Carmel
De Mme Martin à Mme Guérin CF 31 – 14 avril 1868.

DE  
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin
À 
GUÉRIN Céline née FOURNET

14/04/1868

 
Lettre de Mme Martin à Mme Guérin CF 31
14 avril 1868.
Votre dernière lettre m'a fait bien plaisir, j'attendais de vos nouvelles avec impatience et j'en attends encore, car je voudrais savoir comment va la petite Jeanne, ainsi que vous tous.
Je vois que vous avez déjà eu beaucoup d'inquiétudes au sujet de cette chère petite; mais, ma chère soeur, il ne faut pas vous tourmenter outre mesure, les enfants ont toujours quelques misères, j'y suis tellement habituée pour les miens, que j'en prends mon parti.
J'ai cependant eu bien des motifs d'angoisse pour le petit dernier qui a été très malade, il y a trois semaines. La nourrice est arrivée en sanglotant me dire qu'il n'y avait aucun espoir, qu'il était pris exactement comme son petit frère. La crainte de le voir mourir chez elle l'effrayait telle­ment qu'elle voulait me le rendre. Le médecin y est allé de suite et a constaté qu'il avait une bronchite; on l'a soigné le mieux possible; maintenant, il est tout à fait guéri.
Nous sommes allés le voir aujourd'hui. I1 a souri à son père et à moi, comme s'il nous connaissait. Je suis bien privée de ne pas l'avoir avec nous et il me tarde que le moment de le reprendre soit venu, quoique je m'effraie d'avance du surcroît d'embarras que cela nous donnera, car on ne manque pas de besogne ici; si j'en avais trois fois moins, j'en aurais encore assez pour n'être pas souvent à rien faire, mais c'est un travail si doux de s'occuper de ses petits enfants ! Si je n'avais que cela à faire, il me semble que je serais la plus heureuse des femmes. Mais il faut bien que leur père et moi travaillions pour leur gagner une dot, sinon, quand ils seront grands, ils ne seraient pas contents de nous !
Dans ma dernière lettre, je n'ai pas pensé à vous remercier de la belle boîte de bonbons que vous m'avez envoyée par mon père; celui‑ci m'a fait un récit charmant du baptême de la petite Jeanne, il en était vraiment émerveillé.
Tout le monde, ici, est en bonne santé, mais ma pauvre Léonie est tombée violemment et s'est fait deux coupures au front, très larges et profondes. Cela fait la troisième fois qu'elle se coupe le front et les deux premières marques sont très visibles, j'en suis désolée. Mais, en revanche, c'est le meilleur caractère qu'on puisse voir, elle et Pauline sont charmantes, la petite Hélène est bien mignonne aussi. Marie a un caractère très spécial et volontaire. C'est la plus belle, mais je la voudrais plus docile. Quand vous m'écrirez, ne parlez pas de ce que je vous dis sur cette enfant, d'ailleurs si bien douée, mon mari ne serait pas content, c'est sa bien-aimée !
Je souhaite recevoir bientôt de vos nouvelles. Vous me direz si la pharmacie va bien, si mon frère se tourmente encore, s'il est triste ? Je voudrais que vous soyez tous heureux; mais le vrai bonheur n'est pas de ce monde, on perd son temps à l'y chercher.

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