Carmel
De Mme Martin à Mme Guérin CF 32 – Mai 1868.

DE  
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin
À 
GUÉRIN Céline née FOURNET

01/05/1868

Lettre de Mme Martin à Mme Guérin CF 32
Mai 1868.
J'ai appris avec grand plaisir les bonnes nouvelles de votre petite Jeanne. Vous devez être heureuse d'avoir une si gentille petite fille; j'ai été bien heureuse aussi lorsque j'ai élevé ma première, elle avait une si bonne santé. J'étais trop fière, le bon Dieu n'a pas voulu que cela dure, tous les autres enfants que j'ai eus après ont été difficiles à élever et m'ont donné bien des soucis.
Le dernier petit Joseph est encore du nombre, il est toujours malade. Voilà trois mois qu'il est pris d'une bron­chite qui l'a mis dans un triste état; la semaine dernière, on croyait qu'il allait mourir. Le médecin lui a fait mettre un vésicatoire entre les deux épaules, on le lui a laissé plu­sieurs jours. Jugez comme ce pauvre petit a dû souffrir ! Et avec cela une toux continuelle et une oppression qui l'étouffait. J'allais le voir deux fois par jour; le matin, je partais à cinq heures, et le soir à huit heures, et je revenais toujours le coeur serré.
Il va mieux depuis samedi, il commence à prendre un peu de nourriture et tousse moins, mais il est loin d'être guéri, je suis sûre que votre petite est beaucoup plus résistante que lui, car il est réduit à rien et n'a aucune force. J'aurais pourtant été bien contente d'avoir un petit garçon bien vigoureux; il ne faut sans doute pas que je sois contente maintenant, c'est peut‑être réservé pour plus tard, je me console dans cet espoir.
Je suis heureuse que vous soyez décidés à venir cette année à Alençon; il est bientôt temps après deux ans qu'on ne vous y a vus ! Puisque j'aurai le plaisir de vous avoir ici, je n'irai pas à Lisieux, comme je l'avais pensé, il faut se raisonner. Si vous saviez combien je suis utile chez nous et comme il est difficile que je m'absente. Je ne puis me fier à la servante de mon père, je ne puis la comparer qu'à celle que je vous ai envoyée, elles ne sont pas plus sérieuses l'une que l'autre et ne sont bonnes qu'à regarder les passants et à donner le mauvais exemple aux enfants.
Je me réjouis que votre commerce aille bien, cela me rassure, le mien va mal, tout à fait mal, on ne peut plus mal. Je crois positivement, que je suis sur la fin de mon règne, c'est cependant contre mon gré, car j'aurais bien voulu
travailler jusqu'au bout pour mes enfants. Nous en avons déjà cinq, sans compter ceux qui peuvent arriver, car je ne désespère pas d'en avoir encore trois ou quatre !
Mon père est malade depuis plusieurs jours, il était souffrant hier, il se plaignait beaucoup de tous les membres, il croit qu'il va mourir . Je suis bien peinée de le voir ainsi. Il ne veut pas consulter de médecin, mais si cela continue, je vais aller en chercher un.

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