Carmel
De Mme Martin à Mme Guérin CF 72 – 17 octobre 1871.

DE  
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin
À 
GUÉRIN Céline née FOURNET

17/10/1871

 
Lettre de Mme Martin CF 72
A Mme Guérin
17 octobre 1871.
Le malheur qui vient de vous frapper m'afflige profondé­ment, vous êtes vraiment bien éprouvée. C'est une de vos premières peines, ma pauvre chère soeur ! Que le bon Dieu vous accorde la résignation à sa sainte volonté. Votre cher petit enfant est auprès de Lui, il vous voit, il vous aime, et vous le retrouverez un jour. C'est une grande consolation que j'ai ressentie et que je ressens encore.
Quand je fermais les yeux de mes chers petits enfants et que je les ensevelissais, j'éprouvais bien de la douleur, mais elle a toujours été résignée. Je ne regrettais pas les peines et les soucis que j'avais endurés pour eux. Plusieurs me disaient: « Il vaudrait beaucoup mieux ne les avoir jamais eus. » Je ne pouvais supporter ce langage. Je ne trouvais pas que les peines et les soucis pouvaient être mis en balance avec le bonheur éternel de mes enfants. Puis, ils n'étaient pas perdus pour toujours, la vie est courte et remplie de misères, on les retrouvera là‑haut.
C'est surtout à la mort du premier, que j'ai senti plus vivement le bonheur d'avoir un enfant au Ciel. Car, le bon Dieu m'a prouvé d'une manière sensible qu'il agréait mon sacrifice. J'ai obtenu, par l'entremise de ce petit ange, une grâce bien extraordinaire.
Ma petite Hélène, qui, depuis, est allée le rejoindre, était affligée d'un mal d'oreilles depuis six mois et ce mal allait toujours en s'aggravant. J'avais consulté plusieurs médecins et d'autres personnes qui, soi‑disant, s'y connaissaient très bien, mais rien n'y faisait. C'était arrivé au point qu'elle portait un bandeau et le pus, qui exhalait une odeur insup­portable, traversait les linges en moins de deux heures; enfin, la pauvre petite n'entendait plus du côté où elle avait mal.
Un jour, en revenant de la conduire au docteur qui ne m'en avait dit rien de bon, voyant l'impuissance de tous, il me vint l'inspiration de m'adresser à mon petit Joseph, qui était mort depuis cinq semaines. Je prends donc l'enfant et je lui fais faire une prière à son petit frère. Le lendemain matin, l'oreille était parfaitement guérie, l'écoulement s'était arrêté tout à coup et la petite n'a plus jamais rien ressenti. J'ai encore obtenu plusieurs autres grâces, mais moins sen­sibles que celle‑là.
Vous le voyez, ma chère soeur, c'est un grand bien d'avoir des petits anges au Ciel, mais il n'en est pas moins pénible pour la nature de les perdre, ce sont là les grandes peines de notre vie.
Que je voudrais donc être auprès de vous pour vous consoler ! Si j'écoutais le désir que j'en ai, j'arriverais à Lisieux pour dimanche prochain, mais je craindrais de vous fatiguer, dans l'état de faiblesse où vous êtes. Je me résigne donc à attendre.
Je disais à l'instant à mon mari que ce serait pour le dimanche qui précédera la Toussaint et que je reviendrais le mercredi, mais malheureusement, la fête tombant ce mercredi‑là, je serais obligée d'avancer mon retour pour ne pas voyager en ce saint jour; je préfère donc remettre à la semaine suivante. Je sens le besoin de vous voir tous, depuis longtemps; j'aurais désiré que ce fût dans la joie, mais puisque le bon Dieu ne l'a pas permis, il faut bien nous soumettre.

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