Carmel
De Mme Martin à Mme Guérin CF 118 – 24 juin 1874.

DE  
GUÉRIN Zélie, Madame Louis Martin
À 
GUÉRIN Céline née FOURNET

24/06/1874

 
Lettre de Mme Martin CF 118
 
A Mme Guérin
24 juin 1874.
J'ai reçu votre lettre un peu trop tard, juste une demi-­heure avant l'arrivée de M. Maudelonde et cela m'a ennuyée, car j'étais seule. La bonne et les enfants étaient à l'inhu­mation d'une jeune fille de quinze ans, amie de mon aînée. Mon mari aussi était absent; il est parti ce matin à la pêche et ne va rentrer que vers huit heures ce soir. Si j'avais eu votre lettre hier, il serait resté, bien entendu.
Je n'ai pas grand nouveau à vous signaler. Cela va assez bien chez nous. J'ai reçu, avant‑hier, un courrier de la Visitation; je crois que Marie sera  « Enfant de la Sainte Vierge » , le 2 juillet. I1 n'y en a que trois, dans le Pensionnat, qui auront pu obtenir ce privilège pour cette date.
Pauline m'écrit qu'un Père jésuite fait un sermon, tous les soirs, à huit heures, pendant le mois du Sacré‑Coeur, et que c'est si beau, si beau, que bien sûr, un pécheur qu'elle a en vue se convertirait s'il y assistait: « ce serait impossible autrement ! »
Céline me demande sans cesse quand vous viendrez Je lui dis: « Pendant le mois d'août. » Elle me répond : « Combien y a‑t‑il de jours ? ça n'en finit point d'arriver ce mois d'août‑là, c'est trop long ! »
Thérèse commence à dire à peu près tout. Elle devient de plus en plus mignonne, mais ce n'est pas une petite charge, je vous assure, car elle est continuellement autour de moi, et il m'est difficile de travailler. Aussi, pour rem­placer le temps perdu, je continue ma dentelle jusqu'à dix heures le soir et me lève à cinq heures. I1 faut encore que je me lève une ou deux fois pour la petite, pendant la nuit. Enfin, plus j'ai de mal et mieux je me porte !
Vous rappelez‑vous Mme Leconte, qui a dîné avec vous lors de votre dernier voyage à Alençon ? Elle est morte, le 3 mai dernier; il y avait neuf jours que j'avais reçu sa dernière lettre, qui contenait quatre pages bien serrées. J'aimais cette dame presque comme une soeur, aussi ai‑je été très affectée de sa perte.
Elle était à Béziers avec son fils et a été enlevée rapidement par une péritonite. Mais si vous saviez de quelle manière j'ai appris sa mort ! Imaginez‑vous que je vois arriver son fils à la maison, à 8 heures du matin. J'en fus surprise et lui demandai tout de suite des nouvelles de sa mère. I1 me répondit sans ambages: « Elle est à la gare, dans un cercueil. » Je suis restée interdite, je ne pouvais plus parler, ni croire ce qu'il disait...
Je vous donne bien des détails sur une personne que vous ne connaissiez pas, mais je l'ai toujours dans la pensée et je ne puis m'empêcher de vous en entretenir.
Il faut que je termine, car j'ai un ouvrage fou. Je suis bien tranquille en ce moment, les enfants sont parties avec leur bonne cueillir des fraises au Pavillon, où nous en avons en quantité. N'est‑ce pas dommage que nous soyons si éloignés de vous ! nous vous en fournirions pour la saison.
Je vous embrasse tous de tout coeur.
Votre soeur affectionnée.

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