Carmel
De Mme Martin à Mme Guérin CF 39 – 7 septembre 1868.

DE  
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin
À 
GUÉRIN Céline née FOURNET

07/09/1868

 
Lettre de Mme Martin à Mme Guérin CF 39
7 septembre 1868.
Je suis vraiment touchée de l'intérêt si affectueux que vous me portez et vous en suis très reconnaissante. Je suis désolée que ce pauvre Isidore soit malade, mais il faut bien être raisonnable et se résigner à la volonté de Dieu.
Je prêche les autres, et je ne suis guère raisonnable moi-­même. Samedi, je cherchais mon père partout; il me semblait que j'allais le trouver, je ne pouvais me figurer que j'en étais séparée pour toujours. Hier, je suis allée au cimetière; à me voir, on aurait dit: voilà la personne la plus indiffé­rente du monde. J'étais à genoux au pied de sa tombe, je ne pouvais pas prier. A quelques pas plus loin, je m'agenouillais sur celle de mes deux petits anges; même indifférence apparente...
J'ai parcouru un chemin que j'avais suivi, il y a cinq semaines avec mon petit enfant et mon père, je ne pourrais vous dire tout ce que j'ai éprouvé ! Je ne faisais attention à rien de ce qui se passait autour de moi; je regardais les endroits où mon père s'était assis. Je restais là debout, presque sans pensées. Jamais de ma vie je n'avais ressenti de pareils serrements de coeur. En arrivant à la maison, je n'ai pu manger, il me semblait que n'importe quels malheurs me trouveraient maintenant insensible.
Si vous saviez, ma chère soeur, combien j'aimais mon père ! I1 était toujours avec moi, je ne l'avais jamais quitté, il me rendait tous les services qu'il pouvait.
J'ai reçu, ce matin, une lettre d'Elise. Elle me dit qu'au premier moment, elle a tant pleuré que sa voix en était éteinte, mais qu'à présent son âme jubile en pensant à la grâce que le bon Dieu nous a faite de la sainte mort de notre père. Il paraît que l'on fait, dans la Communauté, des Chemins de Croix, des communions générales pour le repos de son âme. Je me propose de demander de suite cent cinquante messes pour mon père et ma mère et comme je sais bien que, dans le cours des années que j'ai encore à vivre, je ne serais pas tranquille si je n'en faisais plus célébrer, je compte y revenir plus tard. Enfin, si mon frère en veut davantage, nous nous arrangerons ensemble.

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