bontés à mon égard.

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